mardi 20 mars 2018

Père Onésime Lacouture - 3-2 - Marthe et Marie



LA FOI
PREMIÈRE INSTRUCTION MARTHE ET MARIE.

«Marthe, Marthe, vous êtes inquiète et vous vous occupez de beaucoup de choses. Or, une seule est nécessaire: Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée». Luc, 10.

PLAN
Remarque.

-EST TRÈS BONNE.
La vie de Marthe: TROP D’EMPRESSEMENT - REPROCHE DE JÉSUS - EST TOUT INTÉRIEURE.

La vie de Marie: -EST DE L’INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ - SA PERFECTION.

REMARQUE

Comme notre troisième série requiert justement la mentalité de Marie et que la plupart des chrétiens ont celle de Marthe, il est bon de considérer ces deux mentalités pour mieux passer de l’une à l’autre selon le bon plaisir de J.-C. Les deux sont bonnes, mais Jésus nous dit que celle de Marie est la meilleure et que personne ne la lui enlèvera. Etudions-les pour voir, ce que nous pouvons garder de celle de Marthe et ce que nous devons éliminer pour nous approcher le plus possible de la mentalité de Marie.

Il ne s’agit pas ici de péché du tout, mais simplement de ce qui est plus parfait. Ceux qui mesurent tout sur le péché sont portés à se désintéresser d’une question de plus parfait. Mais ceux qui ont un peu d’amour de Dieu, seront contents d’apprendre une meilleure méthode de plaire à Dieu. Cette série est pour ceux qui veulent progresser dans la pratique de l’amour de Dieu; elle n’est que pour ceux qui sont sortis de la vie du péché et qui veulent sincèrement avancer dans la vie divine. Pour ceux-là, la moindre indication de Jésus pour mieux pénétrer dans sa vie est importante.

Il ne s’agit pas ici de projeter la lumière insignifiante de notre raison sur le Soleil divin pour le mieux comprendre, ni même de lui offrir un repas comme Marthe, mais, dans le monde surnaturel où nous sommes, nous devons prendre l’attitude de Marie pour recevoir tout ce que Jésus voudra bien nous communiquer dans son immense bonté.

Mettons donc tout souci des choses extérieures de côté; oublions tout le sensible de ce monde, vidons notre cœur de toute affection terrestre pour l’ouvrir bien grand aux choses de Dieu et nous pourrons espérer que le Saint-Esprit daignera déverser sur nous des flots de lumière et de sagesse divine. Entrons dans cette retraite avec un très grand désir de progresser dans la sainteté de Dieu pour notre bonheur, pour celui des âmes et pour la plus grande gloire de Dieu.
Invoquons le secours de la Sainte Vierge qui a vécu la plus parfaite vie intérieure après Jésus et qui est la médiatrice de toute grâce. Nous ferions bien aussi de demander à Saint Joseph qui a vécu si longtemps avec les deux plus parfaites personnes au monde, de nous obtenir l’immense grâce de tout recevoir de Jésus et de Marie et de le garder jusque dans l’éternité!
LA VIE DE MARTHE

EST TRÈS BONNE:  elle s’occupe des travaux manuels parmi lesquels la préparation des repas tient le premier rang. Puisque Dieu a assujetti l’homme à manger plusieurs fois par jour, il veut donc le travail des hommes qui vont chercher les vivres et des femmes qui les préparent. De plus, les chrétiens qui ajoutent à ce devoir des motifs surnaturels et l’accomplissement pour l’amour de Dieu ont un grand mérite.

C’était sûrement le cas de Marthe qui préparait ce repas spécialement pour Jésus en personne. Tous les parents augmenteraient grandement leur mérite éternel, s’ils s’efforçaient de travailler uniquement pour Jésus tout en le faisant pour leur famille selon cette parole de Jésus: «Tout ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites». Dans le sermon sur la montagne, Jésus enseigne que nos bonnes œuvres sont méritoires selon leurs motifs; si nous les faisons pour les hommes, que les hommes nous récompensent; si nous les faisons pour Dieu, c’est Lui qui nous récompensera.

