QUINZIÈME INSTRUCTION LE MÉPRIS DU MONDE.
PREMIÈRE PARTIE
«N’aimez
point le monde ni ce qui est dans le monde, si quelqu’un aime le monde, la
charité du Père n’est point en lui.» Jean, lère, 2.
Plan
Sa signification. Meilleure règle que de
vouloir éviter le péché. (Jésus-Christ
Enseigné par: (Les Apôtres (Les Saints Tort fait par les attaches.
SA
SIGNIFICATION L’instruction précédente donnait le procédé pour arriver à
l’amour de Dieu; par le fait même, elle indiquait le procédé pour mépriser les
créatures. De fait, c’est par un même
acte que l’on fait ces deux choses mais d’après notre manière de comprendre on
les sépare quant aux idées.
Voilà
pourquoi nous donnons une méditation sur le mépris du monde déjà compris dans
l’amour de Dieu. Nous ne ferons pas
entrer ici les dons du St Esprit qui font comprendre mystiquement le néant des
choses créées; ce sera pour la troisième série de nos méditations sur
l’activité du St Esprit. Pourquoi
faut-il mépriser ce que Dieu a fait pour représenter ses perfections
divines? Et que lui-même trouve très
bien après les avoir créées? La raison
fondamentale est dans ce fait que Dieu s’offre à nous comme rival à notre amour
pour les créatures. Sa gloire exige
qu’on le préfère à quelque chose de beau et de bon; voilà pourquoi il a fait le
monde si attrayant pour les hommes.
Quand à force de comparaisons entre les échantillons et les perfections
divines, les hommes arrivent à choisir Dieu de préférence aux créatures, ils
peuvent lui dire: Vous nous avez coûté bien cher! Ce n’est que pour vous posséder que nous
sacrifions ces bonnes et belles choses qui nous entourent. Les échantillons ne sont donc que des moyens
pour nous faire désirer le ciel, un catalogue pour nous faire connaître les
beautés du magasin général de Dieu. On
rejette le catalogue quand on s’est acheté les articles qu’on veut. Eh bien!
quand on a l’amour des perfections divines on rejette les
échantillons. Mieux encore: voici le
résumé du plan divin pour nous donner le ciel en fonction des créatures. Dans tout grain de blé il y a un germe qui
contient en puissance la récolte, mais pour qu’il se développe il faut jeter le
grain en terre où le petit germe se développe aux dépens de la substance du
grain qu’il prend pour produire ses racines et sa tige. Le grain doit donc mourir pour que le germe
vive.
Eh
bien! dans toute créature il y a un
germe d’une perfection divine; si je veux cette perfection divine, il faut que
je sème cette créature, que je m’en prive et que je la rejette loin de mon
coeur comme si je la détestais. Mais de
fait c’est parce qu’elle est aimable et que j’en veux plus que je la sème. Personne ne sème de mauvaises herbes qu’il
déteste, mais il sème de tout ce qu’il aime le plus et qui lui est le plus
profitable. Plus j’aime une créature et
plus je devrais en semer pour récolter sa perfection éternellement au
ciel. Cette façon de faire de la
Providence divine montre bien que l’amour de Dieu est exclusif. Pas plus que pour le grain de blé, je ne puis
jouir d’un échantillon et de sa perfection divine au ciel; c’est l’un ou
l’autre, ni l’un après l’autre, ni les deux ensemble, c’est l’un ou
l’autre. C’est bien ce que Jésus dit en
toutes lettres: Vous ne pouvez aimer Dieu et le monde; vous aimerez l’un et vous
haïrez l’autre. Jésus ne parle pas là
comme les philosophes «in se», mais «in nobis».
La conclusion est donc que c’est parce qu’on aime le monde et qu’il est
aimable qu’on doit le sacrifier afin d’acheter ou de récolter Dieu de
préférence à ce bon grain!
À
ce sujet, une remarque en passant. C’est
un mauvais principe de psychologie que de ridiculiser les plaisirs du monde
devant les fidèles encore bien païens de mentalité. Voit-on un voyageur de commerce avertir ses
gens que ses échantillons ne sont bons à rien?
Personne ne voudrait de sa marchandise.
