INSTRUCTIONS
SUR LA PÉNITENCE DU CARÊME,
TIRÉES DE L'ÉCRITURE, DES CONCILES ET DES PÈRES
Chapitre
XLIV
Le
déchet de la sainte pénitence du carême qui nous afflige aujourd’hui, est une
suite du déchet de la foi.
Pour
peu qu’on réfléchisse sur l’antiquité de la pénitence du carême, qu’on fasse
attention à l’autorité de ceux qui l’ont établie, aux témoignages de ceux qui
en ont parlé, à la ferveurs des chrétiens qui l’ont observés si religieusement
pendant une longue suite de siècles, à l’esprit de l’Eglise qui n’a jamais
varié sur l’essence de cette sainte pratique, et à la solennité avec laquelle
elle annonce encore aujourd’hui ces jours de jeûne et d’abstinence; on aperçoit
un déchet déplorable de la foi : on ne trouve plus aucune conformité avec
celle de nos pères.
La
plus vénérable antiquité, les traditions apostoliques, les lois de l’Eglise, la
soumission de ses enfants, tout est critiqué, censuré, blâmé aujourd’hui.
Or
d’où vient ce mépris? Quelle est la source de cette révolte, de ces
désobéissances, de ces transgressions publiques? L’irréligion de notre siècle,
les funestes progrès de l’incrédulité, les coupables productions de certains
savants superbes, sans religion.
L’esprit
a voulu régner, briller; ses sacrilèges efforts ont séduit, on les a admirés;
la simplicité de la foi a déplu, parce qu’elle humilie l’orgueilleuse raison de
l’homme. On n’a pas redouté les écrits des savants incrédules, on les a lus,
ils se sont débités, ils ont même reçu des applaudissements. De là des doutes
sur les plus grandes vérités, ensuite des désaveux solennels des faits les plus
graves les mieux attestés; enfin, les progrès du déisme, du matérialisme, et de
tous les systèmes qui s’accommodent aux penchants, aux passions du cœur humain.
On
gémit aujourd’hui de ces funestes progrès, on aperçoit le danger pour la foi
dans ce royaume : ce ne sont pas seulement certains savants, certains
mondains distingués, mais ce sont des chrétiens de tous les états qui ont été
séduits, qui méprisent la simplicité de la foi, que ses saintes obscurités
révoltent, qui critiquent et raillent les lois, les pratiques de l’Eglise les
plus sacrées.
Des
libelles impies passés de main en main à la faveur des ténèbres ont corrompu
tous les cœurs et séduit tous les esprits.
Le
chrétien fidèle redoute la compagnie des autres chrétiens, parce qu’armées des anecdotes
scandaleuses, des réflexions libertines, des décisions téméraires d’un savant
accrédité, on raille, on combat, on nie même les dogmes de la religion dans un
cercle, à une table; toutes les vérités de la foi semblent n’être plus aujourd’hui
que des problèmes dans la bouche des enfants du siècle : Diminuatae sunt
veritates a filiis hominum : (Psal. XI.)
Or
il n’est pas douteux que cet esprit d’irréligion si accrédité, est aujourd’hui
la cause de ce déchet déplorable de la pénitence du carême, qui nous afflige :
qu’on y fasse attention, il a augmenté à mesure que l’incrédulité a fait des
progrès.
Remontons
aux premiers siècles de l’Eglise, ces temps où la foi était si vive, si
soumise. Nous y verrons la pénitence du carême pratiquée avec une rigueur qui
nous étonne, et dont nous nous croyons incapables.
Les
jeûnes et les abstinences de la quarantaine étaient regardés comme des
préceptes dont on ne pouvait pas se dispenser sans s’exposer à la damnation,
sans manquer au respect dû à une institution apostolique, à une loi sacrée de l’Eglise,
parce que les fidèles étaient animés de cette foi qui ne sait pas disputer,
mais se soumettre et mourir même pour la doctrine du Sauveur. Ils étaient tous
dans ce saint temps, sans distinction, des pénitents sincères.
Pendant
douze cents ans, la pénitence du carême a été observée avec cette sévérité que
nous nous contentons d’admirer. Pourquoi? Parce que la foi était plus vive,
plus soumise; parce qu’on ne s’érigeait pas audacieusement en censeurs des lois
de l’Eglise, qu’on ne lui disputait pas son autorité.
Ensuite
se sont introduits les adoucissements dans les grands jeûnes, que la tendresse
de l’Eglise a tolérés; mais les chrétiens, en profitant de ces adoucissements,
pratiquaient avec respect le jeûne et l’abstinence, il fallait encore une
infirmité réelle pour se dispenser du jeûne ou de l’abstinence, et l’on peut
dire que ce mépris scandaleux de la pénitence du carême n’a fait ces progrès
étonnants qui nous affligent, que dans notre siècle où l’on se pique tant d’esprit
et de lumières.
