dimanche 14 avril 2019

Cardinal Pie - Dimanche des Rameaux


X Supplément - XLVII

Homélie pour la bénédiction
et la procession des Rameaux le 24 mars 1877

Plurima autem turba...
cædebant ramos de arboribus et sternebant in via.
Turbæ autem quæ præcedebant et quæ sequebantur clamabant :
Hosanna filio David !
Benedictus qui venit in nomine Domini, hosanna in altissimis.

Une foule nombreuse coupait des branches d’arbres
et en jonchait la route par où devait passer Jésus.
Et les multitudes qui précédaient
ou qui suivaient le Sauveur criaient :
Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux.

Nous commençons aujourd’hui, M. F., cette semaine que l’Église appelle la grande semaine ; non pas, dit saint Jean Chrysostome, que les jours en soient plus longs et plus nombreux, mais à cause qu’ils sont pleins des plus grandes choses que Dieu ait jamais opérées. En effet, M F., on n’y songe pas sérieusement : quels autres faits historiques comparables à ceux dont l’Église va nous rappeler la mémoire ! Aujourd’hui l’entrée triomphale de l’Homme-Dieu dans Jérusalem ; dans trois jours, le mystérieux souper dans le cénacle eucharistique ; puis la souffrance, la mort de ce Dieu, crucifié par les hommes ; enfin la résurrection de ce Dieu sauveur : quels événements que ceux-là ! et qu’il faudrait être négligent pour n’y prendre aucun intérêt ! Combien sont abaissés vers la terre, absorbés, perdus dans la matière, ceux qui n’ont aucune attention pour les anniversaires qui rappellent d’aussi hautes et d’aussi saintes pensées !

Je vous le dirai un autre jour, M. F., car la longueur de la solennité ne me permet aujourd’hui que quelques paroles. Il existe dans l’Église catholique, une admirable économie d’après laquelle les grands faits sur lesquels repose la religion tout entière sont en quelque sorte perpétués au milieu de nous. Oui, dans le temple catholique, les faits principaux de la religion ne sont pas seulement lus, récités ; ils sont reproduits, renouvelés chaque année par une représentation vivante et solennelle. Et il y a en cela une connaissance profonde de notre nature, de la nature de l’homme, non pas seulement de l’ignorant, mais du savant lui-même, chez lequel les impressions sont toujours moins vives quand elles sont dues à l’ouïe que quand les objets ont été placés sous les yeux, organes plus sûrs et plus fidèles.

Aujourd’hui donc, et pendant toute cette semaine, les dernières pages de l’Évangile, depuis l’entrée triomphante du Christ à Jérusalem jusqu’à sa sortie plus triomphante encore du sépulcre, vont se dérouler sous nos yeux par de touchantes cérémonies. Ah ! M. F., combien ces spectacles de l’Église ont autrefois instruit, touché nos pères ! Que ces vastes nefs sont tristes, lorsque ces augustes solennités s’accomplissent comme dans la solitude. De si beaux spectacles et si peu de spectateurs ! Ah ! nous vous en prions, venez, venez vous joindre à nous dans les derniers jours de cette semaine. Venez pénétrer vos âmes de ces grands mystères, les seules choses véritablement dignes d’occuper nos esprits et nos cœurs.

Aujourd’hui, M. F., avec quelle joie je vous ai vus accourir pour célébrer avec moi cette mémorable solennité des Palmes, des Rameaux ! Voyez comme procède l’Eglise catholique. Ce n’est point une simple lecture, un froid récitatif de ce qui s’est accompli en pareil jour à Jérusalem ; ce n’est pas même simplement un discours ayant pour objet de développer ce souvenir. Non : des palmes ont été cueillies ; elles sont auprès de l’autel. L’Église a mis sur mes lèvres de magnifiques accents pour appeler sur ces rameaux la bénédiction céleste. Puis vous êtes venus les recevoir de ma main, et tous nous nous mettons en marche, et nous allons chanter à Jésus l’antique hosanna : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux ! » Comme toute cette marche vivante, animée, donne plus de sens aux paroles du texte sacré qui seront chantées ! Comme tout cela est plein d’onction et de grâce !

Mais entrons plus avant dans l’esprit de cette cérémonie. M. F., vous et moi, nous avons en ce moment des palmes à la main ; et à qui donc allons-nous les offrir ? Quel est ce Roi auquel nous allons faire cortège ? Le Roi, mais c’est un nom qu’on ne prononce plus impunément dans notre patrie. Ah ! Seigneur Jésus, louange à vous, Roi dont la gloire est éternelle ! Les trônes de la terre se sont écroulés, et les yeux les plus fidèles n’ont pas d’autre tribut à payer que le tribut des larmes. Votre trône est éternel. Nous allons tous le chanter : Gloire, louange, honneur soit à vous, Roi, Christ, Rédempteur, vous à qui le jeune âge offrait un pieux hosanna !

Vous êtes le Roi du monde. Le peuple hébreu, il y a dix-huit siècles, allait au-devant de vous avec des palmes ; nous voici devant vous avec des palmes encore. Ce qui se fit à Jérusalem il y a deux mille ans, la ville de Poitiers le fait aujourd’hui. Ce que les enfants chantaient, nous le répétons tous. S’il s’agissait de parer de notre présence, d’animer par nos acclamations le triomphe d’un homme, d’un homme si grand qu’il fût ; nous vivons dans un siècle qui est fier, et la fierté nous arrêterait peut-être. Mais, ô Jésus, ô Roi du ciel, quand il s’agit de vous, la honte n’est pas possible : nous sentons que nous nous honorons, que nous nous grandissons nous-mêmes en abaissant nos rameaux sous vos pas. Ce que nous faisons aujourd’hui, nous le faisons d’accord avec tous les siècles.

