jeudi 18 août 2022

Léon XIII - Diuturnum illud

A tous Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères,

Salut et Bénédiction Apostolique.

La guerre redoutable, depuis longtemps entreprise contre la divine autorité de l'Eglise, a eu l'issue qu'elle devait avoir : elle a mis en péril la société en général, et tout spécialement le pouvoir civil, qui est le principal soutien du bien public.

Notre époque, plus que toute autre, fournit cette démonstration par les faits. Elle Nous montre les passions populaires plus hardies que jamais à repousser toute autorité, et la licence si générale, les séditions et les troubles si fréquents que ceux qui gouvernent, après s'être vu refuser l'obéissance, ne trouvent même plus dans leur puissance la garantie de leur sécurité personnelle. On a travaillé de longue main à faire d'eux un objet de haine et de mépris pour le peuple ; l'incendie, ainsi fomenté, a éclaté enfin, et l'on a vu en peu de temps la vie des plus grands souverains en butte à de ténébreux complots ou à des attentats d'une criminelle audace. L'Europe entière, naguère encore, frémissait d'horreur à la nouvelle du meurtre affreux d'un puissant Empereur ; au lendemain d'un si grand forfait, quand la stupeur qu'il a causé oppresse encore toutes les âmes, des scélérats ne craignent pas de jeter publiquement l'intimidation et la menace à la face des autres souverains de l'Europe.

Ces grands périls publics, qui frappent tous les yeux, qui mettent en question à chaque heure la vie des princes, la tranquillité des États, le salut des peuples, nous jettent dans de cruelles angoisses.

Et pourtant la religion chrétienne, à peine avait-elle pénétré les mœurs et les institutions des sociétés, leur avait préparé par sa divine vertu de précieuses garanties d'ordre public et de stabilité.

Parmi les premiers et les plus grands de ses bienfaits, il faut placer ce juste et sage tempérament de droits et de devoirs qu'elle a su déterminer entre les souverains et les peuples. C'est qu'en effet, les préceptes et les exemples du Christ ont une efficacité merveilleuse pour contenir dans le devoir aussi bien ceux qui obéissent que ceux qui commandent, et pour produire entre eux cette harmonie, ce concert des volontés qui est conforme aux lois de la nature et qui assure le cours paisible et régulier des choses publiques.

C'est pourquoi, Dieu ayant voulu Nous confier le gouvernement de l'Eglise catholique, gardienne et interprète de la doctrine de Jésus-Christ, Nous estimons, Vénérables Frères, qu'il Nous appartient, en cette qualité, de rappeler publiquement les obligations que la morale catholique impose à chacun dans cet ordre de devoirs ; de cet exposé doctrinal ressortiront, par voie de conséquence, les moyens qu'il faut employer pour conjurer tant de périls redoutables et assurer le salut de tous.

C'est en vain que, inspiré par l'orgueil et l'esprit de rébellion, l'homme cherche à se soustraire à toute autorité ; à aucune époque il n'a pu réussir à ne dépendre de personne. A toute association, à tout groupe d'hommes, il faut des chefs, c'est une nécessité impérieuse, à peine, pour chaque société, de se dissoudre et de manquer le but en vue duquel elle a été formée. Mais, à défaut d'une destruction totale de l'autorité politique dans les Etats, destruction qui eût été impossible, on s'est appliqué du moins par tous les moyens à en énerver la vigueur, à en amoindrir la majesté. C'est ce qui s'est fait surtout au XVIe siècle, alors que tant d'esprits se laissèrent égarer par un funeste courant d'idées nouvelles. Depuis lors, on vit la multitude, non seulement revendiquer une part excessive de liberté, mais entreprendre de donner à la société humaine, avec des origines fictives, une base et une constitution arbitraires. Aujourd'hui, on va plus loin ; bon nombre de Nos contemporains, marchant sur les traces de ceux qui, au siècle dernier, se sont décerné le titre de philosophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple ; que, par suite, l'autorité n'appartient pas en propre à ceux qui l'exercent, mais à titre de mandat populaire, et sous cette réserve que la volonté du peuple peut toujours retirer à ses mandataires la puissance qu'elle leur a déléguée.

C'est en quoi les catholiques se séparent de ces nouveaux maîtres ; ils vont chercher en Dieu le droit de commander et le font dériver de là comme de sa source naturelle et de son nécessaire principe.

Toutefois, il importe de remarquer ici que, s'il s'agit de désigner ceux qui doivent gouverner la chose publique, cette désignation pourra dans certains cas être laissée au choix et aux préférences du grand nombre, sans que la doctrine catholique y fasse le moindre obstacle. Ce choix, en effet, détermine la personne du souverain, il ne confère pas les droits de la souveraineté; ce n'est pas l'autorité que l'on constitue, on décide par qui elle devra être exercée. Il n'est pas question davantage des différents régimes politiques : rien n'empêche que l'Église n'approuve le gouvernement d'un seul ou celui de plusieurs, pourvu que ce gouvernement soit juste et appliqué au bien commun. Aussi, réserve faite des droits acquis, il n'est point interdit aux peuples de se donner telle forme politique qui s'adaptera mieux ou à leur génie propre, ou à leurs traditions et à leurs coutumes.

Que si l'on veut déterminer la source du pouvoir dans l'Etat, l'Eglise enseigne avec raison qu'il la faut chercher en Dieu. C'est ce qu'elle a trouvé exprimé avec évidence dans les saintes Lettres et dans les monuments de l'antiquité chrétienne. On ne saurait d'ailleurs imaginer une doctrine plus conforme à la raison, plus favorable aux intérêts des souverains et des peuples.

Cette origine divine de l'autorité humaine est attestée de la façon la plus claire en maints passages de l'ancien Testament : « C'est par moi que règnent les rois, par moi que les souverains commandent, que les arbitres des peuples rendent la justice[1]. » Ailleurs : « Prêtez l'oreille, vous qui gouvernez les nations, parce que c'est par Dieu que vous a été donnée la puissance ; l'autorité vous vient du Très-Haut[2]. » Le livre de l'Ecclésiastique fournit le même enseignement : « C'est Dieu qui a préposé un chef au gouvernement de chaque nation[3]. » Les hommes toutefois, sous l'influence des fausses religions, oublièrent peu à peu ces divines leçons ; le paganisme, qui avait altéré tant de vérités et faussé tant d'idées, ne manqua pas de corrompre aussi la vraie notion du pouvoir et d'en défigurer la beauté. C'est plus tard, quand la clarté de l'Evangile se leva sur le monde, que la vérité reprit ses droits et qu'on vit reparaître dans tout son éclat le principe noble et divin d'où procède toute autorité. - Quand le gouverneur romain se vante devant Notre Seigneur Jésus-Christ du pouvoir qu'il a de l'acquitter ou de le condamner, le Sauveur lui répond : « Tu n'aurais sur moi aucune puissance si celle que tu possèdes ne t'avait été donnée d'en haut[4]. » Saint Augustin, expliquant ce passage, s'écrie : « Apprenons ici de la bouche du Maître ce qu'il enseigne ailleurs par son Apôtre : c'est qu'il n'y a de pouvoir que celui qui vient de Dieu. » Et, en effet, la doctrine et la morale de Jésus-Christ ont trouvé un écho fidèle dans la prédication des Apôtres. On connaît l'enseignement sublime et décisif que saint Paul donnait aux Romains, bien qu'ils fussent soumis à des empereurs païens. « Il n'y a de pouvoir que celui qui vient de Dieu[5]. » D'où l'Apôtre déduit, comme une conséquence, que « le souverain est le ministre de Dieu[6]. »

Les Pères de l'Eglise ont mis tous leurs soins à reproduire et à répandre cet enseignement dont ils avaient été nourris. « N'accordons à personne, dit saint Augustin, le droit de donner la souveraineté et l'empire, sinon au seul vrai Dieu[7]. » Saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi sur le même sujet : « Qu'il y ait des autorités établies, que les uns commandent, les autres obéissent ; qu'ainsi tout dans la société ne soit pas livré au hasard, c'est là, je l'affirme, l'œuvre de la divine Sagesse[8]. » Saint Grégoire le Grand rend le même témoignage : « Nous reconnaissons, dit-il, que la puissance a été donnée d'en haut aux empereurs et aux rois[9]. » Les mêmes saints Docteurs se sont encore attachés à éclairer cette doctrine par le raisonnement, afin de la faire accepter comme juste et vraie de ceux-là mêmes qui n'ont d'autre guide que la raison naturelle. - Et, en effet, ce qui réunit les hommes pour les faire vivre en société, c'est la loi de la nature ; ou, plus exactement, la volonté de Dieu auteur de la nature ; c'est ce que prouvent avec évidence et le don du langage, instrument principal des relations qui fondent la société, et tant de désirs qui naissent avec nous, et tant de besoins de premier ordre qui resteraient sans objet dans l'état d'isolement, mais qui trouvent leur satisfaction dès que les hommes se rapprochent et s'associent entre eux. D'autre part, cette société ne peut ni subsister ni même se concevoir s'il ne s'y rencontre un modérateur pour tenir la balance entre les volontés individuelles, ramener à l'unité ces tendances diverses et les faire concourir aussi par leur harmonie à l'utilité commune. D'où il suit que Dieu a certainement voulu dans la société civile une autorité qui gouvernât la multitude.- Mais, voici une autre considération d'un grand poids : ceux qui administrent la chose publique doivent pouvoir exiger l'obéissance dans des conditions telles que le refus de soumission soit pour les sujets un péché. Or, il n'est pas un homme qui ait en soi ou de soi ce qu'il faut pour enchaîner par un lien de conscience le libre vouloir de ses semblables. Dieu seul, en tant que créateur et législateur universel, possède une telle puissance; ceux qui l'exercent ont besoin de la recevoir de lui et de l'exercer en son nom. « Il n'y a qu'un seul législateur et un seul juge qui puisse condamner et absoudre[10]. » Ceci est vrai de toutes les formes du pouvoir. Pour ce qui est de l'autorité sacerdotale, il est si évident qu'elle vient de Dieu que, chez tous les peuples, ceux qui en sont investis sont appelés les ministres de Dieu et traités comme tels. De même, dans la famille, la puissance paternelle porte l'empreinte et comme la vivante image de l'autorité qui est en ce Dieu « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, emprunte son nom[11]. » Et par là, les pouvoirs les plus divers se rapprochent dans une merveilleuse ressemblance : partout où l'on retrouve un commandement, une autorité quelconque, c'est à la même source, en Dieu, seul artisan et seul maître du monde, qu'il en faut chercher le principe.

Ceux qui font sortir la société civile d'un libre contrat doivent assigner à l'autorité la même origine ; ils disent alors que chaque particulier a cédé de son droit et que tous se sont volontairement placés sous la puissance de celui en qui se sont concentrés tous les droits individuels. Mais l'erreur considérable de ces philosophes consiste à ne pas voir ce qui est pourtant évident ; c'est que les hommes ne constituent pas une race sauvage et solitaire ; c'est qu'avant toute résolution de leur volonté, leur condition naturelle est de vivre en société.

Ajoutez à cela que le pacte dont on se prévaut est une invention et une chimère ; et que, fût-il réel, il ne donnerait jamais à la souveraineté politique la mesure de force, de dignité, de stabilité que réclament et la sûreté de l'Etat et les intérêts des citoyens. Le pouvoir n'aura cet éclat et cette solidité qu'autant que Dieu apparaîtra comme la source auguste et sacrée d'où il émane.

Cette doctrine n'est pas seulement la plus véritable, elle est la plus salutaire qui se puisse concevoir. Si, en effet, l'autorité de ceux qui gouvernent est une dérivation du pouvoir de Dieu même, aussitôt et par là même, elle acquiert une dignité plus qu'humaine ; ce n'est pas, sans doute, cette grandeur faite d'absurdité et d'impiété que rêvaient les empereurs païens quand ils revendiquaient pour eux-mêmes les honneurs divins ; mais une grandeur vraie, solide, et communiquée à l'homme à titre de don et de libéralité céleste. Dès lors, les sujets devront obéir aux princes comme à Dieu même, moins par la crainte du châtiment que par le respect de la majesté, non dans un sentiment de servilité, mais sous l'inspiration de la conscience. Et l'autorité fixée à sa vraie place, s'en trouvera grandement affermie ; car les citoyens, se sentant pressés par le devoir, devront nécessairement s'interdire l'indocilité et la révolte, persuadés d'après les vrais principes, que résister au pouvoir de l'Etat, c'est s'opposer à la volonté divine, que refuser l'honneur aux souverains, c'est le refuser à Dieu.

