DIX-SEPTIÈME INSTRUCTION
RÔLE DE JÉSUS-CHRIST EN NOUS.
«Ce
n’est plus moi qui vis, c’est J.-C. qui vit en moi». Gal. 2-20.
La
sainteté de Dieu consiste dans l’adhésion de sa volonté à ses perfections
infinies. C’est son «amour-propre», mais en lui parfaitement légitime,
puisqu’il est Dieu et infiniment parfait. C’est dans sa sainteté divine qu’il
trouve son bonheur éternel. Eh bien! Quand Dieu décréta l’Incarnation du Verbe,
c’était en vue de nous communiquer cette sainteté divine, afin de nous faire
participants de son bonheur éternel. Le Verbe s’unirait à notre humanité et
deviendrait l’un des nôtres d’une façon bien réelle puisqu’il serait vraiment
homme tout en restant vraiment Dieu. Après avoir communiqué la vie divine à son
humanité, il ferait de même pour les autres hommes qui croiraient en lui et
l’accepteraient comme leur Sauveur.
Pour
nous faire comprendre cette merveille inouïe, Jésus nous donne l’exemple de la
vigne. «Je suis la vigne et vous êtes les sarments… de même qu’un sarment ne
saurait porter de fruit de lui-même sans rester sur le cep de la vigne, il en
est ainsi de vous, si vous ne demeurez pas en moi… celui qui demeure en moi et
en qui je demeure porte beaucoup de fruit; car vous ne pouvez rien faire sans
moi». Jo. 15.
Ailleurs
il dit: «Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en
abondance. Nous avions déjà la vie naturelle avant son incarnation»; il parle
donc de la vie divine qu’il nous apporte et l’exemple de la vigne s’applique
surtout à la vie surnaturelle.
Par
la grâce sanctifiante, nous sommes greffés sur J.-C.; c’est la même vie divine
qui circule dans notre être et en J.-C.
Saint
Paul prend l’exemple du corps humain avec ses membres pour expliquer notre
union avec le Sauveur. Comme chaque membre vit de la vie du corps et qu’il
constitue le corps, ainsi tout chrétien en état de grâce constitue un membre du
corps mystique de J.-C. qui vit de la vie même de J.-C.
Or
la vie divine est aussi sa sainteté: donc en proportion qu’un chrétien reçoit
de cette vie divine, il participe à la sainteté de Dieu.
Nous
pouvons résumer toutes les exhortations de Jésus à la sainteté par ces paroles
de la fin de sa vie: «Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’ils soient
aussi sanctifiés dans la vérité (Il vient de dire qu’il est la vérité). Je ne
prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi
par leur parole; afin qu’ils soient tous une seule chose, comme vous, mon Père,
vous êtes en moi et moi en vous et qu’ils soient de même une seule chose en
nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé». J. 17.
C’est
la plus intime union possible entre Dieu et nous que Jésus veut nous donner.
C’est une participation à la vie intime de la Trinité dans la vision béatifique
du ciel. Nous devrions tous nous bien disposer à bien comprendre d’abord le
plan divin, puis ensuite nous déterminer à tout faire pour le réaliser en
chacun de nous.
On
voit tout de suite que la sainteté de Dieu est tout le contraire de notre
amour-propre; c’est son amour-propre à lui. Donc si nous voulons devenir saints
comme lui, il nous l’ordonne, nous devons rejeter complètement notre
amour-propre pour prendre le sien. C’est un changement radical et absolu dans
notre vie. Il va falloir haïr ce que nous avons aimé et vice versa, de fait
sinon de volonté. Par nature, notre vie a été toute aux créatures, maintenant
par grâce elle doit être toute à Dieu et aux choses de Dieu. Voyons comment
Dieu va s’y prendre pour opérer cette transformation ineffable.
IL NOUS ÉLÈVE DANS L’ORDRE
SURNATUREL
Par
la grâce sanctifiante, il nous fait participants de la vie divine et donc nous
élève au rang divin. Nous devenons réellement les enfants de Dieu par adoption,
mais plus parfaitement que par l’adoption de la terre. Les parents ne peuvent
pas faire que l’enfant adopté ait leur sang et leur chair, mais l’adoption
divine nous communique la vie divine propre de Dieu. Nous sommes donc vraiment
ses enfants et il est notre Père, comme Jésus nous le fait dire dans sa prière:
«Notre Père…».