Les motifs sont importants, d’abord parce qu’ils manifestent la qualité de notre amour; des motifs naturels indiquent que notre amour est dans les créatures et des motifs surnaturels qu’il est en Dieu; et ensuite parce que c’est là surtout que nous exerçons notre liberté nécessaire au mérite. Surveillons donc surtout nos motifs, afin d’être sûrs de toujours agir uniquement pour les meilleurs motifs surnaturels. C’est ce que fait Marthe dans sa vie; elle est donc très bonne.

ELLE Y MET TROP D’EMPRESSEMENT.  Marthe a un défaut de ses bonnes qualités; elle est très active et dévouée, mais elle se laisse trop emporter par son ardeur et son zèle à préparer un bon repas pour Jésus. Elle se fatigue, puis s’énerve et s’impatiente surtout en voyant sa soeur qui ne fait rien pour lui aider. Finalement, elle s’en plaint à Jésus. Si quelqu’un lui demandait de se recueillir un peu pour écouter la voix de Dieu, qui parle au fond du cœur, elle dirait qu’elle n’a pas le temps! Elle est toute à son souper! Son empressement n’est pas favorable à l’union intime avec Dieu.

 Il n’y a pas de doute que le démon encourage ce zèle intempestif surtout chez les bons. Il ne peut pas les faire tomber dans le péché, alors il essaie de gâter leurs bonnes œuvres par l’énervement et les impatiences qui s’en suivent facilement. Comme l’empressement est le défaut général des généreux, le démon pousse dans le même sens pour les fatiguer et les énerver pour qu’ils disputent et perdent ainsi beaucoup de leur mérite.
Il jettera dans les affaires par-dessus la tête ces bons chrétiens qu’il ne peut pas facilement faire tomber dans le péché. Ils sont pris du matin au soir dans un travail ardu, constant où ils se fatiguent beaucoup et souvent s’énervent. Alors ils s’impatientent contre leur entourage, ils disputent et se plaignent souvent de sorte qu’ils perdent une bonne partie de leurs mérites. Cet homme devrait diminuer son commerce plutôt que de diminuer son mérite au ciel. Qu’il entreprenne moins! Même s’il doit faire moins d’argent! Il serait plus calme et trouverait le temps de vaquer plus à sa vie religieuse de chrétien. Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme! Pourquoi tant vouloir s’enrichir? Pour laisser une fortune à d’autres? Pour leur rendre leur salut plus difficile?…

Que de femmes emplissent leur maison comme un musée et se fatiguent ensuite à tenir la propreté dans ce bazar! Les enfants sont habillés comme des poupées et la mère se fatigue à laver tout ce linge si vite sali par ses enfants! Puis elle dispute contre son mari de ne pas apporter assez d’argent pour renouveler ces habits et gaspiller davantage dans ces vanités. Elle s’use les nerfs, elle s’impatiente et finalement dispute contre les lois de Dieu et du mariage… et elle perd énormément de mérite par ses extravagances.

En général, que d’énervement partout! C’est à qui irait plus vite sur les routes du pays! Si on a quelques heures de congé, on va faire une course à l’épouvante en automobile au lieu de rester chez soi pour se reposer et la tête et les nerfs et avoir un peu de temps pour faire une bonne lecture ou des visites aux églises et réfléchir sur les choses de l’éternité.

Que de prêtres se lancent trop dans toutes sortes d’organisations paroissiales plus ou moins orientées à promouvoir le bien spirituel des fidèles! Le meilleur de leur temps se perd à les faire marcher et combien avouent qu’ils n’ont presque plus de temps pour leurs exercices spirituels, et leur vie intérieure languit, faute d’être alimentée par la prière et la méditation.

Pourquoi ne pas imiter les Apôtres? Ils n’ont même pas voulu s’occuper de distribuer les aumônes des fidèles aux pauvres. Ils ont institué l’ordre des diacres pour ce ministère et ils se sont réservé la prédication et la prière. Qu’on laisse les laïques organiser ces œuvres et que les prêtres restent uniquement pour la prédication et la prière. Qu’ils se remplissent de surnaturel par leurs exercices spirituels, puis ensuite qu’ils aillent donner au monde le trop plein de leur âme!

Les religieux sont bien exposés aux mêmes abus que les séculiers et les laïques; ils s’intéressent trop à toutes sortes d’œuvres extérieures et même aux amusements et à une foule de vanités qui absorbent le meilleur de leur temps. Ensuite, ils se plaignent qu’ils n’ont pas le temps de faire tous leurs exercices spirituels.

