HOMÉLIE V.
Vous le savez, mes chers frères,
la manifestation de notre Sauveur est le sujet de la fête que nous célébrons
aujourd'hui. C'est en ce jour que trois Mages, éclairés par une étoile
miraculeuse qui leur servait de guide, ont été conduits à la connaissance et à
l'adoration du Fils de Dieu. Un fait si mémorable méritait bien, assurément,
d'être rappelé chaque année, afin que, l'entendant lire sans cesse dans l'Évangile,
notre intelligence, frappée à la vue d'un si grand miracle, nous portât à
méditer avec fruit le mystère qui nous a procuré le salut. Plusieurs révélations,
il est vrai, avaient annoncé la naissance temporelle du Seigneur. La
bienheureuse Vierge Marie avait entendu les paroles de Gabriel qui lui apprit
qu'elle deviendrait mère par l'opération du Saint-Esprit, et qu'elle mettrait
au monde le Fils de Dieu, et elle y avait ajouté foi. A sa voix, Jean-Baptiste,
encore renfermé dans le sein d'Élisabeth, sa mère, avait tressailli de joie
comme s'il avait voulu déjà s'écrier dans un esprit prophétique : Voici
l'Agneau de Dieu; voici celui qui efface les péchés du monde[i].
Un ange aussi avait annoncé aux Pasteurs la naissance du Sauveur; et pendant
qu'il leur parlait, ils avaient été environnés d'une lumière céleste, pour leur
montrer qu'ils ne devaient avoir aucun doute sur la majesté de l'enfant qu'ils
allaient voir couché dans une crèche, et qu'ils ne devaient pas croire que
celui à qui la milice céleste rendait ses hommages fût seulement revêtu de la
nature humaine. Mais il est possible que ces premières révélations n'aient été
connues que d'un petit nombre de personnes amies de la Sain te Vierge, ou de la
famille de saint Joseph. Il n'en est pas de même du signe qui mit en route les
Mages, et les fit venir avec tant de courage et de persévérance adorer l'Enfant
Jésus. C'était assurément un mystérieux symbole de la grâce divine et le
prélude de la vocation des Gentils ; car la prédication de l'Evangile du
Sauveur ne devait pas être bornée par les limites de la Judée ; elle devait
être entendue dans toutes les parties du monde. Cette étoile brillante de
lumière pour les Mages, qui ne se fit point voir aux Israélites, signifiait
donc que les premiers étaient éclairés, tandis que les seconds demeuraient dans
l'aveuglement.
Nous voyons maintenant, mes chers
frères, l'éclaircissement de tous ces signes mystérieux : la vérité a succédé
aux figures. La bonté de Dieu fait briller une nouvelle étoile dans le Ciel, et
trois Mages, attirés par cet éclat précurseur de l'Evangile, représentent
toutes les nations qui accourent en foule pour adorer la puissance du souverain
Roi de l'univers. Hérode représente le démon qui frémit de rage et gémit de se
voir dépouillé du droit tyrannique qu'il exerçait sur ceux qui passent dans le
royaume de Jésus-Christ. Pour conserver son pouvoir, ce prince cruel croit, en
égorgeant des enfants, faire mourir Jésus lui-même. Plus tard, il continue à le
persécuter, lorsqu'il s'efforce de faire perdre la grâce du Saint-Esprit aux
nouveaux baptisés, et d'éteindre la lumière de la foi dans ces âmes encore
faibles, comme il a étouffé la vie dès son commencement.
Quant aux Juifs qui n'ont pas
voulu reconnaître la royauté de Jésus-Christ, ils sont encore en quelque sorte
sous la domination d'Hérode ; gémissant sous le joug de l'ennemi du Sauveur,
ils sont soumis à une puissance étrangère, comme s'ils ignoraient la prophétie
de Jacob, qui dit : Les princes ne manqueront point dans la famille de Juda, et
le chef de la nation en sortira toujours jusqu'à l'avènement de celui qui est
l'objet de nos espérances : et c'est lui que les nations attendent[ii].
Mais ils ne comprennent pas ce qu'ils ne peuvent cependant nier, et ils n'ont
pas l'intelligence des Écritures qu'ils ont tous les jours entre leurs mains.