Voici
un point extrêmement important et rarement connu par les prêtres et encore
moins par les fidèles. Est-ce que la grâce nous divinise totalement? Sans
hésiter tout le monde dit: «Oui». Il y a du vrai et il y a du faux…
La
grâce sanctifiante divinise totalement tout notre être ou toute sa substance,
notre entité physique, corps et âme. Trop de prêtres mêmes restent là pour
eux-mêmes et pour les autres. Ils disent ouvertement que lorsque l’on est en
état de grâce, tout en nous est surnaturalisé. Physiquement, oui!
Mais
l’homme libre, est libre et Dieu respecte sa liberté jusque dans notre
élévation surnaturelle. Il y a toute la partie libre des intentions et des
motifs ou de l’orientation libre de notre activité physique qui n’est pas
divinisée automatiquement par la grâce sanctifiante! Même quand je suis en état
de grâce, je reste libre de manger une pomme pour Satan, pour mon païen ou pour
Dieu. Pourquoi Jésus, les Apôtres et tous les Saints nous recommandent tant de
tout faire pour Dieu, si une fois en état de grâce on le fait automatiquement?
Pourquoi tant parler des intentions dans les livres spirituels, si ces
intentions sont surnaturelles quand nous sommes en état de grâce? Elles ne le
sont pas par le seul fait de notre élévation dans l’ordre surnaturel!
Or,
le mérite éternel est dans la partie libre de notre activité, il n’existe pas
dans la grâce sanctifiante; elle est une condition nécessaire au mérite, mais
elle n’est pas le mérite! après avoir donné la grâce sanctifiante aux anges,
Dieu les a éprouvés pour leur donner une chance de mériter le ciel par un acte
libre de leur intention ou motif. Or Lucifer, étant en état de grâce, a agi
librement comme s’il était encore dans l’ordre naturel et c’est pour cela qu’il
est devenu le diable. En état de grâce il a agi avec un motif naturel et il fut
précipité en enfer uniquement pour cela. Saint Michel et les bons anges, étant
en état de grâce, ont agi pour un motif surnaturel, pour l’amour de Dieu et ils
sont allés au ciel continuer de vivre pour Dieu dans la partie libre de leur
activité angélique. Substantiellement, ils étaient divinisés, mais pas dans
leur orientation libre des intentions. Avec la grâce actuelle de Dieu, ils ont
voulu agir en êtres divins qu’ils étaient physiquement. Mais leur mérite et la
gloire de Dieu étaient justement dans l’usage libre de leurs intentions.
Nous
sommes dans le même cas que les anges. Le seul fait de recevoir la grâce
sanctifiante ne nous donne pas de mérite ni à Dieu de la gloire, puisque c’est
un don purement gratuit que nous ne pouvons jamais mériter, quand nous ne
l’avons pas. C’est pourquoi Dieu nous éprouve une fois en état de grâce. Il
nous fait ses enfants et ensuite il nous donne des chances d’agir comme tels ou
non. C’est uniquement quand nous agissons librement pour plaire à Dieu et donc
pour un motif surnaturel que nous montrons notre appréciation du don divin de
la grâce sanctifiante et donc que nous avons du mérite et Dieu de la gloire.
En
d’autres termes, la grâce sanctifiante est comme l’arbre, mais nos actions
libres surnaturelles, par nos motifs surnaturels, en sont les fruits. Or on
cultive un arbre pour ses fruits; Dieu attend des fruits surnaturels libres de
notre grâce sanctifiante. Là est sa gloire et notre mérite.
Est-ce
qu’un enfant a du mérite à recevoir la nature humaine? Pas du tout, quand même
c’est déjà un grand don, il ne vient pas de lui. Où sera son mérite et la
gloire des parents? C’est quand cet enfant grandira de manière à faire plaisir
à ses parents ou quand il agira en être humain avec sa raison et sa volonté
libre. Autrement, s’il agit seulement comme un animal, c’est un idiot et une
vraie croix pour ses parents. Quelle consolation auraient-ils dans le fait
qu’il a la nature humaine? Aucune, puisqu’il ne s’en sert pas librement et
intelligemment. Ce que les parents surveillent, ce n’est donc pas le fait qu’il
est homme, mais qu’il agit en homme.
