dimanche 24 mai 2020

Maxime Leblanc - Nouvelle réponse à Jean-Claude Dupuis (2)

Suite à mon article ici, j’ai reçu une réponse de M. Jean-Claude Dupuis et pour être honnête je suis plutôt déçu. Je m’attendais à une réponse beaucoup plus profonde venant d’un historien ayant plusieurs années d’expérience. Étrangement, j’ai l’impression de lire un article qui avait paru dans l’Ami de la religion, un journal gallican qui est devenu un organe du « catholicisme » libéral. Il y a aussi des raccourcis décoiffants. Certes, il faudrait laisser une chance, à notre historien qui a l’insulte facile, de se reprendre.

D’abord M. Dupuis nous invite par honnêteté intellectuelle de publier sa réponse, ce qui sera fait. A-t-il été honnête intellectuellement de son côté? A-t-il employé cette médecine avec sa réponse? Médecin guérit-toi, toi-même. Il a relevé ici deux pages de citations qui semblent problématiques de toutes les œuvres de Mgr Gaume qui compte plus ou moins 80 livres. 

Ensuite, je laisse ma réponse au bas des commentaires de M. Dupuis.


RÉPONSE DE JEAN-CLAUDE DUPUIS :

Voici ma réponse en pièce jointe. Je vous invite à la publier sur votre blog par honnêteté intellectuelle. Vous avez le droit de ne pas être d'accord avec moi, mais je vous saurais gré de ne pas m'insulter en disant que je n'ai pas lu les auteurs dont je parle. 

Mgr Gaume écrivait dans son ouvrage Du catholicisme dans l’éducation (édition 1884) :

Au risque d’être taxé de novateur [oui, Mgr Gaume était un « novateur » par rapport à la tradition pédagogique de l’Église], exprimons encore une autre pensée, que nous nous empressons de mettre sous le patronage de deux noms célèbres [Eckstein et Ballanche : deux gnostiques]. Toute l’activité du monde savant se concentre aujourd’hui sur l’Orient (…) Initier la jeunesse à la connaissance des langues de l’antique Orient [allusion au sanskrit pour ceux qui savent lire entre les lignes] telle est la tâche sacrée [le « sacré » touche à la religion] que les circonstances lui imposent (…) Écoutons là-dessus un homme dont la voix n’est que l’écho de l’Allemagne savante [la « science » allemande du XIXe siècle était obnubilée par l’Inde, ce qui a conduit au nazisme] : « L’étude de la poésie, de la philosophie, de la tradition religieuse de l’Orient, dit M. le baron d’Eckstein, fera comprendre d’une manière plus vaste la littérature classique. Cette étude répandra une lumière inattendue sur les écrits de Moïse et des prophètes. (…) Plus les livres religieux des Perses et des Indiens nous seront connus, plus s’affermiront les bases de notre foi, à la vérité desquelles ces écrits apportent de magnifiques témoignages. [Étudier la Bible à l’aide des Védas?] (…)

Voici maintenant un autre philosophe non moins profond, et dont les paroles sont encore plus explicites sur le sujet qui nous occupe : « Il est impossible, dit M. Ballanche, de se le dissimuler plus longtemps : les études littéraires doivent prendre une direction nouvelle, être assises sur d’autres fondements... La langue latine n’a plus rien à nous apprendre (…). Bannissons donc dès à présent le latin de la première éducation. [Mgr Gaume précise en note qu’il trouve cette affirmation trop absolue, mais qu’il est d’accord pour dire que le latin et le grec doivent occuper une place secondaire dans l’éducation, la première place revenant aux langues orientales.] Le temps est venu de commencer à introduire dans les premiers rudiments de l’éducation l’étude des langues orientales : de se former de nouvelles traditions littéraires. (…) Je le répète, le latin est épuisé, le grec le sera tout à l’heure... Les langues orientales contiennent des trésors que nous commençons à peine à soupçonner … » 
[Je pourrais appuyer mes autres affirmations sur Mgr Gaume par des citations, mais je vous invite plutôt à lire directement l’ouvrage, qui ne « sonne pas très catholique ». Bien des gens étaient mélangés au XIXe siècle, comme de nos jours d’ailleurs.] 