Eh bien! puisque ce n’est qu’en
fonction des plaisirs de la terre que nous pouvons désirer ceux du ciel, il ne
faut pas parler avec mépris de ces amusements terrestres, mais faire tout le
contraire: les louanger. Mais il ne
faudrait pas s’arrêter là. Supposons que
je veux gagner à J-C. un orgueilleux qui
recherche la gloire humaine. Puisqu’il
veut de la gloire, je l’en félicite, je l’excite à en vouloir encore plus, je
lui en offre pour dix ans, vingt, cent ans et allant encore plus loin je lui en
souhaite pour l’éternité. Une fois rendu
là, il est évident qu’il va me trouver intelligent. Alors je lui indique le moyen d’en récolter
toujours: c’est de semer cette gloire terrestre pour en récolter une
céleste. Comme c’est selon son ambition,
selon les tendances de sa nature et selon le plan divin, il est sûr que le St
Esprit va agir puissamment sur ce coeur si noble. Quand on méprise leurs plaisirs, ils disent
que nous sommes des êtres à part, des excentriques qui n’ont pas le sens du beau
et du bon et à leur tour ils nous méprisent.
Donnons donc aux gens du monde les appâts auxquels ils mordent comme on
fait pour les poissons, puis ensuite on les prend à sa ligne!
À
ceux dont le coeur est déjà en Dieu on peut parler des folies des plaisirs du
monde. Ce n’est que lorsque le
cultivateur a sa récolte ou que son grain lève qu’il ne s’occupe plus de la
semence qu’il a mise en terre. Il en est
ainsi dans le monde surnaturel. C’est
l’amour de Dieu qui montre le néant des choses créées.
meilleure
règle que de vouloir éviter le péché Si les prêtres
suivaient
le courant d’idées exposé plus haut au sujet du grain de blé, ils emploieraient
une toute autre tactique pour gagner les pécheurs à Dieu. Ce n’est pas pratique de n’attaquer que les
péchés, comme les prêtres font ordinairement.
L’attrait et le plaisir qu’ils y trouvent l’emporte de beaucoup sur
l’odieux de leurs péchés. Quand ils ont
entendu les prêtres dénoncer les plaisirs charnels ils se disent: c’est bon
quand même pour moi! D’ailleurs en
n’attaquant que les péchés on arrive à ne faire sacrifier qu’une bien petite
partie des échantillons, ceux qui sont défendus. Il reste tous ceux qui sont permis pour
captiver le coeur des hommes et dont ils vont jouir sans scrupule le plus
possible, puisqu’ils ne voient aucun péché dans leur jouissance de ces biens
permis. Ils sortent pour autant du plan
de Dieu qui est d’acheter le ciel ou de le récolter aux dépens de toutes les
créatures sans exception, des permises comme des autres. Voici comment ceux qui ne veulent qu’éviter
le péché se font prendre dans leurs propres filets. Ils ne voient pas de péché dans leurs actes
pris isolément, mais il peut se trouver dans l’ensemble de leur vie. Donnons un exemple: Un cultivateur,
supposons, n’a qu’un minot de blé pour sa récolte de l’an prochain. Il doit admettre l’obligation de le semer
pour vivre l’an prochain. Mais voilà
qu’il se dit: je puis bien manger ce grain de blé en particulier sans perdre ma
récolte de l’an prochain, et c’est vrai.
Puis il fait de même pour un autre grain et ainsi de suite et voilà
qu’il mange tout son grain, tout son blé.
Il n’aura donc rien à semer l’an prochain et par suite pas de
récolte. Eh bien! c’est quelque chose de semblable qui se passe
pour ceux qui prennent tous les plaisirs permis qui se présentent. Fumer une cigarette, mais ce n’est pas péché;
il perd cependant sa récolte pour le ciel; boire un verre de bière, ce n’est
pas mal, mais il perd sa récolte au ciel du plaisir correspondant, et ainsi de
suite. Arrivé à la mort on ne peut pas
mettre le doigt sur aucune action défendue, mais il n’a pas de récolte au ciel,
parce qu’il a mangé tous ses grains de semence pour le ciel. Ces gens pèchent contre le premier
commandement parce que leur coeur est dans les plaisirs de la terre au lieu
d’être tout en Dieu. Le mauvais riche a
été condamné pour avoir joui des choses permises: des banquets et des beaux
habits. Le péché n’entrait pas du tout
dans le plan divin pour sauver ses créatures raisonnables, les anges et les
hommes, puisqu’il est arrivé contre la volonté de Dieu. Que voulait Dieu? Il voulait l’amour, l’amour de préférence sur
ses propres créatures. Dans toutes les
épreuves que Dieu envoie, c’est de l’amour qu’il veut directement et
premièrement: ce n’est pas d’abord de faire éviter un péché. Ce péché ne vient que comme conséquence quand
on lui refuse l’amour qu’il veut. Quand
il demanda à Abraham d’immoler Isaac, il voulait un acte d’amour direct et
Isaac n’était pas un fruit défendu.
