Notre
siècle crie : Tolérance ! tolérance ! Il est convenu qu’un prêtre doit être
tolérant, que la religion doit être tolérante. M. F., en toutes choses rien
n’égale la franchise ; et je viens vous dire sans détour qu’il n’existe au monde
qu’une seule société qui possède la vérité, et que cette société doit nécessairement
être intolérante. Mais, avant d’entrer en matière, pour nous bien entendre,
distinguons les choses, convenons du sens des mots et ne confondons rien.
Condamner la vérité
à la tolérance, c’est
la forcer au suicide.
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I.
Il est de l’essence de toute vérité de ne pas tolérer le principe contradictoire.
L’affirmation d’une chose exclut la négation de cette même chose, comme la
lumière exclut les ténèbres. Là où rien n’est certain, où rien n’est défini,
les sentiments peuvent être partagés, les opinions peuvent varier. Je comprends
et je demande la liberté dans les choses douteuses : In dubiis
libertas. Mais dès que la vérité se présente avec les caractères certains
qui la distinguent, par cela même qu’elle est vérité, elle est positive, elle
est nécessaire, et, par conséquent, elle est une et intolérante : In
necessariis unitas. Condamner la vérité à la tolérance, c’est la forcer au suicide.
L’affirmation se tue, si elle doute d’elle-même ; et elle doute d’elle-même, si
elle laisse indifféremment la négation se poser à côté d’elle. Pour la vérité, l’intolérance
c’est le soin de la conservation, c’est l’exercice légitime du droit de propriété.
Quand on possède, il faut défendre, sous peine d’être bientôt entièrement
dépouillé.
Mes Frères, rien n’est exclusif comme
l’unité. Or, entendez la parole de saint Paul : Unus Dominus, una fides ,unum
baptisma. Il n’y a au ciel
qu’un seul Seigneur : Unus Dominus. Ce Dieu, dont l’unité est le grand
attribut, n’a donné à la terre qu’un seul symbole, une seule doctrine, une
seule foi : Una fides. Et cette foi, ce symbole, il ne les a confiés
qu’à une seule société visible, à une seule Église dont tous les enfants sont
marqués du même sceau et régénérés par la même grâce : Unum baptisma. Ainsi
l’unité divine, qui réside de toute éternité dans les splendeurs de la gloire,
s’est produite sur la terre par l’unité du dogme évangélique, dont le dépôt a
été donné en garde par Jésus-Christ à l’unité hiérarchique du sacerdoce : Un
Dieu, une foi, une Église : Unus Dominus, una fides, unum baptisma.
Un pasteur anglais a eu le courage de faire un
livre sur la tolérance de Jésus-Christ, et le philosophe de Genève a dit en
parlant du Sauveur des hommes : « Je ne vois point que mon divin Maître ait
subtilisé sur le dogme ». Rien n’est plus vrai, mes Frères : Jésus-Christ n’a
point subtilisé sur le dogme. Il a apporté aux hommes la vérité, et il a dit :
Si quelqu’un n’est pas baptisé dans l’eau et dans le Saint-Esprit ; si
quelqu’un refuse de manger ma chair et de boire mon sang, il n’aura point de part
dans mon royaume. Je l’avoue, il n’y a point là de subtilité ; c’est
l’intolérance, l’exclusion la plus positive, la plus franche. Et encore
Jésus-Christ a envoyé ses Apôtres prêcher toutes les nations, c’est-à-dire, renverser
toutes les religions existantes, pour établir l’unique religion chrétienne par
toute la terre, et substituer l’unité du dogme catholique à toutes les
croyances reçues chez les différents peuples. Et prévoyant les mouvements et
les divisions que cette doctrine va exciter sur la terre, il n’est point arrêté,
et il déclare qu’il est venu apporter non la paix mais le glaive, allumer la
guerre non seulement entre les peuples, mais dans le sein d’une même famille,
et séparer, quant aux convictions du moins, l’épouse croyante de l’époux
incrédule, le gendre chrétien du beau-père idolâtre. La chose est vraie, et le philosophe
a raison : Jésus-Christ n’a point subtilisé sur le dogme.
Le même sophiste dit ailleurs à son Émile : «Moi,
je fais comme saint Paul, et je place la charité bien au-dessus de la foi. Je
pense que l’essentiel de la religion consiste, en pratique, que non seulement
il faut être homme de bien, humain et charitable, mais que quiconque est
vraiment tel, en croit assez pour être sauvé, n’importe quelle religion il professe
». Voilà certes, mes Frères, un beau commentaire de saint Paul qui dit, par exemple,
que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ; de saint Paul qui déclare
que Jésus-Christ n’est point divisé, qu’en lui il n’y a pas le oui et le non,
mais seulement le oui ; de saint Paul qui affirme que, quand par impossible un
ange viendrait évangéliser une autre doctrine que la doctrine apostolique, il faudrait
lui dire anathème. Saint Paul, apôtre de la tolérance ! Saint Paul qui marche abattant
toute science orgueilleuse qui s’élève contre Jésus-Christ, réduisant toutes les
intelligences sous la servitude de Jésus-Christ.
