Premier sermon
Sur la Sainteté
Sancti estote, quia ego Sanctus sum.
Soyez saints, parce que je suis saint.
(Lévit. XIX, 2.)
Soyez saints, parce que je suis saint, nous dit le Seigneur.
Pourquoi, M.F., Dieu nous fait-il un commandement semblable ? C'est que nous
sommes ses enfants, et, si le Père est saint, les enfants le doivent être
aussi. Il n'y a que les saints qui peuvent espérer le bonheur d'aller jouir de
la présence de Dieu qui est la sainteté même. En effet, être chrétien, et vivre
dans le péché, c'est une contradiction monstrueuse. Un chrétien doit être un
saint. Oui, M.F., voilà la vérité que l'Élise ne cesse de nous répéter, et,
afin de la graver dans nos cœurs, elle nous représente un Dieu infiniment
saint, sanctifiant une multitude infinie de saints qui semblent nous dire : «
Souvenez-vous, chrétiens, que vous êtes destinés à voir Dieu et à le posséder ;
mais vous n'aurez ce bonheur qu'autant que vous aurez retracé en vous, pendant
votre vie mortelle, son image, ses perfections, et particulièrement sa
sainteté, sans laquelle nul ne le verra. » Mais, M.F., si la sainteté de Dieu
parait au-dessus de nos forces, considérons ces âmes bienheureuses, cette
multitude de créatures de tout âge, de tout sexe et de toute condition, qui ont
été assujetties aux mêmes misères que nous, exposées aux mêmes dangers,
sujettes aux mêmes péchés, attaquées par les mêmes ennemis, environnées des
mêmes obstacles. Ce qu'elles ont pu faire, nous le pouvons aussi, nous n'avons
aucune excuse pour nous dispenser de travailler à notre salut, c'est-à-dire à
devenir saints. Je n'ai donc pas autre chose à vous prouver, que
l'indispensable obligation où nous sommes de devenir des saints ; et pour cela,
je vais vous montrer :
1° en quoi consiste la sainteté ;
2° que nous pouvons l'acquérir aussi bien que les saints,
ayant comme eux les mêmes difficultés et les mêmes secours.
I. – Les mondains, pour se dispenser de travailler à
acquérir la sainteté, ce qui, sans doute, les gênerait trop dans leur manière
de vivre, veulent vous faire croire que, pour être des saints, il faut faire
des actions éclatantes, s'appliquer à des pratiques de dévotion
extraordinaires, embrasser de grandes austérités, faire beaucoup de jeûnes,
quitter le monde pour s'enfoncer dans les déserts, afin d'y passer les jours et
les nuits en prières. Sans doute cela est très bon, c'est bien la route que
beaucoup de saints ont suivie ; mais ce n'est pas ce que Dieu demande de tous.
Non, M.F., ce n'est pas ce qu'exige de nous notre sainte religion ; au
contraire, elle nous dit : « Levez les yeux au Ciel, et voyez si tous ceux qui
en remplissent les premières places ont fait des choses merveilleuses. Où sont
les miracles de la sainte Vierge, de saint Jean-Baptiste, de saint Joseph ? »
Écoulez, M.F. : Jésus-Christ lui-même dit [1] que plusieurs, au jour du
jugement, s'écrieront : « Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en
votre nom ; n'avons-nous pas chassé les démons et fait des miracles ? » «
Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité, leur répondra le juste Juge ; quoi !
vous avez commandé à la mer, et vous n'avez pas su commander à vos passions ?
Vous avez délivré les possédés du démon, et vous en avez été les esclaves ?
Vous avez fait des miracles, et vous n'avez pas observé mes commandements ?...
Allez, misérables, au feu éternel ; vous avez fait de grandes choses, et vous
n'avez rien fait pour vous sauver et mériter mon amour. » Vous voyez donc,
M.F., que la sainteté ne consiste pas à faire de grandes choses, mais à garder
fidèlement les commandements de Dieu, et à remplir ses devoirs dans l'état où
le bon Dieu nous a placés.
Nous voyons souvent une personne du monde, qui remplit
fidèlement les petits devoirs de son état, être plus agréable à Dieu que les
solitaires dans leurs déserts. Voici un exemple qui vous en convaincra : Il y
avait dans le désert deux solitaires... [2]
Voilà, M.F., ce que c'est que la sainteté, et ce qu'est un
saint, aux yeux de la religion. Dites-moi, est-ce bien difficile de se
sanctifier dans l'état où le bon Dieu vous a placés ? Pères et mères, imitez
ces deux saints ; voilà vos modèles : suivez-les et vous deviendrez aussi
saints. Faites comme eux ; en tout, tâchez de plaire à Dieu, de faire tout pour
son amour, et vous serez des prédestinés. Voulez-vous encore savoir ce qu'est
un saint aux yeux de la religion ? C'est un homme qui craint Dieu, qui l'aime
sincèrement et qui le sert avec fidélité ; c'est un homme qui ne se laisse
point enfler par l'orgueil, ni dominer par l'amour-propre, qui est vraiment
humble et petit à ses propres yeux ; qui, étant dépourvu des biens de ce monde,
ne les désire pas, ou qui, les possédant, n'y attache pas son cœur ; c'est un
homme qui est ennemi de toute acquisition injuste ; c'est un homme qui,
possédant son âme dans la patience et la justice, ne s'offense pas d'une injure
qu'on lui fait. Il aime son ennemi, il ne cherche pas à se venger. II rend tous
les services qu'il peut à son prochain, il partage volontiers son bien avec les
pauvres ; il ne cherche que Dieu seul, méprise les biens et les honneurs de ce
monde. N'aspirant qu'aux biens du ciel, il se dégoûte des plaisirs de la vie et
ne trouve son bonheur que dans le service de Dieu. C'est un homme qui est
assidu aux offices divins, qui fréquente les sacrements, et qui s'occupe sérieusement
de son salut ; c'est un homme qui, ayant horreur de toute impureté, fuit les
mauvaises compagnies autant qu'il peut, pour conserver purs son corps et son
âme. C'est un homme qui se soumet en tout à la volonté de Dieu, dans toutes les
croix et les traverses qui lui arrivent ; qui n'accuse ni l'un ni l'autre, mais
qui reconnaît que la justice divine s'appesantit sur lui à cause de ses péchés.