Eh
bien! Ce que Dieu surveille en nous, ce n’est pas tant le fait que nous avons
sa nature, puisque nous l’avons sans aucun mérite de notre part, mais le fait
d’agir en Dieu ou comme un enfant de Dieu librement et intelligemment. C’est
donc quand nous agissons avec des motifs surnaturels ou pour lui plaire qu’il
est heureux de nous avoir faits ses enfants. Mais des chrétiens qui sont en
état de grâce et qui agissent avec des motifs naturels comme des païens sont
des idiots spirituels devant Dieu… et une honte pour lui! Il en a du chagrin,
il est insulté d’avoir des enfants qui imitent Lucifer dans son péché quand
même ce n’est pas toujours péché d’agir pour des motifs naturels.
Voici
une source fréquente d’erreurs de jugement dans une foule de prêtres et par
conséquent de laïques aussi. Comme dans la partie physique et substantielle de
notre élévation à l’ordre surnaturel, nos actions restent humaines tout en
étant faites dans l’ordre surnaturel. Par exemple, l’action d’un païen qui
mange une pomme est la même que celle d’un saint qui mange aussi sa pomme. A
cause de cela, beaucoup de prêtres transfèrent sur la partie libre la même
conclusion et plusieurs disent qu’une action faite en état de grâce pour un
motif naturel est surnaturelle à cause de la grâce sanctifiante. C’est la même
erreur que de dire que toute action d’un idiot est raisonnable parce qu’il est
un homme ou qu’il a la nature humaine. C’est faux! Cet homme est idiot
justement parce qu’étant un homme, il n’agit pas en homme, mais comme un
animal. Eh bien! Le chrétien qui est enfant de Dieu et qui n’agit pas en enfant
de Dieu mais comme un simple païen est un idiot devant Dieu!
Par
conséquent, c’est faux de dire que la surnaturalisation de nos actions vient
uniquement de la grâce sanctifiante. C’est aussi faux que de dire que toute
action qui vient d’un homme est raisonnable! Les idiots sont des hommes et
leurs actions ne sont pas raisonnables! Combien de chrétiens formés par nos
philosophes du clergé ont la grâce sanctifiante et agissent comme de vrais
païens dans la partie libre de leur activité ou dans leurs motifs.
Si
on ne peut pas trancher entre le naturel et le surnaturel des actions en
elle-mêmes ou physiquement ou substantiellement, dans la partie libre des
intentions ou des motifs, il faut trancher au couteau entre les motifs naturels
et surnaturels. Ils sont absolument opposés les uns aux autres. Un motif ne
peut pas être en même temps naturel et surnaturel; c’est l’un ou l’autre. Si je
fais une action pour mon païen, ce n’est pas vrai qu’elle peut être pour Dieu
en même temps.
Dans
mon ignorance, comme il y en a tant sur cette matière, je puis bien croire que
mon motif naturel est acceptable à Dieu, mais c’est une erreur. Dieu mobilise
absolument tout notre amour, comme il le dit bien par son premier commandement.
L’amour que l’on donne à une créature quelconque et donc les motifs naturels
sont contre Dieu.
C’est
la doctrine bien claire de Saint Ignace dans tous ses exercices si souvent
approuvés par l’Eglise. Il rejette absolument tous les motifs naturels même
bons en soi. Jamais il ne permet le mariage des deux comme tant de philosophes
enseignent. Il exige qu’on rejette d’abord tout motif naturel pour ne prendre
que les motifs qui viennent uniquement de Dieu d’une façon ou d’une autre.
On
sait que c’est aussi la doctrine de Saint Jean de la Croix, docteur de
l’Eglise. Pour lui, tout motif naturel est du fumier devant Dieu. Il pense donc
comme Saint Paul. Saint François de Sales qui dit que faire une chose par
affection et donc pour un motif naturel est entièrement contraire à la dévotion
et à la vie spirituelle et même dangereux pour le salut. Lui aussi est docteur
de l’Eglise.