On a parlé de la tolérance des premiers siècles,
de la tolérance des Apôtres. Mes Frères, on n’y pense pas ; mais l’établissement
de la religion chrétienne a été au contraire par excellence une œuvre d’intolérance
religieuse. Au moment de la prédication des Apôtres, l’univers entier possédait
à peu près cette tolérance dogmatique si vantée. Comme toutes les religions
étaient aussi fausses et aussi déraisonnables les unes que les autres, elles ne
se faisaient pas la guerre ; comme tous les dieux se valaient entre eux,
c’étaient autant de démons, ils n’étaient point exclusifs, ils se toléraient :
Satan n’est pas divisé contre lui-même. Rome, en multipliant ses conquêtes, multipliait
ses divinités ; et l’étude de sa mythologie se compliquait dans la même proportion
que celle de sa géographie. Le triomphateur qui montait au Capitole, faisait
marcher devant lui les dieux conquis avec plus d’orgueil encore qu’il ne
traînait à sa suite des rois vaincus. Le plus souvent, en vertu d’un
sénatus-consulte, les idoles des Barbares se confondaient désormais avec le domaine
de la patrie, et l’Olympe national s’agrandissait comme l’empire.
Quand on eut constaté
l’esprit intolérant de
la foi chrétienne, c’est
alors que commença
la persécution.
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Le christianisme, au moment où il apparut (remarquez
ceci, mes Frères, ce sont des aperçus historiques de quelque valeur par rapport
à la question présente), le christianisme, à sa première apparition, ne fut pas
repoussé tout d’un coup. Le paganisme se demanda si, au lieu de combattre cette
religion nouvelle, il ne devait pas lui donner accès dans son sein. La Judée
était devenue une province romaine ; Rome, accoutumée à recevoir et à concilier
toutes les religions, accueillit d’abord sans trop d’effroi le culte sorti de
la Judée. Un empereur plaça Jésus-Christ aussi bien qu’Abraham parmi les
divinités de son oratoire, comme on vit plus tard un autre César proposer de
lui rendre des hommages solennels. Mais la parole du prophète n’avait pas tardé
à se vérifier : les multitudes d’idoles, qui voyaient d’ordinaire sans jalousie
des dieux nouveaux et étrangers venir se placer à côté d’elles, à l’arrivée du Dieu
des chrétiens tout à coup poussèrent un cri d’effroi, et, secouant leur
tranquille poussière, s’ébranlèrent sur leurs autels menacés : Ecce Dominus
ascendit, et commovebuntur simulacra a facie ejus. Rome fut attentive à ce
spectacle. Et bientôt, quand on s’aperçut que ce Dieu nouveau était l’irréconciliable
ennemi des autres dieux ; quand on vit que les chrétiens dont on avait admis le
culte ne voulaient pas admettre le culte de la nation ; en un mot, quand on eut
constaté l’esprit intolérant de la foi chrétienne, c’est alors que commença la persécution.
Écoutez comment les historiens du temps justifient
les tortures des chrétiens : ils ne disent point de mal de leur religion, de
leur Dieu, de leur Christ, de leurs pratiques ; ce ne fut que plus tard qu’on
inventa des calomnies. Ils leur reprochent seulement de ne pouvoir souffrir
aucune autre religion que la leur. « Je ne doutais pas, dit Pline le Jeune, quoi
qu’il en soit de leur dogme, qu’il ne fallût punir leur entêtement et leur
obstination inflexible : Pervicaciam et inflexibilem obstinationem. Ce
ne sont point des criminels, dit Tacite, mais ce sont des intolérants, des misanthropes,
des ennemis du genre humain. Il y a chez eux une foi opiniâtre à leurs principes,
et une foi exclusive qui condamne les croyances de tous les autres peuples : Apud
ipsos fides obstinata, sed adversus omnes alios hostile odium. Les païens
disaient assez généralement des chrétiens ce que Celse a dit des Juifs, que
l’on confondit longtemps avec eux parce que la doctrine chrétienne avait pris
naissance en Judée : « Que ces hommes adhèrent inviolablement à leurs lois,
disait ce sophiste, je ne les en blâme pas ; je ne blâme que ceux qui
abandonnent la religion de leurs pères pour en embrasser une différente ! Mais
si les Juifs ou les chrétiens veulent se donner les airs d’une sagesse plus sublime
que celle du reste du monde, je dirai qu’on ne doit pas croire qu’ils soient
plus agréables à Dieu que les autres. »
Ainsi, mes Frères, le principal grief contre
les chrétiens, c’était la rigidité trop absolue de leur symbole, et, comme on
disait, l’humeur insociable de leur théologie. Si ce n’eût été qu’un Dieu de
plus, il n’y aurait pas eu de réclamations ; mais c’était un Dieu incompatible
qui chassait tous les autres : voilà pourquoi la persécution. Ainsi l’établissement
de l’Église fut une œuvre d’intolérance dogmatique. Toute l’histoire de
l’Église n’est pareillement que l’histoire de cette intolérance. Qu’est-ce que
les martyrs ? des intolérants en matière de foi, qui aiment mieux les supplices
que de professer l’erreur. Qu’est-ce que les symboles ? des formules d’intolérance,
qui règlent ce qu’il faut croire et qui imposent à la raison des mystères nécessaires.
