Monseigneur Louis-François Laflèche
lorsqu'il était un jeune prêtre.
L’EDUCATION DE L’ENFANCE. [1]
L’éducation des enfants par leurs parents n’est que
l’application d’une des lois primordiales de la nature.
Il
est étonnant qu’il se soit trouvé des hommes assez hardis pour contester au
père et à la mère le droit imprescriptible qu’ils tiennent de la nature même,
de donner l’éducation à l’enfant,- pour transférer ce droit à l’Etat et en
faire l’un de ses attributs. C’est pourtant là une des lois primordiales de la
nature. Les peuples infidèles, tombés dans les plus graves erreurs, n’ont
jamais méconnu ce droit inaliénable que l’autorité paternelle tient de Dieu lui-même.
Ils ont toujours reconnu et proclamé bien haut que le père est le seul
souverain de l’enfant, et qu’il en est également le premier précepteur.
Pourquoi faut-il donc que cette vérité de premier ordre ait été attaquée et
niée par des hommes élevés dans le christianisme, qui la proclame encore bien
plus clairement et bien plus haut?
Non-seulement
cette loi importante régit les êtres raisonnables, mais c’est une loi commune à tous les êtres
qui jouissent du bienfait de la vie. L’animal privé de la raison, qui n’a
d’autre guide que l’instinct, la connaît cette loi de l’éducation des êtres qui
lui doivent la vie. Le végétal lui-même, n’ayant ni instinct ni sentiment, l’être
que l’on trouve aux dernières limites de la vie, ne la méconnaît pas. Il sait,
à sa manière, que les fleurs qui se sont épanouies sur ses rameaux, que les
fruits qui en sont nés, doivent recevoir de lui, et de lui seul, la nourriture
nécessaire à leur développement, les soins, la protection sans lesquels ils ne
pourront arriver à une heureuse maturité. Aussi leur donnera-t-il, suivant leurs
besoins, une sève abondante et salutaire qui les fera croître ; son feuillage
épais les défendra contre la violence de la tempête, les protégera contre la trop grande ardeur des
rayons solaires. En un mot, il en
prendra soin, il les élèvera à sa manière, jusqu’à ce qu’enfin, arrivés à leur
complet développement, ils puissent se suffire à eux-mêmes. Alors ils se
détacheront sans efforts de la tige qui les a vus naître, pour aller, à leur
tour, prendre racine dans le sol que la Providence leur aura préparé, produire
un arbre semblable à celui qui leur a donné la vie, avec tous ses
perfectionnements.
Que
faudrait-il penser du jardinier qui voudrait se charger de nourrir lui-même les
fruits différents qui croissent dans son parterre ; leur donner, sans le ministère
des arbres qui les portent, la sève qui convient à chaque espèce? N’est-il pas
évident qu’une semblable idée dénoterait chez lui une aberration de jugement plus
que suffisante pour faire douter de l’état sanitaire de son cerveau, et
démontrer à l’évidence qu’il n’a pas la première notion de sa mission et de son
ministère, puisqu’il ignore cette grande loi de la nature qui prescrit au
végétal de nourrir, de protéger le fruit auquel il a donné naissance, jusqu’à
ce qu’il puisse se suffire à lui-même ? Le jardinier doit prendre soin des
arbres, les grouper convenablement, leur procurer, autant qu’il le pourra, les
substances que ces mêmes arbres pourront seuls élaborer et transformer en une
sève vivifiante avec laquelle ils nourriront leurs fruits. Mais se charger
lui-même d’élaborer cette sève, d’entrer en rapport immédiat avec leurs fruits,
de la leur distribuer journellement et dans une juste mesure, c’est une folie
qui n’est encore jamais passée par la tête d’aucun jardinier !
Non
; la mission et le devoir du jardinier, c’est de protéger l’arbre, de
l’arroser; la mission et le devoir de l’arbre, c’est de nourrir le fruit en lui
donnant la forme et l’éclat convenables. Or, le jardinier c’est l’État, l’arbre
c’est la famille, le fruit c’est l’enfant.
La
même loi d’éducation régit le règne animal. L’être qui a donné la vie en donne
aussi les développements. Non-seulement l’animal nourrit ses petits, mais il
les élève en leur donnant, à sa manière, l’éducation qui leur convient. Le
castor industrieux apprend à ses petits l’art de construire une loge, en les
faisant travailler avec lui; l’animal carnassier enseignera aux siens toutes les
ruses et les détours par lesquels ils réussiront à saisir leur proie. C’est
même dans cet ordre d’idées que le prophète Ezéchiel prend la comparaison dont
il se sert pour reprocher à Jérusalem la mauvaise éducation de ses rois : «
Pourquoi votre mère, qui est une lionne, s’est-elle reposée parmi les lions, et
pourquoi a-t-elle nourri ses petits au milieu des lionceaux?