Quand Jésus demanda à Pierre s’il l’aimait plus que les autres, ceux-ci
n’étaient pas des fruits défendus. Jésus
voulait un acte positif d’amour pour lui-même.
Quand St Paul dit qu’il préfère Jésus à toutes les créatures, il ne
parle pas seulement des choses défendues.
Dans l’épreuve des anges il n’y avait pas de fruit défendu. Dans le cas de nos premiers parents il est
évident que Dieu voulait dans ce fruit défendu une occasion de lui donner un
acte d’amour de préférence sur ce fruit.
Le péché n’est venu que comme conséquence de ce manque d’amour envers
Dieu. C’est donc une erreur de croire
que les chrétiens n’ont qu’à éviter les choses défendues pour être sauvés. Quand Jésus dit: Celui qui abandonne son
père, sa mère, etc… aura le centuple en cette vie et la gloire éternelle en
l’autre, ces choses ne sont pas du tout défendues et Jésus conseille de les
abandonner pour l’amour de Dieu afin de gagner le ciel. Voici un exemple: comparons un portrait avec
la personne qui y est représentée. Toute
la ressemblance du portrait lui vient de la personne tandis que les qualités de
la personne sont en elle-même, lui appartiennent en propre. Celui qui regarde un portrait porte son amour
non pas au carton mais à la personne elle-même.
Eh bien! il en est ainsi pour les
échantillons qui ne sont que de simples portraits des perfections de Dieu. Ils n’ont rien par eux-mêmes, mais leur
perfection leur vient de Dieu. C’est
pourquoi tout notre amour doit aller directement et uniquement à Dieu et pas du
tout aux échantillons terrestres. Or
tout cela se vérifie autant dans les choses permises que dans les
défendues. Donc qu’on ne fasse plus
jamais cette distinction quand il s’agit d’amour de Dieu.
On
voit tout de suite la conséquence: ceux qui ne veulent qu’éviter le péché dans
la vie vont jouir le plus possible des choses permises. Or dans tout cela ils perdent autant
d’occasions de préférer Dieu à ses échantillons et donc une somme immense de
mérites, même s’ils arrivent à être sauvés, en voulant éviter le péché
seulement. Les invités au banquet des
noces ont refusé d’y aller pour des choses tout à fait permises: aller à la
maison de campagne, aller avec sa femme, aller essayer ses boeufs… et ils sont
donnés comme exemples de damnés par J-C.
même.
Prenons
donc la règle la meilleure et la plus pratique de toujours agir de façon à
toujours donner de l’amour à Dieu au lieu de ne pas l’offenser. Par exemple, je ne boirai plus de bière, pas
pour éviter de m’enivrer, mais pour préférer la liqueur céleste que Dieu me
donnera au ciel pour ce sacrifice. C’est
un acte d’amour de préférence de Dieu sur cet échantillon et j’acquiers du
mérite en proportion. le mépris des
créatures est enseigné…
Par
Jésus Christ afin d’aimer Dieu; c’est le thème de tout l’Évangile: il perce
constamment dans l’enseignement de J-C.
On n’a que l’embarras du choix.
Dans les béatitudes, il enseigne que le bonheur n’est pas dans les
choses créées; qu’il faut s’en détacher pour mettre tout son bonheur uniquement
en Dieu. En St Luc, il résume sa
doctrine ainsi: «Ainsi quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il a
ne peut être mon disciple.»
Dans
la parabole du semeur, il montre que l’amour des choses créées est contraire à
l’amour de Dieu. «Ce qui tombe dans les
épines marque ceux qui ont écouté la parole, mais en qui elle est ensuite
étouffée par les inquiétudes, par les richesses et par les plaisirs de cette
vie, en sorte qu’ils ne portent pas de fruit.» Luc, 14-33. En Luc, 14-26, à un homme qui lui demande de
le suivre, Jésus répond: «Les oiseaux du ciel ont des nids et les renards des
tanières, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête.» C’était lui dire
clairement que suivre J-C., c’est suivre la pauvreté parfaite, donc c’est
mépriser les biens de ce monde. Cela
s’adresse aux choses parfaitement permises comme il est dit en Luc, 14-26: «Si
quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants,
etc… il ne peut être mon disciple.» Il faut donc se détacher aussi des choses
les plus légitimes, les plus aimables et les meilleures au monde. Il ne suffit donc pas d’éviter le péché ou
mieux de vouloir éviter le péché. Jésus
l’a enseigné surtout par sa propre conduite: de la crèche à la croix il a
montré un souverain mépris pour tous les biens de ce monde puisqu’il les a tous
rejetés. Enfin il a tellement saturé
l’esprit de ses Apôtres du mépris des créatures qu’ils l’ont prêché avec une
force extraordinaire. Par les Apôtres.