C’est
la doctrine claire de J.-C.: «Gardez-vous… et donc faites attention… de faire
vos œuvres pour être vus des hommes, autrement vous n’en recevrez point de
récompense de votre Père qui est dans les cieux». C’est catégorique! Que valent
les opinions de nos savants philosophes qui transfèrent sottement dans la
partie des intentions ce qui est vrai dans la partie physique ou substantielle…
Saint
Paul veut que nous rejetions tout motif naturel. Il écrit aux Col. 3-22:
«Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair en tout, ne les servant pas
seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire
aux hommes, mais avec simplicité de cœur et crainte de Dieu. Tout ce que vous
faites faites-le de bon cœur comme le faisant pour le Seigneur et non pour les
hommes». Il ne dit pas pour les deux, mais pour Dieu seul; donc uniquement pour
des motifs surnaturels.
Donc
toute notre imitation de J.-C., qui dépend de notre liberté, est uniquement
dans les motifs au point de vue pratique. Comme ils peuvent être naturels ou
surnaturels même quand nous sommes en état de grâce, c’est là que nous devons
travailler pour imiter J.-C. en faisant tout pour lui, comme lui faisait tout
pour son Père. Le choix du chrétien est donc uniquement entre ces deux sortes
de motifs. Or les seuls que Dieu veut sont des motifs surnaturels… et les
motifs naturels sont du fumier devant ses yeux. C’est Saint Paul qui le dit.
Toute affection pour une créature est du fumier par rapport à l’amour de Dieu.
Or, c’est cette affection pour la créature qui nous fournit nos motifs
naturels. Les prêtres philosophes qui favorisent les motifs naturels offrent
donc du fumier à Dieu. Du fumier! Du fumier! «In se» ou en soi, c’est bon!
Qu’ils le gardent pour eux; c’est bien ce qu’ils méritent dans leur ignorance
crasse de l’amour de Dieu. Ils n’ont que l’amour naturel de Dieu comme leur
patron et modèle, le jeune homme riche de l’Evangile… à qui il manquait encore
une chose pour être sauvé: l’amour de Dieu surnaturel qu’il n’avait pas puisque
son cœur était encore dans ses biens.
Puisque
Jésus nous élève dans l’ordre surnaturel, restons-y! Prenons là nos motifs,
puisque nous ne sommes plus dans l’ordre naturel. Quelle bêtise de vouloir
aller là prendre des motifs pour agir dans l’ordre divin! Quel aveuglement
quand il n’y a pas d’amour surnaturel de Dieu! Il nous élève donc par la grâce
sanctifiante physiquement et substantiellement et donc sans aucun mérite de
notre part, ni aucune coopération, ni liberté, puisque en général nous la
recevons au baptême avant l’âge de raison. Il faut donc continuer librement
notre élévation en prenant en Dieu ou dans l’ordre surnaturel nos motifs d’agir
avec la grâce de Dieu.
Si
Saint Jean dit que nous sommes les enfants de Dieu par la réception de la grâce
sanctifiante ou participation à la nature divine, Saint Paul dit que pour être
enfants de Dieu, il faut se laisser conduire par l’esprit de Dieu. Voilà la
partie que je veux faire ressortir ici… et dont les philosophes ne parlent à
peu près jamais. C’est quand je me laisse conduire par l’Esprit Saint que je
suis enfant de Dieu. Donc quand j’agis pour des motifs surnaturels. Donc ces
deux Apôtres sont clairs: pour agir dignement comme un enfant de Dieu, il faut
se laisser guider par l’Esprit Saint, donc par des motifs surnaturels.
Voilà
une doctrine que tous les prêtres devraient posséder sur le bout des doigts,
comme on dit. Mais quelle ignorance en général! Tout est confondu d’un ordre à
l’autre. Ils donnent des demi-vérités où les démons font un tort immense à la
vie spirituelle par ce mélange ignorant des idées.
IL VEUT QUE NOUS RENONCIONS À NOS
DEUX AMOURS
NATURELS
Comme
ce sont ces deux amours qui nous fournissent tous nos motifs naturels, on peut
s’attendre que les philosophes, nos grands défenseurs des motifs naturels,
n’ont rien vu ou trop peu de ces deux amours absolument condamnés par J.-C.