C'est un bon père qui ne cherche que le salut de ses enfants, en leur donnant
l'exemple lui-même, et ne faisant jamais rien qui puisse les scandaliser. C'est
un maître charitable, qui aime ses domestiques comme ses frères et ses sœurs.
C'est un fils qui respecte son père et sa mère, et qui les considère comme
tenant la place de Dieu même. C'est un domestique qui voit, dans la personne de
ses maîtres, Jésus-Christ lui-même, qui lui commande par leur bouche. Voilà,
M.F., ce que vous appelez simplement un honnête homme. Mais voilà ce que Dieu
appelle l'homme de miracle, le saint, le grand saint. « Quel est celui-là ? nous dit le Sage, nous le
comblerons de louanges, non parce qu'il a fait des choses merveilleuses dans sa
vie, mais parce qu'il a été éprouvé par les tribulations, et qu'il a été trouvé
parfait ; sa gloire sera éternelle [3]. »
Que doit-on entendre par une sainte fille ? Une sainte
fille, c'est celle qui fuit les plaisirs et la vanité ; qui fait son bonheur de
plaire à Dieu et à ses parents ; qui aime à fréquenter les offices et les
sacrements ; une fille qui aime la prière ; c'est, en un mot, celle qui préfère
Dieu à tout. J'oserai en citer un exemple surprenant, mais véritable, tiré de
l'histoire ecclésiastique, et sur lequel toutes pourront prendre modèle. Du
temps de la persécution qui sévit sur la ville de Ptolémaïde, les filles
chrétiennes brillèrent par leur vertu. Il y en avait un très grand nombre d'une
naissance distinguée ; elles étaient si pures, qu'elles aimaient mieux souffrir
la mort que de perdre leur chasteté ; elles se coupèrent elles-mêmes les lèvres
et une partie du visage, pour paraître plus hideuses à ceux qui s'approchaient
d'elles. Elles furent déchirées avec des ongles de fer et par les dents des
lions. Ces filles incomparables aimèrent mieux endurer tous ces tourments, que
d'exposer leur corps à la passion des libertins. Oh ! que cet exemple
condamnera un jour de ces filles volages, qui ne pensent qu'à paraître, à
s'attirer les regards du monde, au point d'en devenir méprisables !... Ne leur
citerais-je pas encore l'exemple de sainte Colette [4], cette vierge si pure et
si réservée, qui craignait autant de se faire voir, que les filles de ce siècle
ont de souci de se montrer. Elle entendit un jour dans une compagnie, des
louanges qu'on donnait à sa beauté ; elle en rougit, et alla tout de suite se
prosterner devant son crucifix. « Ah ! mon Dieu, s'écria-t-elle en pleurant,
cette beauté que vous m'avez donnée, sera-t-elle cause de la perte de mon âme
et de celle d'autres personnes ? » Dès ce moment, elle quitta le monde et alla
se renfermer dans un monastère, où elle livra son corps à toutes sortes de
macérations. En mourant, elle donna des marques visibles qu'elle avait conservé
son âme pure, non seulement aux yeux du monde, mais encore aux yeux de Dieu. Je
reconnais bien que ces deux exemples sont un peu extraordinaires, et qu'il y en
a peu qui puissent les imiter ; mais voilà celui qui vous convient
parfaitement. Écoutez bien, jeunes gens et vous verrez que, si vous voulez
suivre l'attrait de la grâce, vous serez bientôt désabusés des plaisirs et des
vanités de ce monde qui vous éloignent de Dieu.
Il est rapporté qu'une jeune demoiselle de Franche-Comté,
nommée Angélique, avait beaucoup d'esprit, mais était fort mondaine. Ayant
entendu un prédicateur prêcher contre le luxe et la vanité dans les habits,
elle vint se confesser à ce prédicateur. Celui-ci lui fit si bien comprendre
combien elle était coupable et pouvait perdre d'âmes, que, dès le lendemain,
elle quitta toutes ses vanités, et se vêtit d'une manière très simple et
chrétienne. Sa mère qui était comme la plupart de ces pauvres aveugles, qui
semblent n'avoir des enfants que pour les jeter dans les enfers en les
remplissant de vanité, la reprit de ce qu'elle ne s'habillait plus comme
autrefois. « Ma mère, lui répondit-elle, le prédicateur à qui j'ai été me
confesser me l'a défendu. » Sa pauvre mère, aveuglée par la colère, va trouver
le confesseur, et lui demande s'il était vrai qu'il eût défendu à sa fille de
s'habiller selon la belle mode. « Je ne sais point, lui dit le confesseur, ce
que j'ai dit à votre fille ; mais, il vous suffit de savoir que Dieu défend de
s'habiller selon la mode, lorsque cette mode n'est pas selon Dieu, lorsqu'elle
est criminelle et dangereuse pour les âmes. » – « Mon Père, qu'appelez-vous
donc mode criminelle et dangereuse ? » -- « C'est, par exemple, de porter des
habits trop ouverts, ou qui font trop sentir la forme du corps ; de porter des
vêtements trop riches et plus coûteux que nos moyens ne nous le permettent. »
Il lui montra ensuite tous les dangers de ces modes, et tous les mauvais
exemples qu'elles donnaient. – « Mon Père, lui dit cette femme, si mon
confesseur m'en avait dit autant que vous, jamais je n'aurais donné la
permission à ma fille de porter toutes ces vanités, et moi-même j'aurais été
plus sage ; cependant mon confesseur est un homme bien savant ; or, que
m'importe qu'il soit savant, s'il me laisse vivre à ma liberté, et en danger de
me perdre pour l'éternité. » Lorsqu'elle fut de retour, elle dit à sa fille : «
Bénissez le bon Dieu d'avoir trouvé un tel confesseur, et suivez ses avis. »
Cette jeune demoiselle eut dans la suite de terribles combats à soutenir de la
part de ses autres compagnes, qui la raillaient et la tournaient en ridicule.
