mardi 24 novembre 2015

Saint Jean de la Croix - Père Gabriel de Ste M.-Madeleine



Principes de la vie d'amour.

Tout comme la magnanime Thérèse de Jésus, St Jean de la Croix nous propose une doctrine de totalité. Cette doctrine se présente même sous une forme tellement absolue, qu'elle effraie plus d'un lecteur. Il n'y a pourtant pas de quoi s'épouvanter. Le Saint n'est, en aucun sens, un homme sec et dur comme certains l'ont parfois qualifié. Jugement totalement erroné ! Certes, le Saint se montre exigeant ; mais les exigences de sa doctrine sont toutes des exigences de l'amour ; s'il demande beaucoup, c'est pour nous conduire plus vite aux cimes de l'amour.

Il faut ajouter que ce caractère absolu donne à sa doctrine une clarté manifeste. L'enseignement de Saint Jean est très élevé, mais vraiment très clair, parce qu'il est déduit avec une logique parfaite de quelques principes. Par ailleurs, le regard du grand contemplatif ne demeure pas toujours fixé sur les cimes les plus élevées — nous le verrons sous peu — il sait aussi descendre avec un art éducatif incomparable, jusqu’aux détails de la vie quotidienne, pour réformer l'âme, en ses plus petits mouvements affectifs, afin de la diriger d'une main sûre, à travers tous les dangers de la vie spirituelle.

Nécessité du dépouillement total.

Le grand ennemi de l'amour de Dieu est notre amour-propre. Nous aimons tant jouir ! Toutes nos puissances sont comme autant de tentacules qui s'allongent prêtes à nous enlacer de toutes parts, pour alimenter notre appétit, de bien-être. Cet appétit est si grand qu'il fait naître en l'âme, non seulement l'attache à l'action imparfaite mais aussi au péché, même au péché mortel ! Pauvre âme enserrée de tant de chaînes qui arrêtent en elle le développement de la vie d'amour. « Deux contraires », répète le Saint, « ne peuvent coexister en un même sujet » ; or l'amour de Dieu et l'amour de la créature, sont deux contraires, en sorte que, dans une même volonté, l'affection à la créature et l'amour de Dieu ne peuvent coexister... Comme dans l'ordre naturel des choses, une forme nouvelle ne peut .s'introduire dans un sujet, si elle n'en a pas auparavant chassé la forme contraire qui la précède... de même, tant que l'âme est assujettie à l'esprit sensible, l'esprit purement spirituel ne peut entrer en elle[i]. Si nous voulons que l'amour divin domine: tout notre amour, il n'y a qu'un moyen : le dépouiller de toute attache à la créature: Il faut acquérir la « nudité de l'esprit »[ii].

L'amour assujettit l'aimée à l'amant ; il fait aimer par l'aimée tout ce que veut l'amant, il transforme la volonté de l'aimée en celle de l'amant ; il fait en sorte qu'il n'y ait plus deux volontés, mais une seule : celle de l'amant à laquelle l'aimée se conforme complètement.[iii] Ces lois générales de l'amour se vérifient pleinement dans l'amour de Dieu. Pour aimer Dieu en perfection, il faut que l'âme perde sa volonté propre en celle de Dieu, qu'elle n'aime plus rien que ce qui est aimé de Dieu autrement il ne peut être question d'une vraie transformation affective. » L'état de l'union divine, dit le Saint « consiste à avoir la volonté totalement transformée dans la volonté de Dieu, au point qu'il n'y ait plus rien en elle d'opposé à la volonté de Dieu, mais qu'en tout et pour tout, elle soit mue uniquement par la volonté de Dieu.

C'est pourquoi nous disons qu'en cet état il n'y a plus qu'une seule volonté, celle de Dieu étant vraiment celle de l'âme. Or, .si l'âme aime quelqu'imperfection que Dieu n'aime pas, l'union de volonté n'existe plus, parce que l'âme voudrait ce que Dieu ne veut pas. Il est donc clair que pour arriver à s'unir parfaitement à. Dieu par amour de volonté, l'âme doit se libérer d'abord de tout appétit volontaire, pour petit qu'il soit »[iv]. Logique inflexible : qui veut être tout à Dieu, doit tout laisser pour Lui. Toto-Nada, Nada, rien, absolument rien. Puissamment expressive est la comparaison typique du Saint : -« L'oiseau demeure attaché avec un fil tenu comme avec un gros fil. Le fil qui le retient a beau être léger, l'oiseau y reste attaché comme à un fil épais, tant que le fil n'est pas détruit ; sans doute le fil tenu se rompt-il plus facilement, mais il doit se rompre, sans quoi l'oiseau ne pourra voler »[v]

Il est donc évident, que pour atteindre l'union, nous devons avoir du courage, être généreux ; c'est une entreprise héroïque ! La cime du Carmel avec son « éternel banquet »[vi] goûté par 1'Epouse qui repose dans les bras du Bien-Aimé, est certes très attrayante, mais pour l'atteindre, il faut gravir les échelons du « rien ». En suivant les sinuosités des chemins plus faciles, nous n'arriverons jamais à temps ; il faut affronter le sentier escarpé. L'espoir d'arriver nous en donnera la force. Mettons-nous donc en route.


P. Gabriel de Ste M.-Madeleine, O.C.D. - Saint Jean de la Croix


[i] Montée I, c. 6, n.1 et 2
[ii] Montée, prologue.
[iii] IIIme Sent., Dist. 27, q. I, a. 1.
[iv] Montée I. c. 11. N. 2 et 3
[v] Montée I. c. 11. N. 4 (n. 3).
[vi] Cfr. le dessin au frontispice de la Montée.

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