D’abord
notre amour pour les créatures est condamné par J.-C. Il dit qu’on ne peut pas
aimer Dieu et le monde: ou on aimera l’un et on haïra l’autre. C’est clair,
c’est catégorique! Quel est donc ce monde dont il s’agit ici? Les uns disent
que c’est le mauvais monde, le monde qui suit ses maximes contraires à celles
de Jésus, les méchants qui sont compris là; c’est tout le créé comme tel: ce
sont toutes les créatures. Saint Jean interprète ce texte de Jésus en disant:
«N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde; si quelqu’un aime le monde,
la charité du Père n’est pas en lui». Tout ce qui est dans le monde… et qui
n’est pas Dieu. voilà ce que nous devons mépriser souverainement!».
Les
philosophes ont de la peine à comprendre ces textes parce qu’ils ne s’arrêtent
qu’aux choses in se; alors ils en font toujours une question de péché ou de
licite et, dans ce cas, ils ne voient pas d’opposition entre les créatures et
le Créateur… et ils ont raison.
Mais
quand on les considère «in nobis» ou en nous, là il s’agit de notre amour pour
elles ou pour le Créateur. Or l’opposition se trouve entre mon amour pour les
créatures, les bonnes comme les mauvaises, et mon amour pour Dieu. Comme mon
cœur est limité, l’amour que je donne à une créature est autant d’enlevé à mon
amour de Dieu. Or Dieu veut absolument tout mon amour comme il le montre bien
par le premier commandement. Par conséquent, Dieu ne veut pas que je donne un
brin d’amour à aucune créature pour elle-même. Donc si je ne puis pas donner
mon affection à une seule créature, je ne puis pas plus donner un seul motif
naturel, qui jaillit de cette affection.
Que
ces créatures soient bonnes tant qu’on voudra, personne n’a le droit de leur
donner le moindre amour naturel pour elles-mêmes. Saint Ignace résume bien la
doctrine de l’Eglise quand il ordonne aux siens de se dépouiller entièrement de
toute affection naturelle qu’ils pourraient avoir pour leurs parents, afin de
ne les aimer que pour Dieu, donc uniquement pour des motifs surnaturels.
Pourtant cette affection est la meilleure au monde naturel!
Ailleurs
il dit que tous aient une aversion entière pour tout ce que le monde aime et
embrasse. Or l’amour du monde ne se porte pas seulement sur les choses
défendues, mais aussi sur les bonnes. Il ne pourrait pas demander cette
perfection à ses religieux si elle n’était pas celle de l’Eglise.
Nous
avons dit ce que Saint Paul et Saint Jean de la Croix disent de l’amour des
créatures, bonnes ou mauvaises: c’est du fumier! Que les philosophes le
digèrent comme ils pourront! C’est la doctrine de l’Eglise comme celle des
saints. Tant pis pour eux s’ils n’en veulent pas! Ils auront l’éternité pour le
regretter. S’ils voulaient abandonner leurs attaches de toutes sortes, ils
finiraient par recevoir la lumière du Saint-Esprit. La moindre attache, dit
Saint Jean de la Croix, empêche l’intelligence des choses de Dieu. C’est
évidemment leur cas!
L’amour
de soi est condamné par Jésus comme l’amour des créatures, puisque nous sommes
créatures. Mais cet amour mérite une mention spéciale à cause de sa ténacité
dans le cœur de l’homme. C’est celui qui est le plus difficile à déraciner du
cœur de l’homme. Surtout peu de prêtres prêchent systématiquement contre cet
amour parce qu’il est bon en soi selon nos philosophes. L’Université Laval a
récemment donné un doctorat à un prêtre dont la thèse était: L’amour de soi est
une bonne chose! Une imperfection était une bonne chose! Evidemment tout était
vrai, parce que uniquement au point de vue in se. Mais quel tort vont faire ces
idées chez les autres! Elles vont les confirmer dans leur amour-propre en
eux-mêmes.
En
tout cas, voici ce que Jésus dit: «Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se
renonce lui-même…». Que veut dire cette parole? D’après les saints, c’est
mourir à soi, c’est détruire le moi païen, c’est renoncer à sa personnalité
morale pour que Jésus seul mène dans notre composé avec lui. C’est arriver à
pouvoir dire comme Saint Paul: «Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit
en moi». Et encore: «Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu par
J.-C.».
Renoncer
à soi veut donc dire mourir à soi: c’est substituer J.-C. à son moi païen.
C’est mettre J.-C. le seul maître de mon composé avec lui.