A mon avis, il y a un grand abus dans le morcellement de l’Ac. Catholique. On a toutes sortes de petits groupes spécialisés qu’il faut réunir séparément, de sorte que les prêtres sont pris tous les soirs avec un petit groupe de cinq ou six jeunes où ils perdent leur temps à fumer et à bavarder sur tout en général, excepté sur la religion. La part du prêtre doit être de donner exclusivement le surnaturel aux fidèles. Or ce surnaturel est absolument le même pour tous les groupes spécialisés. Que ces groupes s’arrangent tout seuls pour les questions particulières qui les concernent et ensuite que le prêtre les réunisse tous ensemble pour leur donner des conférences surnaturelles. Comme les Apôtres, que les prêtres s’occupent que de la prière, de l’étude des Ecritures, des choses spirituelles, puis ensuite qu’ils aillent donner cette nourriture par la prédication aux fidèles. Que tout le reste soit confié à des laïques. Plus les prêtres seront tout aux choses de Dieu et plus ils trouveront de saints laïques pour les seconder dans leurs ministères paroissiaux. Plus ils s’uniront au bon Dieu par la sainteté et plus Dieu bénira leurs efforts pour sanctifier leurs paroissiens et plus ces derniers seront dociles aux directives de leurs curés et moins ceux-ci auront besoin d’œuvres extérieures pour financer leur administration.

REPROCHE DE JÉSUS bien doux, il est vrai, mais reproche quand même. Jésus répète son nom deux fois pour montrer son affection pour Marthe. Marthe, Marthe, vous vous inquiétez de beaucoup de choses; donc de trop de choses. Pourtant, elle ne préparait que son souper, mais elle y mettait trop d’amour pour une chose si peu importante après tout.

Elle travaillait sûrement pour Jésus avec une grande affection pour lui, c’était très bien. Mais, évidemment, il s’y glissait du naturel et c’est ce que Jésus n’aimait pas. Elle était choquée de ce que sa soeur ne lui aidait pas et au fond un peu jalouse de ce que Marie accaparait Jésus pendant qu’elle vaquait à son souper.

On le voit à sa manière d’apostropher Jésus: «Seigneur, dit-elle, ne vous mettez-vous pas en peine de ce que ma sœur m’ait laissée seule servir? Dites-lui donc de m’aider!». Elle nous semble bien un peu effrontée de parler de la sorte à Jésus! Mais il n’y a pas de malice du tout; elle est sans gêne avec Jésus, qui arrêtait là assez souvent.

Ce reproche de Jésus montre qu’il ne suffit pas de travailler pour lui matériellement pour ainsi dire ou de faire des œuvres bonnes en soi. Il faut surveiller la pureté des intentions. Rien de naturel ne doit entrer dans nos motifs, rien ne doit venir de nos deux amours naturels. Marthe était un peu égoïste, elle pensait plus à elle-même qu’au bonheur de sa sœur aux pieds de Jésus. Son amour du prochain n’était pas parfait.

La plupart de nos chrétiens suivent plutôt Marthe que Marie. Ils peuvent se dévouer beaucoup dans les bonnes œuvres organisées pour l’église ou pour le prochain, mais ils ne sont pas capables de consacrer une heure à la contemplation des vérités éternelles pour s’en remplir l’esprit et le cœur, afin de les faire passer dans leur vie.

Les Apôtres ont suivi Jésus pendant trois ans dans une vie vraiment pénible et ardue, mais ils n’étaient pas capables de prier une heure avec Jésus à Gethsémani! Combien de prêtres et de religieux sont très dévoués dans les œuvres de toutes sortes pour le bien de l’Eglise et du prochain et qui ne sont pas capables de trouver une heure pour contempler les choses de Dieu. Ils se démènent du matin au soir dans toutes sortes d’organisations et, après des années, ils constatent avec douleur que les fidèles ne sont pas meilleurs, au contraire qu’ils fléchissent de plus en plus dans la pratique de la foi. Ils ne savent plus que faire pour améliorer le monde. Quel dommage qu’ils n’aient pas médité sur ces deux sœurs amies de Jésus et voulant lui plaire! Ils auraient appris à mettre moins d’empressement dans leur vie comme Marthe et plus de contemplation comme Marie encore, qui avait la meilleure part d’après Jésus.