Voici donc ma réponse :

Dans un précédent courriel, j’ai posé des questions claires qui méritaient des réponses claires. J’ai obtenu des citations de deux auteurs que Mgr Gaume prenait pour référence, qui ne prouvent rien aux accusations qui sont portées contre lui.

Étrangement, j’ai trouvé de grandes similitudes entre l’article de M. Dupuis et la critique du livre Du catholicisme dans l’éducation parue dans l’Ami de la religion. Je rappelle que ce journal est un organe libéral. Est-ce la source où M. Dupuis a puisé? Révélateur? Par honnêteté intellectuelle, une des bases primordiales d’un historien est de citer ses sources. Avec la méthode de critique sur des citations nous pourrions rendre plusieurs personnages le contraire total de ce qu’ils sont. Par exemple, un auteur anticommuniste pourrait « devenir » un communiste par les simples citations qu’il met pour exprimer une idée ce qui n’équivaut guère à le cautionner. Honnêteté intellectuelle?

Je mets les pages de la critique parue dans le journal ainsi que la réponse de Mgr Gaume.














Maintenant, je répondrais aux commentaires laissés par M. Dupuis : 

« la « science » allemande du XIXe siècle était obnubilée par l’Inde, ce qui a conduit au nazisme »

Il y a tout un raccourci ici, c’est un commentaire complètement inutile qui n’a aucun lien avec Mgr Gaume.

« Mgr Gaume précise en note qu’il trouve cette affirmation trop absolue, mais qu’il est d’accord pour dire que le latin et le grec doivent occuper une place secondaire dans l’éducation, la première place revenant aux langues orientales. »

Voici la note de bas de pages du livre Du catholicisme dans l’éducation au complet de Mgr Gaume :

« Ce précepte de M. Ballanche nous paraît trop absolu : le latin est la langue de l’Église catholique; il doit tenir dans l’éducation des jeunes chrétiens une place proportionnée à l’importance des vérités qu’il est chargé de transmettre. »

Ai-je besoin d’en dire plus? Honnêteté intellectuelle?

L’autre note de bas de page qui ne doit pas être mêlée avec celle ci-dessus :

« M. Ballanche veut dire, sans doute, que le grec ne devra plus occuper qu’un rang très-secondaire dans la première éducation, et nous sommes tout-à-fait de son avis. »

J’aimerais bien savoir où Mgr Gaume a-t-il dit que la première place revenait aux langues orientales. Honnêteté intellectuelle?

N’oublions surtout pas que Mgr Gaume a publié une trentaine de livres d’auteurs chrétiens latins et grecs aux éditions Gaume et frères.

Je continue ?

Voici un Bref de Grégoire XVI donné à Mgr Gaume en 1842. Souvenons-nous que Mgr Gaume a écrit Du Catholicisme dans l’éducation en 1835.

BREF À MONSEIGNEUR GAUME
GREGOIRE XVI, PAPE
A NOTRE CHER FILS J. GAUME, PRÊTRE, CHANOINE DE L’EGLISE CATHÉDRALE DE NEVERS

Cher Fils, salut et bénédiction apostolique.