Il
n’y a pas longtemps que les infracteurs de la loi du carême ne se cachent plus,
qu’ils s’applaudissent hautement, et tournent en ridicule ceux qui ne les
imitent pas. D’année en année, le nombre des pénitents diminue : le carême
n’est presque plus rien aujourd’hui : je n’en suis pas étonné, ce déchet
de la pénitence est une suite du déchet de la foi.
Comment
respectera-t-on la loi de l’Eglise? On a répandu sur ses conciles, sur ses décisions
les plus solennelles, sur les écrits de ses saints docteurs, des nuages, des
obscurités. L’incrédule audacieux défigure, flétrit ses plus beaux siècles par
ses sacrilèges subtilités et ses spécieuses objections. Il est écouté,
applaudi; on respecte ses découvertes, ses lumières; on lui sait gré de faire
tomber le bandeau importun de la foi, et de faire triompher la raison qui était
obligée de se taire.
Ah
! il n'est pas étonnant que des hommes de doutes, d'incertitudes, méprisent
l'autorité de l'Eglise, lui prêtent des vues de politique, d’intérêt, et se
fassent une gloire de leur désobéissance. Ses ennemis ne seront jamais des
hommes de foi et de piété.
Nous
voyons donc avec douleur, ô mon Dieu! dans ces jours, l'irréligion et la
licence des mœurs triompher. L'une est une suite de l'autre : ce déchet de la
piété et de la soumission est le fruit de l'erreur accréditée. Rendez, ô mon
Dieu! la paix à votre Eglise. Quand elle n'aura plus d'enfants rebelles, elle
n'aura plus dans son sein d'infracteurs audacieux de ses préceptes. La
pénitence solennelle du carême sera observée comme dans les siècles précédents,
où l'on disputait moins, mais où l'on vivait mieux.
CHAPITRE
XLV.
.
Les
motifs qui doivent consoler les chrétiens affligés du déchet de la sainte
pénitence du carême.
Je
le sais, ô chrétiens fidèles et soumis à la sainte pénitence du carême! une
douleur amère afflige votre cœur dans ce saint temps. Cette foule d'enfants
rebelles qui désobéissent à l'Eglise, qui insultent à son deuil, vous attriste
: vous êtes dans la désolation en voyant ce contraste qui étonne nos ennemis.
Dans le sein même de l'Eglise, un spectacle de piété, de larmes, de pénitences;
un spectacle de plaisirs, de délices, de licences. Notre zèle s'excite,
s'alarme comme celui des Moise, des Phinées, des Matathias, à la vue de ces
infracteurs de la loi : votre zèle est louable ; mais contentez-vous de prier,
de gémir dans la retraite, ou au pied des saints autels : fuyez le commerce de
ces chrétiens désobéissants.
C'est
dans le saint temps de carême, que l’âme fidèle pourrait dire avec le saint roi
d'Israël: Je m'éloigne du monde pendant la sainte quarantaine, je me retire à
l'écart ; je me ferai une solitude dans ma maison, je n'en sortirai que pour
aller prier et gémir dans le saint temple, et répandre mon Aine affligée devant
le Dieu des consolations : Elongavi fugiens, et mansi in solitudine. (Psal.
LIV.) Pourquoi? Parce que je vois régner partout, dans ce saint temps,
l'iniquité et la contradiction : Quoniam vidi iniquitatem et contradictionem in
civitate. (Ibid.)
Je
vois dans une ville chrétienne des hommes 'qui se font gloire des péchés qu'ils
commettent; qui accréditent par leurs exemples la désobéissance aux plus
saintes lois ; je vois une contradiction dans ceux qui professent la même foi,
qui m'ébranlerait si l’Evangile ne m'apprenait pas que le nombre des élus est
petit.
Des
chrétiens fidèles jeûnent, se mortifient; les offices sont plus longs, les
exhortations plus fréquentes : on s'efforce de toucher le Seigneur par sa
douleur et ses gémissements, et tous les autres chrétiens se délicatent,
s'engraissent, se livrent aux plaisirs, vont aux spectacles, et désavouent publiquement
la nécessité de cette pénitence : Vidi iniquitatem et contradictionem
incivitate. Ah! je ne porterai pas nies yeux sur ce monde d'infracteurs; je le
fuirai pour me consoler avec le troupeau fidèle qui obéit à l’Eglise.