« Elle
a produit un de ces lionceaux, et il est devenu lion: il s’est instruit à
prendre la proie et à dévorer les hommes. » Et, un peu plus loin, il
continue : « Mais la mère, voyant qu’elle était sans force et que ses
espérances étaient ruinées, prit un autre de ses lionceaux et l’établit pour
être lion. Il marcha parmi les lions, il devint lion. Il apprit à faire des
veuves et à déserter les villes. » L’aigle enhardit ses aiglons en les
soutenant d’abord de ses puissantes ailes ; il s’efforce de leur apprendre
comment ils doivent s’emparer de l’immensité des plaines de l’air, en
s’élançant avec eux du haut des cimes escarpées où il a placé le nid dans
lequel leurs yeux se sont, pour la première fois, ouverts aux rayons de l’astre
du jour.
Ici
encore, c’est l’être qui a donné la vie qui est chargé par la nature de la
développer et de la perfectionner. Sa tâche n’est accomplie que quand il a
formé à son image et à sa ressemblance l’être qui lui doit le jour. Toujours et
partout, dans la classe des êtres privés de la raison, le père et la mère sont
par instinct les instituteurs nécessaires de leurs petits.
LA LOI D’ÉDUCATION QU’ON OBSERVE DANS LES ÊTRES PRIVÉS
DE LA RAISON
EST AUSSI CELLE QUI PRÉSIDE AU DÉVELOPPEMENT DE
L’HOMME.
Dieu
a-t-il donc soumis les développements et le perfectionnement de l’homme à une
loi différente? Non ; c’est encore le même principe qui préside à la formation
de l’être raisonnable. Ceux qui lui ont donné le jour n’ont, eux aussi,
accompli la tâche providentielle qui leur a été imposée que quand ils lui ont
procuré le perfectionnement physique, moral et intellectuel qui en fait un être
réellement semblable à eux-mêmes. Ici ce n’est plus un instinct aveugle qui
leur enseigne cette grande vérité ; c’est la noble faculté qui les met à la
tête de la création ici-bas, c’est la raison, éclairée des lumières de la
révélation, qui leur dit que l’homme ne vit pas seulement d’un pain matériel,
mais qu’il lui faut encore le pain de la parole qui réveillera dans son âme la
vie de l’intelligence et du cœur. Or,
cette vie intellectuelle et morale aussi bien que la vie physique, c’est au
père et à la mère à la donner ; ce n’est même qu’à cette condition qu’ils ont
réellement droit à l’honneur et aux privilèges attachés à la paternité.
« Si le père et la mère ont chacun dans la famille une fonction propre, dit le R. P. Félix, la Providence a
fait à tous deux une fonction commune, où l’autorité qui caractérise l’un, et
ce dévouement qui caractérise l’autre, se rencontrent et s’unissent pour faire le
grand œuvre de la famille, ’élever l’enfant;’ l’enfant, troisième personne de
cette trinité humaine, procédant du père et de la mère, pour compléter la société domestique et
atteindre sa destinée. »
Le
père, qui est la personnification la plus légitime et la plus parfaite de
l’autorité, tient de Dieu lui-même les attributs essentiels à la paternité,
dont le premier est la puissance d’enseigner et d’instruire ; c’est en lui un
droit inviolable contre lequel aucune usurpation, quelque longue et puissante
qu’elle puisse être, ne pourra jamais prescrire. Le père et la mère dans la
famille sont les premiers maîtres de l’enfant : c’est sous le rayonnement de
leur parole que se produira le premier mouvement de la vie intellectuelle de l’enfant.
La parole maternelle d’abord fait briller aux yeux de cette âme, encore plongée
dans le plus profond sommeil, une lumière aussi douce que celle de l’aurore qui
dissipe au matin les ténèbres de la nuit. Puis la parole paternelle s’unissant
à celle de la mère, semblable au soleil qui apparaît sur l’horizon, donne à l’âme
de l’enfant la vérité qui l’éclaire, la nourrit et la développe. Et c’est ainsi
qu’il reçoit la vie de l’intelligence.
Le
second attribut de la paternité, c’est le droit de gouverner. La vérité qui
éclaire déjà l’intelligence de l’enfant lui montre le bien, ce qu’il doit aimer
et pratiquer ; mais en même temps se présente sur son chemin le mal qu’il doit
haïr et repousser. Une voix qui retentit au fond de son âme lui dit qu’il peut
choisir entre l’un et l’autre. Faible et sans expérience, que va-t-il faire ?