C'est pour Nous un bonheur et une coutume de décerner des éloges, des récompenses honorables et des témoignages de Notre bienveillance Pontificale, surtout aux ecclésiastiques qui, distingués par le talent et la vertu, professent un attachement inébranlable pour cette Chaire de Pierre, et mettent toute leur gloire à bien mériter de la Religion catholique. C'est pourquoi, sachant d'une manière certaine qu'étant orné des plus belles qualités de l'esprit et du cœur, et recommandable par une piété, une intégrité de vie et une gravité de mœurs connues de tous, vous n'omettez ni soin, ni travail, ni effort pour procurer le bien de la religion catholique à laquelle les ouvrages que vous avez publiés n'ont pas rendu un médiocre service, et que vous professez pour Nous et pour ce siège Apostolique un dévouement et une vénération singulière : pour toutes ces causes, Nous avons jugé convenable de vous donner une preuve de Notre bienveillance à votre égard. Voulant donc vous honorer d'un honneur particulier, après vous avoir absous, à cette fin seulement, et vous déclarant absous de toute excommunication, suspense, interdit et autres censures ecclésiastiques, sentences et peines portées, de quelque manière et pour quelque cause que ce soit, si par hasard vous en aviez encouru quelqu'une, en vertu de Notre Autorité Apostolique, Nous vous créons et nommons, par les présentes Lettres, chevalier de l'Ordre de la Milice Dorée, dernièrement restauré par nous et environné d'un nouvel éclat ; Nous vous associons à cet ordre, et vous mettons au rang et au nombre des Chevaliers qui le composent. En conséquence, Nous vous accordons et octroyons de porter la croix de l'Ordre, d'user et de jouir de tous et de chacun des privilèges, prérogatives, faveurs, dont usent et jouissent les autres Chevaliers du même ordre, ou dont ils peuvent et pourront user et jouir, sauf les facultés supprimées par le Concile de Trente, approuvé par l'autorité de ce Siège Apostolique : nonobstant les constitutions et décrets apostoliques et autres dispositions contraires, quelles qu'elles soient. Or, Nous voulons que vous portiez l'insigne de l’Ordre, c'est-à-dire la Croix d'or octangulaire, ayant au milieu, sur un champ émaillé d'argent, l'image du Souverain Pontife saint Sylvestre, suspendue à la poitrine avec un ruban rouge et noir, liséré de rouge, sur la partie gauche de l'habit, suivant l'usage ordinaire des Chevaliers, et d'après la forme prescrite par Nos Lettres Apostoliques, en date du 31 octobre de l'an 1841, concernant le même ordre ; autrement vous perdriez les privilèges de cet indult. Et afin que vous connaissiez de plus en plus Notre bienveillance à votre égard, Nous avons ordonné que la Croix elle-même vous fût remise de Notre part.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 29 mars de l'an 1842, et de notre Pontificat le douzième.

A. Gard. LAMBRUSCHINI.

« Bien des gens étaient mélangés au XIXe siècle, comme de nos jours d’ailleurs. »

Si des gens étaient « mélangés » comme vous dites, et vous incluez Mgr Gaume, dois-je comprendre que les Papes qui lui ont attribué des Brefs étaient mélangés aussi? C’est déjà une grande grâce de recevoir un seul bref, imaginez en recevoir 6 comme Mgr Gaume, celui que vous dites écrire une œuvre qui  « ne sonne pas très catholique ». Où est la condamnation de ce livre? 

Mgr Gaume allait porter lui-même à la Congrégation de l’Index ses ouvrages traitant de la question des classiques. À ce que je sache, aucun de ses livres ne s’est retrouvé à l’Index, mais il a plutôt reçu des Brefs d’approbation, une décoration et ensuite nommé protonotaire apostolique.

Était-il si mélangé que le prétend M. Dupuis? Honnêteté intellectuelle?

Il y aurait bien d’autres choses à rajouter, mais je vais m’arrêter ici. À une prochaine fois peut-être.

Maxime Leblanc



samedi 16 mai 2020

Maxime Leblanc - Réponse à Jean-Claude Dupuis sur la question des Classiques


Voici un article de M. Jean-Claude Dupuis auquel j’ai annoté (en rouge) quelque questionnement. Suite à un court échange avec M. Dupuis pour avoir des réponses à mes questions j’ai eu pour seule réponse un renvoi vers un article de l’abbé Athanase Sauget auquel La Voix des Francs numéro 25 avait déjà répondu. (Voir à la fin de l’article)


Suite à l’envoi de la réponse de La Voix des Francs j’ai reçu comme réponse : « Non, je n’ai pas eu le temps. […de lire l’article] »

Je m’interroge sur le sérieux du billet de M. Dupuis dépeignant Mgr Gaume comme un ésotériste, « apparemment » antilibéral, « traditionnaliste » condamné par Grégoire XVI ainsi que « des tendances gnostiques des modes médiévales contemporaines. »

Il n’a certainement rien compris de la question des classiques de Mgr Gaume mais il peut se rassurer, il n’est pas le premier.

Beaucoup l’ont condamné sans même avoir pris le temps de le lire et pourtant Pie IX l’a défendu à maintes reprises et aussi indirectement en défendant, en autre, Mgr d’Avanzo et le Cardinal Gousset pour ne nommer qu’eux.

« Mon éloge d’Antigone et de la culture classique en général a pu scandaliser les « gaumistes », en supposant qu’il s’en trouve encore.