Voici un signe évident des motifs naturels dans les bonnes œuvres: c’est la jalousie en ceux qui les font. Comme il est difficile de garder la paix entre les chefs et les promoteurs des organisations paroissiales! Comme ils se jalousent les uns les autres! Comme plusieurs se retirent dépités, humiliés, parce qu’on ne leur donne pas le premier rang ou tout l’honneur qu’ils attendaient. Ces organisations sont pour Dieu de fait, mais comme les motifs des organisateurs sont souvent pour eux-mêmes, pour leur propre gloriole! Quel mérite de perdu!…

Que de jalousie aussi chez les prêtres et les religieux! Si l’un fait du bien comme il doit se taire devant les autres pour ne pas les choquer! Ils ne veulent pas entendre parler du bien qu’il fait. Ils sont tellement jaloux que le bien qu’il fait les attriste. C’est un signe évident que ces gens travaillent pour eux-mêmes, pour leur propre gloire, et donc pour des motifs naturels. Car s’ils travaillaient uniquement pour des motifs surnaturels, ils seraient aussi contents du bien que les autres font pour la gloire de Dieu que de ce qu’ils font eux-mêmes. Quand on est parfaitement surnaturel, on aime à faire parler les autres sur le bien qu’ils font, parce qu’on ne voit que Dieu en eux. Que de missionnaires ont remarqué cette froideur chez les autres quand ils reviennent de leurs missions: personne ne veut en entendre parler; tout le bien qu’il a fait là ne les intéresse pas du tout. Il pourrait éclipser leur propre gloriole! Encore là que de mérites perdus même dans leur bonnes actions matériellement pour Dieu mais intentionnellement pour eux-mêmes. Pour l’amour de Dieu que tous les prêtres et les religieux surveillent donc leurs motifs dans tout ce qu’ils font! Pas seulement les actions elles-mêmes.

Les philosophes, habitués à ne considérer que les actes en eux-mêmes, sont responsables des motifs naturels chez les chrétiens, parce qu’ils n’insistent à peu près jamais sur l’orientation intentionnelle des actions et qu’ils n’attaquent jamais ces motifs naturels. Ils n’auraient jamais blâmé Marthe qui travaillait sûrement pour Jésus; cette partie était bonne. Mais sa façon de le faire ne plaisait pas à Jésus et il le lui dit carrément. Il y avait du naturel dans ses motifs évidemment… et Jésus n’en veut pas!

Saint-Paul ne craignait pas de donner cette doctrine aux Corinthiens, 1, 3-3: «Puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et des disputes, n’êtes-vous pas charnels et ne marchez-vous pas selon l’homme?». Il les compare donc aux païens! Tous les jaloux sont donc des païens devant Dieu! Que chacun se hâte de passer dans le monde surnaturel! Il le sera quand il se réjouira autant du bien que d’autres font que du sien propre… et quand il aimera à faire parler les autres sur le bien qu’ils font!

Que tous ces gens diminuent leur activité naturelle et extérieure pour mettre plus de contemplation dans leur vie à l’exemple de Marie. Ils ont besoin de plus d’union avec J.-C. pour se dépaganiser davantage et pour se remplir plus du divin qui purifiera leurs motifs pour les rendre plus surnaturels.
LA VIE DE MARIE

EST TOUT INTÉRIEURE, elle est tellement absorbée dans la doctrine que Jésus lui donne, qu’elle oublie tout le reste. Elle est toute heureuse de s’abreuver à la source de la sagesse divine. Elle n’aurait jamais pu être attentive à Jésus et s’occuper aussi du repas. Les choses de la foi sont au-dessus des sens; personne ne peut se donner tout entier au monde de la foi et au monde des sens, surtout quand les choses de la foi requièrent notre attention. On ne peut pas réfléchir sur les choses de la foi et en même temps enseigner, par exemple, les mathématiques ou faire la tenue des livres. On peut cependant garder une certaine union d’amour avec Dieu en général, tout en faisant un travail extérieur qui demande l’application de nos facultés intellectuelles et tous, nous devons essayer de cultiver cette intime union du cœur avec Dieu toujours et partout.