Mais le plus rude assaut qu'elle eut à soutenir, lui vint de la part de
certaines personnes qui entreprirent de la faire changer de sentiment. «
Pourquoi, lui dirent-elles, ne vous habillez-vous pas comme les autres ? » – «
Je ne suis pas obligée de faire comme les autres, répondit Angélique, je
m'habille comme celles qui font bien, et non comme celles qui font mal. » – «
Eh quoi ! faisons-nous mal de nous habiller comme vous voyez ? » – « Oui, sans
doute, vous faites mal, parce que vous scandalisez ceux qui vous regardent. » –
« Pour moi, dit l'une d'entre elles, je n'ai point de mauvaise intention ; je
m'habille à ma façon, tant pis pour ceux qui s'en scandalisent. » – « Tant pis
pour vous aussi, reprit Angélique, puisque vous en êtes l'occasion ; si nous
devons craindre de pécher nous-mêmes, nous devons aussi craindre de faire
pécher les autres. » – «Quoi qu'il en soit de vos bonnes raisons, répondit une
autre, si vous ne vous habillez plus comme nous, vos amies vous quitteront, et
vous n'oserez plus paraître dans les belles compagnies et dans les bals. » – «
J'aime mieux, leur répondit Angélique, la compagnie de ma chère mère, de mes
sœurs et de quelques filles sages, que toutes ces belles compagnies et ces
bals. Je ne m'habille pas pour paraître agréable, mais pour me couvrir ; les
vrais agréments d'une fille ne doivent pas consister dans les habits, mais dans
la vertu. Au reste, Mesdames, si vous pensez de la sorte, vous ne pensez pas en
chrétiennes, et il est honteux que, dans une religion aussi sainte qu'est la
nôtre, l'on s'y permette de tels abus contre la modestie. » Après tous ces
discours, une personne de la compagnie dit: « En vérité, il est honteux qu'une
jeune fille de dix-huit ans nous fasse la leçon : son exemple sera un jour
notre condamnation. Que nous sommes aveugles de tant faire de choses pour
plaire au monde, qui, dans la suite, se moque de nous ! » Angélique persévéra
toujours dans ses bons sentiments, malgré tout ce qu'on pût lui dire. Eh bien,
M.F., qui vous empêcherait de faire ce que faisait cette jeune comtesse ? Elle
s'est sanctifiée en vivant dans le monde, mais en ne vivant pas pour le monde.
Oh ! que cet exemple sera un sujet de condamnation pour un grand nombre de
chrétiens au jour du jugement !
On peut devenir saint, même dans l'état du mariage.
L'Esprit-Saint, dans l'Écriture, se plait à faire le portrait de la sainte femme
; et conformément à la description qu'il en donne [5], je vous dirai qu'une
femme sainte, est celle qui aime et respecte son mari, qui veille avec soin sur
ses enfants et ses domestiques, qui est attentive à les faire instruire et à
les faire approcher des sacrements, qui s'occupe de son ménage, et non de la
conduite de ses voisins ; elle est réservée dans ses discours, charitable dans
ses œuvres, ennemie des plaisirs du monde ; une femme de ce caractère, dis-je,
est une âme juste, le Seigneur la loue, là canonise ; en un mot, c'est une
sainte. Vous voyez donc, M.F., que pour être un saint, il n'est pas nécessaire
de tout quitter ; mais de bien remplir les devoirs de l'état où Dieu nous a
placés, et faire tout ce que nous faisons, dans la pensée de lui plaire.
L'Esprit-Saint nous dit que pour être saint, il ne faut que nous éloigner du
mal et faire le bien [6]. Voilà, M.F., la sainteté qu'ont eue tous les saints
et que nous devons avoir. Ce qu'ils ont fait, nous le pouvons aussi, avec la
grâce de Dieu ; puisque nous avons comme eux les mêmes obstacles à notre salut,
et les mêmes secours pour les surmonter.
II. – Je dis :
1° que les saints ont eu les mêmes obstacles que nous pour
parvenir à la sainteté : obstacles au dehors, obstacles au dedans. Obstacles du
côté du monde : le monde était alors ce qu'il est aujourd'hui, aussi dangereux
dans ses exemples, aussi corrompu dans ses maximes, aussi séduisant dans ses
plaisirs, toujours ennemi de la piété et toujours prêt à la tourner en
ridicule. La preuve en est que la plupart des saints ont méprisé et fui le
monde avec soin ; ils ont préféré la retraite aux assemblées mondaines, et
même, plusieurs, craignant de s'y perdre, l'ont abandonné entièrement ; les
uns, pour aller passer le reste de leurs jours dans des monastères, et les
autres, au fond des déserts, tels qu'un saint Paul, ermite, un saint Antoine
[7], une sainte Marie Égyptienne [8] et tant d'autres.
Obstacles du côté de leur état : plusieurs étaient, comme
vous, engagés dans les affaires du siècle, accablés des embarras d'un ménage,
du soin des enfants, obligés, pour le plus grand nombre, à gagner leur vie à la
sueur de leur front ; or, bien loin de penser, comme nous, qu'ils se
sauveraient plus facilement dans un autre état, ils étaient persuadés qu'ils
avaient plus de grâces dans celui où la Providence les avait placés. Ne
voyons-nous pas que dans le tumulte du monde et au milieu des embarras d'une
famille et d'un ménage, se sont sauvés le plus grand nombre de saints, tels que
Abraham, Isaac, Jacob, Tobie, Zacharie, la chaste Suzanne, le saint homme Job,
sainte Élisabeth : tous ces grands saints de l'Ancien Testament, n'étaient-ils
pas engagés dans le monde ? Sous la nouvelle Loi, pouvez-vous compter le nombre
de ceux qui se sont sanctifiés dans la vie ordinaire ? Aussi, saint Paul nous
dit que les saints jugeront les nations [9]. N'est-ce donc pas dire, qu'il n'y
aura pas un homme sur la terre, qui ne trouve quelque saint dans son état, pour
être la condamnation de sa lâcheté, en lui montrant qu'il aurait pu, aussi bien
que lui, faire ce qui lui a mérité le ciel ?
Si maintenant, des obstacles extérieurs nous passons à ceux
du dedans, nous verrons que les saints ont eu autant de tentations et de
combats que nous pouvons en avoir, et peut-être encore plus. D'abord, du côté
des habitudes ; ne croyez pas, M.F., que les saints aient toujours été des
saints. Combien en est-il qui ont mal commencé, et qui ont vécu longtemps dans
le péché ? Voyez le saint roi David, voyez saint Augustin, sainte Madeleine.