Nous
savons que les motifs naturels sont faits pour ce moi païen, pour mes intérêts
personnels et mes avantages temporels. Eh bien! Tout chrétien doit être mort à
soi; donc c’est absolument ridicule que d’admettre qu’un chrétien peut encore
agir avec des motifs naturels. C’est lui permettre d’agir pour un mort, pour un
cadavre! Quelle folie! Comme le démon aveugle ceux qui vivent de naturel! Jésus
dit que Satan est le prince du monde naturel des intentions libres ou des
motifs. Comme il fait du tort à ceux qui vivent de motifs naturels. Ils lui
appartiennent et il aveugle… L’archange Raphaël dit à Tobie que le démon peut
tout sur ceux qui entrent dans le mariage pour se contenter comme le cheval et
le mulet! Donc pour des bons motifs naturels. Car ces hommes ne péchaient pas
puisqu’ils prenaient Sara pour épouse. Mais ils ne suivaient que la nature et
c’est pour cela qu’ils avaient le démon pour maître et il les a tués tous le premier
soir des noces. Donc le bon Dieu ne veut pas de motifs naturels pour le moi
païen quelque bons qu’ils soient en soi, puisqu’il a permis au démon de tuer
ces hommes qui avaient agi pour des motifs naturels légitimes en soi.
Si
donc tout chrétien doit se débarrasser de sa personnalité morale ou de son moi,
pour mettre Jésus à la place, la raison d’être des motifs naturels tombe
automatiquement! De même la raison d’être de nos deux amours naturels tombe
automatiquement! De même la raison d’être de nos deux amours naturels disparaît
par le fait même.
En
Jésus, comme la personne humaine n’existait pas, il n’avait pas du tout nos
deux amours naturels comme sa vie le montre bien. Il a montré un souverain
mépris pour toutes les créatures puisqu’il n’en voulait aucune; il a préféré la
plus parfaite pauvreté qu’on peut pratiquer sur terre. Et quant à son
amour-propre humain, i1 n en montre aucun. Il met toujours son Père en avant
constamment, comme s’il n’existait pas. Il dit que toutes ses pensées, ses
paroles et ses actions sont faites en lui par son Père. Tout son amour allait
donc à son Père et aux choses de Dieu.
On
va objecter peut-être: Pourquoi Dieu nous les a-t-il donnés, ces deux amours?
Pour la même raison qu’il doit donner de la semence au cultivateur pour qu’en
la semant il ait une récolte de son grain. Dieu est amour; donc pour le
récolter, il nous faut semer de l’amour. Voilà pourquoi Dieu nous a donné ces
deux amours, bons en soi et très absorbants, pour nous donner une idée de son amour
divin et en même temps que nous les semions pour récolter le sien.
C’est
donc aussi impossible d avoir l’amour surnaturel de Dieu en gardant nos amours
pour les créatures et pour nous-mêmes qu’il est impossible pour un cultivateur
d’avoir une récolte d’un grain qu’il garde pour lui-même. Sans semailles, pas
de récolte! Eh bien! Sans semer nos deux amours, il est impossible d’avoir
l’amour surnaturel de Dieu.
Encore
une fois, nos philosophes ont la tête tellement dure! Parce qu’ils ont un
certain amour naturel de Dieu tout de tête et qui n’est qu’une espèce
d’admiration intellectuelle de Dieu comme Créateur et Maître absolu de toutes
choses, ils soutiennent qu’ils peuvent aimer Dieu et garder leur amour naturel
de Dieu avec leurs amours, mais ils n’iront pas au ciel avec cet amour naturel…
Ils iront avec leur patron, le jeune homme riche qui aimait ses biens et qui
disait qu’il aimait Dieu. Mais Saint Luc et Saint Marc, tous les deux, lui
disent: «Il te manque encore une chose pour entrer au ciel», ce qu’il avait
demandé. Tous ceux qui essaient d’aimer les deux: Dieu et les créatures, sont
tous dans le même cas que lui, qu’ils soient prêtres ou évêques ou Papes! Leurs
deux amours les empêcheront d’entrer au ciel dans la même mesure qu’ils les ont
dans le cœur.
Tout
catholique doit donc dire comme Saint Jean-Baptiste: «Il faut que je diminue et
que lui augmente!». Voilà le travail de tout chrétien qui veut arriver au
bonheur de la Trinité. Il doit lutter contre ses deux amours naturels qui
constituent la vie de son païen et dans la même proportion l’amour de Dieu
entrera en lui et l’amour de Dieu, c’est la vie de Dieu.
