Principes
de la vie d'amour.
Tout
comme la magnanime Thérèse de Jésus, St Jean de la Croix nous propose une
doctrine de totalité. Cette doctrine
se présente même sous une forme tellement absolue, qu'elle effraie plus d'un
lecteur. Il n'y a pourtant pas de quoi s'épouvanter. Le Saint n'est, en aucun
sens, un homme sec et dur comme certains l'ont parfois qualifié. Jugement
totalement erroné ! Certes, le Saint se montre exigeant ; mais les exigences de
sa doctrine sont toutes des exigences de l'amour ; s'il demande beaucoup, c'est
pour nous conduire plus vite aux cimes de l'amour.
Il
faut ajouter que ce caractère absolu donne à sa doctrine une clarté manifeste.
L'enseignement de Saint Jean est très élevé, mais vraiment très clair, parce
qu'il est déduit avec une logique parfaite de quelques principes. Par ailleurs,
le regard du grand contemplatif ne demeure pas toujours fixé sur les cimes les
plus élevées — nous le verrons sous peu — il sait aussi descendre avec un art
éducatif incomparable, jusqu’aux détails de la vie quotidienne, pour réformer
l'âme, en ses plus petits mouvements affectifs, afin de la diriger d'une main
sûre, à travers tous les dangers de la vie spirituelle.
Nécessité
du dépouillement total.
Le
grand ennemi de l'amour de Dieu est notre amour-propre. Nous aimons tant jouir
! Toutes nos puissances sont comme autant de tentacules qui s'allongent prêtes
à nous enlacer de toutes parts, pour alimenter notre appétit, de bien-être. Cet
appétit est si grand qu'il fait naître en l'âme, non seulement l'attache à
l'action imparfaite mais aussi au péché, même au péché mortel ! Pauvre âme
enserrée de tant de chaînes qui arrêtent en elle le développement de la vie
d'amour. « Deux contraires », répète le Saint, « ne peuvent coexister en un
même sujet » ; or l'amour de Dieu et l'amour de la créature, sont deux
contraires, en sorte que, dans une même volonté, l'affection à la créature et
l'amour de Dieu ne peuvent coexister... Comme dans l'ordre naturel des choses,
une forme nouvelle ne peut .s'introduire dans un sujet, si elle n'en a pas
auparavant chassé la forme contraire qui la précède... de même, tant que l'âme
est assujettie à l'esprit sensible, l'esprit purement spirituel ne peut entrer
en elle[i].
Si nous voulons que l'amour divin domine: tout notre amour, il n'y a qu'un
moyen : le dépouiller de toute attache à la créature: Il faut acquérir la «
nudité de l'esprit »[ii].
L'amour
assujettit l'aimée à l'amant ; il fait aimer par l'aimée tout ce que veut
l'amant, il transforme la volonté de l'aimée en celle de l'amant ; il fait en
sorte qu'il n'y ait plus deux volontés, mais une seule : celle de l'amant à
laquelle l'aimée se conforme complètement.[iii]
Ces lois générales de l'amour se vérifient pleinement dans l'amour de Dieu.
Pour aimer Dieu en perfection, il faut que l'âme perde sa volonté propre en
celle de Dieu, qu'elle n'aime plus rien que ce qui est aimé de Dieu autrement
il ne peut être question d'une vraie transformation affective. » L'état de
l'union divine, dit le Saint « consiste à avoir la volonté totalement
transformée dans la volonté de Dieu, au point qu'il n'y ait plus rien en elle
d'opposé à la volonté de Dieu, mais qu'en tout et pour tout, elle soit mue
uniquement par la volonté de Dieu.
C'est
pourquoi nous disons qu'en cet état il n'y a plus qu'une seule volonté, celle
de Dieu étant vraiment celle de l'âme. Or, .si l'âme aime quelqu'imperfection
que Dieu n'aime pas, l'union de volonté n'existe plus, parce que l'âme voudrait
ce que Dieu ne veut pas. Il est donc clair que pour arriver à s'unir
parfaitement à. Dieu par amour de volonté, l'âme doit se libérer d'abord de
tout appétit volontaire, pour petit qu'il soit »[iv].
Logique inflexible : qui veut être tout à Dieu, doit tout laisser pour Lui.
Toto-Nada, Nada, rien, absolument rien. Puissamment expressive est la
comparaison typique du Saint : -« L'oiseau demeure attaché avec un fil tenu
comme avec un gros fil. Le fil qui le retient a beau être léger, l'oiseau y
reste attaché comme à un fil épais, tant que le fil n'est pas détruit ; sans
doute le fil tenu se rompt-il plus facilement, mais il doit se rompre, sans
quoi l'oiseau ne pourra voler »[v]
Il
est donc évident, que pour atteindre l'union, nous devons avoir du courage,
être généreux ; c'est une entreprise héroïque ! La cime du Carmel avec son «
éternel banquet »[vi] goûté par 1'Epouse qui
repose dans les bras du Bien-Aimé, est certes très attrayante, mais pour
l'atteindre, il faut gravir les échelons du « rien ». En suivant les sinuosités
des chemins plus faciles, nous n'arriverons jamais à temps ; il faut affronter
le sentier escarpé. L'espoir d'arriver nous en donnera la force. Mettons-nous
donc en route.
P. Gabriel de Ste M.-Madeleine, O.C.D. - Saint Jean de la Croix
[i]
Montée I, c. 6, n.1 et 2
[ii]
Montée, prologue.
[iii] IIIme Sent., Dist. 27,
q. I, a. 1.
[iv]
Montée I. c. 11. N. 2 et 3
[v]
Montée I. c. 11. N. 4 (n. 3).
[vi]
Cfr. le dessin au frontispice de la Montée.
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