Prenons donc courage, M.F., quoique bien pécheurs, nous pouvons cependant
devenir des saints. Si ce n'est pas par l'innocence, ce sera du moins par la
pénitence ; car le plus grand nombre des saints s'est sanctifié de cette
manière.
Mais, me direz-vous, il en coûte trop ! – Il en coûte trop,
M.F. ? Croyez-vous qu'il n'en ait rien coûté aux saints ? Voyez David, qui
trempe son pain de ses larmes, qui arrose son lit de ses pleurs [10] .
Croyez-vous qu'il n'en coûtât rien à un roi comme lui ! Croyez-vous qu'il lui fut
indifférent de se donner en spectacle à tout son royaume, et de servir à tous
de risée ? Voyez sainte Madeleine : au milieu d'une nombreuse assemblée, elle
se jette aux pieds du Sauveur, accuse publiquement ses crimes dans l'abondance
de ses larmes [11] ; elle suit Jésus-Christ jusqu'au pied de la croix [12], et
répare par de longues années de pénitence, quelques années de faiblesse ;
pensez-vous, M.F., que de pareils sacrifices ne lui aient coûté aucun effort ?
Je ne doute pas que vous n'appeliez heureux les saints qui ont fait une
pareille pénitence, et versé tant de larmes. Hélas ! si comme ces saints, nous pouvions
comprendre la grandeur de nos péchés, la bonté du Dieu que nous avons outragé ;
si, comme eux, nous pensions à l'enfer que nous avons mérité, à notre âme que
nous avons perdue, au sang de Jésus-Christ que nous avons profané ! Ah ! si
nous avions toutes ces pensées dans nos cœurs, que de larmes nous verserions,
que de pénitences nous ferions pour tâcher d'apaiser la justice de Dieu que
nous avons irrité !
Croyez-vous que les saints soient parvenus sans travail à
cette simplicité, à cette douceur, qui les portaient au renoncement de leur
propre volonté, toutes les fois que l'occasion s'en présentait ? Oh ! non, M.F. ! Écoutez saint Paul: « Hélas, je
fais le mal que je ne voudrais pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais ;
je sens dans mes membres une loi qui se révolte contre la loi de mon Dieu. Ah !
que je suis malheureux ! qui me
délivrera de ce corps de péché [13] ? » Quels combats n'eurent pas à souffrir
les premiers chrétiens, en quittant une religion qui ne tendait qu'à flatter
leurs passions, pour en embrasser une qui ne tendait qu'à crucifier leur chair
? Croyez-vous que saint François de Sales n'a point eu de violences à se faire,
pour devenir aussi doux qu'il était ? Que de sacrifices il lui fallut
faire !... Les saints n'ont été saints
qu'après bien des sacrifices et beaucoup de violences.
En 2° lieu, je dis que nous avons les mêmes grâces qu'eux.
Et d'abord, le Baptême n'a-t-il pas la même vertu de nous purifier, la
Confirmation de nous fortifier, la Pénitence de remettre nos péchés,
l'Eucharistie d'affaiblir en nous la concupiscence et d'augmenter la grâce en
nos âmes ? Quant à la parole de Jésus-Christ, n'est-elle pas toujours la même ?
N'entendons-nous pas à chaque instant ce conseil : « Quittez tout et
suivez-moi. » C'est ce qui convertit saint Antoine, saint Arsène, saint
François d'Assise. Ne lisons-nous pas dans l'Évangile cet oracle : « Que sert à
l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme [14] ? » N'est-ce pas
ces paroles qui convertirent saint François Xavier, et qui, d'un ambitieux, en
firent un apôtre ? N'entendons-nous pas tous les jours : « Veillez et priez
sans cesse. » « Aimez votre prochain comme vous-même. » N'est-ce pas cette
doctrine qui a formé tous les saints ? Enfin, M.F., quant aux bons exemples,
quelque déréglé que soit le monde, n'en avons-nous pas encore quelques-uns
devant les yeux, et bien plus que nous n'en pourrions suivre ? Enfin, la grâce
nous manque-t-elle plus qu'aux saints ? Ne comptons-nous donc pour rien ces
bonnes pensées, ces salutaires inspirations de renoncer à tel péché, de quitter
telle mauvaise habitude, de pratiquer telle vertu, de faire telle bonne œuvre ?
N'est-ce pas une grâce que ces remords de conscience, ces troubles, ces
inquiétudes que nous éprouvons lorsque nous avons péché ? Hélas ! M.F., combien
de saints, aujourd'hui dans le ciel, ont reçu moins de grâces que nous !
Combien de païens, de chrétiens sont en enfer, qui, s'ils avaient reçu autant
de grâces que nous, seraient devenus de grands saints !...
Oui, M.F., nous pouvons être des saints, et nous devons tous
travailler à le devenir. Les saints ont été mortels comme nous, faibles et
sujets aux passions comme nous ; nous avons les mêmes secours, les mêmes
grâces, les mêmes sacrements ; mais il faut faire comme eux, renoncer aux
plaisirs du monde, fuir le monde autant que nous le pourrons, être fidèles à la
grâce : les prendre pour nos modèles ; car nous ne devons jamais perdre de vue
qu'il nous faut être ou saints ou réprouvés, vivre ou pour le ciel ou pour
l'enfer : il n'y a point de milieu. Concluons, M.F., en disant que si nous le
voulons, nous pouvons être saints, car jamais le bon Dieu ne nous refusera sa grâce
pour nous aider à le devenir. Il est notre Père, notre Sauveur et notre ami. Il
soupire avec ardeur de nous voir délivrés des maux de la vie. Il veut nous
combler de toutes sortes de biens, après nous avoir donné, déjà dans ce monde,
d'immenses consolations, avant-goût de celles du ciel, que je vous souhaite.
DEUXIÈME SERMON
Sur le culte des Saints et des saintes Images
Mirabilis Deus in sanctis suis.
Dieu est admirable dans ses saints.