Il
y a le fameux texte de St Paul que les philosophes ne goûtent guère et qu’ils
ne donnent jamais aux fidèles.
Phil. 37: «Mais ce qui me
paraissait gain m’a paru perte réelle à cause de J-C. Je dis plus: tout me semble perte au prix de
l’éminente science de J-C., mon Seigneur, pour l’amour duquel je me suis privé
de toutes choses, les regardant comme du fumier afin de gagner J-C.» Il ne dit
pas: pour éviter le péché, mais pour gagner l’amour de J-C. Voilà notre modèle dans l’amour de Dieu! St Jacques, 4-4: «Âmes adultères, ne
savez-vous pas que l’amitié de ce monde est l’ennemi de Dieu? Quiconque voudra être ami de ce siècle se
rend ennemi de Dieu. Pensez-vous que ce
soit en vain que l’Écriture dise: «L’Esprit qui habite en vous a des désirs qui
vont jusqu’à la jalousie»? Adultères est
pris dans le sens biblique d’idolâtre, comme en Jérémie, 3-9: «Par sa bruyante
impudicité Juda a profané le pays et il a commis l’adultère avec le bois et la
pierre.» Évidemment, avec les idoles en les adorant comme des dieux. Quand on aime une chose pour elle-même, on
lui prête une qualité qui n’appartient qu’à Dieu. C’est dans ce sens que St Paul dit que le
service de la créature est de l’idolâtrie.
Voilà un péché dont on ne parle jamais aux fidèles et qu’ils commettent
souvent. L’amour des choses créées pour
elles-mêmes est en abomination devant Dieu parce qu’on se trouve à leur prêter
une qualité qui n’appartient qu’à Dieu seul.
C’est aussi insensé que si un homme donnait son amour à un portrait au
lieu de le donner à la fille représentée là.
C’est ce que St Paul appelle: idolâtrie et que l’Écriture appelle:
adultère.
Ce
péché n’est pas seulement l’amour des choses défendues, mais aussi l’amour des
choses permises du moment qu’on les aime pour elles-mêmes au lieu de les aimer
en Dieu et pour Dieu, selon sa sainte volonté.
St Jean, 1, 2-15: «N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le
monde. Si quelqu’un aime le monde, la
charité du Père n’est pas en lui. Car
tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, des yeux et
orgueil de la vie; ce qui ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde passe et sa concupiscence aussi;
mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement.» Il ne parle pas
là des choses défendues seulement, mais il dit: tout! Le monde qui passe, comprend évidemment les
bonnes choses aussi. L’affection pour
les bonnes choses pour elles-mêmes est aussi contraire à Dieu que l’affection
des mauvaises quant à son amour. L’amour
d’une épouse est aussi choqué quand son mari s’amourache d’une bonne fille que
d’une mauvaise, même si «in se», il y a une grande différence entre ces deux
femmes. Par rapport à l’amour de
l’épouse, les deux sont des rivales.
L’Église,
dans un grand nombre d’oraisons, nous fait demander le mépris des choses créées
terrestres afin de n’aimer que les célestes; c’est donc que le St Esprit y
tient. Est-ce que Dieu ne mobilise pas
absolument toutes nos capacités d’aimer dans le premier commandement et pour
lui seul? Il ne reste donc aucun amour
possible pour le monde. Par les Saints.
D’abord
par leur conduite, ils ont vécu détachés des plaisirs de la terre, montrant
bien ainsi le mépris qu’ils en avaient.
Que de beaux passages dans les Pères de l’Église sur cette
question! Comme ils insistent tous sur
la nécessité absolue de garder son coeur pur de la contagion des biens
périssables! On n’a qu’à lire les textes
de l’Écriture avec leurs commentaires abondants sur ce renoncement pour voir
combien ils étaient pénétrés du véritable esprit du Sauveur en tout. Quel dommage que les prêtres ne lisent pas plus
ces écrits saturés du mépris du monde et de l’amour exclusif de Dieu! Ils changeraient non seulement leurs
instructions mais aussi leur vie pratique.