C'est l'enseignement formel que l'apôtre saint Paul adressait spécialement aux Romains, lorsque, les instruisant sur le respect dû aux princes, il écrivait ces graves paroles dont l'autorité et l'importance ne sauraient être dépassées : « Que tout homme vivant soit soumis aux puissances souveraines ; car il n'y a de pouvoir que celui qui vient de Dieu, et les autorités qui existent tiennent de Dieu leur institution. C'est pourquoi celui qui résiste au pouvoir résiste à l'institution divine. Et ceux qui résistent de la sorte attirent sur eux-mêmes la condamnation... Soyez donc soumis, cela est nécessaire, non seulement parce que le châtiment vous menace, mais parce que la conscience l'exige[12]. » Et le prince des Apôtres, saint Pierre, confirme cette leçon dans ce célèbre passage : « Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu : au roi parce qu'il est le premier en dignité ; aux autres chefs, parce que Dieu les a envoyés pour le châtiment des méchants et l'honneur des bons ; telle est, en effet, la volonté de Dieu[13]. »

Il n'existe qu'une seule raison valable de refuser l'obéissance ; c'est le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin, car là où il s'agirait d'enfreindre soit la loi naturelle, soit la volonté de Dieu, le commandement et l'exécution seraient également criminels. Si donc on se trouvait réduit à cette alternative de violer ou les ordres de Dieu ou ceux des gouvernants, il faudrait suivre le précepte de Jésus-Christ qui veut « qu'on rende à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[14] », et, à l'exemple des Apôtres, on devrait répondre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes[15]. » Et il ne serait pas juste d'accuser ceux qui agissent ainsi, de méconnaître le devoir de la soumission ; car les princes dont la volonté est en opposition avec la volonté et les lois de Dieu, dépassent en cela les limites de leur pouvoir et renversent l'ordre de la justice ; dès lors, leur autorité perd sa force, car où il n'y a plus de justice, il n'y a plus d'autorité.

Mais pour que la justice préside toujours à l'exercice du pouvoir, il importe avant tout que les chefs des États comprennent bien que la puissance politique n'est faite pour servir l'intérêt privé de personne, et que les fonctions publiques doivent être remplies pour l'avantage non de ceux qui gouvernent, mais de ceux qui sont gouvernés. Que les princes prennent modèle sur le Dieu Très-Haut de qui ils tiennent leur pouvoir ; et que, se proposant son exemple dans l'administration de la chose publique, ils se montrent équitables et intègres dans le commandement et ajoutent à une sévérité nécessaire une paternelle affection. C'est pour cela que les Saintes Lettres les avertissent qu'ils auront un compte à rendre « au Roi des rois, au Maître des dominateurs » et que s'ils se soustraient au devoir, ils n'échapperont par aucun moyen aux sévérités de Dieu. « Le Très-Haut interrogera vos actions et sondera vos pensées ; parce que, aux jours où vous étiez les ministres de sa royauté, vous n'avez pas jugé selon la justice... son apparition soudaine vous glacera d'effroi ; car ceux qui gouvernent doivent s'attendre à un jugement plein de rigueur... Dieu ne fera aucune acception de personne, il n'aura d'égard pour aucune grandeur : c'est lui qui a fait les petits et les grands, et il prend le même soin de tous les hommes. Seulement aux plus puissants il réserve un supplice plus redoutable[16]. »

Dans un Etat qui s'abrite sous ces principes tutélaires, il n'y a plus de prétexte pour motiver les séditions, plus de passion pour les allumer : tout est en sûreté, l'honneur et la vie des chefs, la paix et la prospérité des cités. La dignité des citoyens trouve là également sa plus sûre garantie, car ils doivent à l'élévation de leurs doctrines de conserver jusque dans l'obéissance cette juste fierté qui convient à la grandeur de la nature humaine. Ils comprennent que, au jugement de Dieu, il n'y a pas à distinguer l'esclave de l'homme libre ; que tous ont un même Maître « libéral envers ceux qui l'invoquent[17] », et que si les sujets sont tenus d'obéir et de se soumettre aux souverains, c'est que ceux-ci représentent en quelque manière le Dieu dont il est dit que le servir, c'est régner.

Or, l'Eglise a toujours travaillé à ce que ce type chrétien du pouvoir politique ne pénétrât pas seulement dans les esprits, mais marquât encore de son empreinte la vie publique et les mœurs des peuples. L'erreur religieuse empêchait les empereurs païens de s'élever jusqu'à cet idéal du pouvoir que nous avons retracé. Tant que les rênes du gouvernement furent entre leurs mains, l'Eglise a dû se borner à insinuer dans l'esprit des populations une doctrine qui pût devenir la règle de leur vie le jour où elles adopteraient les institutions chrétiennes.

Aussi les pasteurs des âmes, renouvelant les exemples de l'Apôtre saint Paul, s'attachaient-ils avec le plus grand soin à prêcher « la soumission aux princes et aux puissances[18] » ; la prière offerte à Dieu pour tous les hommes, mais nommément « pour les rois et pour les personnes constituées en dignité, selon qu'il est agréable au Dieu Notre Sauveur[19]. » Les premiers chrétiens nous ont donné à cet égard d'admirables leçons : tourmentés avec autant de cruauté que d'injustice par les empereurs païens, ils n'ont jamais failli au devoir de l'obéissance et du respect, à ce point qu'une lutte semblait engagée entre la barbarie des uns et la soumission des autres. Une si grande modestie, une résolution si arrêtée de demeurer fidèles à leurs devoirs de sujets, défiaient la calomnie et se faisaient partout reconnaître en dépit de la malice de leurs ennemis.

Aussi ceux qui entreprenaient auprès des Empereurs, l'apologie publique du christianisme, n'avaient pas de meilleur argument, pour établir l'iniquité des mesures législatives prises contre les chrétiens, que de mettre sous les yeux de toute leur vie exemplaire et leur respect des lois. Marc-Aurèle et son fils Commode entendaient Athénagore leur adresser hardiment cette apostrophe : « Nous qui ne faisons rien de mal, nous qui de tous vos sujets sommes les premiers hommes à remplir et envers Dieu et envers votre autorité suprême les devoirs de la piété et de la soumission, c'est nous que vous laissez poursuivre, dépouiller, disperser[20]. » Tertullien, à son tour, faisait ouvertement aux chrétiens un mérite d'être pour l'empire les meilleurs et les plus sûrs des amis : « Le chrétien n'est l'ennemi de personne ; comment le serait-il de l'Empereur qu'il sait établi par Dieu, qu'il a pour cela le devoir d'aimer, de révérer, d'honorer, dont enfin il doit souhaiter la prospérité avec celle de tout l'empire ?[21]. » Le même auteur ne craignait pas d'affirmer que dans toute l'étendue de l'empire romain on voyait diminuer le nombre des ennemis de l'Etat dans la mesure où s'accroissait le nombre des chrétiens : « Si maintenant, disait-il, vous avez moins d'ennemis, c'est à cause de la multiplication des chrétiens ; car vous comptez aujourd'hui dans la plupart des cités presque autant de chrétiens que de citoyens[22]. » On trouve enfin une remarquable confirmation de ce témoignage dans l'Epître à Diognète, qui atteste qu'à cette époque les chrétiens non seulement se montraient toujours observateurs des lois, mais dépassaient spontanément, et en perfection et en étendue, les obligations légales dans tous les ordres de devoirs. « Les chrétiens obéissent aux lois établies et, par le mérite de leur vie, ils vont plus loin que les lois mêmes. »

La question était tout autre quand les empereurs par leurs édits, ou les préteurs par leurs menaces, voulaient les contraindre d'abjurer la foi chrétienne ou de trahir quelque autre devoir : alors sans hésitation ils aimaient mieux déplaire aux hommes qu'à Dieu. Et cependant, même en ces conjectures, bien loin de faire aucun acte séditieux ou injurieux pour la majesté impériale, ils ne revendiquaient qu'un seul droit : celui de se déclarer chrétiens et de repousser toute apostasie ; du reste, aucune pensée de résistance ; tranquillement, joyeusement, ils allaient au-devant des supplices, et la grandeur de leur courage l'emportait sur la grandeur des tourments. - Le même esprit dans le même temps fit admirer jusque sous les drapeaux la force des institutions chrétiennes. Le propre du soldat chrétien était d'allier la plus grande vaillance au respect le plus absolu de la discipline, de joindre à l'élévation des sentiments une inviolable fidélité envers le prince. Que s'il recevait un ordre immoral, comme de fouler aux pieds la loi de Dieu ou de tourner son épée contre d'innocents adorateurs de Jésus-Christ, alors seulement il refusait d'obéir ; mais alors aussi il préférait déposer les armes et subir la mort pour sa religion plutôt que de donner à sa résistance le caractère d'une sédition ou d'une attaque à l'autorité publique.

Mais lorsque les Etats eurent à leur tête des princes chrétiens, l'Eglise redoubla de soins pour faire comprendre par sa prédication tout ce qu'il y a de sacré dans le pouvoir de ceux qui gouvernent ; l'effet salutaire de cet enseignement devait être de confondre, dans l'esprit des peuples, l'image même de la souveraineté avec une apparition de majesté religieuse qui ne pouvait qu'augmenter le respect et l'amour des sujets envers leurs princes. Et c'est pour cette raison pleine de sagesse que l'Eglise institua le sacre solennel des rois, que Dieu même avait prescrit dans l'Ancien Testament. L'époque où la société, sortie des ruines de l'empire romain, reprit une vie nouvelle et ouvrit à la civilisation chrétienne des horizons pleins de grandeur, fut aussi celle où les Pontifes Romains donnèrent au pouvoir politique, par l'institution du Saint Empire, une consécration particulière. Il en résulta pour la souveraineté temporelle un grand accroissement de dignité ; et il n'est pas douteux que les deux sociétés religieuse et civile n'eussent continué à en retirer les plus heureux fruits, si la fin que l'Eglise avait en vue dans cette institution eût été pareillement celle que se proposaient les princes et les peuples. Et de fait, toutes les fois que l'union régna entre les deux pouvoirs, on vit fleurir la paix et la prospérité. Quelque trouble s'élevait-il parmi les peuples ? l'Eglise était là, médiatrice de concorde, prête à rappeler chacun à son devoir et capable de modérer, par un mélange de douceur et d'autorité, les passions les plus violentes. Les princes, d'autre part, tombaient-ils dans quelque excès de pouvoir ? l'Eglise savait les interpeller, et en leur rappelant les droits, les besoins, les justes désirs des peuples, leur donner des conseils d'équité, de clémence, de bonté. Une semblable intervention réussit plus d'une fois à prévenir des soulèvements et des guerres civiles.

Tout au contraire, les théories modernes sur le pouvoir politique ont déjà causé de grands maux, et il est à craindre que ces maux, dans l'avenir, n'aillent jusqu'aux pires extrémités. En effet, refuser de rapporter à Dieu comme à sa source le droit de commander aux hommes, c'est vouloir ôter à la puissance publique et tout son éclat et toute sa vigueur. En la faisant dépendre de la volonté du peuple, on commet d'abord une erreur de principe, et en outre on ne donne à l'autorité qu'un fondement fragile et sans consistance. De telles opinions sont comme un stimulant perpétuel aux passions populaires, qu'on verra croître chaque jour en audace et préparer la ruine publique en frayant la voie aux conspirations secrètes ou aux séditions ouvertes. Déjà dans le passé, le mouvement qu'on appelle la Réforme eut pour auxiliaires et pour chefs des hommes qui, par leurs doctrines, renversaient de fond en comble les deux pouvoirs spirituel et temporel ; des troubles soudains, des révoltes audacieuses, principalement en Allemagne, firent suite à ces nouveautés, et la guerre civile et le meurtre sévirent avec tant de violence, qu'il n'y eut presque pas une seule contrée qui ne fût livrée aux agitations et aux massacres .- C'est de cette hérésie que naquirent, au siècle dernier, et la fausse philosophie, et ce qu'on appelle le droit moderne, et la souveraineté du peuple, et cette licence sans frein en dehors de laquelle beaucoup ne savent plus voir de vraie liberté. De là on s'est avancé jusqu'aux dernières erreurs, le communisme, le socialisme, le nihilisme, monstres effroyables qui sont la honte de la société et qui menacent d'être sa mort. Et cependant il ne se trouve que trop de propagateurs pour répandre ces principes funestes ; le désir d'améliorer le sort de la multitude a déjà servi de prétexte pour allumer de vastes incendies et préparer de nouvelles calamités. Ce que nous rappelons ici n'est que trop connu et trop rapproché de nous.