La vérité est un sujet de scandale pour ces maîtres insensés, et la lumière devient
ténèbres pour ces docteurs aveugles. Ainsi, lorsqu'ils sont interrogés, ils
répondent que c'est dans Bethléem que doit naître le Christ, et ils ne font
point usage pour eux-mêmes de cette science qu'ils communiquent à d'autres. La
succession de leurs rois est anéantie : ils n'ont plus ni temple, ni victimes,
ni sacerdoce. Toutes les fins de non-recevoir leur sont fermées; ils éprouvent
que tout est terminé pour eux, et cependant ils ne veulent pas reconnaître
encore que les avantages de la première alliance ont été transférés à
Jésus-Christ. C'est pour quoi selon les desseins de Dieu, la grâce dont les
trois Mages, représentant toutes les nations, se sont trouvés dignes par
l'adoration ciels ont rendue au Seigneur à sa naissance, s'est répandue sur
tous les peuples de l'univers appelé à la foi qui justifie les pécheurs. Les
enfants d'adoption entrent dans l'héritage qui leur a été préparé avant tous
les siècles, et ceux qui s'en regardaient comme les héritiers légitimes en sont
exclus.
Aveugles Juifs, ouvrez enfin les
yeux, et revenez de votre égarement ; renoncez à votre infidélité, et
convertissez-vous à votre Rédempteur. Ne vous effrayez point de l'atrocité de
votre crime; Jésus-Christ n'appelle pas seulement les justes, mais les pécheurs
eux-mêmes. Celui qui a prié pour vous pendant qu'on le crucifiait ne vous
rebute point malgré votre impiété. Délivrez-vous de la cruelle imprécation
qu'ont faite vos pères, et ne vous laissez pas lier par la malédiction qu'ils
ont prononcée en disant de Jésus-Christ : Que son sang retombe sur nous et sur
nos enfants [iii]!
Ils vous ont transmis la honte de leur horrible attentat; mais revenez à un maître
plein de miséricorde, et profitez de la clémence de celui qui veut vous
pardonner. Le sang que vous avez versé est devenu le prix de votre salut. Celui
dont vous avez voulu la mort est vivant. Vous l'avez autrefois renoncé ;
confessez-le maintenant. Adorez celui que vous avez vendu, afin que sa bonté
vous soit utile, puisque votre malignité n'a pu lui nuire.
Pour remplir, mes chers frères,
les devoirs de cette vraie charité dont nous sommes redevables à nos ennemis eux-mêmes,
suivant l'exemple et les leçons du Seigneur; nous devons faire des vœux et
donner tous nos soins pour que ce peuple, qui a dégénéré de la noblesse
spirituelle de ses ancêtres, recouvre les droits qu'il a perdus. Cette bienfaisance
nous rend très-agréables à Dieu : c'est le crime des Juifs qui nous a attiré sa
miséricorde; il nous a appelés afin que, témoins de notre foi, ils fussent
excités à rentrer dans la voie du salut. En effet, la sainteté des âmes pieuses
ne doit pas seulement leur servir à elles-mêmes, mais encore aux autres; c'est
pourquoi elles doivent s'efforcer de gagner par leurs bons exemples ceux
qu'elles ne peuvent ramener par leurs paroles.
C'est pourquoi, considérant, mes
chers frères, la grandeur des bienfaits dont Dieu nous a comblés, ne soyons pas
ingrats, et rendons-nous les coopérateurs de sa grâce qui opère en nous. Ce
n'est point en se livrant au sommeil qu'on gagne le Ciel, et la béatitude
éternelle ne s'acquiert point par l'oisiveté et la paresse. Voilà pourquoi
l'Apôtre nous dit : que nous serons glorifiés avec Jésus-Christ, si nous
souffrons avec lui[iv];
il faut donc courir dans la carrière que le Seigneur nous a tracée en disant de
lui-même qu'il est la voie ; lui qui, sans aucun mérite de notre part, nous a
adoptés, encouragés au travail et sauvés par le mystère de la réconciliation et
par ses exemples. Or, mes chers frères, ce travail;, loin de paraitre dur et
accablant aux serviteurs fidèles et aux enfants de Dieu qui ont de la piété,
leur devient doux et agréable, selon la parole du Sauveur, qui a dit de sa
propre bouche : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous
soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux
et mon fardeau est léger[v].