Qu’est-ce que la Papauté ? une institution d’intolérance doctrinale, qui par l’unité
hiérarchique maintient l’unité de la foi. Pourquoi les conciles ? pour arrêter
les écarts de la pensée, condamner les fausses interprétations du dogme,
anathématiser les propositions contraires à la foi.
Nous sommes donc
intolérants, exclusifs
en matière de
doctrine : nous en
faisons profession ;
nous en sommes fiers.
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Nous sommes donc intolérants, exclusifs en
matière de doctrine : nous en faisons profession ; nous en sommes fiers. Si
nous ne l’étions pas, c’est que nous n’aurions pas la vérité, puisque la vérité
est une, et par conséquent intolérante. Fille du ciel, la religion chrétienne,
en descendant sur la terre, a produit les titres de son origine ; elle a offert
à l’examen de la raison des faits incontestables, et qui prouvent irréfragablement
sa divinité. Or, si elle vient de Dieu, si Jésus-Christ, son auteur, a pu dire
: Je suis la vérité : Ego sum veritas; il faut bien, par une conséquence
inévitable, que l’Église chrétienne ne conserve incorruptiblement cette vérité
telle qu’elle l’a reçue du ciel même ; il faut bien qu’elle repousse, qu’elle
exclue tout ce qui est contraire à cette vérité, tout ce qui la détruirait.
Reprocher à l’Église catholique son intolérance dogmatique, son affirmation absolue
en matière de doctrine, c’est lui adresser un reproche fort honorable. C’est reprocher
à la sentinelle d’être trop fidèle et trop vigilante ; c’est reprocher à
l’épouse d’être trop délicate et trop exclusive.
Nous vous tolérons bien, disent parfois les sectes
à l’Église, pourquoi donc, vous, ne nous tolérez-vous pas ? Mes Frères, c’est comme
si les esclaves disaient à l’épouse légitime : Nous vous supportons bien, pourquoi
être plus exclusive que nous ? Les étrangères supportent l’épouse, c’est une grande
faveur, vraiment ; et l’épouse est bien déraisonnable de prétendre seule à des
droits et à des privilèges, dont on veut bien lui laisser une part, du moins
jusqu’à ce qu’on réussisse à la bannir tout à fait !
Voyez donc cette intolérance des catholiques
! dit-on souvent autour de nous : ils ne peuvent souffrir aucune autre Église que
la leur ; les protestants les souffrent bien ! M. F., vous étiez dans la
tranquille possession de votre maison et de votre domaine ; des hommes armés
s’y précipitent ; ils s’emparent de votre lit, de votre table, de votre argent,
en un mot ils s’établissent chez vous, mais ils ne vous en chassent pas, ils poussent
la condescendance jusqu’à vous laisser votre part. Qu’avez-vous à vous plaindre
? Vous êtes bien exigeants de ne pas vous contenter du droit commun!
Les protestants disent bien qu’on peut se sauver
dans votre Église ; pourquoi prétendez-vous qu’on ne peut pas se sauver dans la
leur ? M. F., transportons-nous sur une des places de cette cité. Un voyageur
me demande la route qui conduit à la capitale ; je la lui enseigne. Alors un de
mes concitoyens s’approche, et me dit : J’avoue que cette route conduit à
Paris, je vous accorde cela ; mais vous me devez des égards réciproques, et
vous ne me contesterez pas que cette autre route, la route de Bordeaux par
exemple, conduise également à Paris.
