X Supplément - XV
Homélie sur le psaume II
pour le jour de Pâques 24 avril 1859
Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion
montem sanctum ejus, prædicans præceptum ejus.
Dominus dixit ad
me : Fitius meus es tu, ego hodie genui te.
Postula a me, et
dabo tibi gentes hæreditatem tuam,
et possessionem
tuam terminos terræ.
Pour moi, j’ai été oint et constitué
roi par lui sur Sion, sa montagne sainte, avec l’ordre d’y publier son décret.
Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui.
Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et votre
possession s’étendra jusqu’aux limites de la terre.
Ps. II-6, 7, 8
Mes très chers frères,
En vain les nations ont frémi, en vain
les peuples ont formé de tragiques complots, en vain les rois de la terre et
les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ, le Christ n’en
est point ému ; et voici le secret de sa force et de sa sécurité : « Quant à
moi, dit-il, j’ai été oint et sacré par les mains mêmes de Dieu ; j’ai été constitué
par lui, j’ai été institué Roi sur la montagne de Sion».
M. F., Jésus-Christ est roi : c’est
un point incontestable de la doctrine chrétienne. Ce point, il est
utile, il est nécessaire de le rappeler en ce siècle. On veut bien de
Jésus-Christ rédempteur, de Jésus-Christ sauveur, de Jésus-Christ prêtre, c’est-à-dire
sacrificateur et sanctificateur. Mais de Jésus-Christ roi, on s’en épouvante,
on soupçonne quelque empiètement, quelque usurpation de puissance, quelque
confusion d’attribution et de compétence [1].
Jésus est Roi, dit saint Hilaire : je
ne sais pas qui pourrait lui contester ce titre après que le larron le lui a
reconnu sur la croix : Et nescio Christum regem esse ambigere ut tritum,
latrone hoc ipso in crucis passione confitente. Il n’est pas une page des
prophètes, pas une des évangélistes et des apôtres qui n’impute à Jésus-Christ
ses qualités et ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà
les Mages cherchent le roi des Juifs : Ubi est qui natus est Rex
Judæorum [2]. Jésus
est à la veille de mourir ; Pilate lui demande : « Vous êtes donc Roi ? : Rex
ergo es tu [3] ? »
Vous l’avez dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d’autorité
que Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la
royauté de Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle. « Écrivez,
ô Pilate, s’écrie notre grand Bossuet, écrivez les paroles que Dieu vous dicte,
dont vous n’entendez pas le mystère. Vous dites bien : Quod scripsi, scripsi.
Que vos ordres soient irrévocables parce qu’ils sont en exécution d’un arrêt
immuable du Tout Puissant. Que la royauté de Jésus soit écrite en la langue
hébraïque qui est la langue du peuple de Dieu, en la langue grecque qui est la
langue des philosophes et des doctes, et en la langue romaine qui est la langue
de l’empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques. Approchez
maintenant, ô Juifs, héritiers des promesses, et vous, ô Grecs, inventeurs des
arts, et vous, Romains, maîtres de la terre ; venez lire cet admirable écriteau
; et tous, tant que vous êtes, fléchissez le genou devant votre Roi » [4].
Que dis-je, mes Frères ? C’est à nous tous, c’est à l’univers entier que s’adresse
cette proclamation solennelle.
Et si l’inscription de Pilate nous
déplaît à lire parce qu’elle a été tracée par une main indigne, entendons l’arrêt
divin que Jésus lui-même promulgue : « Pour moi, j’ai été établi par lui roi
sur sa sainte montagne de Sion, et j’exposerai, je publierai son décret. Le
Seigneur m’a dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui.
Demandez-moi, et je vous donnerai toutes les nations en héritage ».
Mes Frères, Jésus-Christ, en tant que
Dieu, était roi de toute éternité, et par conséquent en entrant en ce monde, il
apportait avec lui déjà sa royauté. Mais Jésus-Christ, en tant qu’homme, a
conquis sa royauté à la sueur de son front, au prix de tout son sang. « Le
Christ, dit saint Paul, est mort et il est ressuscité, à cette fin d’acquérir
l’empire sur les morts et sur les vivants : In hoc Christus mortuus est et
resurrexit ut mortuorum et vivorum dominetur » [5].
Aussi le même apôtre fonde-t-il à la
fois sur le texte de notre psaume le mystère de la résurrection et le titre de
l’investiture royale du Christ. « Le Seigneur a ressuscité Jésus ainsi qu’il
est écrit au psaume second : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré
aujourd’hui. Oui, éternellement, je vous ai engendré de mon propre sein ; dans
la plénitude du temps, je vous ai engendré du sein de la Vierge votre mère ;
aujourd’hui je vous ai engendré en vous retirant du sépulcre : Ressuscitans
Jesum sicut est in Psalmo secundo scriptum : Filius meus es tu, ego hodie genui
te » [6].
Oui, dit le Seigneur à son Christ, c’est
là encore une nouvelle naissance que vous tenez de moi-même. Premier-né d’entre
les vivants, j’ai voulu que vous fussiez aussi le premier-né d’entre les morts,
afin que vous teniez partout la première place : Primogenitus ex mortuis, ut
sit in omnibus ipse primatum tenens [7].
Vous êtes donc mon Fils. Vous l’êtes à tous les titres, puisque je vous ai
triplement enfanté de mon sein, du sein de la Vierge et du sein de la tombe.