Mgr Jean-Joseph Gaume (1802-1879) était un brillant polémiste contre-révolutionnaire français. Dans Le vers rongeur des sociétés modernes ou le paganisme dans l’éducation (1851), il soutenait que la Révolution française était le fruit des études littéraires gréco-latines. Les élites européennes s’étaient détournées de Dieu parce que les collèges classiques leur avaient inculqué le culte des héros de l’Antiquité païenne plutôt que celui des saints du Moyen Âge. Mgr Gaume suggérait de remplacer l’enseignement du latin classique de Cicéron par celui du bas-latin de saint Augustin. Une authentique civilisation chrétienne, disait-il, devait s’imprégner de la Bible et de la Patrologie plutôt que d’Homère et de Virgile. (Où Mgr Gaume a-t-il dit qu’il voudrait remplacer les auteurs classiques par celui du bas?!-latin de saint Augustin?)

La question des classiques païens a soulevé la controverse, en France et au Québec. L’abbé Alexis Pelletier (1837-1910) a propagé le gaumisme chez nous. Le clivage opposait généralement les catholiques ultramontains (gaumistes) aux catholiques libéraux (anti-gaumistes). Mais ce n’était pas toujours clair. Les jésuites, très ultramontains, défendaient néanmoins les études anciennes, qui formaient la base de leur ratio studiorum.

Le Saint-Siège n’a pas vraiment tranché le débat, car c’était une question pédagogique plutôt que théologique. Dans Inter multiplices (1853), Pie IX a dit que l’on pouvait étudier le latin « tant dans les ouvrages si remplis de sagesse des saints Pères de l’Église que chez les auteurs païens les plus célèbres, purifiés de toute souillure ». Le Souverain Pontife ne condamnait pas le gaumisme, mais il confirmait que la pédagogie humaniste n’avait pas fait fausse route en enseignant la littérature païenne. Il recommandait seulement de censurer les passages immoraux de certaines œuvres, ad usum Delphini. (Avez-vous seulement lu Mgr Gaume pour bien comprendre? Avez-vous bien discerné ce qu’il disait sur la question des classiques?)

L’Église catholique a toujours récupéré ce qu’il y avait de bon dans la culture non chrétienne. « Tout ce qui est vrai est mien, disait saint Augustin, car tout ce qui est vrai est chrétien. » Saint Thomas d’Aquin a complété, et non pas rejeté, la philosophie d’Aristote.

Certains protestants ont parfois eu tendance à condamner en bloc la culture profane sous prétexte que la Bible pouvait répondre à toutes les questions. Leur mentalité ressemble à celle du calife Omar, qui fit brûler la bibliothèque d’Alexandrie (643) en disant : « Le Coran suffit ! »

Le gaumisme se rattachait au christianisme romantique du XIXe siècle, qui dénonçait la prétendue « dérive rationaliste » de l’Église du Concile de Trente (1542-1563) au nom d’une religiosité sentimentale qui se réclamait d’un Moyen Âge imaginaire. En réalité, l’Église médiévale n’a jamais condamné la littérature gréco-latine. Les moines recopiaient fidèlement les œuvres païennes de l’Antiquité.

Mgr Gaume était apparemment antilibéral. Mais son rejet total de la culture antique visait à promouvoir une sorte de christianisme ésotérique. (Citation?) Il adhérait au « traditionalisme philosophique » de l’abbé Félicité de Lamennais (1782-1854), le père du catholicisme libéral français. (Preuve?) Dans son ouvrage Du catholicisme dans l’éducation (1835), Mgr Gaume fait l’éloge de Platon, mais il ne consacre qu’une demi-phrase à saint Thomas d’Aquin. Il va même jusqu’à soutenir que l’on devrait étudier le sanskrit plutôt que le grec et le latin. (Citation?) Cela dit tout.

Léon XIII écrivait dans Aeterni patris (1879) : « Il est dans l’ordre de la divine Providence que, pour rappeler les peuples à la foi et au salut, on recherche aussi le concours de la science humaine : procédé sage et louable, dont les pères de l’Église les plus illustres ont fait un usage fréquent, ainsi que l’attestent les monuments de l’Antiquité ».

J’admire le Moyen Âge, mais je me méfie des tendances gnostiques des modes médiévales contemporaines. »