Comme le Verbe s’est incarné au milieu de la nuit et dans un grand silence pendant que Marie était en prière, ainsi il aime à continuer son incarnation mystique au milieu de la nuit de nos sens quand on les ferme aux choses extérieures pour permettre à l’âme de se concentrer complètement sur les communications divines que Dieu lui fait au fond du cœur. Il ne suffit pas de se recueillir au moment où l’on veut contempler; ce n’est pas un acte passager que Dieu veut pour se donner, mais c’est une vie de recueillement qu’il veut en tout chrétien. Il veut de l’amour en nous et l’amour est permanent de sa nature. Quand on aime les choses de Dieu, elles sont dans le cœur habituellement et on y pense habituellement. Le recueillement est alors facile et favorise grandement la contemplation. Car le Saint-Esprit exige ordinairement la solitude pour nous parler au cœur.
La vie intérieure est donc celle qui s’exerce au fond de l’âme surtout par l’opération du Saint-Esprit, loin de l’activité des sens et donc qui s’exerce sur les choses du monde visible. Dans cette dernière, l’âme va vers les créatures terrestres; dans la vie intérieure, l’âme va vers les choses invisibles de Dieu.
Ainsi Marthe était toute à son souper et Marie toute aux paroles de Jésus qui lui parlait de la vie surnaturelle. Marthe est donc le modèle de la vie active et Marie celui de la vie contemplative. Comme elle montre son insouciance pour le repas de Marthe, ainsi ceux qui veulent se livrer à la vie de contemplation doivent montrer leur mépris des choses de la terre. Car l’amour de l’un est opposé à l’amour de l’autre. Ceux donc qui aiment le monde, tant soit peu, ne sont pas aptes à la vie intérieure ni à la vie de contemplation dans la mesure qu’ils aiment le monde. Est-ce qu’un homme amouraché d’une fille s’occupe des autres? Pas du tout… Eh bien! Quand on est amouraché de Dieu, on ne s’occupe plus du monde. Voilà pourquoi tous ceux qui ont des attaches aux créatures sont incapables de mener une vie intérieure d’union avec Dieu.

On voit l’immense tort que font les philosophes aux âmes en permettant aux fidèles d’avoir des attaches même bonnes en soi. Elles leur ferment la vie d’union avec Dieu dans l’amour surnaturel, qui seul donne le ciel. Non seulement il faut sortir les gens du péché, mais aussi de leur amour pour le monde qui les empêche positivement de se sanctifier en vue de leur salut éternel.

Le jeune homme riche n’avait pas de péché, mais parce qu’il aimait les richesses, Jésus lui dit: «Il te manque encore une chose pour entrer dans la vie». Les philosophes ne suivent donc pas Jésus quand ils permettent à tout le monde de s’affectionner aux bonnes choses du monde, comme ils le font eux-mêmes. Le salut dans l’ordre surnaturel n’est pas une question de rectitude dans les actes, mais une question d’amour de Dieu ou d’amour du monde. Tout amour du monde est contraire à l’amour de Dieu et donc lui fait un tort immense.

Dès qu’on s’énerve et qu’on s’impatiente, quoique l’occasion soit en dehors, la cause du mal est dans l’intérieur: on a des motifs naturels venant de quelque affection naturelle qui gâte notre paix intérieure. Cette partie dans notre activité n’est pas pour Jésus ni agréable à Jésus et nous perdons beaucoup de notre mérite surnaturel. Surveillons donc nos motifs à l’avenir; c’est là qu’est notre mérite et la gloire de Dieu et donc notre récompense éternelle.

VIE DE L’INTELLIGENCE ET DE LA VOLONTÉ. Comme le monde de la foi dépasse infiniment le monde naturel et terrestre, on ne peut en vivre que par nos deux facultés spirituelles. Un acte de foi est l’assentiment de l’intelligence à une vérité révélée dont elle n’a pas l’évidence intrinsèque. C’est pourquoi il lui faut une poussée de la volonté pour y adhérer. Il n’y a rien là pour les sens. C’est pourquoi ceux qui veulent vivre de foi, comme tout chrétien est tenu de le faire, doivent cultiver une grande mortification des sens. Dès qu’on se laisse aller à la vie des sens, comment aimer à faire tout le contraire dans la vie de foi?