À notre avis celui qui explique mieux toute la technique du renoncement
est St Jean de la Croix. Les démons sont
du même avis car tout l’enfer s’est acharné à déprécier auprès des prêtres et
des fidèles cet auteur qui a une doctrine spirituelle admirable, dit le Pape en
le déclarant Docteur de l’Église. Tous
les philosophes du clergé lui font la guerre avec les démons comme guides. Il est extrêmement pratique, car il fait la
guerre uniquement aux affections naturelles et aux motifs qui en
découlent. Ce ne sont pas les choses
qu’il hait, c’est l’amour pour les créatures qu’il combat partout, parce que
rival de l’amour de Dieu dans le coeur des fidèles.
Montée
du Carmel, L. 1, ch. 4, il écrit: «Il est nécessaire que l’âme qui
veut arriver à l’union divine passe par cette nuit obscure de la mortification
de ses tendances et du renoncement a tous les plaisirs des biens
sensibles. En voici la cause. Toutes les affections qu’elle porte aux
créatures sont devant Dieu comme de pures ténèbres. Tant qu’elle y est plongée elle est incapable
d’être pénétrée de la pure et simple lumière de Dieu. Elle doit donc tout d’abord les rejeter; car
la lumière est incompatible avec les ténèbres.»
St
Jean dit en effet que les ténèbres ne l’ont pas reçu. La raison en est que d’après l’enseignement
de la philosophie deux contraires ne peuvent être contenus dans un même
sujet. Or comme les ténèbres,
c’est-à-dire l’affection qu’on porte aux créatures, et la lumière qui est Dieu,
sont contraires et qu’il n’y a entre elles ni ressemblance ni rapport, ainsi
que l’enseigne St Paul aux Cor. 6-14, il
suit de là que la lumière de l’union divine ne peut pas s’établir dans une âme,
si tout d’abord ses affections aux créatures n’en ont pas été chassées. Pour donner plus de clarté à cette doctrine,
nous devons savoir que l’affection et l’attachement que l’on porte à la
créature la rend semblable à cette créature et plus est grand l’affection qu’on
lui porte, plus aussi elle lui est égale et semblable, car l’amour établit une
ressemblance entre celui qui aime et l’objet aimé… donc celui qui aime la
créature se place au niveau de cette créature et même plus bas en quelque
sorte, car l’amour non seulement rend semblable, mais assujettit celui qui aime
à l’objet aimé. Aussi, quand l’âme aime
quelque chose en dehors de Dieu, elle est incapable de la pure union avec Dieu
et de sa transformation en lui.
Par
conséquent si toutes les créatures considérées sous ce rapport ne sont rien, et
l’affection qu’on leur porte moins que rien nous pouvons dire qu’elles sont un
obstacle et un empêchement à notre transformation en Dieu. Car les ténèbres ne sont rien et moins que
rien, puisqu’elles sont une privation de la lumière. De même que celui qui est dans les ténèbres
ne comprend pas la lumière, de même l’âme qui est attachée à la créature ne
peut comprendre Dieu et tant qu’elle ne sera pas détachée, elle ne pourra pas
posséder Dieu ici-bas par la pure transformation de l’amour, ni là-haut dans la
claire vision du ciel. Ch. 5: «Celui qui veut aimer autre chose avec
Dieu montre clairement qu’il fait peu de cas de Dieu; il met dans une même
balance avec Dieu ce qui, nous l’avons dit, en est infiniment éloigné. L’expérience nous apprend que la volonté, en
s’affectionnant à un objet, le met dans son estime au-dessus de tout autre qui
serait même plus excellent mais qui ne lui plaît pas autant. Si elle veut jouir également de l’un et de
l’autre, elle fait forcément injure au plus digne, puisqu’elle les met
injustement sur le même pied. Or il n’y
a rien qui puisse être égal à Dieu; c’est donc lui faire une grave injure que
d’aimer autre chose que lui ou avec lui et d’y porter son affection. Et s’il en est ainsi que serait-ce si l’âme
aimait quelque chose au-dessus de Dieu.