En vérité, cette route de Paris serait bien intolérante
et bien exclusive de ne pas vouloir qu’une route qui lui est directement opposée
conduise au même but. Elle n’a pas un esprit conciliant ; jusqu’où ne se glisse
pas l’envahissement et le fanatisme ? M. F., et je pourrais céder encore, car
les routes les plus opposées finiraient par se rencontrer peut être, après
avoir fait le tour du globe, tandis qu’on suivrait éternellement le chemin de l’erreur
sans jamais arriver au ciel. Ne nous demandez donc plus pourquoi, quand les protestants
avouent qu’on peut se sauver dans notre religion, nous nous refusons à reconnaître
que, généralement parlant et hors le cas de la bonne foi et de l’ignorance invincible,
on puisse se sauver dans la leur. Les épines peuvent avouer que la vigne donne
des raisins, sans que la vigne soit tenue de reconnaître aux épines la même
propriété.
M. F., nous sommes souvent confus de ce que
nous entendons dire sur toutes ces questions à des gens sensés d’ailleurs. La logique
leur fait entièrement défaut, dès qu’il s’agit de religion. Est-ce passion,
est-ce préjugé qui les aveugle ? C’est l’un et l’autre. Au fond, les passions
savent bien ce qu’elles veulent, quand elles cherchent à ébranler les fondements
de la foi, à placer la religion parmi les choses sans consistance. Elles n’ignorent
pas qu’en démolissant le dogme elles se préparent une morale facile. On l’a dit
avec une justesse parfaite : c’est plutôt le décalogue que le symbole qui fait
les incrédules. Si toutes les religions peuvent être mises sur un même rang,
c’est qu’elles se valent toutes ; si toutes sont vraies, c’est que toutes sont
fausses ; si tous les dieux se tolèrent, c’est qu’il n’y a pas de Dieu. Et quand
on a pu en arriver là, il ne reste plus de morale bien gênante. Que de
consciences seraient tranquilles, le jour où l’Église catholique donnerait le
baiser fraternel à toutes les sectes ses rivales !
L’indifférence des religions est donc un système
qui a ses racines dans les passions du cœur humain. Mais il faut dire aussi
que, pour beaucoup d’hommes de notre siècle, il tient aux préjugés de
l’éducation. En effet, ou bien il s’agit de ces hommes, déjà avancés en âge, et
qui ont sucé le lait de la génération précédente ; ou bien il s’agit de ceux
qui appartiennent à la génération nouvelle. Les premiers ont cherché l’esprit
philosophique et religieux dans l’Émile de Jean-Jacques ; les autres,
dans l’école éclectique ou progressive de ces demi-protestants et
demi-rationalistes qui tiennent aujourd’hui le sceptre de l’enseignement.
Jean-Jacques a été parmi nous l’apologiste et
le propagateur de ce système de tolérance religieuse. L’invention ne lui en
appartient pas, quoiqu’il ait audacieusement enchéri sur le paganisme qui ne
poussa jamais aussi loin l’indifférence. Voilà, avec un court commentaire, les
principaux points du catéchisme genevois, devenu malheureusement populaire :
Toutes les religions sont bonnes ; c’est-à-dire, autrement pour le français,
toutes les religions sont mauvaises. Il faut pratiquer la religion de son pays
; c’est-à-dire que la vérité en matière religieuse dépend du degré de longitude
et de latitude : vérité en deçà des monts, mensonge au delà des monts. Par conséquent,
ce qui est encore plus grave, il faut ou n’avoir aucune religion sincère et faire
l’hypocrite partout, ou, si l’on a une religion au fond du cœur, se rendre
apostat et renégat quand les circonstances le veulent. La femme doit professer
la même religion que son mari, et les enfants la même religion que leur père ;
c’est-à-dire que ce qui était faux et mauvais avant le contrat de mariage, doit
être vrai et bon après, et qu’il serait mal aux enfants des anthropophages de
s’écarter des pratiques estimables de leurs parents !
Mais je vous entends me dire que le siècle de
l’Encyclopédie est passé, qu’une réfutation plus longue serait un anachronisme.
