« La mémoire est un bien grand don,
une qualité fort méritoire ;
et que ceux qui, dans cette histoire,
soupçonnent que je leur donne du bâton
sachent qu’oublier ce qui n’est pas bon,
c’est aussi avoir de la mémoire ».
Combien
auraient de quoi rougir lorsque parviennent à leurs pures, chastes et candides
oreilles l’affirmation catégorique et accablante, née d’une sainte
intransigeance, selon laquelle Monseigneur Fellay et son équipe ont ignoblement
et misérablement failli ? Je veux parler ici des nombreux supérieurs de
district tels que l’abbé Tejo qui, à l’aide d’arguments dépourvus de logique et
de la moindre intelligence, traitent de déséquilibrés les quelques prêtres
(dont l’auteur de ces lignes) qui ont eu le courage de dire les choses telles
qu’elles sont, et même de lancer des mises en garde qui se sont depuis
vérifiées dans les faits.
Pour
les autres prêtres (notamment certains prieurs), tout ce qui se dit avec de la
fermeté et du caractère constitue un manque de respect envers l’autorité, car ils
ne se rendent pas compte qu’à l’instar du sel affadi, une autorité dénaturée ne
mérite plus que d’être chassée et piétinée. Du moins est-ce là ce qu’affirment
les Saintes Écritures : « Si le sel s’affadit, avec quoi lui rendra-t-on sa
saveur ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé au pied par les
hommes » (Mt. 5, 13).
Quoi
qu’il en soit, tout se déroule comme prévu, ainsi que l’a si bien dit Mgr
Fellay, et par étapes successives judicieusement dosées, non par à-coups et
secousses, mais suivant une lente maturation afin que nul ne s’effraie ou ne
s’effarouche. Cela rappelle l’histoire de la grenouille : si on la plonge dans
de l’eau bouillante, elle en sort aussitôt d’un bond ; mais si on réchauffe
lentement de l’eau froide en lui faisant croire qu’il s’agit d’un doux bain
relaxant, elle se hâte d’acheter un bon savon de toilette afin de bien se laver
et parfumer ; une fois dans le bain, elle s’y prélasse à son aise jusqu’à ce
que, détendue par cette chaleur qui l’endort, elle se rende compte enfin de la
situation ; mais elle ne peut plus réagir et s’enfuir, submergée qu’elle est
dans son bain désormais brûlant ; finalement, elle flotte dans cette eau que
l’on a chauffée lentement et progressivement jusqu’à la rendre bouillante. Elle
est alors cuite à point et bonne à manger.
Rappelons-nous
la fameuse déclaration que firent tous les supérieurs de la Fraternité
sacerdotale Saint-Pie X le 6 juillet 1988 (à propos de l’excommunication latae
sententiae de Mgr Lefebvre, de Mgr de Castro Mayer et des quatre évêques
qu’ils avaient consacrés le 30 juin précédent à Écône) dans leur lettre ouverte
au Cardinal Gantin, Préfet de la Congrégation des Évêques, cet homme de paille
qui avait été chargé de proclamer la parodie d’excommunication. Voici ce qu’ils
écrivaient alors : « Éminence, réunis autour de leur Supérieur général, les
Supérieurs des districts, séminaires et maisons autonomes de la Fraternité
Sacerdotale Saint Pie X pensent bon de vous exprimer respectueusement les
réflexions suivantes. Vous avez cru devoir, par votre lettre du 1er juillet
passé, faire savoir à Son Excellence Monseigneur Marcel Lefebvre, à Son
Excellence Monseigneur Antonio de Castro Mayer et aux quatre évêques qu’ils ont
consacrés le 30 juin dernier à Écône, leur excommunication latae sententiae.
Veuillez vous-mêmes juger de la valeur d’une telle déclaration venant d’une
autorité qui, dans son exercice, rompt avec celle de tous ses prédécesseurs
jusqu’au pape Pie XII, dans le culte, l’enseignement et le gouvernement de
l’Église. »
Il
semble que l’on n’en soit plus là (ou qu’on ait oublié l’épisode), alors que
ces paroles mettent en évidence à elles seules l’existence d’une scission ou
d’une rupture de la part de l’autorité qui fulmina l’excommunication, rompant
ainsi avec l’Église de toujours représentée par tous les papes jusqu’à Pie XII
(inclusivement) et créant du même coup un schisme dans le culte, la doctrine et
le gouvernement de l’Église.