Et ce qu'il y a de plus grave, c'est que, au milieu de tant de périls, les chefs des Etats ne disposent d'aucun remède propre à remettre l'ordre dans la société, la paix dans les esprits. On les voit s'armer de la puissance des lois et sévir avec vigueur contre les perturbateurs du repos public ; certes, rien n'est plus juste, et pourtant ils feraient bien de considérer qu'un système de pénalités, qu'elle qu'en soit la force, ne suffira jamais à sauver les nations. « La crainte, comme l'enseigne excellemment saint Thomas, est un fondement infirme ; vienne l'occasion qui permet d'espérer l'impunité, ceux que la crainte seule a soumis se soulèvent avec d'autant plus de passions contre leurs chefs que la terreur qui les contenait jusque-là avait fait subir à leur volonté plus de violence. D'ailleurs, trop d'intimidation jette souvent les hommes dans le désespoir, et le désespoir leur inspire l'audace et les entraîne aux attentats les plus monstrueux[23]. » Tout cela est la vérité même, et l'expérience ne nous l'a que trop prouvé. Il faut donc invoquer un motif plus élevé et plus efficace pour obtenir l'obéissance, et se bien persuader que la sévérité des lois demeurera sans effet, tant que le sentiment du devoir et la crainte de Dieu ne porteront pas les hommes à la soumission. C'est à quoi la religion, mieux que toute autre puissance sociale, peut les amener par l'action qu'elle exerce sur les esprits, par le secret qu'elle possède d'incliner les volontés mêmes ; par là seulement les sujets en viendront à contracter avec ceux qui les gouvernent des liens, non plus seulement de déférence, mais d'affection, ce qui est, pour toute collection d'hommes, le meilleur gage de sécurité.

Il faut donc reconnaître que les Pontifes Romains ont rendu un service éclatant à la société par leur vigilance à réprimer l'orgueil des Novateurs, à déjouer leurs desseins, à les signaler sans cesse comme les plus dangereux ennemis des Etats. Clément VII nous a laissé à ce sujet un enseignement digne de mémoire, dans une lettre qu'il écrivait à Ferdinand, roi de Bohême et de Hongrie : « La cause de la foi, disait-il, est aussi pour vous, pour tous les souverains, celle de votre dignité et de votre intérêt ; car on ne peut déraciner la foi sans ébranler tout ce qui vous touche ; c'est ce qui s'est vu très clairement dans ces contrées. » - Des circonstances semblables ont mis en lumière la prévoyance et le courage de nos autres prédécesseurs, notamment de Clément XII, Benoît XIV, et de Léon XII, qui, voyant se propager la contagion des mauvaises doctrines et grandir l'audace des sectes, ont mis en œuvre toute leur autorité pour leur barrer le passage. -Nous-même, Nous avons dénoncé à plusieurs reprises la gravité des périls et Nous avons indiqué les meilleurs moyens de les conjurer.

Aux princes et aux autres chefs des Etats, Nous avons offert le concours de la religion; aux peuples Nous avons adressé un pressant appel pour qu'ils se hâtent d'user des ressources précieuses que l'Eglise met à leur portée. Ce que Nous faisons en ce moment n'a pas d'autre signification ; les souverains comprendront que Nous leur proposons ici de nouveau le plus ferme des soutiens. Puissent-ils se rendre à Nos ardentes sollicitations, redevenir les protecteurs de la religion, et dans l'intérêt même de l'Etat, laisser à l'Eglise cette liberté dont la violation est une injustice et un malheur public. Assurément, l'Eglise de Jésus-Christ ne peut être ni suspecte aux princes, ni odieuse aux peuples. Si elle rappelle aux princes l'obligation de respecter tous les droits et de remplir tous les devoirs, en même temps elle fortifie et seconde leur autorité de mille manières. Elle reconnaît et proclame leur juridiction et leur souveraineté sur tout ce qui appartient à l'ordre civil ; et là où, sous des aspects divers, les deux devoirs religieux et politique ont chacun des droits à prétendre, elle veut qu'il s'établisse un accord pour prévenir des conflits funestes à l'un et à l'autre. Quant aux peuples, l'Église, se souvenant qu'elle est instituée pour le salut de tous, leur a toujours témoigné une affection maternelle. C'est elle qui, se faisant précéder des œuvres de sa charité, a fait entrer la douceur dans les âmes, l'humanité dans les mœurs, l'équité dans les lois ; jamais on ne l'a vue ennemie d'une honnête liberté ; toujours elle a détesté la tyrannie. C'est à ce tempérament bienfaisant de l'Eglise que saint Augustin a rendu hommage par ces belles paroles : « Elle dit aux rois de se dévouer aux peuples, elle dit aux peuples de se soumettre aux rois, montrant ainsi que tous les hommes n'ont pas tous les droits, mais que la charité est due à tous et l'injustice à personne[24]. » Vous voyez par-là, Vénérables Frères, quelle grande tâche, quelle salutaire mission est la Vôtre : elle consiste à mettre en commun avec Nous toutes Vos industries, tous les moyens d'action que la bonté de Dieu a placés dans Vos mains, pour écarter les dangers et les maux qui menacent la société. Redoublez de soins et d'efforts pour faire pénétrer dans les esprits, pour faire passer dans la conduite et dans les œuvres de tous les hommes les principes de l'Eglise catholique sur l'autorité et l'obéissance. Soyez pour les peuples des maîtres et des conseillers fidèles, qui les pressent de fuir les sectes condamnées, d'avoir horreur des complots, de s'interdire toute menée séditieuse ; faites-leur comprendre que quand c'est pour Dieu qu'on obéit, la soumission est raisonnable, l'obéissance pleine d'honneur.

Mais, parce que c'est Dieu qui « sauve les rois[25] », qui donne aux peuples « de se reposer parmi les splendeurs de la paix, sous les tentes de la confiance et dans les richesses de la concorde », c'est Lui qu'il faut supplier pour qu'il ramène les âmes au devoir et à la vérité, qu'il désarme les haines et rende à la terre la tranquillité et la paix qui lui manquent depuis si longtemps.

Pour être plus sûrs d'être exaucés, prenons pour intercesseurs et pour avocats la Vierge Marie, Mère de Dieu, secours des chrétiens, tutrice du genre humain ; saint Joseph, son chaste époux, dont l'Eglise universelle invoque avec tant de confiance le patronage ; saint Pierre et saint Paul, princes des apôtres, gardiens et défenseurs de l'honneur du nom chrétien.

En attendant, comme gage des dons divins et de Notre tendresse, Nous Vous donnons à Vous tous, Vénérables Frères, au Clergé et au peuple confié à votre sollicitude, la Bénédiction Apostolique dans le Seigneur.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 29 juin 1881, la quatrième année de notre Pontificat.

 



[1] Prov., VIII, 15-16

[2] Sap., VI, 3-4

[3] Eccli., XVII, 14

[4] Joan., XIX, 11

[5] Tract. CXVI in Joan., n.5

[6] Ad. Rom., XIII, 1, 4

[7] De Civ. Dei, lib. v. cap. 21

[8] In epist. ad Rom. homil. XXIII, n. 1

[9] In epist. lib. II, epist. 61

[10] Jac., IV, 12

[11] Ad Ephes., III, 15

[12] Ad Rom. XIII, 1, 2, 5

[13] I Petr. II, 13-15

[14] Matth. XXII, 21

[15] Act. V, 29

[16] Sap. VI, 4, 5, 6, 8, 9

[17] Ad Rom., X, 12

[18] Ad Tit, III, 1

[19] I Thimoth, II, 1, 3

[20] Legat. pro Christianis

[21] Apolog., n. 35

[22] Apolog., n. 37

[23] De Regim. Princip., I. I, cap. 10

[24] De morib. Eccl., lib. l, cap. 30

[25] Psalm. CXLII, 11

dimanche 7 août 2022

Léon XIII - Providentissimus Deus

A ses vénérables Frères tous les patriarches, primats et archevêques du monde catholique, en grâce et en communion avec le Saint-Siège.

Vénérables frères, Salut et Bénédiction apostolique.

La Providence de Dieu, qui, par un admirable dessein d'amour, a élevé au commencement le genre humain à une participation de la nature divine; qui ensuite a rétabli dans sa dignité première l'homme délivré de la tache commune et arraché à sa perte, a apporté à ce même homme un précieux appui, afin de lui ouvrir, par un moyen surnaturel, les trésors cachés de sa divinité, de sa sagesse, de sa miséricorde.

Quoiqu'on doive comprendre dans la révélation divine des vérités qui ne sont pas accessibles à la raison humaine, et qui, par suite, ont été révélées à l'homme « afin que tous puissent les connaître facilement, avec une ferme certitude, sans aucun mélange d'erreur », cependant cette révélation ne peut pas être dite nécessaire d'une façon absolue, mais parce que Dieu, dans son infinie bonté, a destiné l'homme à une fin surnaturelle (Conc. Vat. sess. III, cap. II De Revel).

« Cette révélation surnaturelle, selon la foi de l'Eglise universelle, est renfermée tant dans les traditions non écrites que dans les livres qu'on appelle saints et canoniques, parce qu'écrits sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, ils ont Dieu pour auteur et ont été livrés comme tels à l'Eglise (Ibid.). »

C'est ce que celle-ci n'a cessé de penser et de professer publiquement au sujet des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. On connaît des documents anciens très importants qui indiquent que Dieu a parlé d'abord par les prophètes, ensuite par lui-même, puis par les apôtres, qu'il nous a aussi donné l'Ecriture qu'on appelle canonique (St. Augustin, De civ. Dei XI, 3) qui n'est autre que les oracles et les paroles divines (St Clément de Rome, 1 Ad Cor. 45 ; St Polycarpe Ad Phil. 7 ; St Irénée Contra Haereses II, 28, 2); qu'elle constitue comme une lettre accordée par le Père céleste au genre humain voyageant loin de sa patrie, et que nous ont transmise les auteurs sacrés (St Jean Chrysostome, In Gen. hom. 2, 2 ; St Augustin, In Ps. 30, Serm., 3, 1 ; St. Grégoire le Grand, Ad Theod. ep. IV, 31).

Cette origine montre bien quelle est l'excellence et la valeur des Ecritures qui, ayant pour auteur Dieu lui-même, contiennent l'indication de ses mystères les plus élevés, de ses desseins, de ses œuvres. Il résulte de là que la partie de la théologie qui concerne la conservation et l'interprétation de ces livres divins est fort importante et de la plus grande utilité.

Nous avons eu à cœur de faire progresser d'autres sciences qui Nous paraissaient très propres à l'accroissement de la gloire divine et au salut des hommes; tel a été, de Notre part, le sujet de fréquentes lettres et de nombreuses exhortations qui, avec l'aide de Dieu, ne sont pas demeurées sans résultat. Nous Nous proposions depuis longtemps de ranimer de même et de recommander cette si noble étude des Saintes Lettres, et de la diriger d'une façon plus conforme aux nécessités des temps actuels.

La sollicitude de Notre charge apostolique Nous engage et, en quelque sorte, Nous pousse, non seulement à vouloir ouvrir plus sûrement et plus largement, pour l'utilité du peuple chrétien, cette précieuse source de la révélation catholique, mais encore à ne pas souffrir qu'elle soit troublée en aucune de ses parties, soit par ceux qu'excite une audace impie et qui attaquent ouvertement l'Ecriture Sainte, soit par ceux qui suscitent à ce sujet des innovations trompeuses et imprudentes.

Nous n'ignorons pas, en effet, Vénérables Frères qu'un certain nombre de catholiques, hommes riches en science et en talent, se consacrent avec ardeur à défendre les Livres Saints ou à en propager davantage la connaissance et l'intelligence. Mais, en louant à bon droit leurs travaux et les résultats qu'ils obtiennent, Nous ne pouvons manquer d'exhorter à remplir cette sainte tâche et à mériter le même éloge d'autres hommes dont le talent, la science et la piété promettent, dans cette œuvre, de magnifiques succès.

Nous souhaitons ardemment qu'un plus grand nombre de fidèles entreprennent, comme il convient, la défense des Saintes Lettres et s'y attachent avec constance ; Nous désirons surtout que ceux qui ont été appelés par la grâce de Dieu dans les Ordres sacrés mettent de jour en jour un plus grand soin et un plus grand zèle à lire, à méditer et à expliquer les Ecritures ; rien n'est plus conforme à leur état.

Outre l'excellence d'une telle science et l'obéissance due à la parole de Dieu, un autre motif Nous fait surtout juger que l'étude des Livres Saints doit être très recommandée: ce motif, c'est l'abondance des avantages qui en découlent, et dont Nous avons pour gage assuré la parole de l'Esprit-Saint : « Toute l'Ecriture divinement inspirée est utile pour instruire, pour raisonner, pour toucher, pour façonner à la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait, prêt à toute bonne œuvre (II Tim. III, 16-17). »

C'est dans ce dessein que Dieu a donné aux hommes les Ecritures ; les exemples de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des apôtres le montrent. Jésus lui-même en effet, qui « s'est concilié l'autorité par des miracles, a mérité la foi par son autorité et a gagné la multitude par sa foi (St Augustin, De util. cred. XIV, 32) », avait coutume d'en appeler aux Saintes Écritures en témoignage de sa mission divine.