A la bonne heure ; fermons le livre de l’Éducation. Ouvrons à sa place les savants
Essais qui sont comme la source commune d’où la philosophie du XIXe siècle se
répand par mille canaux fidèles sur toute la surface de notre pays. Cette
philosophie s’appelle éclectique, syncrétique, et, avec une petite
modification, elle s’appelle aussi progressive. Ce beau système consiste à dire
qu’il n’y a rien de faux ; que toutes les opinions et toutes les religions
peuvent être conciliées ; que l’erreur n’est pas possible à l’homme, à moins
qu’il ne dépouille l’humanité ; que toute l’erreur des hommes consiste à croire
posséder exclusivement toute la vérité, quand chacun d’eux n’en tient qu’un
anneau et que de la réunion de tous ces anneaux doit se former la chaîne
entière de la vérité. Ainsi, selon cette incroyable théorie, il n’y a pas de
religions fausses, mais elles sont toutes incomplètes l’une sans l’autre. La véritable
religion serait la religion de l’éclectisme syncrétique et progressif, laquelle
rassemblerait toutes les autres, passées, présentes et à venir : toutes les autres,
c’est-à-dire, la religion naturelle qui reconnaît un Dieu ; l’athéisme qui n’en
connaît pas, le panthéisme qui le reconnaît dans tout et partout ; le spiritualisme
qui croit à l’âme, et le matérialisme qui ne croit qu’à la chair, au sang et
aux humeurs ; les sociétés évangéliques qui admettent une révélation, et le
déisme rationaliste qui la repousse ; le christianisme qui croit le Messie venu,
et le judaïsme qui l’attend toujours ; le catholicisme qui obéit au pape ; et
le protestantisme qui regarde le pape comme l’antéchrist. Tout cela est
conciliable ; ce sont différents aspects de la vérité. De l’ensemble de ces
cultes résultera un culte plus large, plus vaste, le grand culte véritablement
catholique, c’est-à-dire universel, puisqu’il renfermera tous les autres dans
son sein.
M. F., cette doctrine, que vous avez tous qualifiée
absurde, n’est point de ma création ; elle remplit des milliers de volumes et
de publications récentes ; et, sans que le fond en varie jamais, elle prend
tous les jours de nouvelles formes sous la plume et sur les lèvres des hommes
entre les mains desquels reposent les destinées de la France.— A quel point de
folie sommes-nous donc arrivés ?— Nous en sommes arrivés, M. F., là où doit logiquement
en venir quiconque n’admet pas ce principe incontestable que nous avons établi,
savoir : que la vérité est une, et par conséquent intolérante, exclusive de
toute doctrine qui n’est pas la sienne. Et, pour rassembler en quelques mots
toute la substance de cette première partie de mon discours, je vous dirai :
Vous cherchez la vérité sur la terre, cherchez l’Église intolérante. Toutes les
erreurs peuvent se faire des concessions mutuelles ; elles sont proches
parentes, puisqu’elles ont un père commun : Vos ex patre diabolo estis. La
vérité, fille du ciel, est la seule qui ne capitule point.
Vous cherchez la
vérité sur la terre,
cherchez l’Église
intolérante.
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O vous donc qui voulez juger cette grande cause,
appropriez-vous en cela la sagesse de Salomon. Parmi ces sociétés différentes entre
lesquelles la vérité est un objet de litige, comme était cet enfant entre les
deux mères, vous voulez savoir à qui l’adjuger. Dites qu’on vous apporte un glaive,
feignez de trancher, et examinez le visage que feront les prétendantes. Il y en
aura plusieurs qui se résigneront, qui se contenteront de la part qui va leur
être livrée. Dites aussitôt : celles-là ne sont pas les mères. Il en est une au
contraire qui se refusera à toute composition, qui dira : la vérité
m’appartient et je dois la conserver tout entière, je ne souffrirai jamais
qu’elle soit diminuée, morcelée. Dites : celle-ci est la véritable mère.
Oui, sainte Église catholique, vous avez la vérité,
parce que vous avez l’unité, et que vous êtes intolérante à laisser décomposer cette
unité. C’était là, M. F., notre premier principe : La religion qui descend du
ciel est vérité, et par conséquent elle est intolérante, quant aux doctrines.
Il me reste à ajouter : La religion qui descend du ciel est charité, et par conséquent
elle est pleine de tolérance, quant aux personnes. Cette fois encore, je ne ferai
guère qu’énoncer et n’entreprendrai pas le développement. Respirons un moment.
II. C’est le propre de l’Église catholique, M.
F., d’être ferme et inébranlable sur les principes, et de se montrer douce et indulgente
dans leur application. Quoi d’étonnant ? N’est-elle pas l’épouse de
Jésus-Christ, et, comme lui, ne possède-t-elle pas à la fois le courage intrépide
du lion, et la mansuétude pacifique de l’agneau ? Et ne représente-t-elle pas
sur la terre la suprême Sagesse, qui tend à son but fortement et qui dispose
tout suavement ? Ah ! c’est à ce signe encore, c’est à ce signe surtout que la
religion descendue du ciel doit se faire reconnaître, c’est aux condescendances
de sa charité, aux inspirations de son amour. Or, M. F., considérez l’Église de
Jésus-Christ, et voyez avec quels ménagements infinis, avec quels respectueux
égards elle procède avec ses enfants, soit dans la manière dont elle présente
ses enseignements à leur intelligence, soit dans l’application qu’elle en fait
à leur conduite et à leurs actions. Bientôt vous reconnaîtrez que l’Église
c’est une mère, qui enseigne invariablement la vérité et la vertu, qui ne peut
jamais consentir à l’erreur ni au mal, mais qui s’industrie à rendre son enseignement
aimable, et qui traite avec indulgence les égarements de la faiblesse.