Est-ce qu’on voit souvent un catholique venant d’une partie de sport qu’il affectionne s’en aller faire une heure d’adoration devant le T.S. Sacrement? Voit-on quelqu’un venir d’un cinéma et s’absorber dans la lecture de la Bible ou de la vie d’un Saint? Ou arriver d’une danse et aller communier le lendemain? L’expérience prouve donc qu’on ne peut pas s’affectionner en même temps au monde naturel et au monde de la foi. En amour, c’est tout ou rien!

La grande difficulté de vivre de foi est dans l’absence des goûts sensibles qu’on éprouve dans l’activité des sens et de l’imagination. Eh bien! il faut se servir de son jugement pour apprendre à faire la part de chaque monde. Parce que mon palais goûte et jouit d’un chocolat que je mange, est-ce que j’essaie de faire des mathématiques avec mon palais? Je me sers de ma raison seule. Eh bien! pour faire de la foi, mes sens ne valent rien: je les laisse donc de côté. Mon imagination ne vaut pas plus. Alors il ne me reste que mes deux facultés spirituelles. C’est aussi absurde de chercher des consolations sensibles dans la vie de foi, que le goût du chocolat dans les mathématiques. C’est si simple. Mais combien difficile dans la pratique! Comme ils sont rares ceux qui laissent à chaque monde ce qui lui appartient!
Dans le monde de la foi, nous n’avons que deux opérations: une de l’intelligence: je sais, et une de la volonté: je veux. Par exemple, puisque la Foi me révèle la Trinité, maintenant je sais qu’elle existe, et je la veux. Mais comme cette vérité me vient d’en haut, du ciel, elle m’arrive par l’intelligence et acceptée par la volonté: les sens n’ont rien à faire, là, par conséquent, ni les goûts sensibles, ni les attraits naturels. Que je ne les cherche donc jamais là!…

Saint Paul, première aux Cor. 2-9: «L’œil de l’homme n’a jamais vu, son oreille n’a jamais entendu et son cœur n’a jamais senti ce que Dieu prépare à ses élus». Voilà le monde qui est l’objet de notre foi… et la matière de notre troisième série. Comme il ne tombe sous les sens ni l’imagination, ce n’est pas l’intelligence qui le conçoit ou qui le découvre, mais il faut que Dieu par lui-même le révèle à l’intelligence. «Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et ceux à qui le Fils le révèle».

Notre rôle dans la foi consiste surtout à nous disposer pour recevoir la parole divine. Si nous avons été pécheurs comme Marie, il faut en avoir fini avec le péché, l’avoir expié et avoir un grand amour de Dieu comme Jésus dit à Simon en parlant de M. Madeleine: «Beaucoup de péchés lui sont pardonnés parce qu’elle a beaucoup aimé». En proportion donc qu’on se purifie de ses péchés, qu’on brise toute attache aux créatures et qu’on jette tout son amour en Dieu, on recevra le don de vivre de foi.

Voyons Marie, recueillie aux pieds de Jésus et comme buvant ses paroles: son rôle est de recevoir ce que Jésus lui donne. C’est exactement ce que nous devons faire dans le monde de la foi: nous tenir dans l’expectative. Comme un enfant tourne ses petits bras vers sa mère quand il a faim, ainsi tournons nos deux facultés spirituelles vers Dieu, par l’attention de l’intelligence et l’amour de la volonté… et attendons ce que Dieu voudra bien nous donner.

C’est humiliant pour notre raison; elle qui a coutume de conduire dans le monde naturel est obligée de prendre le rôle de servante dans la foi. La volonté qui a coutume de vouloir seulement ce que l’intelligence lui présente, doit vouloir des choses qui la dépassent, qui ne viennent pas des sens et donc ni de l’intelligence. Très peu de gens sont assez énergiques pour s’adapter aux exigences de ce monde surnaturel, je pourrais dire assez intelligents pour bien comprendre le changement à opérer dans leur mode de comprendre les choses divines.

Cela demande de la réflexion et une bonne dose d’amour de Dieu pour mériter cette grâce. On voit tout de suite qu’il faut renoncer à soi-même comme guide de cette activité et s’abandonner tout entier à Dieu. C’est une condition nécessaire pour suivre Jésus comme il nous le dit souvent. C’est Lui qui est notre voie, ce n’est pas notre raison, pour arriver à son Père.