(PS. LXVII, 36)
Quand le saint roi David contemplait le ciel, la terre et
tout ce qu'ils renferment, il s'écriait avec des transports d'admiration : « Oh
! que Dieu est admirable dans ses œuvres ! [15] » Mais quand il considérait ce
que Dieu a fait pour l'homme, le chef-d’œuvre de sa puissance, de sa sagesse et
de sa miséricorde, il s'écriait : « Oh !
qu'il est bon le Dieu d'Israël [16] ! » Oui, M.F., Dieu est si bon pour les
hommes, qu'il a donné son Fils pour nous sauver, et il a retracé dans les
saints, toutes les vertus que Jésus-Christ a pratiquées pendant sa vie. Les
saints sont comme autant de petits miroirs dans lesquels Jésus-Christ se
contemple. Dans ses apôtres, il contemple son zèle et son amour pour le salut
des âmes ; dans les martyrs, il contemple sa patience, ses souffrances et sa
mort douloureuse ; dans les solitaires, il voit sa vie obscure et cachée ; dans
les vierges, il admire sa pureté sans tache, et dans tous les saints sa charité
sans borne ; de sorte, M.F., qu'en admirant les vertus des saints, nous ne
faisons qu'admirer les vertus de Jésus-Christ, vertus dont il nous a donné
lui-même l'exemple pendant sa vie mortelle. Quel bonheur pour nous, M.F.,
d'avoir devant les yeux des modèles, et des protecteurs en la personne des
saints du ciel ! Ils sont toujours prêts
à venir à notre secours quand nous les invoquons ; mais pour mériter ce
bonheur, nous devons :
1° avoir une grande confiance en leur protection ;
2° respecter ce qui leur appartient, bien convaincus que
l'honneur que nous leur rendons se rapporte tout à Dieu.
I. – Le culte que nous rendons à Dieu est bien différent de
celui que nous rendons aux saints ; c'est un culte d'adoration, de dépendance ;
nous honorons le bon Dieu par la foi (détail...), par l'espérance (détail) et
par la charité (histoires édifiantes, p.170) [17]. Nous honorons Dieu par un
profond abaissement de notre âme devant sa majesté suprême, comme étant notre
créateur et notre fin dernière ; mais le culte que nous rendons aux saints, est
un sentiment de respect et de vénération pour les grâces que le bon Dieu leur a
faites, pour les vertus qu'ils ont pratiquées, et pour la gloire dont Dieu les
a couronnés dans le ciel. Nous nous recommandons à leurs prières, parce que
Dieu leur a donné un grand pouvoir auprès de lui. Lorsque nous honorons les
saints, nous ne faisons qu'adorer Jésus-Christ, c'est-à-dire que nous
remercions le bon Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant leur vie, et
qu'il leur fait pendant toute l'éternité ; nous les reconnaissons pour les amis
de Dieu et pour nos protecteurs. Nous pouvons dire que c'est pour les saints
que Dieu a fait tout ce qu'il a fait. C'est pour eux que Dieu a créé le monde,
qu'il le gouverne et le conserve, c'est pour eux qu'il a sacrifié sa vie en
mourant sur la croix, c'est pour eux qu'il a opéré tant de miracles, c'est pour
eux qu'il a établi cette belle religion, par laquelle il nous prodigue tant de
grâces. Mais pour mieux comprendre l'amour que le bon Dieu a pour eux, voyons
le degré de gloire et d'honneur qu'il leur a donné dans le ciel. Jésus-Christ
les associe à la compagnie des anges, il les choisit pour ses enfants, ses
frères et ses amis, il les établit les cohéritiers de son royaume éternel, il
les affranchit de l'esclavage du démon, il les purifie de toutes leurs
souillures dans son Sang adorable, il les enrichit de sa grâce et les orne de
sa gloire. Voilà bien, M.F., de quoi nous ravir d'admiration, en voyant le
degré de gloire où Jésus-Christ les élève. Consolons-nous cependant, nous
sommes destinés au même bonheur, si nous voulons imiter ce qu'ils ont fait sur
la terre. Le bon Dieu veut nous sauver aussi, il nous aime autant que ses
saints. Ils ont souffert quelque temps, il est vrai, mais maintenant tout est
fini pour eux ; ils ont été calomniés, humiliés, mis en prison, ils se sont
privés des plaisirs, ils ont renoncé à leur propre volonté, ils sont morts à
eux-mêmes ; les uns ont passé leur vie dans les déserts, d'autres dans les
monastères ; mais, encore une fois, qu'est-ce que tout cela en comparaison du
bonheur et de la gloire dont ils jouissent dans le ciel ?...
Ce qui est pour nous une grâce bien précieuse, c'est que
Dieu a voulu qu'ils fussent nos protecteurs et nos amis. Saint Bernard nous dit
que le culte que nous leur rendons, est moins glorieux pour eux qu'il n'est
avantageux pour nous, et que nous pouvons les invoquer avec une grande
confiance, parce qu'ils savent combien nous sommes exposés à nous perdre sur la
terre, se rappelant les dangers qu'ils ont courus eux-mêmes pendant leur vie.
Pour avoir le bonheur de mériter leur protection, il faut bien remercier le bon
Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant leur vie, et s'efforcer de
pratiquer leurs vertus. Nous devons honorer les patriarches et les prophètes,
dans leur simplicité et leur ardent amour pour Dieu ; les apôtres, en imitant
leur zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; nous devons honorer les
martyrs en imitant leur patience dans les souffrances ; nous devons honorer les
vierges en imitant leur pureté si agréable à Dieu ; nous devons faire tout ce
que nous pouvons pour mériter leur amitié et leur protection.
Nous voyons qu'un grand nombre de pécheurs se sont convertis
par la liaison qu'ils ont eue avec les saints ; voyez ce jeune homme que saint
Jean confia à l'évêque... sans lui il était perdu selon toute apparence [18].
Voyez le changement qui se fit en saint Augustin, par la liaison qu'il eut avec
saint Ambroise [19] ! Voyez encore combien sainte Marie, nièce de saint Abraham,
fut heureuse d'avoir pour ami un si saint oncle [20] !... Que nous sommes
heureux d'avoir pour amis des saints qui nous aiment ; qui, espérant sauver nos
âmes, se font un devoir de nous faire connaître nos fautes pour avoir le
bonheur de nous en corriger ; en voici un exemple admirable. Une jeune fille,
nommée Apolline, fréquentait un jeune homme, sans penser au danger auquel elle
s'exposait. Une pieuse compagne, qui voulait la ramener à Dieu, vint un jour
l'avertir charitablement du mal qu'elle faisait par ses manières trop libres
avec ce jeune homme : « Croyez-moi, ma chère amie, dit-elle, étant plus âgée
que vous, je connais mieux votre fragilité. Dans les entretiens et les libertés
familières avec des personnes d'un autre sexe, le démon gagne toujours plus
qu'on ne peut le connaître ; l'on ne sort jamais de ces sortes de compagnie,
sans qu'il ne laisse dans notre âme certaines impressions pernicieuses ; la
pudeur peu à peu s'affaiblit, et dès que cette vertu s'est affaiblie dans une
fille, elle perd bientôt la crainte de Dieu. Le goût de la vertu ne se fait
plus sentir, tout ce que la religion avait de doux et de consolant pour nous,
devient gênant et pénible. Les sacrements n'ont plus d'attraits, et, si nous
les recevons. c'est sans fruit, quelquefois même avec sacrilège. » Apolline se
montra d'abord insensible à ce discours, mais touchée par la grâce de Dieu,
elle prit le parti d'aller consulter son confesseur. Celui-ci découvrit à la
jeune fille tout le mal qu'elle avait fait, et le danger qu'elle avait couru. «
Vous avez fait plus de mal que vous ne pensez, dit le confesseur. L'amitié de
ce jeune homme pour vous, et celle que vous avez eue pour lui, vous a été plus
funeste que si l'on vous avait plongé un poignard dans le cœur ; au moins on ne
vous aurait fait perdre que la vie du corps, tandis que cette amitié vous a
fait perdre la vie de votre âme, qui a tant coûté de souffrances à Jésus-Christ
! Il est bien temps de vous retirer de cet abîme où vous vous êtes précipitée.
Apolline, touchée du regret d'avoir offensé Dieu, fondit en larmes, remercia
son amie des avis charitables qu'elle lui avait donnés, et lui demanda pardon
de ses scandales. Elle passa tout le reste de sa vie dans les regrets et la
pénitence. Vous voyez, M.F., que si cette jeune fille n'avait pas eu le bonheur
d'avoir pour amie une sainte compagne, peut-être n'eût-elle jamais ouvert les
yeux sur son état, tant elle s'était aveuglée. Mais si les saints qui sont sur
la terre sont déjà si charitables, quelle charité n'ont-ils pas dans le ciel où
cette vertu est parfaite ?
Je dis que nous devons invoquer les saints avec une grande
confiance ; ces invocations sont une suite de la communion qui unit les fidèles
de la terre et les saints qui règnent dans le ciel. Le saint concile de Trente
nous dit que, par la prière, nous faisons un saint commerce avec le ciel. Pour
nous, qui sommes sur la terre, nous devons invoquer les saints d'une manière
suppliante ; afin qu'ils emploient leur pouvoir auprès de Dieu, et qu'ils
obtiennent toutes les grâces qui nous sont nécessaires pour vivre saintement
sur la terre. Les saints, dans le ciel, règnent avec Jésus-Christ, et lui
offrent nos prières quand nous avons recours à eux. Vous voyez donc ; M.F., que
nous avons le bonheur de faire un saint commerce avec le ciel, quoique nous soyons
encore sur la terre. Oui ! aimons les saints et nous mériterons leur
protection. Ils nous aiment encore plus que nous ne pouvons les aimer ; la
charité des saints est bien plus parfaite dans le ciel, que celle que nous
pouvons avoir sur la terre. Saint Cyprien nous dit que les saints trouvent leur
bonheur à prier pour nous et à nous aider à nous sauver, parce qu'étant assurés
de leur gloire, ils se rappellent combien ils ont couru de dangers pendant leur
vie. Ils ont reçu de Jésus-Christ un plein pouvoir ; aussi, demandons-leur tout
ce que nous voudrons. Soyons-en bien sûrs, M.F., les saints que nous invoquons
ont sans cesse les yeux sur nous : nous en avons un bel exemple dans la vie de
saint Louis de Gonzague.
Un jeune homme, nommé Wolfgang, devenu aveugle, avait
recouvré la vue par l'intercession de saint Louis de Gonzague. Il voulut aller
à Rome pour visiter son sépulcre, et, passant dans un lieu désert, il fut
attaqué par des hommes qui le dépouillèrent de tout ce qu'il avait, et qui
allaient lui ôter la vie. Le pèlerin, avant d'entrer dans ce chemin tout
couvert de bois, avait imploré le secours de saint Louis de Gonzague, son saint
de prédilection ; il entendit une voix qui lui dit : « Soyez tranquille, ne
craignez rien. » Voyant ensuite qu'on allait le maltraiter, il eut recours à
son protecteur. Tout aussitôt, il entendit une voix qui lui dit de ne point
craindre, et qu'il ne lui serait fait aucun mal. Au même moment apparut un
jeune homme, vêtu en ecclésiastique ; qui lui dit « Mon ami, avez-vous besoin
de quelque chose ?... Où allez-vous ? » – « Je vais à Rome, répond Wolfgang, je
vais vénérer les précieux restes de saint Louis de Gonzague, qui m'a fait
recouvrer la vue. » – « Et moi aussi, je vais à Rome, dit l'inconnu. » Puis, se
tournant vers les malfaiteurs, d'une seule parole, il les mit en fuite.
Wolfgang ne douta plus que cet inconnu ne fût un envoyé du ciel, et n'osa pas
lui demander s'il était un ange, ou même saint Louis de Gonzague. Ils se mirent
en marche. Arrivés à Florence, Wolfgang vit entrer dans l'appartement où il
reposait, un personnage d'une figure extrêmement belle, et qui se mit à
chanter. Notre pèlerin fut si ravi, qu'il aurait volontiers passé la nuit sans
dormir. La vision disparut bientôt après, mais en lui laissant un cœur brûlant
d'amour de Dieu. A Rome, l'envoyé céleste conduisit Wolfgang au tombeau même de
saint Louis de Gonzague, puis se sépara de lui, en lui promettant d'autres
services pour l'avenir. De retour dans son pays, il raconta les grâces qu'il
avait reçues par la protection de saint Louis, afin d'inspirer une tendre
dévotion envers ce bon saint [21]. Voyez-vous, M.F., combien les saints sont
attentifs à nous secourir, quand nous avons le bonheur d'avoir recours à eux
avec une grande confiance ?