Souffrez que je vous communique, M. F., une
impression qui assurément ne m’est pas particulière et personnelle, et qu’ont éprouvée
comme moi tous ceux de mes frères qui se sont livrés avec loisir et réflexion à
l’incomparable étude de la science sacrée. Dès les premiers pas qu’il m’a été
donné de faire dans le domaine de la sainte théologie, ce qui m’a causé le plus
d’admiration, ce qui a parlé le plus éloquemment à mon âme, ce qui m’aurait
inspiré la foi si je n’avais eu le bonheur de la posséder déjà, c’est d’une
part la tranquille majesté avec laquelle l’Église catholique affirme ce qui est
certain, et d’autre part la modération et la réserve avec laquelle elle
abandonne aux libres opinions tout ce qui n’est pas défini. Non, ce n’est pas ainsi
que les hommes enseignent les doctrines dont ils sont les inventeurs, ce n’est pas
ainsi qu’ils expriment les pensées qui sont le fruit de leur génie.
Quand un homme a créé un système, il le soutient
avec une ténacité absolue ; il ne cède ni sur un point ni sur un autre. Quand
il s’est épris d’une doctrine issue de son cerveau, il cherche à la faire
prévaloir avec empire ; ne lui contestez pas une seule de ses idées : celle que
vous vous permettez de discuter est précisément la plus assurée et la plus nécessaire.
Presque tous les livres sortis de la
main des hommes sont empreints de cette exagération
et de cette tyrannie. S’agit-il de littérature, d’histoire, de philosophie, de science
? chacun s’érige en oracle, ne veut être contredit en rien ; c’est une
affirmation perpétuelle ; c’est une critique étroite, mesquine, hautaine,
absolue. La science sacrée, au contraire, la sainte théologie catholique offre
un caractère tout différent. Comme l’Église n’a point inventé la vérité, mais
qu’elle en est seulement dépositaire, on ne trouve point de passion ni d’excès
dans son enseignement. Il a plu au Fils de Dieu descendu sur la terre, en qui
résidait la plénitude de la vérité, il lui a plu de dévoiler clairement
certaines faces, certains aspects de la vérité et de laisser seulement
entrevoir les autres. L’Église ne pousse pas plus loin son ministère, et,
contente d’avoir enseigné, maintenu, vengé les principes certains et nécessaires,
elle laisse ses enfants discuter, conjecturer, raisonner librement sur les points
douteux.
L’enseignement catholique a été tellement calomnié,
M. F., les hommes sont tellement accoutumés à le juger avec leurs préventions, que
vous croirez difficilement peut-être à ce que je vais vous dire. Il n’y a pas
une seule science au monde qui soit moins despotique que la science sacrée. Le
dépôt de l’enseignement a été confié à l’Église ; or savez-vous ce que l’Église
enseigne ? un symbole en douze articles qui ne forment pas douze lignes,
symbole composé par les Apôtres et que les deux premiers conciles généraux ont
expliqué et développé par l’addition de quelques mots devenus nécessaires.
Nous proclamons, nous catholiques, que l’interprétation
authentique des saintes Écritures appartient à l’Église ; or savez-vous, M. F.,
par rapport à combien de versets de la Bible l’Église a usé de ce droit suprême
? La Bible renferme trente mille versets environ, et l’Église n’a peut-être pas
défini le sens de quatre-vingts de ces versets ; le reste est abandonné aux
commentateurs, et, je puis le dire, au libre examen du lecteur chrétien, en sorte
que, selon la parole de saint Jérôme, les Écritures sont un vaste champ dans
lequel l’intelligence peut s’ébattre et se délecter, et où elle ne rencontrera
que quelques barrières çà et là autour des précipices, et aussi quelques lieux
fortifiés où elle pourra se retrancher et trouver un secours assuré.
Les conciles sont le principal organe de l’enseignement
chrétien ; or le concile de Trente voulant renfermer dans une seule et même
déclaration toute la doctrine obligatoire, il n’a pas fallu deux pages pour contenir
la profession de foi la plus complète. Et si l’on étudie l’histoire de ce concile,
on reconnaît avec admiration qu’il était également jaloux de maintenir les dogmes
et de respecter les opinions ; et il est tel mot que l’assemblée des Pères a
rejeté et auquel elle n’a pas eu de repos qu’elle n’en ait substitué un autre,
parce que sa signification grammaticale semblait dépasser la mesure de la
vérité certaine et dérober quelque chose aux libres controverses des docteurs.