Il se sert, à l'occasion, des I.ivres Saints afin de déclarer qu'il est envoyé de Dieu et Dieu lui-même; il leur emprunte des arguments pour instruire ses disciples et pour appuyer sa doctrine; il invoque leurs témoignages contre les calomnies de ses ennemis, il les oppose en réponse aux Sadducéens et aux Pharisiens, et les retourne contre Satan lui-même qui les invoque avec impudence; il les emploie encore à la fin de sa vie, et, une fois ressuscité, les explique à ses disciples, jusqu'à ce qu'il monte dans la gloire de son Père.

Les apôtres se sont conformés à la parole et aux enseignements du Maître, et quoique lui-même eût accordé que des « signes et des miracles soient faits par leurs mains » (Actes 14, 3), ils ont tiré des Livres Saints un grand moyen d'action pour répandre au loin parmi les nations la sagesse chrétienne, vaincre l'opiniâtreté des juifs et étouffer les hérésies naissantes.

Ce fait ressort de leurs discours et en première ligne de ceux de saint Pierre; ils les composèrent, en quelque sorte, de paroles de l'Ancien Testament comme étant l'appui le plus ferme de la loi nouvelle. Ceci est non moins évident d'après les Evangiles de saint Matthieu et de saint Jean, et les épîtres que l'on appelle catholiques, d'après surtout le témoignage de celui qui, « devant Gamaliel, se glorifie d'avoir étudié la loi de Moïse et les Prophètes, afin que, muni des armes spirituelles, il pût ensuite dire avec confiance : » Les armes de notre milice n'ont rien de terrestre : c'est la puissance de Dieu (St Jérôme, De stud. script. ad paulin. ép. LIII, 3). »

Que tous, surtout les soldats de l'armée sacrée, comprennent donc, d'après les exemples du Christ et des apôtres, quelle estime ils doivent avoir de la Sainte Ecriture, avec quel zèle, avec quel respect il leur faut, pour ainsi dire, s'approcher de cet arsenal.

En effet, ceux qui doivent répandre, soit parmi les doctes, soit parmi les ignorants, la vérité catholique, ne trouveront nulle part ailleurs des enseignements plus nombreux et plus étendus sur Dieu, le bien souverain et très parfait, sur les œuvres qui mettent en lumière sa gloire et son amour. Quant au Sauveur du genre humain, aucun texte n'est, à son sujet, plus fécond et plus émouvant que ceux qu'on trouve dans toute la Bible, et saint Jérôme a eu raison d'affirmer que « l'ignorance des Écritures, c'est l'ignorance du Christ (In Isaiam, prol.) » ; là, on voit comme vivante et agissante, l'image du Fils de Dieu ; ce spectacle, d'une façon admirable, soulage les maux, exhorte à la vertu et invite à l'amour divin.

En ce qui concerne l'Eglise, son institution, ses caractères, sa mission, ses dons, on trouve dans l'Ecriture tant d'indications, il y existe en sa faveur des arguments si solides et si bien appropriés que ce même saint Jérôme a pu dire avec beaucoup de raison : « Celui qui est appuyé fermement sur les témoignages des Saints Livres, celui-là est le rempart de l'Eglise (In Isaiam, 54:12). »

Si maintenant ils cherchent des préceptes relatifs aux bonnes mœurs et à la conduite de la vie, les hommes apostoliques rencontreront dans la Bible de grandes et excellentes ressources, des prescriptions pleines de sainteté, des exhortations réunissant la suavité et la force, des exemples remarquables de toutes sortes de vertus, auxquels s'ajoutent la promesse des récompenses éternelles et l'annonce des peines de l'autre monde, promesse et annonce faites au nom de Dieu et en s'appuyant sur ses paroles.

C'est cette vertu particulière aux Écritures, et très remarquable provenant du souffle divin de l'Esprit-Saint qui donne de l'autorité à l'orateur sacré, lui inspire une liberté de langage tout apostolique et lui fournit une éloquence vigoureuse et convaincante.

Quiconque, en effet, porte dans son discours l'esprit et la force de la parole divine, celui-ci , « ne parle pas seulement en langage, mais dans la vertu, dans l'Esprit-Saint et avec une grande abondance de fruits (I Thess. I, 5). »

Aussi on doit dire qu'ils agissent d'une façon maladroite et imprévoyante ceux qui parlent de la religion et énoncent les préceptes divins sans presque invoquer d'autre autorité que celles de la science et de la sagesse humaines, s'appuyant sur leurs propres arguments plutôt que sur les arguments divins (Jerem. XXIII, 29).

En effet, leur éloquence, quoique brillante, est nécessairement languissante et froide, en tant qu'elle est privée du feu de la parole de Dieu, et elle manque de la vertu qui brille dans ce langage divin : « Car la parole de Dieu est plus forte et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ; elle entre dans l'âme et l'esprit au point de les fendre en quelque sorte (Heb. IV, 12). »

D'ailleurs, les savants eux-mêmes doivent en convenir; il existe dans les Saintes Lettres une éloquence admirablement variée, admirablement riche et digne des plus grands objets: c'est ce que saint Augustin a compris et a parfaitement prouvé (De doctr. chr. IV, 6, 7), et ce que l'expérience permet de vérifier dans les ouvrages des orateurs sacrés. Ceux-ci ont dû surtout leur gloire à l'étude assidue et à la méditation de la Bible, et ils en ont témoigné leur reconnaissance à Dieu.

Connaissant à fond toutes ces richesses et en faisant un grand usage, les saints Pères n'ont pas tari d'éloges au sujet des Saintes Ecritures et des fruits qu'on en peut tirer.

Dans maint passage de leurs œuvres, ils appellent les Livres Saints « le précieux trésor des doctrines célestes (St Jean Chrysostome, In Gen. hom. XX, 2 ; hom., LX, 3 ; St Augustin, De disc. christ. II), les fontaines du salut (St Athanase, Ep. fest. XXXIX) », les comparant à des prairies fertiles, à de délicieux jardins dans lesquels le troupeau du Seigneur trouve une force admirable et un grand charme (St Augustin, Serm. XXVI, 24 ; St Ambroise, In Ps. 118, Serm. XIX, 2).

Elles sont bien justes, ces paroles de saint Jérôme au clerc Népotien : « Lis souvent les Saintes Ecritures, bien plus, ne dépose jamais le Livre sacré : apprends ce que tu devras enseigner ; que le langage du prêtre soit appuyé sur la lecture des Ecritures (St Jérôme, De vita cleric. ad Nepot.). »

Tel est aussi le sens de la parole de saint Grégoire le Grand qui a indiqué, plus excellemment que personne, les devoirs des pasteurs de l'Eglise: « Il est nécessaire, dit-il, que ceux qui s'appliquent au ministère de la prédication ne cessent d'étudier les Saints Livres (St Grégoire le Grand, Regul. past. II, 11 (al. 22) ; Moral. XVII, 26 (al. 14)). »

Ici, cependant, il nous plaît de rappeler l'avis de saint Augustin : « Ce ne sera pas au dehors un vrai prédicateur de la parole de Dieu, celui qui ne l'écoute pas au-dedans de lui-même (St Augustin, Serm. CLXXIX, 1). »

Saint Grégoire encore conseillait aux auteurs sacrés « qu'avant de porter la parole divine aux autres, ils s'examinent eux-mêmes, pour ne pas se négliger en s'occupant des actions d'autrui (St Grégoire le Grand, Regul. past. III, 24 (al. 48)). »

D'ailleurs, cette vérité avait déjà été mise en lumière par la parole et par l'exemple du Christ, qui commença « à agir et à enseigner », et la voix de l'Apôtre l'avait proclamée, s'adressant non seulement à Timothée, mais à tout l'Ordre des clercs, lorsqu'elle énonçait ce précepte : Veille sur toi et sur ta doctrine avec attention, car en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même et tu sauveras tes auditeurs (I Tim. 4:16).

Assurément, on trouve pour sa propre sanctification et pour celle des autres, de précieux secours dans les Saintes Lettres, ils sont très abondants surtout dans les psaumes. Toutefois, ceux-là seuls en profiteront qui prêteront à la divine parole non seulement un esprit docile et attentif, mais encore une bonne volonté parfaite et une grande piété.

Ces livres, en effet, dictés par l'Esprit-Saint lui-même, contiennent des vérités très importantes, cachées et difficiles à interpréter en beaucoup de points; pour les comprendre et les expliquer nous aurons donc toujours besoin de la présence de ce même Esprit (St Jérôme, In Mich. I,10), c'est-à-dire de sa lumière et de sa grâce, qui, comme les psaumes nous en avertissent longuement, doivent être implorées par la prière humaine, accompagnée d'une vie sainte.

Et c'est en ceci qu'apparaît magnifiquement la prévoyance de l'Eglise. « Pour ne pas que ce trésor des Livres Saints, que l'Esprit-Saint a livré aux hommes avec une souveraine libéralité, restât négligé (Conc. Trid. sess. V, Decret. de reform., 1) », elle a multiplié en tout temps les institutions et les préceptes. Elle a décrété non seulement qu'une grande partie des Ecritures serait lue et méditée par tous ses ministres dans l'office quotidien, mais que ces Ecritures seraient enseignées et interprétées par des hommes instruits dans les cathédrales, dans les monastères, dans les couvents des réguliers, où les études pourraient être prospères; elle a ordonné par un rescrit que les dimanches et aux fêtes solennelles, les fidèles seraient nourris des salutaires paroles de l'Evangile. Ainsi, grâce à la sagesse et à la vigilance de l'Eglise l'étude des Saintes Ecritures se maintient florissante et féconde en fruits de salut.

Pour affermir Nos arguments et Nos exhortations, Nous aimons à rappeler comment tous les hommes remarquables par la sainteté de leur vie et par leur science des vérités divines, ont toujours cultivé assidûment les Saintes Ecritures. Nous voyons que les plus proches disciples des apôtres, parmi lesquels Nous citerons Clément de Rome, Ignace d'Antioche, Polycarpe, puis les Apologistes, spécialement Justin et Irénée, ont, dans leurs lettres et dans leurs livres tendant soit à la conservation, soit à la propagation des dogmes divins, introduit la doctrine, la force, la piété des Livres Saints.

Dans les écoles de catéchisme et de théologie qui furent fondées près de beaucoup de sièges épiscopaux, et dont les plus célèbres furent celles d'Alexandrie et d'Antioche, l'enseignement donné ne consistait pour ainsi dire que dans la lecture, l'explication, la défense de la parole de Dieu écrite.

De ces établissements sortirent la plupart des Pères et des écrivains dont les études approfondies et les remarquables ouvrages se succédèrent pendant trois siècles en si grande abondance que cette période a été appelée l'âge d'or de l'exégèse biblique.

Parmi ceux d'Orient, la première place revient à Origène, homme admirable par la prompte conception de son esprit et par ses travaux non interrompus. C'est dans ses nombreux ouvrages et dans ses immenses Hexaples, qu'ont puisé presque tous ses successeurs.

Il faut en énumérer plusieurs, qui ont étendu les limites de cette science : ainsi, parmi les plus éminents, Alexandrie a produit Clément et Cyrille ; la Palestine, Eusèbe, et le second Cyrille ; la Cappadoce, Basile le Grand, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse ; Antioche, ce Jean Chrysostome, en qui une érudition remarquable s'unissait à la plus haute éloquence.

L'Eglise d'Occident n'a pas acquis moins de gloire. Parmi les nombreux docteurs qui s'y sont distingués, illustres sont les noms de Tertullien et de Cyprien, d'Hilaire et d'Ambroise, de Léon le Grand, et de Grégoire-le-Grand, mais surtout ceux d'Augustin et de Jérôme.

L'un se montra d'une pénétration admirable dans l'interprétation de la parole de Dieu, et d'une habileté consommée à en tirer parti pour appuyer la vérité catholique; l'autre, possédant une connaissance extraordinaire de la Bible et ayant fait sur les Livres Saints de magnifiques travaux, a été honoré par l'Eglise du titre de Docteur très grand.

Depuis cette époque jusqu'au XIe siècle, quoique ces études n'aient pas été aussi ardemment cultivées et aussi fécondes en résultats que précédemment, elles furent cependant florissantes, grâce surtout au zèle des prêtres.

Ceux-ci eurent soin, en effet, ou de recueillir les ouvrages que leurs prédécesseurs avaient laissés sur ce sujet si important, ou de les répandre après les avoir étudiés à fond et enrichis de leurs propres travaux; c'est ainsi qu'agirent, entre autres, Isidore de Séville, Bède, Alcuin. Ils munirent de gloses les manuscrits sacrés, comme Valafride Strabon et Anselme de Laon, ou travaillèrent par des procédés nouveaux à maintenir l'intégrité des textes, comme le firent Pierre Damien et Lanfran.