Abandonné à lui-même, ses premiers pas dans la vie morale, comme dans la vie
physique, seront accompagnés de chutes nombreuses, si la surveillance
maternelle et l’autorité des commandements du père ne sont là pour le soutenir
et le défendre contre les sollicitations et les premiers entraînements des
mauvais penchants qui ne tardent pas à faire leur apparition. C’est sous cette
surveillance et soutenu par cette autorité que l’enfant débute dans la vie
morale ; il apprend peu à peu à faire l’application des principes éternels et
immuables qui ont été gravés au fond de son âme, sur lesquels s'appuie son intelligence
pour soutenir courageusement les luttes de la vie. En pliant sa volonté sous le
joug de l’obéissance, il apprend peu à peu à se commander lui-même. Le commandement
fait à l’enfant a donc le double avantage d’éclairer son intelligence, de
fortifier son cœur par la crainte du châtiment qui en suivra la violation, et en
même temps de développer l’énergie de la volonté par les efforts qu’il lui faut
faire pour se soumettre.
Lorsque
le père ne peut lui-même continuer, dans tous les détails, l’éducation de
l’enfant, et qu’il lui faut avoir recours à un précepteur étranger pour lui
venir en aide, non-seulement il conserve le droit imprescriptible de contrôler
l’enseignement donné par ce délégué, mais il a le devoir, le plus grand devant
Dieu, de le surveiller et de s’assurer qu’il est réellement digne de le
remplacer auprès de l’être le plus cher à son cœur. Impuissant à instruire lui-même
son enfant, il garde la faculté de lui choisir un maître.
LES DROITS DU PRÊTRE A CONCOURIR A L’ÉDUCATION DE
L’ENFANT DÉCOULENT DU MÊME PRINCIPE.
Ce
que nous venons de dire des droits et des devoirs du père selon la nature dans
l’éducation à donner à l’enfance, s’applique également à la paternité dans
l’ordre de la grâce. L’enfant régénéré a reçu au jour de son baptême une
nouvelle vie ; il est devenu réellement, par l’effet de ce sacrement, l’enfant
de Dieu et de l’Eglise. Le prêtre, qui est le ministre et le représentant
visible de cette paternité d’un ordre supérieur, doit aussi concourir, de par le
même droit divin, à l’éducation de l’enfant, dans tout ce qui se rattache de
près ou de loin à la vie spirituelle et à son développement.
La
religion, qui a présidé à la formation de la famille, doit aussi présider à
l’éducation de l’enfant et la contrôler.
C’est
ce que les livres saints nous enseignent en une multitude de passages; c’est ce
que l’Eglise catholique a toujours recoin mandé
et prescrit rigoureusement aux fidèles confiés à ses soins. C’est même un des points les plus importants
de la mission des pasteurs: « Ite,
docete: Allez, enseignez. »
Un
fait bien remarquable dans nos livres saints nous montre d’une manière claire
l’application de ce principe ; il est, en même temps, une figure frappante de
l’Eglise dans ses rapports avec l’éducation de l’enfant chrétien : c’est la
naissance et l’éducation du législateur des Hébreux avec toutes leurs
circonstances merveilleuses.
Qui
ne reconnaîtrait dans ce petit enfant exposé à une mort certaine sur les eaux
du grand fleuve de l’Egypte, en vertu d’une loi terrible qui le condamnait à la
mort même avant sa naissance, qui ne reconnaîtrait le genre humain tout entier,
héritier du péché originel, et sous le coup d’une sentence de mort encore plus terrible
? Cette noble princesse, qui se trouve à temps sur les bords du Nil pour sauver
des eaux l’enfant qui doit y périr, n’est-elle pas une figure admirable de
l’Eglise, qui se tient au bord du fleuve de la vie où passent les générations
dans leur marche vers l’éternité, et qui en sauve un si grand nombre en les
soustrayant à la condamnation portée contre eux, par la régénération
baptismale, et l’adoption qui les rétablit dans tous leurs droits et privilèges
d’enfants de Dieu ?
L’Eglise,
ainsi devenue mère de l’enfant chrétien, fait venir, comme la fille de Pharaon,
sa mère selon la nature, et lui dit: « Reçois cet enfant, nourris-le pour
moi, en lui apprenant à connaitre, aimer et servir son Dieu. » L’enfant
devenu grand est de nouveau remis à l’Eglise pour en recevoir une éducation
religieuse plus complète ; puis, comme Moïse, confié à des personnes que le prêtre
et le père auront trouvées propres et convenables à leur venir en aide pour l’initier
aux connaissances humaines dont il aura besoin dans le poste où la Providence
l’appelle.