Enfin, l’incomparable Bossuet ayant opposé
aux calomnies des protestants sa célèbre Exposition de la foi catholique, il se
trouva que cette même Église, que l’on accusait de tyranniser les
intelligences, pouvait réduire ses vérités définies et nécessaires dans un
corps de doctrine beaucoup moins volumineux que n’étaient les confessions,
synodes et déclarations des sectes qui avaient rejeté le principe de l’autorité
et qui professaient le libre examen.
Or, je le répète, M. F., ce phénomène remarquable
qui ne se trouve que dans l’Église catholique, cette tranquille majesté dans
l’affirmation, cette modération et cette réserve dans toutes les questions non définies,
voilà, selon moi, le signe adorable auquel je dois reconnaître la vérité venue
du ciel. Quand je contemple sur le front de l’Église cette conviction sereine
et cette bénigne indulgence, je me jette entre ses bras, et je lui dis : Vous
êtes ma mère. C’est ainsi qu’une mère enseigne, sans passion, sans exagération,
avec une autorité calme et une sage mesure.
Et ce caractère de l’enseignement de l’Église,
vous le retrouvez chez ses docteurs les plus éminents, chez ceux dont elle
adopte et autorise à peu près sans restriction les écrits. Augustin entreprend
son immortel ouvrage de la Cité de Dieu qui sera jusqu’à la fin des âges un des
plus riches monuments de l’Église. Il va venger contre les calomnies du paganisme
expirant les saintes vérités de la foi chrétienne ; il sent au dedans de lui bouillonner
les ardeurs du zèle ; mais s’il a lu dans les Écritures que Dieu est la vérité,
il a lu aussi que Dieu est charité : Deus charitas est; il comprend
que l’excès de la vérité peut devenir le défaut de la charité ; il se met à genoux,
et il envoie vers le ciel cette admirable prière : Mitte, Domine,
mitigationes in cor meum, ut charitate veritatis non amittam veritatem
charitatis : Envoyez, Seigneur, envoyez dans mon cœur l’adoucissement,
le tempérament de votre esprit, afin qu’entraîné par l’amour de la vérité, je
ne perde pas la vérité de l’amour : Mitte, Domine, mitigationes in cor meum,
ut charitate veritatis non amittam veritatem charitatis. Et, à l’autre extrémité
de la chaîne des saints docteurs, entendez ces belles paroles du bienheureux évêque
de Genève : La vérité qui n’est pas charitable cesse d’être la vérité ; car en
Dieu, qui est la source suprême du vrai, la charité est inséparable de la
vérité. Ainsi, M. F., lisez Augustin, lisez François de Sales : vous trouverez
dans leurs écrits la vérité dans toute sa pureté et, à cause de cela même, tout
empreinte de charité et d’amour.
O prêtre de Carthage, illustre apologiste des
premiers âges, j’admire le nerf de votre langage énergique, la puissance
irrésistible de votre sarcasme ; mais le dirai-je ? sous l’écorce de vos écrits
les plus orthodoxes, je cherche l’onction de la charité ; vos syllabes incisives
n’ont pas l’accent humble et doux de l’amour. Je crains que vous ne défendiez
la vérité comme on défend un système à soi, et qu’un jour votre orgueil blessé
n’abandonne la cause que votre zèle amer avait soutenue. Ah ! M. F., pourquoi
Tertullien, avant de consacrer son immense talent au service de l’évangile,
n’a-t-il pas prié le Seigneur, comme Augustin, d’envoyer dans son cœur les
adoucissements, les tempéraments de son esprit ? L’amour l’aurait maintenu dans
la doctrine. Mais parce qu’il n’était pas dans la charité, il a perdu la
vérité.
Et vous, ô célèbre apologiste de ces derniers
jours, vous dont les premiers écrits furent salués par les applaudissements unanimes
de tous les chrétiens, vous le dirai-je, ô grand écrivain, cette logique
apparente dans les étreintes de laquelle vous voulez étouffer votre adversaire,
ces raisonnements pressés, multipliés, triomphants dont vous l’accablez, tout
cela me laisse à désirer quelque chose ; votre zèle ressemble à de la haine,
vous traitez votre adversaire en ennemi, votre parole impétueuse n’a pas l’onction
de la charité ni l’accent de l’amour. O notre infortuné frère dans le
sacerdoce, pourquoi faut-il qu’avant de consacrer votre beau talent à la
défense de la religion, vous n’ayez pas fait au pied de votre crucifix la prière
d’Augustin ? Mitte, Domine, mitigationes in cor meum, ut charitate veritatis
non amittam veritatem charitatis. Plus d’amour dans votre cœur, et votre
intelligence n’aurait pas fait une si déplorable défection ; la charité vous
aurait maintenu dans la vérité.