Au XIIe siècle, la plupart entreprirent avec beaucoup de succès l'explication allégorique des Saintes Ecritures; dans ce genre, saint Bernard se distingua facilement parmi tous les autres ; ses sermons ne s'appuient presque que sur les Lettres divines.

Mais aussi, de nouveaux et abondants progrès furent faits grâce à la méthode des scolastiques. Ceux-ci, bien qu'ils se soient appliqués à faire des recherches relatives au véritable texte de la version latine, comme le prouvent les Bibles corrigées qu'ils ont fait paraître, mirent cependant plus de zèle encore et plus de soin à l'interprétation et à l'explication des Livres Saints.

Aussi savamment et aussi clairement qu'aucun de leurs prédécesseurs, ils distinguèrent les divers sens des mots latins, établirent la valeur de chacun au point de vue théologique, marquèrent les différents chapitres des livres et le sujet de ces chapitres, creusèrent la signification des paroles bibliques, expliquèrent la liaison des préceptes entre eux. Tout le monde voit quelle lumière a été ainsi apportée dans les points obscurs. En outre, leurs livres, soit relatifs à la théologie, soit commentant les Saintes Ecritures elles-mêmes, manifestent une science profonde puisée dans les Livres Sacrés. A ce titre, saint Thomas d'Aquin a obtenu parmi eux la palme.

Mais après que Clément V, Notre prédécesseur, eut attaché à l'Athénée de Rome et aux plus célèbres universités des maîtres de langues orientales, ceux-ci commencèrent à étudier la Bible, à la fois sur le manuscrit original et sur la traduction latine. Lorsque ensuite, les monuments de la science des Grecs nous furent rapportés, lorsque surtout l'art nouveau de l'imprimerie eut été inventé, le culte de la Sainte Ecriture se répandit beaucoup. Il est étonnant combien, en peu de temps, se multiplièrent les éditions des Livres sacrés, surtout de la Vulgate; elles remplirent le monde catholique, tellement, même à cette époque si décriée par les ennemis de l'Eglise, les Livres divins étaient aimés et honorés.

On ne doit pas omettre de rappeler quel grand nombre d'hommes doctes appartenant surtout aux Ordres religieux, depuis le Concile de Vienne jusqu'au Concile de Trente, travaillèrent à la prospérité des études bibliques. Ceux-ci, grâce à des secours nouveaux, à leur vaste érudition, à leur remarquable talent, non seulement accrurent les richesses accumulées par leurs prédécesseurs, mais préparèrent en quelque sorte la route aux savants du siècle suivant, durant lequel, à la suite du Concile de Trente, l'époque si prospère des Pères de l'Eglise parut en quelque sorte recommencer.

Personne, en effet, n'ignore, et il Nous est doux de le rappeler, que nos prédécesseurs, de Pie IV à Clément VIII, ont fait en sorte que l'on publiât de remarquables éditions des versions anciennes, de celle d'Alexandrie et de la Vulgate. Celles qui parurent ensuite par l'ordre et sous l'autorité de Sixte-Quint et du même Clément sont aujourd'hui d'un usage commun. On sait qu'à cette époque furent éditées, en même temps que d'autres versions anciennes de la Bible, les bibles polyglottes d'Anvers et de Paris, très bien disposées pour la recherche du sens exact.

Il n'y a aucun livre des deux Testaments qui n'ait alors rencontré plus d'un habile interprète. Il n'y a aucune question se rattachant à ces sujets qui n'ait exercé d'une façon très fructueuse le talent de beaucoup de savants, parmi lesquels un certain nombre, ceux surtout qui étudièrent le plus les saints Pères, se firent un nom remarquable.

Enfin, depuis cette époque, le zèle n'a pas fait défaut à nos exégètes. Des hommes distingués ont bien mérité des études bibliques et ont défendu les Saintes Lettres contre les attaques du rationalisme, attaques tirées de la philologie et des sciences analogues et qu'ils ont réfutées par des arguments du même genre.

Tous ceux qui considéreront sans parti pris cette revue nous accorderont certainement que l'Eglise n'a jamais manqué de prévoyance, qu'elle a toujours fait couler vers ses fils les sources salutaires de la divine Ecriture, qu'elle a toujours conservé cet appui, à la garde duquel elle a été préposée par Dieu, qu'elle l'a fortifié par toutes sortes de travaux, de sorte qu'elle n'a jamais eu besoin et qu'elle n'a pas besoin encore d'y être excitée par des hommes qui lui sont étrangers.

Le plan que Nous Nous sommes proposé demande de Nous, Vénérables Frères, que Nous Nous entretenions avec vous de ce qui paraît le plus utile à la bonne ordonnance de ces études. Mais il importe d'abord de reconnaître quels hommes nous opposent des obstacles, à quels procédés et à quelles armes ils se confient.

Auparavant, le Saint-Siège a eu surtout affaire à ceux qui, s'appuyant sur leur jugement particulier, et répudiant les diverses traditions et l'autorité de l'Eglise, affirmaient que l'Ecriture était l'unique source de la révélation et le juge suprême de la foi.

Maintenant, nos adversaires principaux sont les rationalistes, qui, fils et héritiers pour ainsi dire de ces hommes dont Nous parlons plus haut, se fondant de même sur leur propre opinion, ont rejeté entièrement même ces restes de foi chrétienne, encore acceptés par leurs prédécesseurs.

Ils nient, en effet, absolument toute inspiration, ils nient l'Ecriture, et ils proclament que tous ces objets sacrés ne sont qu'inventions et artifices des hommes; ils regardent les Livres Saints non comme contenant le récit exact d'événements réels, mais comme des fables ineptes, comme des histoires mensongères. A leurs yeux, il n'y a pas de prophéties, mais des prédictions forgées après que les événements ont été accomplis, ou bien des pressentiments dus à des causes naturelles; il n'existe pas de miracles vraiment dignes de ce nom, manifestations de la puissance divine, mais des faits étonnants qui ne dépassent nullement les forces de la nature, ou encore des prestiges et des mythes; enfin les Evangiles et les écrits des apôtres ne sont pas écrits par les auteurs auxquels on les attribue.

Pour appuyer de telles erreurs, grâce auxquelles ils croient pouvoir anéantir la sainte vérité de l'Ecriture, ils invoquent les décisions d'une nouvelle science libre; ces décisions sont d'ailleurs si incertaines aux yeux mêmes des rationalistes, qu'ils varient et se contredisent souvent sur les mêmes points.

Et tandis que ces hommes jugent et parlent d'une façon si impie au sujet de Dieu, du Christ, de l'Evangile et du reste des Ecritures, il n'en manque pas parmi eux qui veulent être regardés comme chrétiens, comme théologiens, comme exégètes et qui, sous un nom très honorable, voilent toute la témérité d'un esprit plein d'insolence.

A ceux-ci viennent s'ajouter un certain nombre d'hommes qui, ayant le même but et les aidant, cultivent d'autres sciences, et qu'une semblable hostilité envers les vérités révélées entraînent de même façon à attaquer la Bible. Nous ne saurions trop déplorer l'étendue et la violence de plus en plus grande que prennent ces attaques. Elles sont dirigées contre des hommes instruits et sérieux, quoique ceux-ci puissent se défendre sans trop de difficultés ; mais c'est surtout contre la foule des ignorants que des ennemis acharnés agissent par tous les procédés.

Au moyen des livres, des opuscules, des journaux, ils répandent un poison funeste; par des réunions, par des discours, ils le font pénétrer plus avant ; déjà ils ont tout envahi, ils possèdent de nombreuses écoles arrachées à l'Eglise, où, dépravant misérablement, même par la moquerie et les plaisanteries bouffonnes, les esprits encore tendres et crédules des jeunes gens, ils les excitent au mépris de la Sainte Ecriture.

Il y a bien là, Vénérables Frères, de quoi émouvoir et animer le zèle commun des pasteurs, de telle sorte qu'à cette science nouvelle, à cette science fausse (I Tim. VI, 20), on oppose cette doctrine antique et vraie que l'Eglise a reçue du Christ par l'intermédiaire des apôtres, et que, dans un tel combat, se lèvent de toutes parts d'habiles défenseurs de la Sainte Ecriture.

Notre premier soin doit donc être celui-ci : que dans les Séminaires, dans les Universités, les Lettres divines soient enseignées en tout point comme le demandent l'importance même de cette science et les nécessités de l'époque actuelle.

Pour cette raison, vous ne devez rien avoir plus à cœur que la prudence dans le choix des professeurs; pour cette fonction, en effet, il importe de désigner, non pas des hommes pris parmi la foule, mais ceux que recommandent un grand amour et une longue pratique de la Bible, une véritable culture scientifique, qui soient, en un mot, à la hauteur de leur mission.

Il ne faut pas mettre moins de soin à préparer ceux qui devront prendre ensuite la place de ceux-ci. Il Nous plaît donc que, partout où cela sera possible, on choisisse parmi les disciples qui auront parcouru d'une façon satisfaisante le cycle des études théologiques, un certain nombre qui s'appliqueront tout entiers à acquérir la connaissance des Saints Livres, et auxquels on fournira la possibilité de se livrer à des travaux plus étendus. Quand les maîtres auront été ainsi désignés et formés, qu'ils abordent avec confiance la tâche qui leur sera confiée, et pour qu'ils la remplissent excellemment, pour qu'ils obtiennent les résultats auxquels on peut s'attendre, Nous voulons leur donner quelques instructions plus développées.

Au début même des études, ils doivent examiner la nature de l'intelligence des disciples, faire en sorte de la cultiver, de la rendre apte en même temps à conserver intacte la doctrine des Livres Saints, et à en saisir l'esprit. Tel est le but du Traité de l'introduction biblique, qui fournit à l'élève le moyen de prouver l'intégrité et l'authenticité de la Bible, d'y chercher et d'y découvrir le vrai sens des passages, d'attaquer de front et d'extirper jusqu'à la racine les interprétations sophistiques.

A peine est-il besoin d'indiquer combien il est important de discuter ces points dès le début, avec ordre, d'une façon scientifique, en recourant à la théologie ; et, en effet, toute l'étude de l'Ecriture s'appuie sur ces bases, s'éclaire de ces lumières. Le professeur doit s'appliquer avec un très grand soin à bien faire connaître la partie la plus féconde de cette science, qui concerne l'interprétation, expliquer à ses auditeurs comment ils pourront utiliser les richesses de la parole divine pour l'avantage de la religion et de la piété.

Certes, Nous comprenons que ni l'étendue du sujet, ni le temps dont on dispose, ne permettent de parcourir dans les écoles tout le cercle des Ecritures. Mais, puisqu'il est besoin de posséder une méthode sûre pour diriger avec fruit l'interprétation, un maître sage devra éviter à la fois le défaut de ceux qui font étudier des passages pris çà et là dans tous les livres, le défaut aussi de ceux qui s'arrêtent sans mesure sur un chapitre déterminé d'un seul livre.

Si, en effet, dans la plupart des écoles, on ne peut atteindre le même but que dans les académies supérieures, à savoir qu'un livre ou l'autre soit expliqué d'une façon suivie et détaillée, au moins doit-on mettre tout en œuvre afin d'arriver à ce que les passages choisis pour l'interprétation soient étudiés d'une façon suffisamment complète; les élèves, alléchés en quelque sorte et instruits par cet exemple d'explication, pourront ensuite relire et goûter le reste de la Bible pendant toute leur vie.

Le professeur, fidèle aux prescriptions de ceux qui Nous ont précédé, devra faire usage de la version Vulgate.

C'est celle, en effet, que le Concile de Trente a désignée comme authentique et comme devant être employée « dans les lectures publiques, les discussions, les prédications et les explications (Sess. IV, Decr. de edit. et usu sacr. libr.) » ; c'est celle aussi que recommande la pratique quotidienne de l'Eglise. Nous ne voulons pas dire cependant qu'il ne faudra pas tenir compte des autres versions que les chrétiens des premiers âges ont utilisées avec éloges, et surtout des textes primitifs.

En effet si, pour ce qui concerne les grands points, le sens est clair d'après les éditions hébraïque et grecque de la Vulgate, cependant, si quelque passage ambigu ou moins clair s'y rencontre, « le recours à la langue précédente », suivant le conseil de saint Augustin, sera très utile (De doct. chr. III, 4).

Il est clair qu'il faudra apporter à cette tâche beaucoup de circonspection; c'est, en effet, le devoir du commentateur d'indiquer, non pas ce que lui-même pense, mais ce que pensait l'auteur qu'il explique (St Jérôme, Ad Pammachium).

Après que la lecture aura été conduite avec soin jusqu'au point voulu, alors ce sera le moment de scruter et d'expliquer le sens. Notre premier conseil à ce sujet est d'observer les prescriptions communément en usage relatives à l'interprétation, avec d'autant plus de soin que l'attaque des adversaires est plus vive.

Il faut donc peser avec soin la valeur des mots eux-mêmes, la signification du contexte, la similitude des passages, etc. et aussi profiter des éclaircissements étrangers de la science qu'on nous oppose. Cependant, le maître devra prendre garde à ne pas consacrer plus de temps et plus de soin à ces questions qu'à l'étude des Livres divins eux-mêmes, de peur qu'une connaissance trop étendue et trop approfondie de tels objets n'apporte à l'esprit des jeunes gens plus de troubles que de force.

De là résulte une marche sûre à suivre dans l'étude de l'Ecriture Sainte au point de vue théologique.

Il importe, en effet, de remarquer à ce sujet qu'aux autres causes de difficultés qui se présentent dans l'explication de n'importe quels auteurs anciens, s'en ajoutent quelques-unes qui sont spéciales à l'interprétation des Livres Saints. Comme ils sont l'œuvre de l'Esprit-Saint, les mots y cachent nombre de vérités qui surpassent de beaucoup la force et la pénétration de la raison humaine, à savoir les divins mystères et ce qui s'y rattache. Le sens est parfois plus étendu et plus voilé que ne paraîtraient l'indiquer et la lettre et les règles de l'herméneutique ; en outre, le sens littéral cache lui-même d'autres sens qui servent soit à éclairer les dogmes, soit à donner des règles pour la vie.

Aussi, l'on ne saurait nier que les Livres Saints sont enveloppés d'une certaine obscurité religieuse, de sorte que nul n'en doit aborder l'étude sans guide (St Jérôme, Ad paulin. de studio script. Ep. LIII, 4): Dieu l'a voulu ainsi (c'est l'opinion commune des saints Pères) pour que les hommes les étudiassent avec plus d'ardeur et plus de soin, pour que les vérités péniblement acquises pénétrassent plus profondément leur esprit et leur cœur; pour qu'ils comprissent surtout que Dieu a donné les Ecritures à l'Eglise afin que, dans l'interprétation de ses paroles, celle-ci fût le guide et le maître le plus sûr.

Là où Dieu a mis ses dons, là doit être cherchée la vérité. Les hommes en qui réside la succession des apôtres expliquent les Ecritures sans aucun danger d'erreur, saint Irénée nous l'a déjà enseigné (Contra haereses, IV, 26, 5). C'est sa doctrine et celle des autres Pères qu'a adoptée le Concile du Vatican, quand, renouvelant un décret du Concile de Trente sur l'interprétation de la parole divine écrite, il a décidé que, « dans les choses de la foi et des mœurs, tendant à la fixation de la doctrine chrétienne, on doit regarder comme le sens exact de la Sainte Ecriture, celui qu'a regardé et que regarde comme tel notre Sainte Mère l'Eglise, à qui il appartient de juger du sens et de l'interprétation des Livres sacrés. Il n'est donc permis à personne d'expliquer l'Ecriture d'une façon contraire à cette signification ou encore au consentement unanime des Pères (Sess. III, cap. II, De Revel. ; cf. Conc. Trid., sess. IV, Decret. de edit. et usu sacr. libr.). »

Par cette loi pleine de sagesse, l'Eglise n'arrête et ne contrarie en rien les recherches de la science biblique, mais elle la maintient à l'abri de toute erreur et contribue puissamment à ses véritables progrès. Chaque docteur, en effet, voit ouvert devant lui un vaste champ dans lequel, en suivant une direction sûre, son zèle peut s'exercer d'une façon remarquable et avec profit pour l'Eglise.

A la vérité, quant aux passages de la Sainte Ecriture qui attendent encore une explication certaine et bien définie, il peut se faire, grâce à un bienveillant dessein de la Providence de Dieu, que le jugement de l'Eglise se trouve pour ainsi dire mûri par une étude préparatoire. Mais, au sujet des points qui ont été déjà fixés, le docteur peut jouer un rôle également utile, soit en les expliquant plus clairement à la foule des fidèles, d'une façon plus ingénieuse aux hommes instruits, soit en les défendant plus fortement contre les adversaires de la foi.

L'interprète catholique doit donc regarder comme un devoir très important et sacré d'expliquer dans le sens fixé les textes de l'Ecriture dont la signification a été indiquée authentiquement soit par les auteurs sacrés, que guidait l'inspiration de l'Esprit-Saint, comme cela a lieu dans beaucoup de passages du Nouveau Testament, soit par l'Eglise, assistée du même Saint-Esprit, et au moyen d'un jugement solennel, ou par son autorité universelle et ordinaire; il lui faut se convaincre que cette interprétation est la seule qu'on puisse approuver d'après les lois d'une saine herméneutique (Conc. Vat. sess. III, cap. ii, De fide).

Sur les autres points, il devra suivre les analogies de la foi et prendre comme modèle la doctrine catholique telle qu'elle est indiquée par l'autorité de l'Eglise. En effet, c'est le même Dieu qui est l'auteur et des Livres sacrés, et de la doctrine dont l'Eglise a le dépôt. Il ne peut donc arriver, assurément, qu'une signification attribuée aux premiers et différant en quoi que ce soit de la seconde, provienne d'une légitime interprétation.

Il résulte évidemment de là qu'on doit rejeter comme insensée et fausse toute explication qui mettrait les auteurs sacrés en contradiction entre eux, ou qui serait opposée à l'enseignement de l'Eglise.

Celui qui professe l'Ecriture Sainte doit aussi mériter cet éloge qu'il possède à fond toute la théologie, qu'il connaît parfaitement les commentaires des saints Pères, des Docteurs et des meilleurs interprètes. Telle est la doctrine de saint Jérôme et de saint Augustin, qui se plaint avec juste raison en ces termes : " Si toute science, quoique peu importante et facile à acquérir, demande, comme c'est évident, à être enseignée par un homme docte, par un maître, quoi de plus orgueilleusement téméraire que de ne pas vouloir connaître les Livres sacrés d'après l'enseignement de leurs interprètes (De util. cred. XVII, 35). " Tel a été aussi le sentiment des autres Pères, qu'ils ont confirmé par des exemples : « Ils expliquaient les Ecritures non d'après leur propre opinion, mais d'après les écrits et l'autorité de leurs prédécesseurs, parce qu'il était évident que ceux-ci avaient reçu pour succession des apôtres les règles pour l'interprétation des Livres sacrés (Rufinus Hist. eccl. II, 9). »

Le témoignage des saints Pères, - « qui après les apôtres ont été pour ainsi dire les jardiniers de la Sainte Eglise, ses constructeurs, ses pasteurs, l'ont nourrie, l'ont fait croître (St Augustin, C. Julian. II, 10, 37) » (Saint Augustin.) - a aussi une grande autorité toutes les fois qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière un texte biblique, comme concernant la foi ou les mœurs : car de leur accord il résulte clairement que selon la doctrine catholique, cette explication est venue telle, par tradition, des apôtres.

L'avis de ces mêmes Pères est aussi digne d'être pris en très grande considération lorsqu'ils traitent des mêmes sujets en tant que docteurs et comme donnant leur opinion particulière; en effet, non seulement leur science de la doctrine révélée et la multitude des connaissances nécessaires pour interpréter les livres apostoliques les recommandent puissamment, mais encore Dieu lui-même a prodigué les secours de ses lumières à ces hommes remarquables par la sainteté de leur vie et par leur zèle pour la vérité.

Que l'interprète sache donc qu'il doit suivre leurs pas avec respect et jouir de leurs travaux par un choix intelligent. Il ne lui faut cependant pas croire que la route lui est fermée, et qu'il ne peut pas, lorsqu'un motif raisonnable existe, aller plus loin dans ses recherches et dans ses explications. Cela lui est permis, pourvu qu'il suive religieusement le sage précepte donné par saint Augustin : « ne s'écarter en rien du sens littéral et comme évident ; à moins qu'il n'ait quelque raison qui l'empêche de s'y attacher ou qui rende nécessaire de l'abandonner (De Gen. ad litt. VIII, 7, 13) ». Cette règle doit être observée avec d'autant plus de fermeté, qu'au milieu d'une si grande ardeur d'innover et d'une telle liberté d'opinions, il existe un plus grave danger de se tromper.

Celui qui enseigne les Ecritures se gardera aussi de négliger le sens allégorique ou analogique attaché par les saints Pères à certaines paroles, surtout lorsque cette signification découle naturellement du sens littéral et s'appuie sur un grand nombre d'autorités.

L'Eglise, en effet, a reçu des apôtres ce mode d'interprétation et l'a approuvé par son exemple, ainsi que cela ressort de la liturgie. Ce n'est pas que les Pères aient prétendu ainsi démontrer par eux-mêmes les dogmes de la foi, mais parce qu'ils ont expérimenté que cette méthode était bonne pour nourrir la vertu et la piété.

L'autorité des autres interprètes catholiques est à la vérité moindre ; cependant, puisque les études bibliques ont fait dans l'Eglise des progrès continus, il faut rendre aux commentaires de ces docteurs l'honneur qui leur est dû ; on peut emprunter à leurs travaux beaucoup d'arguments propres à repousser les attaques et à éclaircir les points difficiles.

Mais ce qui ne convient pas, c'est qu'ignorant ou méprisant les excellents ouvrages que les nôtres nous ont laissés en grand nombre, l'interprète leur préfère les livres des hétérodoxes; qu'au grand péril de la sainte doctrine et trop souvent au détriment de la foi, il y cherche l'explication de passages au sujet desquels les catholiques ont excellemment et depuis longtemps exercé leur talent, multiplié les travaux.

Quoique, en effet, les études des hétérodoxes, sagement utilisées, puissent parfois aider l'interprète catholique, cependant il importe à celui-ci de se souvenir que, d'après des preuves nombreuses empruntées aussi aux anciens (Cf. Clément d'Alexandrie, Strom. VII, 16 ; Origène De princ. IV, 8 ; In lec. hom. 4, 8 ; Tertullien, De praes. 15 ; St Hilaire Pict. in Matt. XIII, 1), le sens non défiguré des Saintes Lettres ne se trouve nulle part en dehors de l'Eglise et ne peut être donné par ceux qui, privés de la vraie foi, ne parviennent pas jusqu'à la moelle des Écritures, mais en rongent seulement l'écorce (2).

Il est surtout très désirable et très nécessaire que la pratique de la divine Ecriture se répande à travers toute la théologie et en devienne pour ainsi dire l'âme: telle a été, à toutes les époques, la doctrine de tous les Pères et des plus remarquables théologiens, doctrine qu'ils ont appuyée par leur exemple. Ils se sont appliqués à établir et à affermir sur les Livres Saints toutes les vérités qui sont l'objet de la foi, et celles qui en découlent; c'est de ces livres sacrés, comme aussi de la tradition divine, qu'ils se sont servis, afin de réfuter les nouvelles inventions des hérétiques, de trouver la raison d'être, l'explication, la liaison des dogmes catholiques.

Il n'y a rien là d'étonnant pour celui qui réfléchit à la place si considérable qu'occupent les Saints Livres parmi les sources de la révélation divine: c'est à ce point que, sans l'étude et l'usage quotidien de ceux-ci, la théologie ne pourrait être traitée d'une façon convenable et digne d'une telle science. Sans doute, il est bon que les jeunes gens, dans les universités et les Séminaires, soient exercés surtout à acquérir l'intelligence et la science des dogmes et que, partant des articles de la foi, ils en tirent les conséquences, par une argumentation établie selon les règles d'une philosophie éprouvée et solide. Cependant, le théologien sérieux et instruit ne doit pas négliger l'interprétation des dogmes, appuyée sur l'autorité de la Bible.

La théologie, en effet, ne tire pas ses principes des autres sciences, mais immédiatement de Dieu par la révélation. Et aussi, elle ne reçoit rien de ces sciences, comme lui étant supérieures, mais elle les emploie comme étant ses inférieures et ses servantes. ( St Grégoire le Grand, Moral. XX, 9 (al. 11)).

Cette méthode d'enseignement de la science sacrée est indiquée et recommandée par le Prince des théologiens, saint Thomas d'Aquin (Summ. theol. p. I, q. I, a. 5, ad 2). Celui-ci, en outre, a montré comment le théologien, comprenant bien le caractère de la science qu'il cultive, peut défendre ses principes, si quelqu'un les attaque: « En argumentant, si l'adversaire accorde quelques-unes des vérités qui nous sont données par la révélation. C'est ainsi qu'au moyen de l'autorité de la Sainte Ecriture, nous discutons contre les hérétiques, et au moyen d'un article de foi contre ceux qui en nient un autre. Au contraire, si l'adversaire ne croit rien de ce qui est divinement révélé, il ne reste plus à lui prouver les articles de foi par des raisonnements, mais à renverser ses raisonnements, s'il en fait contre la foi (Ibid. a. 8). »

Nous devons donc avoir soin que les jeunes gens marchent au combat convenablement instruits des sciences bibliques, pour ne pas qu'ils frustrent nos légitimes espérances, ni, ce qui serait plus grave, qu'ils courent sans y prendre garde le péril de tomber dans l'erreur, trompés par les fausses promesses des rationalistes et par le fantôme d'une érudition toute extérieure.