Ce
n’est que quand cette grande œuvre de l’éducation aura été parachevée, que
l’enfant, arrivé à la taille de l’homme parfait, cessera d'être le sujet de la
famille où il a pris naissance. Après avoir reçu le complet développement de
ses facultés physiques, intellectuelles et morales, par les soins et sous le
contrôle de son père et de sa mère dirigés par le prêtre, il sera prêt à
prendre le rang que la Providence lui a assigné d’avance dans la société.
Voilà
bien ce que la raison et la foi, la loi naturelle et la loi divine enseignent
et prescrivent sur les droits et les devoirs de la paternité dans l’éducation
des enfants.
LE LIBÉRALISME TEND A S'APPROPRIER LE DROIT DES
PARENTS DANS L’ÉDUCATION DE L’ENFANT.
Mais
qu’en pense le libéralisme moderne ? Quelles sont ses doctrines sur un sujet si
grave ? Au nom de la liberté et du progrès, le libéralisme n’hésite pas à
déclarer l’incapacité générale des pères à élever leurs enfants et contrôler et
surveiller leur instruction. Au nom de la liberté et du progrès, il n’hésite
pas à proclamer que c’est là un des attributs de l’omnipotence de l’Etat II a
l’étrange prétention de mieux entendre que ceux qui en ont reçu de Dieu lui-même
la charge, l’art si difficile de bien former l’enfance. Les libéraux trouvent
tout naturel que des hommes portés au pouvoir par un événement imprévu ou une
ambition heureusement servie par les circonstances, se substituent aux pères et
se chargent de donner, au nom de la liberté, un enseignement obligatoire. Ils trouvent
parfaitement juste de taxer les pères pour fonder de somptueux établissements
d’éducation, salarier grassement des professeurs émérites, auxquels leur
conscience de père aussi bien que leur foi de chrétien leur défendent
rigoureusement de confier leurs enfants. Au nom de la liberté, ils proclameront
la langue officielle de l’Etat ; et ils forceront le père à payer un maître
pour apprendre à son enfant la langue de ses oppresseurs, comme en Irlande, en
Pologne et à la Nouvelle-Orléans Le libéralisme, lorsqu’il a ses coudées
franches, ira même jusqu’à défendre, au nom de là nationalité, d’enseigner à
l’enfant la langue maternelle.
Mieux
que tout autre, il prétend connaître la vérité qu’il faut admettre et le Dieu
qu’il faut adorer. Or, la vérité qu’il faut croire, qui ne la connaît ? c'est
sa pensée, ce sont ses principes avant tout. Le Dieu qu’il faut adorer, c’est
le Dieu des incrédules et, faut-il le dire? le Dieu des athées ; c’est-à-dire
qu’il faut bannir de ses écoles tout enseignement religieux. Il a la modeste
prétention de former des hommes vertueux, des citoyens honnêtes, sans aucune
religion. Malheur aux pères qui ne penseront pas comme lui, lorsqu’il a le pouvoir
en main. S’ils refusent de lui sacrifier leurs fils et leurs filles, il saura
bien au moins empocher leur argent, et les mettre dans la triste nécessité de
condamner leurs enfants à la flétrissure de l’incapacité littéraire et
scientifique, et de leur fermer ainsi toute carrière libérale.
A
la vérité, dans notre Canada encore si catholique, le libéralisme se trouve un
peu plus à la gêne. Nos libéraux savent qu’il faut user de prudence et attendre
des temps plus favorables. Ils se contentent de vanter, pour le quart-d’heure,
les avantages et la supériorité des écoles communes, qui sont exclusivement
sous le contrôle de l’Etat, dans lesquelles on impose aux pères les maîtres et
les livres jugés orthodoxes de par la loi. On les entendra quelquefois dire que
l’enseignement du catéchisme et de la religion dans l’école est un temps précieux que l’on fait
perdre aux enfants, qui ont tant d’autres choses utiles à apprendre; mais
reculant devant le sentiment encore trop catholique des parents, ils font profession
de ne point vouloir leur imposer de force leur système de prédilection.
Voilà
ce que rêve le libéralisme, voilà la plus ardente de ses aspirations : arracher
l’enseignement de l’enfant à l’autorité paternelle, le soustraire au contrôle
de la religion, s’emparer absolument de son éducation par le despotisme de l’Etat,
afin de le former à son image et à sa ressemblance. C’est peut-être le point le
plus violemment et le plus habilement attaqué de notre temps, et la plus
sanglante injure faite à l’autorité des parents.
L.
Laflèche, Ptre
.
[1]
Nous ne croyons pas pouvoir donner à nos lecteurs une meilleure idée du beau livre
que M. le grand-vicaire Laflèche vient de publier, qu’en en reproduisant ici un
des chapitres qui nous a été indiqué par l’auteur lui-même.
—Note de la Direction.