Et si l’Église catholique, M. F., présente à
nos esprits l’enseignement de la vérité avec tant de ménagements et de douceur,
ah ! c’est encore avec plus de condescendance et de bonté qu’elle applique ses
principes à notre conduite et à nos actions. Incapable de supporter jamais les
doctrines mauvaises, l’Église est tolérante sans mesure pour les personnes.
Jamais elle ne confond l’erreur avec celui qui l’enseigne, ni le péché avec celui
qui le commet. L’erreur elle la condamne, mais l’homme elle continue de l’aimer
; le péché elle le flétrit, mais le pécheur elle le poursuit de sa tendresse,
elle ambitionne de le rendre meilleur, de le réconcilier avec Dieu, de faire
rentrer dans son cœur la paix et la vertu.
Elle ne fait point acception de personnes : il
n’y a pour elle ni juif, ni grec, ni barbare ; elle ne s’occupe point de vos
opinions ; elle ne vous demande pas si vous vivez dans une monarchie ou dans
une république. Vous avez une âme à sauver, voilà tout ce qu’il lui faut.
Appelez-la, elle est à vous, elle arrive les mains pleines de grâces et de
pardon. Vous avez commis plus de péchés que vous n’avez de cheveux sur la tête
; cela ne l’effraie point, elle efface tout dans le sang de Jésus-Christ. Quelques-unes
de ses lois sont pour vous trop onéreuses, elle consent à les accommoder à
votre faiblesse ; leur rigueur cède devant votre infirmité, et l’oracle de la théologie,
saint Thomas, pose en principe que si nul ne peut dispenser de la loi divine,
la condescendance au contraire ne doit pas être trop difficile dans les lois de
l’Église, à cause de la suavité qui fait le fond de son gouvernement : Propter
suave regimen Ecclesiæ. Aussi, M. F. quand la loi civile est rigide et inflexible,
autant la loi de l’Église est souple et pliable. Quelle autre autorité sur la
terre gouverne, administre comme l’Église ? Suave regimen Ecclesiæ.
Ah ! que le monde, qui nous prêche la tolérance,
soit donc aussi tolérant que nous ! Nous ne rejetons que les principes, et le monde
rejette les personnes. Que de fois nous absolvons, et le monde continue de condamner
! Que de fois, au nom de Dieu, nous avons tiré le voile de l’oubli sur le
passé, et le monde se souvient toujours ! Que dis-je ? les mêmes bouches qui
nous reprochent l’intolérance, nous blâment de notre bonté trop crédule et trop
facile ; et notre inépuisable patience envers les personnes est presque aussi
combattue que notre inflexibilité contre les doctrines.
M. F., ne nous demandez donc plus la tolérance
par rapport à la doctrine. Encouragez au contraire notre sollicitude à maintenir
l’unité du dogme, qui est le seul lien de la paix sur la terre. L’orateur
romain l’a dit : l’union des esprits est la première condition de l’union des
cœurs. Et ce grand homme fait entrer dans la définition même de l’amitié
l’unanimité de pensée par rapport aux choses divines et humaines : Eadem de rebus
divinis et humanis cum summa charitate juncta concordia.
Notre société, M. F., est en proie à mille divisions
; nous nous en plaignons tous les jours. D’où vient cet affaiblissement des affections,
ce refroidissement des cœurs ? Ah ! M. F., comment les cœurs seraient-ils rapprochés,
là où les esprits sont si éloignés ? Parce que chacun de nous s’isole dans sa propre
pensée, chacun de nous se renferme aussi dans l’amour de soi-même. Voulons-nous
mettre fin à ces dissidences sans nombre, qui menacent de détruire bientôt tout
esprit de famille, de cité et de patrie ? Voulons-nous n’être plus les uns pour
les autres des étrangers, des adversaires et presque des ennemis ? Revenons à
un symbole, et nous retrouverons bientôt la concorde et l’amour.
Tout symbole concernant les choses d’ici-bas
est bien loin de nous ; mille opinions nous divisent et il n’y a plus de dogme
humain depuis longtemps, et je ne sais s’il s’en reconstituera jamais un parmi
nous. Heureusement le symbole religieux, le dogme divin s’est toujours maintenu
dans sa pureté entre les mains de l’Église, et par là un germe précieux de
salut nous est conservé. Le jour où tous les Français diront : « Je crois à
Dieu, à Jésus-Christ et à l’Église », tous les cœurs ne tarderont pas à se
rapprocher, et nous retrouverons la seule paix vraiment solide et durable,
celle que l’Apôtre appelle la paix dans la vérité. Ainsi soit-il.
Cardinal Pie,
Sermon prêché à la cathédrale de Chartres :
sur l’intolérance doctrinale
Repris de Les Documents contrerévolutionnaires n°12
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