M. du C. L.
III, ch. 23: «Je vais donner une
règle pour reconnaître quand les
satisfactions
sensibles sont utiles ou non au progrès spirituel. Par exemple, L’ouïe est-elle charmée par la
musique ou par d’autres sons agréables, l’odorat vient-il à respirer de suaves
parfums, etc. Si chaque fois que le
premier mouvement sensuel se fait sentir, la connaissance et l’affection de la
volonté se portent vers Dieu, si alors l’âme accepte cette impression sensible
purement en vue du résultat, qui facilite son ascension vers Dieu, c’est une
preuve non équivoque qu’elle en retire un avantage réel. On peut user sans crainte des objets
sensibles lorsqu’ils favorisent la ferveur de l’esprit, car ils servent alors à
la fin pour laquelle Dieu les a créés et les a donnés à l’homme, c’est-à-dire,
pour exciter son esprit à la connaissance et sa volonté à l’amour. Néanmoins celui qui retire de ces objets
sensibles un effet purement spirituel n’est pas pour cela porté à les désirer
et il se met pas en peine de les rechercher.
Lorsqu’ils se présentent la volonté, il est vrai, ne peut manquer d’en
éprouver un véritable bonheur, à cause de ce sentiment de Dieu dont ils sont la
source; mais sans avoir fait d’effort pour les attirer, elle les franchit
aussitôt pour se fixer en Dieu.»
M. du C.
L. III, ch. 25.
«Renoncez-vous à une satisfaction, le Seigneur vous en donnera cent fois
plus ici-bas, dans l’ordre spirituel et temporel; au contraire, pour un plaisir
que vous prendrez dans les objets sensibles, vous en recueillerez cent fois
plus de peine et d’amertume. Par
exemple, si le sens de la vue est déjà purifié et détaché du plaisir de voir,
l’âme éprouve une joie spirituelle à rapporter à Dieu tous les objets divins ou
humains qui frappent ce sens. Si l’homme
veut délivrer son âme du joug de la vie animale, il doit nécessairement
renoncer à la satisfaction que les objets matériels lui offrent; jusqu’à ce
qu’il ait imprimé à ses sens une telle habitude de mortification à l’endroit
des joies sensibles, qu’il en retire l’avantage de trouver en tout l’occasion
d’aller à Dieu. Sinon il est à craindre
que le contact des créatures ne fournisse à sa nature si terrestre plutôt des
forces pour alimenter les sens que l’esprit et que la partie sensitive,
prédominant en ses actions, n’excite de plus en plus la sensualité. Notre divin Sauveur ne dit-il pas: Ce qui est
né de la chair est chair et ce qui est né de l’esprit est esprit. Celui dont l’attrait pour les plaisirs n’est
pas mortifié, ne doit pas avoir la présomption de puiser dans l’exercice des
sens un secours assez puissant pour progresser dans la vertu et accroître ses
richesses spirituelles.
P. Prat, S.J.
Théo. de St Paul, Vol. II, P.
508, écrit: «Très souvent dans St Paul, le monde acquiert un sens
péjoratif qui lui vient d’un contraste exprimé ou sous-entendu avec un monde
supérieur ou avec une humanité régénérée.
Le monde ainsi compris n’est pas toujours le monde corrompu et pervers;
mais c’est au moins le monde laissé à lui-même, destitué de la
grâce
divine, tel qu’il est et non tel qu’il devrait être dans les desseins de Dieu;
en un mot c’est le monde naturel, par opposition expresse et tacite avec le
monde surnaturel. Les prêtres devraient
bien prendre cette remarque du P.
Prat. Pour la masse des prêtres,
ils aiment à prendre cette expression de «monde» toujours au sens corrompu afin
de se permettre de jouir du monde qui n’est pas toujours pervers comme sont
toutes les choses permises. Mais ces
choses permises sont en général des choses purement naturelles et comme telles
ne conduisent pas du tout à Dieu.
On
trouve l’opposition entre le monde naturel et le monde surnaturel exprimée
clairement dans les premiers chapitres de la 1ère épître aux Cor. «Dieu a convaincu de folie la sagesse de ce
monde… Le monde n’a pas connu la sagesse de Dieu; aussi Dieu a-t-il choisi pour
accomplir son oeuvre les choses faibles du monde, les choses viles… La sagesse
de Dieu est folie pour les hommes et la sagesse des hommes est folie aux yeux
de Dieu.» Or puisque le chrétien a reçu l’esprit de Dieu, il n’a donc pas
l’esprit du monde, car ces deux esprits s’excluent. St Thomas, 1-11, 108, 4: «L’homme est placé
entre les choses de ce monde et les biens spirituels dans lesquels se trouve sa
béatitude éternelle, de sorte que plus il adhère aux uns et plus il s’éloigne
des autres! C’est par l’amour qu’on y
adhère. Donc ces deux amours sont
contraires.