JÉSUS NE VEUT DONC PLUS DE MOTIFS
NATURELS EN NOUS
Un
motif est un amour qui agit sur notre volonté; c’est pourquoi tout ce que nous
disons des amours, on peut le dire des motifs. Eh bien! Puisque Jésus ne veut
pas du tout que nous gardions nos deux amours naturels, il ne veut pas plus que
nous gardions nos motifs naturels qui jaillissent en ces deux amours.
Notre
sanctification est la continuation de son incarnation dans ses membres
mystiques. Il veut donc pour nous exactement ce qu’il veut pour lui-même: nous
devons devenir d’autres Christs. Eh bien! En ne voulant pas de la personne
humaine, il réglait par le fait même la question des deux amours naturels que
son humanité aurait pu avoir. N’étant pas une personne, elle n’avait pas
d’amour différent de l’amour du Verbe en elle, son Maître absolu. Comme Lui ne
vivait que d’amour divin, ses motifs étaient tous surnaturels et divins.
Son
humanité avait son intelligence humaine et sa volonté humaine, et, parfaitement
libre, autrement il n’aurait pas mérité comme homme. Or il méritait de fait,
donc parce qu’il pouvait se servir de sa liberté. Mais à cause de son union
dans la personne du Verbe, elle consultait pour ainsi dire le Verbe dans ses
vouloirs et d’avance elle était absolument soumise au Verbe.
Voilà
ce que Jésus veut pour chacun de nous: un seul amour! Donc une seule source de
motifs… Cet amour infini, divin! Donc Jésus veut en nous comme en lui seulement
des motifs surnaturels. Supposons que je sens une grande attraction pour un
voyage, disons d’aller à Rome. Si je vis selon le plan de Dieu, je dirai: «Je
vais consulter mon unique Maître, Jésus en moi, et s’il veut, j’irai à Rome,
mais s’il ne veut pas, je ne veux pas y aller non plus». Alors quand même il se
présenterait des motifs naturels, ils ne sont pas reçus du tout devant mon
unique amour qui est Jésus et qui est le seul qui me fournit des motifs d’agir.
Evidemment
pour nous, nos deux amours restent toujours plus ou moins forts et ils ne
manquent pas de nous suggérer des motifs naturels; c’est vrai. Mais c’est justement
pour arriver à les combattre que nous méditons sur cette question si peu connue
et si peu expliquée par nos philosophes du clergé, qui n’en connaissent rien en
général… puisqu’ils n’en parlent à peu près jamais. Quand nous connaîtrons bien
la question des motifs, nous saurons mieux où faire porter la lutte. Il nous
faut arriver vite à pouvoir dire comme Jésus: «Je fais tout pour plaire à mon
Père.». Donc l’amour de son Père était la source de ses motifs.
Eh
bien! Il doit en être ainsi pour nous à l’avenir en autant que nous pouvons le
faire avec la grâce de Dieu. Mais il faut y tendre de toutes nos forces et avec
toutes nos prières.
Dans
l’Ancien Testament, il y a une belle figure de ce que Dieu veut pour nous. 1
Rois, 5. «Les Philistins, qui s’étaient emparés de l’arche, la conduisirent
dans le temple de Dagon, à Azot, en face de leur idole. Le lendemain, Dagon
gisait à terre devant l’arche. Ils remirent leur idole en place et le lendemain
ils trouvèrent Dagon à terre avec la tête et les deux mains coupées».
C’est
exactement ce que Dieu veut faire avec notre moi païen, notre idole. Il faut
donner à Dieu notre tête ou notre jugement avec notre volonté et toute notre
activité extérieure et naturelle doit être retranchée complètement. C’est bien
la figure de notre personnalité que nous devons immoler devant Dieu dans notre
alliance avec J.-C. Toutes mes pensées, mes paroles et mes actions doivent
venir uniquement de mon unique amour, l’amour de Dieu.