Or, ils seront parfaitement prêts à la lutte, si, d'après la méthode que Nous-même leur avons indiquée et prescrite, ils cultivent religieusement et approfondissent l'étude de la philosophie et de la théologie, sous la conduite du même saint Thomas. Ainsi ils feront de grands et sûrs progrès, tant dans les sciences bibliques que dans la partie de la théologie appelée positive.

Avoir prouvé la vérité de la doctrine catholique, avoir expliqué et éclairci cette doctrine grâce à une interprétation légitime et savante de la Bible, c'est beaucoup, certes : il reste cependant un autre point à établir, aussi important que le travail nécessaire pour y parvenir est considérable, afin que l'autorité complète des Ecritures soit démontrée aussi solidement que possible.

Ce but ne pourra être atteint d'une façon pleine et entière que par le magistère propre et toujours subsistant de l'Eglise, qui « par elle-même, à cause de son admirable diffusion, de son éminente sainteté, de sa fécondité inépuisable en toutes sortes de biens, de son unité catholique, de sa stabilité invincible, est un grand et perpétuel motif de crédibilité, et une preuve irréfragable de sa divine mission ». (Conc. Vat. sess. III, c. III, De fide)

Mais puisque ce divin et infaillible magistère de l'Eglise repose sur l'autorité de la Sainte Ecriture, il faut donc tout d'abord affirmer et revendiquer la croyance au moins humaine à celle-ci. De ces livres, en effet, comme des témoins les plus éprouvés de l'antiquité, la divinité et la mission du Christ-Dieu, l'institution de la hiérarchie de l'Eglise, la primauté conférée à Pierre et à ses successeurs, seront mises en évidence et sûrement établies.

Dans ce but, il sera très avantageux que plusieurs hommes appartenant aux Ordres sacrés combattent sur ce point pour la foi et repoussent les attaques des ennemis, que surtout ces hommes soient revêtus de l'armure de Dieu, suivant le conseil de l'Apôtre (Eph. VI, 13-17), et accoutumés aux combats et aux nouvelles armes employées par leurs adversaires. C'est là un des devoirs des prêtres, et saint Chrysostome l'établit en termes magnifiques : « Il faut employer un grand zèle, afin que la parole de Dieu habite abondamment en nous (Col. III, 16); nous ne devons pas, en effet, être prêts pour un seul genre de combat, variée est la guerre, multiples sont les ennemis; ils ne se servent pas tous des mêmes armes, et ce n'est pas d'une façon uniforme, qu'ils se proposent de lutter avec nous. »

« Il est donc besoin que celui qui doit se mesurer avec tous connaisse les manœuvres et les procédés de tous, que le même manie les flèches et la fronde, qu'il soit tribun et chef de cohorte, général et soldat, fantassin et cavalier, apte à lutter sur mer et à renverser les remparts. Si le défenseur ne connaît pas, en effet, toutes les manières de combattre, le diable sait faire entrer ses ravisseurs par un seul côté, au cas où un seul est laissé sans garde, et enlever les brebis. » (De sacerdotio IV, 4)

Nous avons décrit plus haut les ruses des ennemis et les multiples moyens qu'ils emploient dans l'attaque : indiquons maintenant les procédés qu'on doit utiliser pour la défense.

C'est d'abord l'étude des anciennes langues orientales, et en même temps de la science que l'on appelle critique. Ces deux genres de connaissances sont aujourd'hui fort appréciés et fort estimés ; le clerc qui les possédera d'une façon plus ou moins étendue, suivant les pays où il se trouvera et les hommes avec lesquels il sera en rapport, pourra mieux soutenir sa dignité et remplir sa charge. Le ministre de Dieu doit, en effet, « se faire tout à tous (I Cor. IX, 22) », « être toujours prêt à satisfaire celui qui lui demande la raison de l'espérance qu'il a en lui-même » (I Pierre III, 15).

Il est donc nécessaire aux professeurs d'Ecriture Sainte, et il convient aux théologiens de connaître les langues dans lesquelles les livres canoniques ont été primitivement écrits par les auteurs sacrés; il serait de même excellent que les élèves ecclésiastiques cultivent ces langues, ceux surtout qui se destinent aux grades académiques pour la théologie.

On doit aussi avoir soin que dans toutes les académies soient établies, comme cela a déjà eu lieu avec raison pour beaucoup d'entre elles, des chaires où seront enseignées les langues anciennes, surtout les langues sémitiques et les rapports de la science avec celles-ci. Ces cours seront en première ligne à l'usage des jeunes gens désignés pour l'étude des Saintes Lettres.

 

Il importe que ces mêmes professeurs d'Ecriture Sainte, pour la même raison, soient instruits et exercés dans la science de la vraie critique : par malheur, en effet, et pour le grand dommage de la religion, a paru un système qui se pare du nom honorable de « haute critique », et dont les disciples affirment que l'origine, l'intégrité, l'autorité de tout livre ressortent, comme ils disent, des seuls caractères intrinsèques. Au contraire, il est évident que lorsqu'il s'agit d'une question historique, de l'origine et de la conservation de n'importe quel ouvrage, les témoignages historiques ont plus de valeur que tous les autres, que ce sont ceux-ci qu'il faut rechercher et examiner avec le plus de soin.

Quant aux caractères intrinsèques, ils sont la plupart du temps bien moins importants, de telle sorte qu'on ne peut guère les invoquer que pour confirmer la thèse. Si l'on agit autrement, il en résultera de grands inconvénients.

En effet, les ennemis de la religion en conserveront plus de confiance pour attaquer et battre en brèche l'authenticité des Livres sacrés; cette sorte de haute critique que l'on exalte arrivera enfin à ce résultat que chacun, dans l'interprétation, s'attachera à ses goûts et à une opinion préjudicielle. Ainsi, la lumière cherchée au sujet des Ecritures ne se fera pas, et aucun avantage n'en résultera pour la science, mais on verra se manifester avec évidence ce caractère de l'erreur qui est la variété et la dissemblance des opinions. Déjà la conduite des chefs de cette nouvelle science le prouve.

En outre, comme la plupart d'entre eux sont imbus des maximes d'une vaine philosophie et du rationalisme, ils ne craindront pas d'écarter des Saints Livres les prophéties, les miracles, tous les autres faits qui surpassent l'ordre naturel. L'interprète devra lutter en second lieu contre ceux qui, abusés par leur connaissance des sciences physiques, suivent pas à pas les auteurs sacrés afin de pouvoir opposer l'ignorance que ceux-ci ont de tels faits et rabaisser leurs écrits par ce motif.

Comme ces griefs portent sur des objets sensibles, ils sont d'autant plus dangereux lorsqu'ils se répandent dans la foule, surtout parmi la jeunesse adonnée aux lettres; dès que celle-ci aura perdu sur quelque point le respect de la révélation divine, sa foi, relativement à tous les autres, ne tardera pas à s'évanouir.

Or, il est trop évident, qu'autant les sciences naturelles sont propres à manifester la gloire du Créateur gravée dans les objets terrestres, pourvu qu'elles soient convenablement enseignées, autant elles sont capables d'arracher de l'esprit les principes d'une saine philosophie et de corrompre les mœurs lorsqu'elles sont introduites avec des intentions perverses dans de jeunes esprits.

Aussi la connaissance des faits naturels sera-t-elle un secours efficace pour celui qui enseignera l'Ecriture Sainte ; grâce à elle, en effet, il pourra plus facilement découvrir et réfuter les sophismes de toutes sortes dirigés contre les Livres sacrés.

Aucun désaccord réel ne peut certes exister entre la théologie et la physique, pourvu que toutes deux se maintiennent dans leurs limites, prennent garde, suivant la parole de saint Augustin, « de ne rien affirmer au hasard et de ne pas prendre l'inconnu pour le connu » (In Gen. op. imperf. IX, 30).

Si cependant elles sont en dissentiment sur un point, que doit faire le théologien ? - Suivre la règle sommairement indiquée par le même docteur. « Quant à tout ce que nos adversaires pourront nous démontrer au sujet de la nature, en s'appuyant sur de véritables preuves, prouvons-leur qu'il n'y a rien de contraire à ces faits dans nos Saintes Lettres. Mais pour ce qu'ils tireront de certains de leurs livres, et qu'ils invoqueront comme étant en contradiction avec ces Saintes Lettres, c'est-à-dire avec la foi catholique, montrons-leur qu'il s'agit d'hypothèses, ou que nous ne doutons nullement de la fausseté de ces affirmations (De Gen. ad litt., I, 21, 41). »

Pour bien nous pénétrer de la justesse de cette règle, considérons d'abord que les écrivains sacrés, ou plus exactement " l'esprit de Dieu, qui parlait par leur bouche, n'a pas voulu enseigner aux hommes ces vérités concernant la constitution intime des objets visibles, parce qu'elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut " ( St Augustin, Ibid. 9, 20).

Aussi ces auteurs, sans s'attacher à bien observer la nature, décrivent quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de métaphore, ou comme le comportait le langage usité à cette époque, il en est encore ainsi aujourd'hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus savants. Dans le langage vulgaire, on désigne d'abord et par le mot propre les objets qui tombent sous les sens; l'écrivain sacré (et le Docteur angélique nous en avertit) s'est de même attaché aux caractères sensibles (Summa theol. p. I, q. LXXX, a. 1, ad 3), c'est-à-dire à ceux que Dieu lui-même, s'adressant aux hommes, a indiqués suivant la coutume des hommes, pour être compris d'eux.

Mais, de ce qu'il faut défendre vigoureusement l'Ecriture Sainte, il ne résulte pas qu'il soit nécessaire de conserver également tous les sens que chacun des Pères ou des interprètes qui leur ont succédé a employés pour expliquer ces mêmes Écritures. Ceux-ci, en effet, étant données les opinions en cours à leur époque, n'ont peut-être pas toujours jugé d'après la vérité au point de ne pas émettre certains principes qui ne sont maintenant rien moins que prouvés.

Il faut donc distinguer avec soin dans leurs explications ce qu'ils donnent comme concernant la foi ou comme lié avec elle, ce qu'ils affirment d'un commun accord. En effet, pour ce qui n'est pas de l'essence de la foi, les saints ont pu avoir des avis différents, ainsi que nous-mêmes ; telle est la doctrine de saint Thomas (In sent. II, Dist. q. i, a. 3).

Celui-ci, dans un autre passage, s'exprime avec beaucoup de sagesse en ces termes : « Pour ce qui concerne les opinions que les philosophes ont communément professées et qui ne sont pas contraires à notre foi, il me semble qu'il est plus sûr de ne pas les affirmer comme des dogmes, bien que quelquefois elles soient introduites dans le raisonnement au nom de ces philosophes, et de ne pas les noter comme contraires à la foi, pour ne pas fournir aux sages de ce monde l'occasion de mépriser notre doctrine (Opusc. X). »

D'ailleurs, quoique l'interprète doive montrer que rien ne contredit l'Ecriture bien expliquée, dans les vérités, que ceux qui étudient les sciences physiques donnent comme certaines et appuyées sur de fermes arguments, il ne doit pas oublier que parfois plusieurs de ces vérités, données aussi comme certaines, ont été ensuite mises en doute et laissées de côté. Que si les écrivains, qui traitent des faits physiques, franchissant les limites assignées aux sciences dont ils s'occupent, s'avancent sur le terrain de la philosophie en émettant des opinions nuisibles, le théologien peut faire appel aux philosophes pour réfuter celles-ci.

Nous voulons maintenant appliquer cette doctrine aux sciences du même genre et notamment à l'histoire. On doit s'affliger, en effet, de ce que beaucoup d'hommes qui étudient à fond les monuments de l'antiquité, les mœurs et les institutions des peuples, et se livrent à ce sujet à de grands travaux, ont trop souvent pour but de trouver des erreurs dans les Livres Saints, afin d'infirmer et d'ébranler complètement l'autorité des Écritures.

Quelques-uns agissent ainsi avec des dispositions vraiment trop hostiles, et jugent d'une façon qui n'est pas assez impartiale. Ils ont tant de confiance dans les livres profanes et dans les documents du passé, qu'ils les invoquent comme s'il ne pouvait exister à ce sujet aucun soupçon d'erreur, tandis qu'ils refusent toute créance aux Livres sacrés, à la moindre, à la plus vaine apparence d'inexactitude, et ce même sans aucune discussion.