Or, à tous ces titres, je veux que vous partagiez ma souveraineté, je veux que
vous y participiez désormais comme homme, de même que y avez éternellement participé
comme Dieu. « Demandez-moi : Postula a me, et je vous donnerai les
nations en héritage, et j’étendrai votre possession jusqu’aux extrémités de la
terre ».
Jésus-Christ a demandé et son Père lui
a donné. « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre, allez donc,
et enseignez toutes les nations » [8].
Vous l’entendez, M. F., Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les
individus, mais toutes les nations. Il ne dit pas seulement : baptisez les enfants,
catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les sacrements, enterrez
les morts. Sans doute la mission qu’il leur donne comprend tout cela, mais
elle comprend plus que cela ; elle a un caractère public, un caractère social.
Et comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les chefs, vers les peuples
pour leur annoncer ses préceptes, pour leur dire leurs vérités : Clama et
annuntia populo meo scelera eorum : Va, et dis à ce peuple ses crimes
» [9] ;
ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les nations, vers les empires,
vers les rois et les puissants, afin qu’ils enseignent sa loi, qu’ils
rappellent sa doctrine à tous : Euntes ergo docete omnes gentes [10].
Jésus-Christ a été constitué Roi des
rois. Oui, M. F., et c’est la véritable gloire, la véritable noblesse des rois,
depuis la prédication de l’Evangile, depuis la conversion des Césars, d’être
désormais les lieutenants de Jésus-Christ sur la terre. Est-ce que par hasard
les rois seraient moins grands depuis que la croix brille au sommet de leurs
diadèmes ? Est-ce que le trône serait moins illustre, moins assuré, depuis que
ta royauté est une émanation, une participation de la royauté de Jésus-Christ ?
Jésus-Christ a été constitué roi, et c’est aussi la véritable dignité, la véritable
liberté, la véritable émancipation des nations modernes d’avoir le droit d’être
régies chrétiennement. Est-ce que par hasard les nations seraient déchues ?
est-ce que leur sort serait moins noble, moins heureux, depuis que les sceptres
auxquels elles obéissent sont tenus de se soumettre au sceptre de Jésus ?
Répétons-le donc, mes Frères : Le
christianisme n’a pas tout son développement, tout son épanouissement, là où il
ne revêt pas le caractère social. C’est ce que Bossuet a exprimé en ces termes.
« Le Christ ne règne pas si son Église n’est pas la maîtresse, si les peuples
cessent de rendre à Jésus-Christ à sa doctrine, à sa loi, un hommage
national ». Quand le christianisme d’un pays se réduit aux simples
proportions de la vie domestique, quand le christianisme n’est plus l’âme de la
vie publique, de la puissance publique, des institutions publiques, alors
Jésus-Christ traite ce pays comme il y est traité lui-même. Il continue sa
grâce et ses bienfaits aux individus qui le servent, mais il abandonne les
institutions, les pouvoirs qui ne le servent pas ; et les institutions, les
pouvoirs, les rois, les races deviennent mobiles comme le sable du désert,
caducs comme ces feuilles d’automne que chaque souffle du vent emporte.
« Demande-moi et je te donnerai toutes
les nations en « héritage ». Le Christ ressuscité a demandé toutes les nations
à son Père, et il fait acte de royauté sur terre. Mais, M. F., une nation a été
particulièrement demandée par le Christ à son Père, et lui a été particulièrement
donnée : cette nation, c’est la nôtre, nation très chrétienne, nation toujours
orthodoxe, née dans l’orthodoxie, Fille aînée de l’Église. Ah ! M. F., il est bien
des côtés par lesquels la France peut se flatter de justifier toujours sa
vocation première. Elle est restée l’instrument de Dieu, même dans ses plus
mauvais jours, et les exploits de Dieu se sont accomplis par ses mains.
Toutefois, hélas ! par combien de côtés aussi notre infortunée patrie n’a-t-elle
pas été infidèle à sa mission ! Combien de sujets de craindre que si elle
persévérait dans ses oppositions à Jésus-Christ, dans son divorce avec
Jésus-Christ, dans le déisme et le naturalisme des modernes principes de son
droit public, combien de sujets de craindre que sa mission ne lui soit enlevée
et transportée à une autre nation qui produirait plus de fruits !
Il n’en sera pas ainsi, Seigneur. Le
cours de vos miséricordes ne s’arrêtera point. Après avoir rouvert à cette
nation les temples que l’impiété avait fermés, après lui avoir rendu la foi
privée et domestique que des sophistes impies avaient ébranlée, vous
poursuivrez votre œuvre, et la seconde moitié de ce siècle, déjà si féconde et
si chargée de grandes choses, ne s’achèvera point que notre France n’ait repris
la première place entre toutes les nations qui forment votre héritage, ô
Seigneur, la place qui convient à la Fille aînée de l’Église. Ainsi soit-il.
[1] V. T. III-511
[2] Matth. II-2
[3] Joann. XVIII-37
[4] 1er discours pour la Circoncision. Édit. Lebel T. XI p. 467
[5] Rom. XIV-9
[6] Act. XIII-33
[7] Colos. I-18
[8] Matth. XXVIII-18
[9] Is. LVIII-1
[10] Matth. XXVIII-19 ; V. T. III-512-514
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