Allons-nous
prendre cinquante ans pour accepter cette doctrine de l’Evangile pour notre
divinisation? Jésus et les Apôtres ont insisté énormément sur cette
transformation radicale du naturel au surnaturel. Mais nos imbéciles de
philosophes ont mis toute cette transformation à peu près uniquement dans la
grâce sanctifiante. C’est aussi sot que de mettre toute la Trinité uniquement
dans le Père. Par la grâce sanctifiante, nous recevons la vie du Père… et les
deux personnes ne nous donneraient rien? C’est absurde! Elles nous donnent
justement ce que j’essaie de vous expliquer dans cette instruction: la
mentalité de Jésus et l’amour du Saint-Esprit. Par conséquent, la partie libre
de notre divinisation dans la mentalité est aussi importante que la grâce
sanctifiante, comme les deux autres personnes sont aussi importantes que le
Père.
Ne
nous contentons donc plus de la seule grâce sanctifiante, mais divinisons aussi
notre mentalité libre des motifs.
JÉSUS VEUT QUE NOUS PRENIONS SON
AMOUR DIVIN
L’amour
seul assujettit un être à un autre complètement. Comme notre amour-propre veut
assujettir toutes les créatures à son service, ainsi, quand nous aurons l’amour
de Jésus au cœur, nous lui assujettirons absolument toute notre activité libre,
des motifs et des intentions. Quand on aime, on se livre corps et âme sans
aucune restriction et en proportion qu’on aime. On doit sacrifier pour l’amour
de Dieu absolument toute notre activité naturelle quelque bonne qu’elle soit en
elle-même.
Au
premier Livre des Rois, ch. 5, on trouve un bon exemple de ce que Dieu veut
pour nous. Dieu ordonna à Saül de massacrer complètement tous les Amalécites
avec toutes leurs possessions, parce qu’ils étaient corrompus et une source de
corruption pour les Israélites. Or Saül agit exactement comme nos philosophes font:
il garda tout ce qu’il trouvait bon et beau. De ce jour, Dieu rejeta Saül et
lui enleva son royaume et il périt misérablement. Nos philosophes défendent
pouce par pouce tout le naturel qu’ils peuvent sauver malgré l’ordre de Dieu
bien formel de tout détruire le naturel libre des motifs et de la personnalité;
en d’autres termes, nos deux amours naturels, parce que ce sont eux qui sont la
cause de notre corruption, la cause subjective de nos péchés et les instruments
des démons pour nous perdre. Massacrons toute cette activité des affections
naturelles et des motifs naturels… si nous voulons vivre d’amour de Dieu et
nous laisser conduire par l’Esprit Saint qui est l’amour substantiel de Dieu.
C’est
en proportion que nous aurons l’amour surnaturel de Dieu que nous serons
conduits par l’Esprit Saint et que nous resterons enfants de Dieu, comme dit
Saint Paul, Rom. 8-14. «L’amour est une fin et on veut la fin sans limite».
Alors quand nous aurons l’amour surnaturel de Dieu, nous irons à la limite de
tout faire pour Dieu sans difficulté. Ceux qui ont de la peine à tout faire
pour Dieu, c’est parce qu’ils n’ont pas encore renoncé à leurs deux amours
naturels: ils veulent en conserver ce qu’ils trouvent bon et beau. Alors Dieu
ne se donne pas ou bien peu à ces espèces de Saül!
C’EST ABSOLU ET ÉTERNEL!
Encore une fois dans l’ordre de la mentalité
ou des motifs, il ne peut y avoir de mélange des deux mondes: naturel et
surnaturel. C’est tout l’un ou tout l’autre dans notre choix. Nous savons que
nous nous en allons dans la Trinité en union avec Jésus où il n’y a absolument
rien de naturel, mais tout du divin. Par conséquent, il faut tout de suite
choisir le surnaturel partout et toujours sans aucune exception au moins dans
notre détermination libre de la volonté. Nous tomberons encore sans doute dans
le naturel, mais il faut regarder ces chutes comme un malheur épouvantable, une
reculade malheureuse et que nous devrons expier par quelque pénitence chaque
fois, afin de nous corriger au plus vite possible avec la grâce de Dieu.
Donc,
sans merci, massacrons tous nos bons motifs naturels et n’ayons que des motifs
surnaturels partout et toujours. C’est actuellement que notre choix doit être
absolu et éternel… avec la grâce de Dieu qu’il sera content de nous donner
quand il verra nos dispositions d’amour envers lui.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire