CINQUIÈME
LETTRE.
La
foi n’est pas remplacée par le sentiment.
Madame,
Attaquée
de tant de côtés, la foi est devenue rare aujourd’hui dans les âmes. A mesure
que les temps avancent, nous marchons vers l’accomplissement de la parole de
Notre-Seigneur : « Lorsque le Fils de l’homme viendra, penses-tu qu’il trouvera
de la foi sur la terre ? » (Saint Luc, X V Ill. 8.)
Ce
que je tiens à vous faire remarquer, Madame, c’est que toutes les âmes que nous
voyons n’avoir plus la foi, l’ont eue au moins à leur baptême. Ces âmes-là sont
dans un état bien différent des infidèles qui n’ont jamais eu la foi. La foi
est un bien si grand, que quand il est entré dans une âme, il y en reste
toujours quelque chose.
Saint
François de Sales dit, au sujet de la charité, que a la charité étant séparée
de l’âme par le péché, il y reste « maintefois une certaine ressemblance de
charité, qui nous peut décevoir et amuser vainement.» {Traité de l’amour de
Dieu, Liv. IV, Ch. X .)
Nous
pouvons dire la même chose de la foi. Quand le manque d’instruction chrétienne,
ou quand une éducation systématiquement impie a fait perdre à un chrétien le
don de la foi qu’il avait reçu à son baptême, il y reste ordinairement une
certaine ressemblance de foi, qui nous peut décevoir et amuser vainement.
Cette
ressemblance de foi, parce qu’elle est ressemblance, n’est qu’une image de la
foi ; c’est une foi en image, ou si vous voulez, en imagination ; c’est ce
qu’on appelle, dans une certaine langue, des sentiments religieux.
Les sentiments religieux î une sorte de cadeau
que certains hommes veulent bien faire à Dieu, qui doit leur en être fort
obligé ; un fonds de bienveillance plus ou moins vivement senti de l’homme pour
Dieu ; une sorte de politesse, de bon ton, de bon goût de l’homme vis à-vis de
Dieu : oui, tout ce que l’on voudra dans ce genre qui oblige peu, qui ne gêne
point, qui s’accommode à tout, se prête à tout, ne compromet rien ; c’est là,
le plus souvent, ce qu’on entend par des sentiments religieux, mais ce n’est
pas là la foi.
Comme
la ressemblance de la charité nous peut décevoir et amuser vainement, la ressemblance
de la foi nous peut décevoir et nous déçoit souvent, nous peut amuser et nous
amuse souvent.
Et
comment cela, me direz-vous ?
La
réponse est facile.
Un
chrétien, pour plaire à Dieu, doit faire des actes de foi souvent. Dans la
prière, dans la pratique d’une vie chrétienne, dans la réception des
Sacrements, le chrétien doit, par une obligation rigoureuse, pratiquer la foi,
en faire l’acte intérieur avec plusieurs des actes extérieurs de la vie
chrétienne.
C’est
là le devoir.
Or,
le danger, la déception consisterait à faire ces actes de la vie chrétienne,
non avec la foi, mais avec la ressemblance de la foi ou les sentiments
religieux.
La
foi est alors remplacée par le sentiment ; la réalité par l’imagination. On
peut, dans cet état, faire bien des prières sans prier ; se confesser sans
s’amender, et recevoir l’Eucharistie sans s’unir à Jésus-Christ.
D’après
ce que j’ai ouï dire à un Evêque d’une part, et d’autre part à un missionnaire
qui a parcouru toute la France, et s’est rendu compte très attentivement de
l’état des âmes, il paraîtrait que sur bien des points nous en sommes là
aujourd’hui, faisant avec l’image de la foi les œuvres qu’il faudrait faire
avec la foi.
Ceci
vous aidera à comprendre, Madame, une chose dont vous souffriez beaucoup en un
certain jour, où vous aviez été à même de reconnaître qu’un bon nombre de
chrétiens, se disant dévots et pratiquants, ont tous absolument les mêmes vices
que les mondains non pratiquants. Ils pratiquent, hélas ! mais la foi n’est pas
le principe de leurs actes de religion ; ils sont chrétiens en imagination, et
vicieux comme tant d’autres en réalité.
Rappelez-vous,
Madame, un très court petit mot du Père Lacordaire : « La foi, c’est la foi ! »
Disons ensemble : Credo !
Agréez,
Madame, etc.
SIXIÈME
LETTRE
Quelle
différence il y a entre la foi et le sentiment religieux.
Madame,
Vous
avez lu avec attention ma précédente lettre, et vous me demandez de vous faire
bien saisir la différence qu'il y a entre la foi et le sentiment religieux.
La
besogne me sera facile ; je souhaite que mon travail vous soit utile. Le
sentiment religieux, Madame, est un don de Dieu assurément. C’est un bien, un
bien de l’ordre naturel.
Le
sentiment religieux est la conséquence naturelle de notre qualité de créatures,
comme le respect des parents est naturel à l’enfant.