En pratique, voici comment appliquer nos facultés aux vérités de la foi. Prenons, par exemple, la présence réelle de Jésus dans l’Hostie consacrée. Je fais une heure d’adoration devant le tabernacle. C’est parfaitement inutile de m’imaginer que je vais voir quelque chose de Jésus ou que je vais l’entendre me parler ou que je vais sentir une jouissance sensible en moi-même. C’est de l’humain tout pur qui ne vaut rien pour le divin. Je ne suis plus devant une personne visible et tangible, je suis devant mon Dieu absolument invisible pour nous en ce monde. Alors je dois rejeter toutes ces imaginations qui me viennent des sens et de la nature corporelle ou animale.

Alors je ferme les yeux ou cesse de regarder le visible autour de moi et je me dis: je sais que Jésus est là, je le crois de toute ma volonté et je veux le croire parfaitement. Alors je puis me servir pour tirer des conclusions pratiques pour le bien de mon âme, du fait que Jésus est là en corps, en âme et avec sa divinité.

Je puis commencer par le remercier de s’être mis si près de moi, de se donner en nourriture pour mon âme dans la sainte communion, d’être là pour nous donner une chance de nous exercer dans la foi à la vie que nous mènerons avec lui dans la gloire. Ensuite je dois le louer et le bénir pour toutes ses perfections infinies, faire un peu ce que je ferai au ciel. Mais comme je suis encore sur la terre au milieu de toutes sortes de dangers de perdre mon âme, j’ai une foule de grâces à lui demander pour me guider, me protéger et me sanctifier pour que je sois plus digne de participer à sa vie divine au ciel.

Je n’ai pas besoin du tout des sens pour agir de la sorte; après avoir employé mon intelligence à tirer des conclusions pratiques pour ma vie surnaturelle, j’emploie ma volonté à vouloir tout ce que mon intelligence me présente des vérités de la foi. Je puis donc passer des heures dans ce travail de mes deux facultés purement spirituelles sur tout ce que la foi me révèle de Dieu et du ciel.

SA PERFECTION est bien plus grande que la vie de Marthe. Cette dernière préparait un repas pour Jésus, mais Marie mangeait et buvait la divine doctrine que Jésus lui servait. Le rôle de Marthe est temporaire et terrestre; ce n’est que pendant cette vie que nous pouvons faire quelque chose pour Jésus. Au ciel, nous continuerons la part de Marie: nous passerons l’éternité à recevoir les mets divins que Jésus nous servira à sa table comme lui-même le dit dans l’Evangile. Car, au ciel, nous ne donnerons rien à Dieu de notre fond propre, mais nous recevrons constamment une participation à la vie et au bonheur divin de la Trinité. C’était justement ce que Marie faisait en écoutant Jésus; c’est pourquoi il dit que sa part est la meilleure et qu’elle ne lui sera jamais enlevée.

Nous savons que la mort ne fait qu’immortaliser ce qu’elle a trouvé en nous; il nous faut donc commencer sur terre dans la foi, la vie que nous mènerons au ciel, donc faire souvent comme Marie, s’abreuver aux vérités révélées par la contemplation de choses célestes pour s’y affectionner de plus en plus et en faire toute notre vie pratique. Rien de plus parfait que de vivre tout de suite la même vie qu’au ciel. Celle de Marie ressemble plus à celle du ciel que la vie de Marthe; elle est donc plus parfaite.

Dans cet épisode évangélique, on voit l’opposition des deux vies qu’elles mènent. Pourtant, elles s’aiment et elles aiment Jésus et elles travaillent pour Jésus, mais les imperfections de Marthe dans son travail pour Jésus sont la cause d’une certaine friction entre les deux sœurs. Dans l’histoire de l’Eglise, on voit que ceux qui s’adonnent à la vie active ont souvent des préventions contre les contemplatifs. Ils trouvent qu’ils pourraient rendre plus de service à Dieu en travaillant plus. Combien de prêtres ne voudraient pas de Carmélites dans leur paroisse, par exemple, sous prétexte qu’elles ne rapportent rien à la paroisse.