Il n'y a rien de pénible pour les âmes vraiment humbles; rien ne parait rude et
difficile à celles qui sont douces ; et l'on accomplit aisément tous les
préceptes lorsqu'on est aidé par la grâce, et que l'obéissance fléchit la
rigueur du commandement. La parole de Dieu se fait si souvent entendre à nos
oreilles, qu'il n'y a point d'homme qui puisse dire qu'il ignore ce qu'il doit
faire pour accomplir toute justice. Mais parce que ce jugement où chacun de
nous recevra selon ses œuvres, bonnes ou mauvaises, est différé par un effet de
la bonté et de la patience de celui qui doit un jour nous juger, les pécheurs
se promettent l'impunité de leurs crimes, et se persuadent faussement que les
actions des hommes ne sont point du ressort de la divine Providence qui n'en
examine pas les motifs; et ils ne réfléchissent pas que les méchants sont quelquefois
punis très-visiblement dès cette vie. Ne voyons-nous pas assez souvent, en
effet, paraître des signes de la colère d'En-Haut, propres à réveiller la foi
de ceux qui s'endorment, et à réprimer les excès des impies ?
Cependant, mes chers frères, Dieu
ne cesse de répandre les effets de sa bonté sur tous. Il ne refuse sa
miséricorde à personne, puisqu'il comble de biens les bons et les méchants ;
aimant mieux gagner par ses bienfaits que perdre ceux qu'il pourrait avec justice
livrer au châtiment. Si la punition est retardée, c'est afin de donner lieu au
repentir et à la pénitence. On ne saurait dire néanmoins que Dieu laisse dormir
en paix celui qui refuse de se convertir; car le pécheur, quand il considère
son ingratitude et son endurcissement, éprouve déjà un véritable supplice, et
sa conscience lui fait souffrir d'avance les tourments qu'il a plu à la bonté
divine de différer. Que les méchants ne se laissent donc point enivrer par
leurs fausses délices, de peur que la mort ne les y surprenne, parce qu'il
n'est plus temps de se corriger dans l'enfer. L'âme ne saurait satisfaire
utilement pour les péchés qu'elle a commis, dès qu'elle ne peut plus former
d'actes libres par sa volonté ; c'est ce que nous montre le prophète David
quand il dit à Dieu : Quel est celui qui, dans le sein de la mort, se
souviendra de vous? ou qui pourra confesser votre nom au milieu de l'enfer [vi]?
Fuyez les voluptés criminelles, les joies trompeuses du siècle ; ne désirez pas
la jouissance des objets qui doivent bientôt périr. Quelle utilité, quel fruit
peut-on retirer de la recherche des biens qu'il nous faudra bientôt abandonner,
s'ils ne nous échappent les premiers? Aimez plutôt ceux qui sont incorruptibles,
et dont la possession durera toujours. Qu'une âme destinée à jouir de biens
tout spirituels ne trouve de plaisir que dans les choses du Ciel. Liez-vous
d'amitié avec les saints Anges; entrez dans la cité. de Dieu où nous avons
l'espérance d'être associés aux Patriarches, aux Prophètes, aux Apôtres et aux
Martyrs. Puisez votre joie, mes frères, à la source où les Saints trouvent la
leur... Désirez d'avoir part à leurs richesses, et qu'une sainte ému lation
vous fasse réclamer leurs suffrages ; car il faut imiter leur piété, pour
partager un jour la gloire dont ils sont couronnés. Ainsi, pendant le temps qui
vous est accordé pour mettre en pratique les commandements de Dieu : Glorifiez Dieu
dans votre corps mortel[vii]
, et brillez comme des astres dans le monde[viii].
Que la lumière de votre esprit soit toujours ardente, et ne souffrez rien de
ténébreux dans vos cœurs, parce que, comme vous le dit l'Apôtre : Vous n'étiez
autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ;
marchez comme des enfants de lumière[ix].
Les Mages vous ont précédés dans le chemin où vous marchez. Imitez leurs
exemples: Et que votre lumière brille tellement devant les hommes, que, voyant
vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans le Ciel[x].
De même que les mauvais Chrétiens se rendent coupables d'un grand péché
lorsqu'ils sont cause que le nom de Dieu est blasphémé par ceux qui n'ont point
de foi; de même, la vie exemplaire et les bons discours des fidèles disciples
de Jésus-Christ, qui font bénir son saint nom, leur assure une grande récompense.
Que tout honneur, toute gloire et toute louange lui soient rendus dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
[i] Joan.,
1,19.
[ii]
Genes., XL.
[iii] Matt., XXVII, 25.
[iv] Rom., VIII, 17.
[v] Matth., XI, 28.
[vi] Psalm.,
VI, 6.
[vii] 1.
Cor. VI, 20.
[viii]
Philipp., II, 15.
[ix] Ephès.,
V, 8.
[x] Math.,
V, 16.