Mais
ce n’était pas tout, car dans la lettre ouverte en question, on conseillait au
Cardinal Gantin et à tous les membres de la curie romaine officielle de faire
un examen de conscience et de se demander de quel côté était la rupture : «
Pour nous, nous sommes en pleine communion avec tous les papes et tous les
évêques qui ont précédé le Concile Vatican II, célébrant exactement la messe
qu'ils ont codifiée et célébrée, enseignant le catéchisme qu'ils ont composé,
nous dressant contre les erreurs qu'ils ont maintes fois condamnées dans leurs
encycliques et leurs lettres pastorales. Veuillez donc juger de quel côté se
trouve la rupture. Nous sommes extrêmement peinés de l'aveuglement d'esprit et
de l'endurcissement de coeur des autorités romaines. » Mais les signataires
de la lettre n’en avaient pas encore fini, car comme si cela ne suffisait pas,
ils écrivaient avec une vaillance et une fermeté ce qui ne se dit plus
aujourd’hui : « En revanche, nous n’avons jamais voulu appartenir à ce
système qui se qualifie lui-même d’église Conciliaire, et se définit par le Novus
Ordo Missae, l’œcuménisme indifférentiste et la laïcisation de toute la
Société. Oui, nous n’avons aucune part, nullam partem habemus, avec le
panthéon des religions d’Assise ; notre propre excommunication par un décret de
votre Éminence ou d’un autre dicastère n’en serait que la preuve irréfutable. »
Sapristi
! Ils disaient donc par là que s’ils étaient excommuniés à la place des six
évêques, ce serait là le sceau de leur orthodoxie, chose que nul ne pense ou ne
dit plus aujourd’hui. Mais continuons à citer cette courageuse proclamation à
présent contredite : « Nous ne demandons pas mieux que d’être déclarés ex
communione de l’esprit adultère qui souffle dans l’Église depuis vingt-cinq
ans, exclus de la communion impie avec les infidèles ». Euréka ! Quelles
nobles paroles de paladins ! Quels Don Quichottes défenseurs du bien, de la
vérité et de la justice, qui brillent aujourd’hui par leur absence, puisqu’ils
sont devenus féminoïdes, faibles et timorés dans la mesure où ils nous disent à
présent que ces excommunications sont un affront, une ignominie et un obstacle
à l’apostolat ; cela leur ferme les portes, cela constitue une étiquette
infâmante à ôter pour ne plus les faire ressembler aux animaux d’un zoo, entre
autres affirmations qui se retrouvent dans la lettre de Mgr Fellay du 31
janvier 2009.
Tout
ce qui précède montre qu’à l’heure actuelle, il existe dans la hiérarchie de la
Fraternité une autre vision, une autre conception des choses, c’est-à-dire
qu’on s’y laisse abuser – violer, d’une certaine manière – par les impératifs de
la Révolution antichrétienne et moderniste. De vierges sages, on y est devenu
vierges folles, sans lampes ni lumières, stupides et écervelées, qui – quoique
se piquant de vigilance – se sont condamnées elles-mêmes par leur propre
imbécillité.
Oui,
Messieurs, vous êtes des parjures ! Vous avez demandé à être excommuniés en
signe de solidarité avec Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer, et voici que vous
demandez à présent le contraire ! Et pour comble, vous applaudissez publiquement
et solennellement l’attitude gentillette
et paternelle de Benoît XVI, exprimant ainsi votre reconnaissance pour son
geste magnanime en faveur de la Tradition, tout en essuyant son visage couvert
de vos crachats, et même en sablant le champagne, comme l’a fait avec une
suprême imbécillité l’abbé de la Rocque, qui fut l’un des théologiens des
discussions doctrinales avec Rome et qui a posé pour le photographe avec un
jéroboam…
Ce
comportement est aberrant, déshonorant. Une telle infamie ne mérite qu’une
chose : être foulée aux pieds comme le sel qui perd sa raison d’être, la
salinité. En 1988, ils ont vaillamment demandé à être excommuniés de l’esprit
adultère de la nouvelle Église postconciliaire du Panthéon d’Assise, et les
voici à présent qui se soumettent par le biais d’une vile magouille : leurs
discussions tendues vers un accord qui consistera à coucher avec l’erreur. Ils
font penser à la grande prostituée de l’Apocalypse, occupée à forniquer avec
les rois de la terre, car ils ne se sentent plus le courage, l’intransigeance et
la pureté doctrinale nécessaires pour dire, comme ils l’ont fait naguère dans
la lettre en question : « Être donc associés publiquement à la sanction qui
frappe les six évêques catholiques, défenseurs de la foi dans son intégrité et
son intégralité, serait pour nous une marque d’honneur et un signe d’orthodoxie
devant les fidèles ». À leurs yeux, cette marque d’honneur, ce signe
d’orthodoxie est aujourd’hui une tache, une infamie, un déshonneur. De fait, ce
glorieux stigmate a disparu sous l’effet d’une pétition unanime et de
l’acceptation reconnaissante du plan de réintégration progressive suggéré par
la Rome moderniste ; n’oublions pas que c’est le cardinal Castrillón Hoyos qui,
tel une astucieuse sirène, a susurré à l’oreille de Mgr Fellay : « Écrivez au
Pape pour lui demander de lever les excommunications » (sermon prononcé par
Mgr Fellay à Flavigny le 2 février 2006).