Remarquons
que nous mettons l’opposition seulement
entre
les deux amours, pas entre les créatures et le créateur, tout en gardant
l’expression ordinaire de Mépris du monde.
St Paul lui-même dit que les créatures sont les reflets des perfections
divines et donc bonnes en soi. Cependant
quand il en parle en fonction de l’amour de Dieu, il dit qu’il les considère
comme du fumier comparées à l’amour de J-C.
Dieu est amour et son plan aussi est amour, donné pour acquérir son
amour et donc doit être compris uniquement en fonction de l’amour. Or à ce point de vue on voit combien faux est
le plan des philosophes qui crient qu’il consiste à choisir les bonnes choses
permises de préférence aux choses défendues.
Ce
n’est pas vrai du tout dans l’ordre surnaturel.
Ce serait pratiquement mettre toutes les bonnes choses sur le même pied
que Dieu par rapport à notre amour, ce qui est une abomination devant
Dieu. Selon St Thomas, quand les hommes
vont par amour vers les créatures sans distinction de permises ou de défendues
il dit qu’ils s’éloignent d’autant des choses surnaturelles. Puisque le péché n’était pas dans le plan
divin au commencement, il ne l’est pas plus maintenant, même après qu’il a été
commis. Donc le mépris des choses créées
est essentiel au plan divin quant à l’amour nécessaire pour arriver au ciel. Revenons à l’exemple déjà donné comme
échantillon de notre amour pour Dieu.
Quand Baptiste, marié maintenant avec Berthe, montre encore de l’amour
pour Marguerite, son ancienne amie, ce n’est pas tant Marguerite que Berthe
déteste comme l’amour que Baptiste a pour elle.
Si son mari n’aimait pas cette fille, Berthe ne haïrait pas cette
fille. St François de Sales enseigne
clairement cette même doctrine dans le 23ème chapitre du 1er livre de la Vie
dévote. En parlant d’un repas sans
intempérance et donc bon en soi, il ajoute: «Mais l’affection qu’on y aurait
serait entièrement contraire à cette dévotion, extrêmement nuisible à l’âme et
dangereuse pour le salut.» Et remarquons que c’est pour une chose parfaitement
réglée et modérée et donc permise. Ce
Docteur de l’Église parle donc comme St Paul quand il s’agit de l’amour de
Dieu.
L’amour
des choses créées est donc le rival de l’amour de
Dieu,
pas en soi, mais en nous et donc au point de vue pratique. Toutes les objections contre cette doctrine
viennent des philosophes qui ne considèrent les choses qu’en elles-mêmes, où il
n’y a pas cette opposition. Nous parlons
au point de vue pratique et dans le concret de la vie en vue de notre salut
éternel.
On
peut objecter qu’on voit rarement cette rivalité entre ces deux amours. C’est malheureusement vrai, mais parce que si
peu de chrétiens ont le véritable amour de Dieu, l’amour surnaturel, tel
qu’exigé par le premier commandement.
Les prêtres permettent aux fidèles toutes les affections bonnes en soi, comme
on aurait pu avoir sur le chemin des limbes.
Ils ont donc le même amour que les païens, ils s’entendent donc bien
ensemble. Mais que des chrétiens se
donnent absolument tout aux choses de Dieu, c’est alors que les autres vont les
persécuter comme Jésus nous le promet.
Il y en aura toujours peu qui prêcheront cet amour exclusif parce que
ces prédicateurs seront persécutés tout de suite par les autres prêtres. Le signe de l’amour du monde est dans le
respect humain; tous ceux qui agissent pour faire comme les autres montrent
bien que leur amour est le monde, non pas Dieu.
Qu’ils n’attendent pas de récompenses de Dieu tant qu’ils agiront de la
sorte. Ils agissent pour plaire au
monde, qu’ils attendent leur récompense du ciel. Or que sera-t-elle après la mort? Quelle folie!
le
mépris de soi-même L’homme est créé comme le
monde;
donc tout ce que nous venons de dire des créatures en général doit se dire de
l’homme en particulier et surtout de la personnalité morale ou du moi en chacun
de nous. Car c’est là que l’homme
manifeste son amour-propre et donc c’est là qu’il se montre l’ennemi ou le
rival de Dieu quant à l’amour. Il n’y a
pas de doute que Dieu a mis en nous un échantillon de luimême. L’homme aime à se considérer comme un roi, un
potentat;
il veut que tous les autres le louent, le révèrent et le servent et il veut
dominer sur la création comme un petit dieu.