II. – Nous disons que non seulement nous devons avoir une
grande dévotion aux saints, parce qu'ils ont le bonheur d'être les amis de
Dieu, et de jouir à jamais de sa sainte présence, mais encore, nous devons
avoir un grand respect pour tout ce qui leur a appartenu. L'Église a toujours
beaucoup honoré les reliques des saints, parce qu'ils sont les membres vivants
de Jésus-Christ, les temples du Saint-Esprit, les instruments de toutes les
bonnes oeuvres que Dieu a opérées par eux pendant leur vie et après leur mort :
ce qui nous console grandement, et ranime notre foi touchant la résurrection et
la récompense de l'autre vie. Oui, M.F., il est une autre vie plus heureuse que
celle-ci, et qui nous est réservée, si nous sommes assez heureux pour imiter
les saints qui ont vécu avant nous. Que de miracles le bon Dieu n'a-t-il pas
faits par les reliques des saints ? Que de morts ressuscités, que de malades
guéris. Voyez les apôtres, leur ombre seule guérissait les malades [22]. Les
vêtements qui avaient touché le corps de saint Paul, guérissaient les boiteux,
rendaient la vue aux aveugles et la santé aux malades [23]. Voyez la croix de
Jésus-Christ, la plus précieuse des reliques ; lorsqu'on la fit toucher à un
mort , celui-ci se leva comme s'il n'avait fait que dormir. Il est rapporté
dans l'histoire que le bon Dieu révéla à un saint religieux, l'endroit où était
la tête de saint Jean-Baptiste. Le religieux la trouva, en effet, et, passant
dans un lieu où venait de se livrer une bataille, les morts se levaient, comme
s'ils n'avaient fait que dormir. Nous devons donc nous trouver très heureux de
posséder des choses qui ont appartenu aux saints. Oh ! M.F., nous qui avons tant de reliques, que
de grâces nous recevrions des saints, si nous avions le bonheur de les prier,
de demander ce qui nous est nécessaire pour nous sauver ! Quelle foi, quel
amour ne sentirions-nous pas en nous !
Nous devons encore avoir un grand respect pour tout ce qui
les représente. Le saint concile de Trente veut que nous ayons une grande
vénération pour toutes les images qui nous rappellent les saints [24] ; en
voici la raison. Ces images nous instruisent, elles nous rappellent les
mystères de notre sainte religion ; il ne faut quelquefois que la vue d'une
image pour nous toucher et nous
convertir ; à la preuve de, ceci, je vous raconterai un trait frappant. Un
jeune homme, nommé Dosithée, fut de bonne heure confié à un grand seigneur,
pour être élevé parmi les pages de sa cour. Ayant entendu parler des saints
lieux, il se rendit à Jérusalem, espérant obtenir quelques grâces. Comme il
passait à Gethsémani, il aperçut un tableau où était représenté l'enfer, avec
les tourments que les démons faisaient endurer aux damnés. Saisi de frayeur, il
s'arrêta. Comme il cherchait le sens de ce qu'il avait sous les yeux, il demanda
à une vénérable dame, qui apparemment était la sainte Vierge, quels étaient ces
malheureux que l'ont faisait tant souffrir. Elle lui répondit que c'était les
réprouvés, que le bon Dieu punissait, pour n'avoir pas voulu observer ses
commandements et pour avoir négligé de se sauver. Le jeune homme, tout effrayé,
demanda ce qu'il fallait faire pour se sauver et n'être pas du nombre de ces
malheureux. « Mortifiez-vous, lui dit-elle, priez et jeûnez. », et dans
l'instant même, elle disparaît. Le jeune Dosithée, dès ce moment, embrassa la
pénitence, il passa dorénavant une grande partie du temps à prier. Un jeune
seigneur qui l'avait accompagné dans son voyage, surpris de ce changement, lui
dit qu'une vie de prières et de mortifications ne convenait qu'à un bon
solitaire, et non à un jeune homme de qualité comme lui. Dosithée pensant que
c'était un piège du démon, et ne voulant pas résister au mouvement de la grâce,
demanda secrètement où il y avait des solitaires et comment ils vivaient ; on
le conduisit au fameux monastère de Saint Séride, où l'abbé chargea saint
Dorothée de l'examiner. Après un long entretien, Dorothée croyant voir en lui
une véritable vocation : « Allez, mon ami, lui dit-il en l'embrassant
tendrement, le bon Dieu qui vous a donné de si bonnes pensées, vous bénira. »
Il fut reçu, et passa le reste de sa vie dans les pénitences et dans les
larmes. Il mourut en saint [25]. Eh bien ! M.F., vous voyez que la seule vue de
ce tableau le toucha, le convertit, le fit vivre et mourir en saint. Sans ce
tableau, peut-être serait-il en enfer ?...
Les images nous instruisent des saints mystères de notre
religion et frappent notre imagination. Nous lisons dans la vie de sainte
Thérèse, qu'ayant vu un tableau de l’agonie de Jésus-Christ, elle en fut si
touchée, qu'elle tomba presque morte. Elle y pensa pendant toute sa vie ; il
lui semblait voir continuellement Jésus-Christ dans son agonie au jardin des
Olives, prêt à expirer. D'ailleurs, le bon Dieu, pour nous montrer combien le
respect que nous portons aux images des saints lui est agréable, s'est servi
précisément d'elles pour faire quantité de miracles. Il est rapporté que dans
la ville de Rome la peste fit une année des ravages si effroyables, qu'elle
semblait ne laisser personne, malgré toutes les pénitences et toutes les bonnes
œuvres que l'on faisait. Voyant que rien ne pouvait arrêter ces ravages, le
pape saint Grégoire eut la pensée de faire porter en procession une image de la
sainte Vierge, qui avait été peinte, dit-on, par saint Luc. Partout où cette
image passa, la peste cessa ; et Dieu, pour montrer combien cet honneur que
l'on rendait à l'image de sa Mère lui était agréable, envoya un ange qui fit
entendre ces mots : « Regina cœli, lætare ; alleluia. » En même temps la peste
cessa partout [26]. Le respect que nous rendons aux images se rapporte donc aux
saints qu'elles représentent, et l'honneur que les saints reçoivent se rapporte
à Dieu seul.
