X Supplément - XLVII
Homélie pour la bénédiction
et la procession des Rameaux le 24
mars 1877
Plurima autem
turba...
cædebant ramos
de arboribus et sternebant in via.
Turbæ autem quæ
præcedebant et quæ sequebantur clamabant :
Hosanna filio
David !
Benedictus qui
venit in nomine Domini, hosanna in altissimis.
Une foule nombreuse coupait des
branches d’arbres
et en jonchait la route par où devait
passer Jésus.
Et les multitudes qui précédaient
ou qui suivaient le Sauveur criaient :
Hosanna au fils de David ! Béni
soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux.
Nous commençons aujourd’hui, M. F.,
cette semaine que l’Église appelle la grande semaine ; non pas, dit saint Jean
Chrysostome, que les jours en soient plus longs et plus nombreux, mais à cause
qu’ils sont pleins des plus grandes choses que Dieu ait jamais opérées. En
effet, M F., on n’y songe pas sérieusement : quels autres faits historiques
comparables à ceux dont l’Église va nous rappeler la mémoire ! Aujourd’hui
l’entrée triomphale de l’Homme-Dieu dans Jérusalem ; dans trois jours, le
mystérieux souper dans le cénacle eucharistique ; puis la souffrance, la mort
de ce Dieu, crucifié par les hommes ; enfin la résurrection de ce Dieu sauveur :
quels événements que ceux-là ! et qu’il faudrait être négligent pour n’y
prendre aucun intérêt ! Combien sont abaissés vers la terre, absorbés, perdus
dans la matière, ceux qui n’ont aucune attention pour les anniversaires qui
rappellent d’aussi hautes et d’aussi saintes pensées !
Je vous le dirai un autre jour, M. F.,
car la longueur de la solennité ne me permet aujourd’hui que quelques paroles.
Il existe dans l’Église catholique, une admirable économie d’après laquelle les
grands faits sur lesquels repose la religion tout entière sont en quelque sorte
perpétués au milieu de nous. Oui, dans le temple catholique, les faits
principaux de la religion ne sont pas seulement lus, récités ; ils sont
reproduits, renouvelés chaque année par une représentation vivante et
solennelle. Et il y a en cela une connaissance profonde de notre nature, de la
nature de l’homme, non pas seulement de l’ignorant, mais du savant lui-même,
chez lequel les impressions sont toujours moins vives quand elles sont dues à l’ouïe
que quand les objets ont été placés sous les yeux, organes plus sûrs et plus
fidèles.
Aujourd’hui donc, et pendant toute
cette semaine, les dernières pages de l’Évangile, depuis l’entrée triomphante
du Christ à Jérusalem jusqu’à sa sortie plus triomphante encore du sépulcre,
vont se dérouler sous nos yeux par de touchantes cérémonies. Ah ! M. F.,
combien ces spectacles de l’Église ont autrefois instruit, touché nos pères !
Que ces vastes nefs sont tristes, lorsque ces augustes solennités s’accomplissent
comme dans la solitude. De si beaux spectacles et si peu de spectateurs ! Ah !
nous vous en prions, venez, venez vous joindre à nous dans les derniers jours
de cette semaine. Venez pénétrer vos âmes de ces grands mystères, les seules
choses véritablement dignes d’occuper nos esprits et nos cœurs.
Aujourd’hui, M. F., avec quelle joie
je vous ai vus accourir pour célébrer avec moi cette mémorable solennité des
Palmes, des Rameaux ! Voyez comme procède l’Eglise catholique. Ce n’est point
une simple lecture, un froid récitatif de ce qui s’est accompli en pareil jour
à Jérusalem ; ce n’est pas même simplement un discours ayant pour objet de
développer ce souvenir. Non : des palmes ont été cueillies ; elles sont auprès
de l’autel. L’Église a mis sur mes lèvres de magnifiques accents pour appeler
sur ces rameaux la bénédiction céleste. Puis vous êtes venus les recevoir de ma
main, et tous nous nous mettons en marche, et nous allons chanter à Jésus l’antique
hosanna : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux ! » Comme toute cette marche
vivante, animée, donne plus de sens aux paroles du texte sacré qui seront
chantées ! Comme tout cela est plein d’onction et de grâce !
Mais entrons plus avant dans l’esprit
de cette cérémonie. M. F., vous et moi, nous avons en ce moment des palmes à la
main ; et à qui donc allons-nous les offrir ? Quel est ce Roi auquel nous allons
faire cortège ? Le Roi, mais c’est un nom qu’on ne prononce plus impunément
dans notre patrie. Ah ! Seigneur Jésus, louange à vous, Roi dont la gloire est
éternelle ! Les trônes de la terre se sont écroulés, et les yeux les plus
fidèles n’ont pas d’autre tribut à payer que le tribut des larmes. Votre trône
est éternel. Nous allons tous le chanter : Gloire, louange, honneur soit à vous,
Roi, Christ, Rédempteur, vous à qui le jeune âge offrait un pieux hosanna !
Vous êtes le Roi du monde. Le peuple
hébreu, il y a dix-huit siècles, allait au-devant de vous avec des palmes ;
nous voici devant vous avec des palmes encore. Ce qui se fit à Jérusalem il y a
deux mille ans, la ville de Poitiers le fait aujourd’hui. Ce que les enfants
chantaient, nous le répétons tous. S’il s’agissait de parer de notre présence,
d’animer par nos acclamations le triomphe d’un homme, d’un homme si grand qu’il
fût ; nous vivons dans un siècle qui est fier, et la fierté nous arrêterait
peut-être. Mais, ô Jésus, ô Roi du ciel, quand il s’agit de vous, la honte n’est
pas possible : nous sentons que nous nous honorons, que nous nous grandissons
nous-mêmes en abaissant nos rameaux sous vos pas. Ce que nous faisons aujourd’hui,
nous le faisons d’accord avec tous les siècles.