Entendez, disait autrefois le grand saint Hilaire à son peuple rassemblé autour de lui, entendez bien une parole de l’évangéliste que vous avez peu remarquée : Turba autem qua præcedebant et quæ sequebantur : les foules qui précédaient et qui suivaient Jésus se dépouillaient de leurs vêtements pour en faire un tapis sous ses pieds, coupaient des branches d’arbres pour en joncher le chemin. Qu’est-ce à dire, les foules qui précédaient, les foules qui suivaient ?

Les foules qui précédaient, c’est-à-dire, toute la série des patriarches et des prophètes, des juges, des rois, tous les justes de la Loi. Voyez tout ce cortège de quatre mille ans qui précède Jésus : Adam, Noé, Abraham, Moïse, Samuel, David, Isaïe, Esdras, les Macchabées, que sais-je ? Voyez toutes ces foules de croyants qui détachent de leurs prophéties des rameaux, qui quittent leurs vêtements royaux ou pontificaux pour préparer le passage du Triomphateur. Voyez-les, sur cette route de quarante siècles, se pressant et se succédant, tenant chacun en leurs mains une palme triomphale et chantant hosanna au Roi des siècles qui s’avance. Telle est la foule ou plutôt telles sont les foules qui précédaient Jésus : voilà son cortège par devant : Turbam autem quæ præcedebant.

Et quæ sequebantur, et les foules qui le suivaient. Ah ! il ne s’agit plus seulement de ces enfants, de ces habitants de Jérusalem qui payaient leur tribut de louanges au Christ qui allait souffrir. Non, ce sont tous les chrétiens chantant hosanna au Christ, qui règne dans les cieux : Hi tibi piissimo... nos tibi regnanti. Les foules qui suivaient, M. F., aux jours d’Hilaire, c’étaient déjà quatre siècles de martyrs, de docteurs, de chrétiens de toute condition, de tous pays. Mais depuis l’homélie de mon saint prédécesseur, ce cortège s’est bien allongé et j’aurais beaucoup à faire pour compléter l’énumération des foules qui ont suivi Jésus en lui chantant hosanna. Les foules qui ont suivi Jésus en lui répétant ce chant de gloire, c’est depuis Hilaire, c’est Augustin, c’est Jérôme, c’est tout ce grand siècle dont il a été l’un des coryphées, qui l’a suivi et dont l’Église sera toujours si fière ; c’est Ambroise, c’est Basile, c’est Chrysostome, puis ce sont des peuples barbares devenus chrétiens.

Qu’est-ce que l’histoire de la France, sinon un hosanna de quatorze siècles ! Citez-moi quelqu’un, quelque chose de grand, dans notre pays, qui n’ait pas abaissé sa palme devant Jésus-Christ. Jésus-Christ, c’est la pierre angulaire de notre pays, la récapitulation de notre pays, le sommaire de notre histoire. Non, rien n’est plus vivant dans notre histoire nationale que le nom de Jésus : Jésus-Christ, disait l’héroïne d’Orléans, qui est roi de France et du monde entier. Oui, Jésus ç’a toujours été parmi nous la première majesté, majesté toujours debout. Ce n’est plus être Français que de ne pas être chrétien ; et selon la parole de saint Ambroise, qui ne s’applique pas moins à notre pays qu’à la nation sainte : Sed ipsi se amore patriæ, qui Christo invident, abdicaverunt. Jésus-Christ, c’est tout notre avenir. Dites-moi ce qui reste debout parmi nous : Jésus-Christ. Tout le reste s’est affaissé, a disparu ; Jésus-Christ n’a fait que grandir. Et si vous voulez que j’écrive en trois mots l’histoire des cinquante dernières années de ce siècle, si vous voulez que je vous dise à qui est réservée la victoire, la royauté, l’empire, je vais l’écrire, et d’une main ferme, sur ce frontispice du temple : Christus vincit, regnat, imperat : à Jésus-Christ, la victoire, la royauté, l’empire ; à lui les palmes, à lui l’hosanna, à lui et à lui seul !

Mon Frère, ah ! que cette victoire, que cette royauté, que cet empire de Jésus-Christ s’exerce partout sur vous, sur votre intelligence, sur votre cœur. Ecce rex tuus venit tibi mansuetus [1] : C’est un roi qui vient vers vous plein de douceur. De grâce, ne cherchez pas d’autre maître que lui. Si vous ne voulez pas de ce roi plein de mansuétude, vous aurez d’autres maîtres pleins de colère. N’apportez plus, pour votre part, n’apportez plus d’obstacle au règne de Jésus-Christ. Ne mettez ni vos vêtements, ni vos rameaux sous ses pieds, à la bonne heure ; mais déposez vos cœurs entre ses mains. Dites aujourd’hui cette parole : Rex meus et Deus meus [2]. Jésus-Christ, vous êtes mon Roi et mon Dieu. Ainsi soit-il.



[1] Matth. XXI-5
[2] Ps. XLIII-5

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