Tout
cela fait penser à ce que signale le passage supprimé de l’exorcisme du Pape
Léon XIII : « Là où a été établi le Siège du bienheureux Pierre et la Chaire
de la Vérité pour la lumière des nations, là ils ont posé le trône de
l’abomination de leur impiété ; de sorte qu’en frappant le Pasteur, ils
puissent aussi disperser le troupeau ». Cela concorde également avec ce
qu’a écrit le Pape saint Pie X à propos de la mission de l’Église et son devoir
sacré de maintenir sur cette terre la doctrine de la vérité et de l’empire
revenant à celle-ci : « Lorsque cette doctrine ne pourra plus se garder
incorruptible et que l’empire de la vérité ne sera plus possible en ce monde,
alors le Fils de Dieu apparaîtra une seconde fois. Mais jusqu’à ce dernier
jour, nous devons maintenir intact le dépôt sacré et répéter la glorieuse
déclaration de saint Hilaire : “Mieux vaut mourir en ce siècle que corrompre la
chasteté de la vérité”. » (Pie X, Jérôme Dal-Gal, 1953, p. 107-108). Et
l’on peut même paraphraser ces propos de la manière suivante : mieux vaut
mourir en ce siècle que corrompre la virginité immaculée de la vérité. Voilà ce
qui constitue aujourd’hui, depuis le néfaste concile Vatican II, l’abomination
de la désolation dans le Lieu Saint (l’Église), et c’est pourquoi les Saintes
Écritures annoncent en saint Luc (12, 32) la réduction de l’Église à un petit
troupeau (pusillus grex).
Les
sages paroles de saint Pie X sont une allusion au mystérieux obstacle (en grec,
le katejon) qui retarde la manifestation de l’Antéchrist. Telles une
source d’eau pure et fraîche, elles révèlent ce qu’est ce fameux obstacle, à
savoir l’empire de la vérité maintenu par l’Église.
Comme
on est loin de cette belle et ferme proclamation ! Comme ils en sont loin
aujourd’hui ! Comme ils ont déchu sans même s’en rendre compte ! La pression
est si grande, et la séduction si puissante ! Ils sont tombés au fond de
l’abîme, où ils pataugent dans la fange en putréfaction, et leurs propres
paroles d’autrefois les condamnent. Ajoutons-y d’ailleurs, pour faire bonne
mesure, ce qu’ils disaient encore à propos des fidèles : « Ceux-ci ont en
effet un droit strict à savoir que les prêtres auxquels ils s’adressent ne sont
pas de la communion d’une contrefaçon d’Église, évolutive, pentecôtiste, et
syncrétiste… » Comme nous en sommes loin désormais !
Tout
cela rappelle les paroles de Porfirio Díaz1 : « Pauvre Mexique, si éloigné
de Dieu et si proche des États-Unis ! » ; car on peut dire aujourd’hui, par
analogie : « Pauvre Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, si éloignée de
Nosseigneurs Lefebvre et de Castro Mayer (ainsi que de tous ceux qu’ils
représentent avec la sacro-sainte Tradition de l’Église) et si proche, si
proche de la Rome apostate (comme de l’Antéchrist) qu’elle est sur le point de
passer un accord avec elle !
Je
conclurai cette triste, douloureuse et dramatique histoire en disant de tout cœur,
avec Martín Fierro :
« Que nul ne se croie offensé,
Car nul je ne veux agacer ;
Et si je chante sur ce ton
Parce que je le trouve bon,
Ce n’est pour le mal d’aucun homme,
C’est pour le bien de tous les hommes. »
Abbé Basilio Méramo
Bogotá, le 22 août 2012
En la Fête du Cœur Immaculé de Marie
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