La
bénédiction paternelle
Beaucoup de nos
vieilles coutumes, et des meilleurs sont en train de se perdre. Bientôt nul ne
les pratiquera plus; déjà c’est à peine si on les connaît. Quelques chercheurs
s’y intéressent encore ; avant qu’elles ne disparaissent tout à fait, ils les
enregistrent comme on herborise, ils les décrivent, ils en font le recueil
comme des choses curieuses.
Eh! Que m’importe ce folklore,
froide sépulture des traditions mortes. Je n’y trouve qu’un faible et stérile
souvenir de ce qui fut vivant. Les vieilles coutumes s’en vont et il ne suffit
point d’en conserver la mémoire : il faudrait les garder elles-mêmes.
De ces coutumes qui se perdent,
il en est de singulièrement précieuses qui tiennent à l’esprit même de notre
race, qui sont comme une expression de notre conscience nationale, et qui
emportent avec elles quelque chose de notre âme. Elles font vraiment partie du
patrimoine idéal hérité de nos ancêtres. N’est-ce pas forfaire que de les
laisser s’éteindre? Comment ne pas déplorer amèrement que de perdre par exemple
la bonne, la salutaire, la saine coutume de la bénédiction paternelle? Jadis,
personne n’eût voulu commencer l’année sans que des mains étendues du chef de
famille ne fû descendue sur les enfants agenouillés la bénédiction d’en haut.
Moment solennel! Le père apparaissait revêtu d’un caractère sacré, et c’est
Dieu qui par sa voix bénissait. Quels fruits salutaires produisait la
bénédiction du Jour de l’an : pardon de toutes les fautes, promesse de tous
les dévouements, garanties de tous les respects! Le seul souvenir de cette
scène auguste devrait arrêter plus d’un fils sur le bord des abîmes.
Les enfants qui n’osent
plus demander la bénédiction de leurs pères et les pères qui ne bénissent plus
leurs enfants, savent-ils bien ce dont ils se privent eux-mêmes, et leurs
familles, et la société? Que deviendrons-nous et que restera-t-il du vrai génie
de notre race quand la coutume sera toute perdue et que nul des nôtres ne
pourra plus se réclamer d’une bénédiction de son père?
Quelle figure serait l’histoire
d’un peuple chez qui la malédiction paternelle serait devenue de tradition? Et comment
ce peuple dont chaque citoyen porterait ce fardeau très lourd saurait-il sa
destinée?... Il n’est personne, même chez ceux qui ne savent pas la vraie
source de l’autorité paternelle, qui ne craigne la malédiction d’un père. Comment
donc la bénédiction paternelle n’importerait-elle pas au bonheur, non seulement
des individus et des familles, mais encore de la société, de la nation.
Heureux les peuples qui
gardent pieusement la coutume de la bénédiction paternelle! Ils ont les dons
qui font les races fortes; car, de père en fils et de siècles en siècles, la
bénédiction descend multipliée sur les têtes toujours plus nombreuses et, à
chaque génération, plus riche de vertus.
Adjutor Rivard
(juge)
h! La belle tradition!
Lisez ce qu’en dit le père Louis Lalande, S.J. :
De bonne heure, le Jour
de l’An au matin, les enfants de familles canadiennes-françaises s’agenouillent
devant leur père, et le père les bénit. C’est une tradition que nos aïeux nous
ont apportée de France. Elle s’est perpétuée chez nous, intimement liée au
sentiment religieux. Elle est une des plus touchantes manifestations de la
piété filiale dans nos foyers. L’Eglise en explique le sens surnaturel, l’encourage,
la recommande, la conserve, comme elle fait pour toutes nos traditions les
meilleures…
Rien par ailleurs, n’est
plus simple que la bénédiction du jour de l’An. Le rituel renferme bien
quelques formalités variant d’une paroisse ou d’une région à une autre. Mais l’essentiel,
le fond, reste partout le même, d’une signification touchante et grande dans sa
simplicité.
Au reste, c’est la
maman qui interprète et qui enseigne aux petits comment il faut faire. Elle a d’abord
commencé elle-même par faire à son mari ses souhaits du nouvel an. Elle et lui
se sont levés plus tôt que de coutume ce matin-là; lui pour être prêt à bénir;
elle, pour s’émouvoir et caresser ses chers petits quand ils seront bénis. Les
plus grands sont venus les premiers ou bien séparément, chacun demandant sa
bénédiction, ou bien à la suite de l’aîné qui la demande pour tous : « Papa,
voulez-vous, s’il vous plaît, nous donner votre bénédiction? » Et le père
levant ses deux mains sur la tête de ses enfants, prononce d’une voix qui s’efforce
de n’être pas trop émue : « Ô mes enfants, que le bon Dieu daigne
vous bénir comme je vous bénis moi-même. »
Quand les enfants sont
encore tout jeunes, c’est la maman qui les conduit aux pieds de leur père,
tenant elle-même le bébé dans ses bras. Et la scène devient d’autant plus
émouvante que la sensibilité paternelle est plus atteinte par cet acte si
grand, accompli par des êtres si petits.
En nul autre moment de
l’année peut-être, cet homme ne sent son cœur paternel remué par un amour plus
tendre et plus ardent pour ses chéris. Jamais sous son toit, il ne se sent plus
près de Dieu qui bénit avec lui et par lui; nulle part, il n’agit en plus
parfait accord et harmonie avec le Père qui est aux cieux.
Souvent la scène se
renouvelle plusieurs fois le même jour : avant la grand’messe, le soir, ou
même les jours suivants. C’est que le père est devenu grand-père. Ses fils et
ses filles sont mariés : ils ont quitté la maison, comme les oiseaux
quittent leur nid. Ils ont fondé à leur tour un foyer. Il faut qu’ils s’en
soient allés bien loin, pour que le Jour de l’An ne les ramène pas à la vieille
maison familiale. De grand matin ils ont eux-mêmes béni leurs petits; puis, en
hâte, le cœur battant de joie, le visage rougi par les caresses du froid, ils
reviennent au grand-papa, le prier, à leur tour, d’appeler le bonheur sur leur
tête et sur celle de leurs bien-aimés. Et le vieillard, levant de nouveau ses
mains sur ses fils, sur leurs enfants, et parfois sur les enfants de leurs
enfants recommence : « Ô mes enfants, et mes petits-enfants, que le
bon Dieu daigne vous bénir comme je vous bénis moi-même! » Ah! c’est à une
année bien commencée!
-Louis Lalande,
S.J.
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