De là cet orgueil en tout homme par nature. Il se voit le centre du monde, il veut faire
converger vers lui l’attention et l’admiration des autres pour augmenter sa
gloire propre comme s’il était le vrai dieu de l’univers. On voit tout de suite qu’en proportion qu’il
cultive cette attitude mentale et qu’il s’attache à sa propre gloire, il vole
celle de Dieu, devient son rival et s’éloigne dans la même mesure de l’amour de
Dieu. Cependant c’est Dieu qui l’a bâti
ainsi, mais avec l’intention que l’homme sèmerait tous ces dons afin d’en
récolter d’autres dans l’ordre surnaturel.
L’amour de soi est tout ce que l’homme a de plus précieux dans l’ordre
naturel; s’il a le bon sens et le courage de le sacrifier pour l’amour de Dieu,
il acquiert un immense mérite devant Dieu.
Si l’homme ne sacrifie pas cette personnalité morale, il ne peut pas
s’unir à Dieu assez pour aller au ciel.
«Si quelqu’un veut venir après moi qu’il se renonce… etc… luimême.»
C’est donc une nécessité absolue de renoncer à son moi pour être sauvé. Il faut donc se mépriser pour le faire.
Mais
comme pour le grain de blé, on le sème parce que de fait on l’aime tant qu’on
en veut plus. Or pour le multiplier Dieu
exige qu’on le jette en terre comme si on le détestait. C’est qu’il veut nous indiquer la nécessité
absolue du sacrifice des créatures pour récolter au ciel le créateur. Et la raison est qu’il a fait du ciel une
question d’amour. Or l’amour est une fin;
c’est tout ou rien; on la veut sans limite et d’une façon exclusive. Voilà pourquoi Dieu exige le sacrifice des
créatures afin que tout notre coeur aille à lui seul. Nous avons dans l’Écriture une bonne figure
de ce sacrifice que Dieu veut de nous tous.
1 Rois, 5-3. Les Philistins
mirent l’arche dans le temple de Dagon devant leur idole. Le matin ils trouvèrent la tête de l’idole et
ses deux mains gisant à terre devant l’arche.
Eh bien! notre idole ou notre moi
doit sacrifier sa tête ou ses facultés spirituelles à Dieu, ses mains ou son
activité naturelle pour recevoir toute sa sagesse et son activité de Dieu seul
par
sa
grâce. Si Jésus dit que ses pensées, ses
paroles et ses actions ne sont pas de lui, mais de son Père, à plus forte
raison devrions-nous le dire aussi.
N’oublions pas que dans l’ordre surnaturel encore plus que dans l’ordre
naturel, Dieu seul fait tout pour nous, mais en nous et avec nous. Le chrétien doit se comporter avec Dieu
exactement comme la sainte humanité de Jésus se comportait en lui; elle
recevait absolument toute son orientation uniquement du divin en elle ou de la
Personne du Verbe.
Comme
ce sacrifice de soi-même est rarement prêché dans le monde! Même les prêtres ont l’idée que ce n’est que
pour une rare élite. Pourtant c’est si
clair que Jésus l’exige pour tous ceux qui veulent le suivre. Or absolument tous les hommes sont tenus de
le suivre. Donc ce renoncement est pour
tous les hommes et les prêtres devraient le pratiquer eux-mêmes, puis le
prêcher à tout le monde sans exception.
On voit comme ils se font jouer par les démons quand ils mettent tout
leur zèle uniquement à attaquer le péché.
Une fois le péché vaincu il reste encore le pire ennemi de Dieu dans le
coeur: L’amour de soi! Quelque innocent
et bon qu’il soit, il empêche l’amour de Dieu d’entrer dans le coeur tant qu’il
n’est pas massacré comme l’idole de Dagon l’a été devant l’arche de Dieu.
Où
sont les chrétiens qui ont immolé leur jugement et leur volonté à Dieu avec
leur activité physique, figurés par la tête et les mains de l’idole gisant à
terre devant l’arche? Encore une fois,
les prêtres ont une grosse responsabilité devant Dieu de laisser les fidèles
dans cette triste ignorance. Qu’ils
commencent par l’enseigner aux enfants des écoles, puis aux fidèles partout et
toujours. C’est ce qui manque le plus
dans la prédication du monde entier.
C’est lui qui est la cause des péchés; il serait bien plus avantageux de
laisser de côté le péché et d’attaquer les causes subjectives du péché qui sont
renfermées dans le moi païen de chaque chrétien.
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