La
première réflexion qui doit vous rassurer et vous consoler, âmes fidèles, dans
ce déchet déplorable de la sainte pénitence du carême, c'est l'esprit de l'Eglise
qui est -toujours le même. Elle a combattu clans tous les siècles et la
doctrine des hérétiques et le relâchement de ses enfants sur la pénitence du
carême. Les décisions de ses derniers conciles, comme celles des premiers ; les
mandements des évêques d'aujourd'hui, comme ceux des premiers siècles; les exhortations
des pasteurs, les discours des prédicateurs, vous annoncent la pénitence du
carême, comme on l'annonçait autrefois. Si la misère, la rigueur des saisons,
la représentation des magistrats l'a déterminée à user d'indulgence, ce n'est
qu'en gémissant, et en vous rappelant l'ancienne sévérité du carême de nos
premiers frères, qu'elle vous l'accorde.
Ce
déchet de la pénitence du carême qui vous afflige est donc non-seulement désavoué,
mais encore condamné par l'Eglise. Quelle consolation pour vous, âmes fidèles,
d'entrer, autant que vous en êtes capables, dans l'esprit de l’Eglise!
Quoique
vous ne pratiquiez point les rigueurs des premiers chrétiens, vous avez
toujours la consolation d'imiter leur respect pour la loi de l'Eglise. Vos
jeûnes ne sont pas aussi longs, vos repas aussi frugals, vos privations aussi
parfaites : mais, en observant la sainte pénitence du carême, avec les seuls
adoucissements que l'Eglise permet; en ajoutant le jeûne spirituel au jeûne corporel
; en priant, en gémissant avec l'Eglise pendant la sainte quarantaine, vous entrez
dans son esprit, vous ne vous séparez pas des saints pénitents, comme les
mondains qui violent toute la pénitence du carême.
Oui,
mon Dieu, ce qui me console dans l'amertume de mon cœur, c'est que cette
pénitence du carême, combattue par les hérétiques, méprisée et abandonnée par
les mondains, a été pratiquée par des enfants de l'Eglise, fervents et soumis
dans tous les siècles ; c'est qu'elle a toujours été annoncée solennellement
dans le même temps ; c'est que les plus grands Saints, ceux que vous avez
distingués par le don des miracles et de prophétie, les plus illustres
docteurs, les empereurs et les puissants du siècle, ont eu une profonde
vénération pour la loi de votre Epouse ; aucun ne croyait s'en dispenser : vous
vous réservez, Seigneur, dans tous les états, des âmes fidèles que le monde ne séduit
pas, et qui condamnent par leur obéissance la coupable révolte des mondains.
Dans
ce siècle même, tout corrompu qu'il est, dans ces jours de révolte et d'incrédulité,
je vois, ô mon Dieu par votre miséricorde, de saints pénitents ; j'en vois dans
tous les états et dans toutes les conditions : je vois ceux qui vous sont
fidèles faire des efforts pour pratiquer les jeûnes et les abstinences selon
l'esprit de votre Eglise : il y en a mémé plusieurs qui pratiquent les grands
jeûnes, et dont on est obligé de modérer les rigueurs qu'ils voudraient
s'imposer dans ce saint temps. Je vois aussi avec plaisir, ô mon Dieu ! la
pénitence du carême respectée et observée à la cour. Les ennemis du jeûne et de
l'abstinence sont obligés d'y tenir un autre langage que celui qu'ils tiennent dans
le cercle des libertins et des incrédules. L'exemple d'un grand roi et d'une
grande reine les confond. Ils y sont témoins d'une soumission parfaite à la loi
du jeûne et de l'abstinence, et jamais d'aucune transgression.
C'est
cette fidélité de ceux qui vous craignent, qui me console, Seigneur, dans le
déchet étonnant de la pénitence du carême.
Après
avoir médité ces motifs de consolation, il, faut implorer le secours du ciel
pour ne pas être ébranlé ou séduit par les coupables exemples que donnent les
ennemis de la pénitence du carême. Il faut imiter la foi et la fidélité de Noé,
ce fidèle serviteur de Dieu.
Pendant
que des hommes corrompus se livraient aux plaisirs des sens, qu'ils buvaient et
mangeaient, peu en peine de fléchir le Seigneur irrité de leurs crimes, par une
sincère pénitence, le juste Noé s'appliquait à mériter grâce devant Dieu par sa
foi, son obéissance et son travail. Pendant ce déluge d'iniquités dont notre
siècle ne rougit point ; pendant que les mondains se livrent aux plaisirs, et
se moquent de ceux qui jeûnent et se mortifient, respectez la loi de l’Eglise,
cette arche précieuse; pratiquez la pénitence qu'elle vous impose, et vous vous
sauverez.