On voit cette même opposition dans les personnes. Celles qui sont fort actives trouvent qu’elles perdraient leur temps d’aller dans la solitude pour une heure de prière ou de méditation ou d’adoration devant le T. S. Sacrement. Dès qu’elles ont fini un travail, elles s’en trouvent un autre, puis un autre et ainsi de suite; elles n’ont jamais ou très peu le temps de s’unir à Dieu dans la contemplation des choses divines. Pourtant, les Saints disent qu’on accomplit plus dans la prière que dans l’action, quoiqu’il faille les deux évidemment.

Est-ce que Jésus ne nous donne pas l’exemple de ce que nous disons ici? Malgré sa vie très active durant les trois ans de son ministère extérieur, il se retirait très souvent à l’écart pour passer des heures et des heures en prière; il passait même des nuits entières à prier. Evidemment, c’était pour nous servir d’exemple et de modèle. Alors que l’on pense ce qu’on voudra sur cette question, la vie de Jésus devrait nous convaincre de la nécessité de consacrer un temps considérable à notre union avec Dieu, afin de rendre nos ministères plus fructueux et nous sanctifier davantage nous-mêmes. Il prend la peine de nous dire carrément que la part de Marie est la meilleure; cela devrait nous suffire à tous pour aller le plus possible de ce côté et de nous affectionner à cette vie toute en Dieu. Pourquoi se morfondre en des oeuvres extérieures quand Jésus dit que la vie intérieure vaut plus que l’autre? Prenons donc sa parole tout de suite!

Sait-on pourquoi Dieu nous a astreints à manger si souvent que les hommes passent pratiquement leur temps à travailler pour se procurer de la nourriture? C’est là un échantillon de ce que nous ferons au ciel! Comme nous passons notre vie à nous procurer de la nourriture pour notre corps mortel, nous passerons notre éternité à nourrir notre âme de divin, mais là c’est Dieu seul qui nous fournira cette nourriture spirituelle pour notre âme et pour notre corps ressuscité.

Eh bien! on voit que Marthe s’occupait seulement de procurer un repas à Jésus, ce qui n’est qu’une figure des repas célestes préparés par Dieu lui-même. La réalité est toujours plus parfaite que la figure. Or, Marie participait d’une façon très réelle à la réalité céleste. Au ciel, elle continuera à s’abreuver aux sources divines de la vraie vie éternelle.

Je conseillerais à tous les prêtres, religieux et fidèles, de donner une heure d’adoration dans une église ou une chapelle tous les jours autant que possible. Cela paraît beaucoup pour les affairés de nos jours, mais ce n’est pas trop. Que de compensations Dieu leur donnerait pour ce temps semé pour l’amour de Dieu! Que de jours perdus pour ceux qui ne croient pas avoir le temps pour cela! Ils flânent et badinent bien plus longtemps sur toutes les vanités du monde. Puis, que de jours d’indisposition ou de maladie que Dieu leur épargnerait s’ils lui donnaient des heures de prières et de méditation. C’est lui qui est la source de tous les biens et comme on le délaisse dans son tabernacle! On ne compte pas sur lui; aussi que de fiascos dans la vie de ces affairés!

On voit tant de prêtres prêcher du naturel à pleine bouche, parce qu’ils ne vont pas à la source de tout surnaturel. N. S. est là dans l’Hostie consacrée qui nous attend pour nous combler de biens spirituels, et si peu y vont! Que de sermons vides, que d’instructions plates, que de retraites ennuyantes par tous ces prêtres, qui n’ont jamais le temps de s’unir à Jésus! Ils ne sont pas intéressés à l’amour de Jésus au tabernacle et ils doivent admettre qu’ils sont plats à dormir debout dans leur prédication! Pourquoi n’essaient-ils pas une nouvelle méthode? Pourquoi ne vont-ils pas plus à Jésus qu’ils ont délaissé jusqu’à présent?

Ceux et celles qui ne peuvent pas aller à une église pourraient faire leur heure sainte à la maison. Qu’ils se retirent dans une chambre isolée et qu’ils s’unissent à Dieu le mieux possible surtout pour recevoir ce qu’il aura à leur donner. Ils trouveront le temps long les premières fois, mais ils auront vite la grâce pour bien profiter de ce temps qu’ils donnent à Dieu. Enfin, plus nous irons du côté de la vie de Marie et plus nous nous sanctifierons. Jésus nous le dit: «Cela devrait suffire à nous tous pour essayer de le mettre en pratique!…».

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