Il est encore raconté que l'empereur Léon l'lsaurien avait
une telle aversion pour les saintes images, qu'il ordonna de les faire toutes
brûler. Saint Jean Damascène, alors patriarche d'Alexandrie, etc... [27]. Ce
miracle vous prouve combien la sainte Vierge prend plaisir à l'honneur qu'on
rend à ses saintes images ; et cet exemple vous enseigne le respect que nous
devons avoir pour les images des saints ; aussi ne devez-vous jamais laisser
vos maisons sans en avoir quelques-unes, pour attirer sur vous la protection
des saints. Les images semblent quelquefois nous montrer les choses dans leur
réalité, et souvent elles nous frappent presque aussi fortement que les choses
mêmes qu'elles représentent. Voyez ce qui arriva à Bogoris, roi des Bulgares….
[28]. Voyez encore ce qui arriva à sainte Marie Égyptienne, elle reçut la grâce
de sa conversion en allant se présenter devant une image de la sainte Vierge.
Il est bien certain que nous ne devons pas mettre notre
confiance dans les images, comme faisaient les païens, de leurs idoles ; mais
nous devons savoir que l'honneur que nous leur rendons se rapporte au Seigneur,
de sorte qu'en honorant les images, nous ne faisons qu'adorer Jésus-Christ et
honorer les saints que les images représentent. En effet, M.F., il ne faut
souvent qu'un regard sur un tableau pour nous toucher et nous rappeler les
vertus qu'ils ont pratiquées pendant leur vie. Tenez, M.F., jetez vos regards
sur l'image de Jésus-Christ dans son agonie au jardin des Olives ; on nous le
représente pleurant nos péchés avec des larmes de sang ; pouvons-nous trouver
quelque chose de plus touchant pour nous faire pleurer notre indifférence ?
Combien de pécheurs se sont convertis en considérant le tableau de la
flagellation de Jésus-Christ ? Quelle fut la cause des larmes de Madeleine dans
son désert, sinon une croix que l'ange Gabriel plaça devant sa cellule ? Qu'est-ce
qui fit tant pleurer sainte Catherine de Sienne, n'est-ce pas parce qu'elle vit
Notre-Seigneur se présenter à elle comme au moment de sa flagellation ?
Parcourez tous les tableaux de cette église, et vous verrez que la moindre
réflexion vous touchera, et vous donnera l'heureuse pensée de mieux faire et de
vous convertir ; vous verrez en même temps ce que vous avez coûté à
Jésus-Christ, ce qu'il a fait pour votre salut, et combien vous êtes malheureux
de ne pas l'aimer. Si vous regardez le tableau de saint Jean-Baptiste, tout
aussitôt votre esprit se transporte dans son désert, où vous le voyez nourri et
servi parles anges, livré à toutes sortes de pénitences. Ne vous semble-t-il
pas le voir, lorsqu'on lui tranche la tête ? Ne vous semble-t-il pas voir le
bourreau devant Hérode, prêt à remettre cette tête à la fille impudique ? Si
vous voyez saint Laurent, ne pensez-vous pas de suite à tous ses tourments ? Ne
croyez-vous pas l'entendre dire au bourreau : « Tournez-moi de l'autre côté, je
suis assez brûlé de celui-ci. » Voyez saint Sixte, notre bon patron [29] que
vous dit son tableau ?...
Rien, M.F., n'est plus capable de nous toucher et même de
nous convertir, que la vue d'un tableau, si nous voulons bien méditer les
vertus du saint qu'il représente. Aussi devons-nous grandement respecter tout
ce qui est capable de nous rappeler et les saints et leurs vertus, mais il faut
honorer encore bien plus leurs reliques, quand nous avons le bonheur de les
avoir. Nous sommes sûrs que les saints dans le ciel nous aiment, et qu'ils
désirent ardemment que nous allions les rejoindre. Ils veulent que nous ayons
recours à leur protection ; ils ne nous abandonneront pas pendant notre vie.
Ils sont nos amis, nos frères : ayons donc pour eux une grande dévotion ; afin
que leurs prières et les petits efforts que nous ferons sur la terre, nous
procurent un jour le bonheur d'aller nous unir à eux pendant toute l'éternité.
C'est ce que je vous souhaite.
[1] MATTH. VII
[2] Ce trait est raconté dans les mêmes termes au Sermon pour le XVIIe dimanche après la Pentecôte, tome III.
[3] ECCLI., XXXI, 9-10. Le Saint adapte à son sujet le texte de l’Ecclésiastique ainsi modifié.
[4] RIBADEBERIA, au 6 mars.
[5] I TIM. V ; EPH. V.
[6] Ps. XXXIII. 13-15.
[7] Vie des Pères du désert, t. Ier
[8] Ibid. t.V, p.379.
[9] I COR. VI, 2.
[10] Ps. CI, 10 ; VI, 7.
[11] LUC. VII.
[12] JOAN. XIX, 25.
[13] ROM. VII, 15-24.
[14] MATTH. XVI. 26.
[15] Ps. VIII, 1.
[16] Ps. LXX, 1.
[17] Les trois notes entre parenthèses sont du Saint.
[18] RIBADENARIA, au 27 décembre.
[19] S. AUG. Conf. Lib. VI.
[20] Vie des Pères du désert, t. VIII, p.165.
[21] ACTA
SS. t.V, jun. P.941.
[22] ACT. V,
15.
[23] Ibid.
XIX, 12.
[24] Sess. XXV.
[25] Vie des Pères du désert, t.VI, p.271.
[26] RIBADENERIA, au 12 mars.
[27] Trait raconté dans le sermon pour la fête de la
Nativité.
[28] Trait rapporté dans le sermon Sur le jugement dernier,
t. I.
[29] Saint Sixte est le patron de la paroisse d’Ars.