Le
sentiment religieux est ainsi le respect que nous avons, comme créatures, pour
notre Père qui est dans les Cieux, et qui, par le fait seul de notre création,
nous regarde comme ses enfants, et nous donne à tous le pain de chaque jour, la
lumière de son soleil, les fruits de la terre, la vie, la santé, et mille
autres biens, également de l’ordre naturel.
Le
sentiment religieux étant naturel à l'homme, se trouve chez tous les hommes,
fidèles ou infidèles ; car tous ont ce fond commun de respect pour Dieu, qui
quelquefois se traduit par un acte religieux fondé sur le vrai, comme chez nous
chrétiens ; quelquefois par un acte religieux entaché d’erreur comme chez les
infidèles, les idolâtres, etc.
Il
y a des peuples chez lesquels le sentiment religieux est très profond, et cela
naturellement, par exemple chez les Arabes. Un Arabe ne manquera jamais à sa
prière du matin, à celle du midi, à celle du soir. Il entend le muezzin crier
du haut du minaret la formule sacrée : La Allah, etc.
Aussitôt
il se met en prière, qu’il soit en compagnie, qu’il soit au milieu d’une place,
qu’il soit à n’importe quel travail ; l’heure est venue, il prie. Par ce même
sentiment religieux, l’Arabe rapporte tout à la volonté de Dieu ; les accidents
de la vie, la santé, la maladie, la mort même, il ramène tout à Dieu, et en
toutes circonstances, il répète : Dieu est grand !
Voilà
le sentiment religieux dans toute sa puissance.
Mais,
souvenez-vous, Madame, que notre nature est déchue en Adam ; et, d’une nature
déchue, il ne peut venir qu’un sentiment religieux lui aussi frappé de
déchéance. La nature ne peut se relever d’elle-même ; et le sentiment religieux
purement naturel ne peut absolument pas ramener l’homme à Dieu, ni le tirer du
péché.
Aussi,
avec toute sa religiosité naturelle, l’Arabe conservera tous les vices qui lui
sont malheureusement naturels aussi : il sera vaniteux, il sera menteur, il
sera voleur ; il pratiquera l’hospitalité, mais sachant par où son hôte devra
passer, il enverra quelqu’un le dévaliser, ou bien ira lui-même faire à l’écart
ce qu’il n’aurait jamais voulu faire sous sa tente.
Par
là vous pouvez reconnaître le trait caractéristique du sentiment religieux
purement naturel ; il ne voit rien, il ne veut rien, il ne peut rien contre le
péché.
Le
sentiment religieux, quand il demeure à l’état naturel, est indifférent en
matière de religion. Il s’accommode de tout, il s’arrange de tout, il se prête
à tout, et ne se livre à rien. Pardon, il peut se livrer à la franc-maçonnerie,
là du moins où les maçons veulent bien reconnaître h Grand Architecte, comme
ils disent.
Je
voulais, Madame, vous montrer ce premier tableau. J’arrive à un second. La foi
n’est pas un sentiment, la foi n’est pas de l’ordre naturel.
La
foi est l’assentiment de notre esprit à la vérité révélée de Dieu. C’est un
bien qui ne dérive point de notre nature, mais qui lui est donné d’en haut pour
la guérir.
La
foi est essentiellement purifiante. Fide purificans corda. (Act. XV. 9.)
Elle
éclaire l’esprit, le dépouille de l’erreur : elle redresse l’homme tombé, le
replace dans la voie de Dieu ; elle pose la base de l’œuvre du salut ; elle
achemine l’homme vers tout bien.
La
foi est essentiellement fortifiante. Confortalus fide, dit saint Paul (Rom. IV.
20.) Et encore : Fide stas, Si tu es debout, c’est par la foi. (Id, X I. 20.)
La
foi est vivifiante : Le juste vit de la foi, dit toujours saint Paul. (Gal.
III. 11.)
Si
le sentiment religieux nous laisse de glace pour Notre-Seigneur Jésus-Christ,
il n’en est pas de même de la foi ; elle le rend présent, vivant dans nos cœurs
; Christum habitare per fidem in cordibus vestris. (Eph. III. 17.)
La
foi est le principe d’un monde nouveau, régénéré en Jésus-Christ Notre-Seigneur
; la foi c'est la lumière avant-coureur des splendeurs de l’éternité où nous
verrons Dieu; la foi, c’est la mère de la sainte espérance et de la divine
charité.
La
foi est sur la terre la source pure de toutes les consolations vraies. C’est
encore saint Paul qui nous dit cela. Simul consolari per eam quae invicem est,
fidem vestram atque meam ; Nous consoler ensemble par la foi qui nous est commune,
à vous et à moi. ( Rom . I. 12 .)
Quand
on parle de la foi, Madame, saint Paul est un maître incomparable. Je lui
emprunte un dernier mot pour terminer cette lettre : Saluta eos qui nos amant
in fide. Saluez ceux qui nous aiment dans la foi !
Disons
ensemble : Credo !
Agréez,
Madame, etc.
Extrait de Lettre à une mère sur la Foi
Aucun commentaire:
Publier un commentaire