A la vérité, il peut se faire que certains passages, dans l'impression des diverses éditions, ne se trouvent pas reproduits d'une façon absolument juste. C'est ce qui doit être étudié avec soin, ce qui ne doit pas être admis facilement, excepté sur les points pour lesquels le fait a été convenablement prouvé.

Il peut arriver aussi que le sens de quelques phrases demeure douteux; pour le déterminer, les règles de l'interprétation seront d'un grand secours ; mais il serait absolument funeste soit de limiter l'inspiration à quelques parties des Ecritures, soit d'accorder que l'auteur sacré lui-même s'est trompé.

On ne peut non plus tolérer la méthode de ceux qui se délivrent de ces difficultés en n'hésitant pas à accorder que l'inspiration divine ne s'étend qu'aux vérités concernant la foi et les mœurs, et à rien de plus. Ils pensent à tort que, lorsqu'il s'agit de la vérité des avis, il ne faut pas rechercher surtout ce qu'a dit Dieu, mais examiner plutôt le motif pour lequel il a parlé ainsi.

En effet, tous les livres entiers que l'Eglise a reçus comme sacrés et canoniques dans toutes leurs parties, ont été écrits sous la dictée de l'Esprit-Saint. Tant s'en faut qu'aucune erreur puisse s'attacher à l'inspiration divine, que non seulement celle-ci par elle-même exclut toute erreur, mais encore l'exclut et y répugne aussi nécessairement que nécessairement Dieu, souveraine vérité, ne peut être l'auteur d'aucune erreur.

Telle est la croyance antique et constante de l'Eglise, définie solennellement par les Conciles de Florence et de Trente, confirmée enfin et plus expressément exposée dans le Concile du Vatican, qui a porté ce décret absolu : « Les livres entiers de l'Ancien et du Nouveau Testament, dans toutes leurs parties, tels qu'ils sont énumérés par le décret du même Concile de Trente, et tels qu'ils sont contenus dans l'ancienne édition vulgate en latin, doivent être regardés comme sacrés et canoniques. L'Eglise les tient pour sacrés et canoniques non parce que, rédigés par la seule science humaine, ils ont été ensuite approuvés par l'autorité de ladite Eglise; non parce que seulement ils renferment la vérité sans erreur, mais parce que, écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur (Sess. III, cap. II, De Revel.). »

On ne doit donc presque en rien se préoccuper de ce que l'Esprit-Saint ait pris des hommes comme des instruments pour écrire, comme si quelque opinion fausse pouvait être émise non pas certes par le premier auteur, mais par les écrivains inspirés. En effet, lui-même les a, par sa vertu, excités à écrire, lui-même les a assistés tandis qu'ils écrivaient, de telle sorte qu'ils concevaient exactement, qu'ils voulaient rapporter fidèlement et qu'ils exprimaient avec une vérité infaillible tout ce qu'il leur ordonnait et seulement ce qu'il leur ordonnait d'écrire.

Tel a été toujours le sentiment des saints Pères. « Aussi, dit saint Augustin, puisque ceux-ci ont écrit ce que l'Esprit-Saint leur a montré et leur a enjoint d'écrire, on ne doit pas dire que lui-même n'a pas écrit; ceux-ci, comme les membres, ont mis en œuvre ce que la tête leur dictait (De consensu Evangel. I, 35). » Saint Grégoire le Grand s'exprime encore en ces termes: « Il est bien superflu de chercher qui a écrit ces livres puisqu'on croit fermement que l'auteur en est l'Esprit-Saint. Celui-là, en effet, a écrit qui a dicté ce qu'il fallait écrire: celui-là a écrit qui a inspiré l'œuvre. » (Praef. in Job, n. 2)

Il suit de là que ceux qui pensent que, dans les passages authentiques des Livres Saints, peut être renfermée quelque idée fausse, ceux-là assurément ou pervertissent la doctrine catholique, ou font de Dieu lui-même l'auteur d'une erreur. Tous les Pères et tous les docteurs ont été si fermement persuadés que les Lettres divines, telles qu'elles nous ont été livrées par les écrivains sacrés, sont exemptes de toute erreur, qu'ils se sont appliqués, avec beaucoup d'ingéniosité et religieusement, à faire concorder entre eux et à concilier les nombreux passages qui semblaient présenter quelque contradiction ou quelque divergence. (Et ce sont presque les mêmes qu'au nom de la science nouvelle, on nous oppose aujourd'hui)

Les docteurs ont été unanimes à croire que ces Livres, et dans leur ensemble et dans leurs parties, sont également d'inspiration divine, que Dieu lui-même a parlé par les auteurs sacrés, et qu'il n'a rien pu énoncer d'opposé à la vérité.

On doit appliquer ici d'une façon générale les paroles que le même saint Augustin écrivait à saint Jérôme : « Je l'avoue, en effet, à ta charité, j'ai appris à accorder aux seuls livres des Ecritures, que l'on appelle maintenant canoniques, cette révérence et cet honneur de croire très fermement qu'aucun de leurs auteurs n'a pu commettre une erreur en les écrivant. Et si je trouvais dans ces Saintes Lettres quelque passage qui me parût contraire à la vérité, je n'hésiterais pas à affirmer ou que le manuscrit est défectueux ou que l'interprète n'a pas suivi exactement le texte, ou que je ne comprends pas bien (Ep. LXXXII, 1, et alibi). »

Mais lutter pleinement et parfaitement au moyen des sciences les plus importantes pour établir la sainteté de la Bible, c'est là beaucoup plus, certes, qu'il n'est juste d'attendre de la seule érudition des théologiens. Il est donc désirable qu'ils se proposent le même but et s'efforcent de l'atteindre, les catholiques ayant acquis quelque autorité dans les sciences étrangères. Si la gloire que donnent de tels talents, n'a jamais manqué à l'Eglise, grâce à un bienfait de Dieu, certes elle ne lui fait pas non plus défaut maintenant. Puisse cette gloire aller toujours croissant pour l'appui de la foi.

En outre, la haine de nos défenseurs s'évanouira facilement, ou du moins, ils n'oseront plus affirmer avec tant d'assurance que la foi est ennemie de la science, lorsqu'ils verront des hommes doctes rendre à cette foi le plus grand honneur, avoir pour elle un vif respect.

Puisque ceux-là peuvent tant pour la religion, auxquels la Providence a libéralement donné un heureux talent et la grâce de professer la religion catholique, il faut qu'au milieu de cette lutte violente à laquelle donnent lieu les sciences qui touchent en quelque façon à la foi, chacun d'eux choisisse un groupe d'études approprié à son intelligence, s'applique à y exceller, et repousse, non sans gloire, les traits dirigés contre les Saintes Ecritures par une science impie.

Il Nous est doux de louer ici la conduite de certains catholiques qui, afin que les savants puissent se livrer à de telles études et les faire progresser, leur fournissent des secours de toutes sortes, formant des associations auxquelles ils donnent généreusement des sommes abondantes.

C'est là un emploi de la fortune tout à fait excellent et bien approprié aux nécessités de l'époque. Moins, en effet, les catholiques doivent attendre de secours de l'Etat pour leurs études, et plus il convient que la libéralité privée se montre prompte et abondante; plus il importe que ceux auxquels Dieu a donné des richesses, les consacrent à la conservation du trésor de la vérité révélée.

Mais, pour que de tels travaux profitent vraiment aux sciences bibliques, les hommes doctes doivent s'appuyer sur les principes que nous avons indiqués plus haut. Ils doivent retenir fidèlement que Dieu, créateur et maître de toutes choses, est, en même temps, l'auteur des Ecritures; rien donc ne peut se trouver dans la nature, rien parmi les monuments de l'histoire, qui soit réellement en désaccord avec celles-ci.

S'il semble y avoir quelque contradiction sur un point, il faut s'appliquer à la faire disparaître, tantôt en recourant au sage jugement des théologiens et des interprètes, pour montrer ce qu'a de vrai et de vraisemblable le passage au sujet duquel on discute, tantôt en pesant avec soin les arguments qu'on y oppose. On ne doit pas perdre pied, même lorsqu'il réside quelque apparence de vérité dans l'opinion contraire; en effet, puisque le vrai ne peut en aucune façon contredire le vrai, on peut être certain qu'une erreur s'est glissée soit dans l'interprétation des paroles sacrées, soit dans une autre partie de la discussion; et si l'on n'aperçoit pas assez clairement l'une de ces deux fautes, il faut attendre avant de définir le sens du texte.

De très nombreuses objections, en effet, empruntées à toutes les sciences, se sont élevées pendant longtemps et en foule contre les Ecritures, et se sont entièrement évanouies comme étant sans valeur.

De même, au cours de l'interprétation, de nombreuses explications ont été proposées au sujet de certains passages des Ecritures ne concernant ni la foi ni les mœurs, qu'une étude approfondie a permis depuis de comprendre d'une façon plus juste et plus claire. En effet, le temps détruit les opinions et les inventions nouvelles, mais la vérité demeure à jamais (1).

Aussi, comme personne ne peut se flatter de comprendre toute l'Ecriture, au sujet de laquelle saint Augustin, il l'avouait lui-même, « ignorait plus qu'il ne savait » (Ad Iamar. ep. LV, 21), que chacun, s'il rencontre un passage trop difficile pour pouvoir l'expliquer, ait la prudence et la patience demandées par ce même docteur : « Il vaut mieux, dit celui-ci, être chargé de signes ignorés mais utiles, que d'envelopper, en les interprétant inutilement, sa tête dans un filet d'erreurs, après l'avoir délivrée du joug de la soumission. » ( De doct. chr. III, 9, 18)

Si Nos conseils et Nos ordres sont suivis honnêtement et sagement par les hommes qui se livrent à ces études subsidiaires, si dans leurs écrits, dans leur enseignement, dans leurs travaux, ils se proposent de réfuter les ennemis de la vérité, de prévenir chez les jeunes gens la perte de la foi, alors enfin ils pourront se réjouir de servir véritablement l'intérêt des Saintes Lettres, d'apporter à la religion catholique un appui tel que l'Eglise l'attend à bon droit de la piété et de la science de ses fils.

Voilà, Vénérables Frères, les avertissements et les préceptes qu'inspiré par Dieu, Nous avons résolu de vous donner en cette occasion, relativement à l'étude de l'Ecriture Sainte. Il vous appartient maintenant de veiller à ce qu'ils soient observés avec le respect qui convient, de telle sorte que la reconnaissance due à Dieu pour avoir communiqué au genre humain les paroles de sa sagesse se manifeste de plus en plus, de telle sorte aussi que cette étude produise les fruits abondants que Nous souhaitons, surtout dans l'intérêt de la jeunesse destinée au ministère sacré qui est Notre vif souci et l'espoir de l'Eglise.

Employez avec ardeur votre autorité et multipliez vos exhortations, afin que ces études demeurent en honneur et prospèrent dans les Séminaires et dans les Universités qui dépendent de votre juridiction. Qu'elles y fleurissent purement et d'une façon heureuse, sous la direction de l'Eglise, suivant les salutaires enseignements et les exemples des saints Pères, suivant l'usage de nos ancêtres ; qu'elles fassent dans le cours des temps, de tels progrès qu'elles soient vraiment l'appui et la gloire de la vérité catholique, et un don divin pour le salut éternel des peuples.

Nous avertissons enfin avec un paternel amour, tous les disciples et tous les ministres de l'Eglise, de cultiver les Saintes Lettres avec un respect et une piété très vifs. Leur intelligence, en effet, ne peut s'ouvrir d'une façon salutaire, comme il importe, s'ils n'éloignent l'arrogance de la science terrestre, et s'ils n'entreprennent avec ardeur l'étude de « cette sagesse qui vient d'en haut ». Une fois initié à cette science, éclairé et fort, lié par elle, leur esprit aura une puissance étonnante même pour reconnaître et éviter les erreurs de la science humaine, cueillir ses fruits solides et les rapporter aux intérêts éternels. L'âme tendra ainsi avec plus d'ardeur vers les avantages de la vertu et sera plus vivement animée de l'amour divin. « Heureux ceux qui scrutent ses témoignages, qui les recherchent de tout leur cœur ! » ( Ps. XVIII, 2 ) Et maintenant, Nous appuyant sur l'espérance du secours divin et plein de confiance en votre zèle pastoral, Nous accordons, bien volontiers en Dieu, comme gage des faveurs célestes et comme témoignage de Notre particulière bienveillance, la bénédiction apostolique, à vous tous, à tout le clergé, au peuple confié à chacun de vous.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 18 novembre de l'année 1893, de Notre Pontificat la seizième.

LÉON XIII