Entendez, disait autrefois le grand
saint Hilaire à son peuple rassemblé autour de lui, entendez bien une parole de
l’évangéliste que vous avez peu remarquée : Turba autem qua præcedebant et
quæ sequebantur : les foules qui précédaient et qui suivaient Jésus se
dépouillaient de leurs vêtements pour en faire un tapis sous ses pieds, coupaient
des branches d’arbres pour en joncher le chemin. Qu’est-ce à dire, les foules
qui précédaient, les foules qui suivaient ?
Les foules qui précédaient, c’est-à-dire,
toute la série des patriarches et des prophètes, des juges, des rois, tous les
justes de la Loi. Voyez tout ce cortège de quatre mille ans qui précède Jésus :
Adam, Noé, Abraham, Moïse, Samuel, David, Isaïe, Esdras, les Macchabées, que
sais-je ? Voyez toutes ces foules de croyants qui détachent de leurs prophéties
des rameaux, qui quittent leurs vêtements royaux ou pontificaux pour préparer
le passage du Triomphateur. Voyez-les, sur cette route de quarante siècles, se
pressant et se succédant, tenant chacun en leurs mains une palme triomphale et
chantant hosanna au Roi des siècles qui s’avance. Telle est la foule ou plutôt
telles sont les foules qui précédaient Jésus : voilà son cortège par devant : Turbam
autem quæ præcedebant.
Et quæ sequebantur, et les foules qui le
suivaient. Ah ! il ne s’agit plus seulement de ces enfants, de ces habitants
de Jérusalem qui payaient leur tribut de louanges au Christ qui allait
souffrir. Non, ce sont tous les chrétiens chantant hosanna au Christ, qui règne
dans les cieux : Hi tibi piissimo... nos tibi regnanti. Les foules qui
suivaient, M. F., aux jours d’Hilaire, c’étaient déjà quatre siècles de martyrs,
de docteurs, de chrétiens de toute condition, de tous pays. Mais depuis l’homélie
de mon saint prédécesseur, ce cortège s’est bien allongé et j’aurais beaucoup à
faire pour compléter l’énumération des foules qui ont suivi Jésus en lui
chantant hosanna. Les foules qui ont suivi Jésus en lui répétant ce chant de
gloire, c’est depuis Hilaire, c’est Augustin, c’est Jérôme, c’est tout ce grand
siècle dont il a été l’un des coryphées, qui l’a suivi et dont l’Église sera
toujours si fière ; c’est Ambroise, c’est Basile, c’est Chrysostome, puis ce
sont des peuples barbares devenus chrétiens.
Qu’est-ce que l’histoire de la France,
sinon un hosanna de quatorze siècles ! Citez-moi quelqu’un, quelque chose de
grand, dans notre pays, qui n’ait pas abaissé sa palme devant Jésus-Christ. Jésus-Christ,
c’est la pierre angulaire de notre pays, la récapitulation de notre pays, le
sommaire de notre histoire. Non, rien n’est plus vivant dans notre
histoire nationale que le nom de Jésus : Jésus-Christ, disait l’héroïne d’Orléans,
qui est roi de France et du monde entier. Oui, Jésus ç’a toujours été parmi
nous la première majesté, majesté toujours debout. Ce n’est plus être Français
que de ne pas être chrétien ; et selon la parole de saint Ambroise, qui ne
s’applique pas moins à notre pays qu’à la nation sainte : Sed ipsi se amore
patriæ, qui Christo invident, abdicaverunt. Jésus-Christ, c’est tout notre
avenir. Dites-moi ce qui reste debout parmi nous : Jésus-Christ. Tout le reste
s’est affaissé, a disparu ; Jésus-Christ n’a fait que grandir. Et si vous
voulez que j’écrive en trois mots l’histoire des cinquante dernières années de
ce siècle, si vous voulez que je vous dise à qui est réservée la victoire, la
royauté, l’empire, je vais l’écrire, et d’une main ferme, sur ce frontispice du
temple : Christus vincit, regnat, imperat : à Jésus-Christ, la victoire,
la royauté, l’empire ; à lui les palmes, à lui l’hosanna, à lui et à lui
seul !
Mon Frère, ah ! que cette
victoire, que cette royauté, que cet empire de Jésus-Christ s’exerce partout
sur vous, sur votre intelligence, sur votre cœur. Ecce rex tuus venit tibi
mansuetus [1] : C’est un roi qui vient vers vous
plein de douceur. De grâce, ne cherchez pas d’autre maître que lui. Si vous ne
voulez pas de ce roi plein de mansuétude, vous aurez d’autres maîtres pleins de
colère. N’apportez plus, pour votre part, n’apportez plus d’obstacle au règne
de Jésus-Christ. Ne mettez ni vos vêtements, ni vos rameaux sous ses pieds, à
la bonne heure ; mais déposez vos cœurs entre ses mains. Dites aujourd’hui
cette parole : Rex meus et Deus meus [2]. Jésus-Christ, vous êtes mon Roi et
mon Dieu. Ainsi soit-il.
[1] Matth. XXI-5
[2] Ps. XLIII-5
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