mercredi 26 novembre 2014

Père Onésime Lacouture - 1-16 - L'amour de Dieu

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Quatorzième instruction: L'amour de Dieu
«Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit.» Luc.  10-27.
Plan Remarque (Connaître Dieu Procédé normal pour:
(Estimer Dieu (Aimer Dieu (Absolu Caractères de cet amour: (Exclusif (Urgent Conclusion: travailler sur la mentalité.  
REMARQUE Nous avons vu le plan divin en général; il reste à en étudier les détails qui doivent entrer dans notre vie spirituelle.  Nous allons méditer sur les subdivisions des moyens pour glorifier Dieu en commençant par la doctrine des Échantillons.  Puisque les créatures ne sont que des moyens pour nous conduire à Dieu, pour le posséder au ciel, il s’ensuit que nous devons donner à Dieu tout notre cœur pour ne laisser aux créatures que notre mépris, tout cela pas «in se», mais «in nobis» ou en vue de notre salut éternel.  En parlant des échantillons, nous avons expliqué comment ils nous servent à mieux connaître les perfections divines.  Ici nous voulons montrer comment ils doivent nous conduire à l’amour de Dieu pour nous assurer sa possession dans la vision béatifique.  Cette méditation est donc la pratique de la doctrine des échantillons.  Il faut donc s’attendre à quelques répétitions qui n’offenseront pas ceux qui aiment Dieu, elles seront fastidieuses pour les philosophes qui n’ont que l’idée de l’amour de Dieu, mais pas la chose elle-même.  Le grand obstacle à l’amour de Dieu est certainement l’ensorcellement des créatures qui fait que les hommes s’attachent aux plaisirs qu’ils y trouvent et font ainsi une fin de ce qui n’est qu’un moyen d’aller à Dieu.  Eh bien!  c’est à force de remettre devant l’esprit le plan divin au sujet de l’usage des créatures que nous arriverons à nous tourner pour tout de bon vers Dieu seul et à comprendre la folie de chercher son bonheur dans les échantillons.  Pour obtenir cette fin, suivons l’ordre de nos trois actes de nos facultés spirituelles: connaître et estimer, de l’intelligence, et aimer, de notre volonté.
Connaître est l’acte de l’intelligence qui est naturellement curieuse.  Elle veut toujours découvrir du nouveau dans tous les domaines et c’est Dieu évidemment qui lui a donné cette tendance naturelle.  Au lieu de gaspiller ce talent en allant d’un échantillon à l’autre selon la comparaison horizontale, il faut aller des échantillons aux choses divines correspondantes C’est pour cette fin que Dieu a créé les créatures, suivons donc ce plan divin, selon la verticale, et nous aboutirons toujours à quelque chose de divin, comme nous l’avons déjà expliqué dans la méditation: Échantillons.  Tout ce travail est nécessaire, mais il n’est pas encore l’amour de Dieu.  Estimer, c’est comprendre la beauté, la richesse et l’utilité d’un être.  Or c’est à force de mettre cet être devant l’esprit qu’on arrive à voir tout le bien qu’il recèle.  C’est la marche ordinaire des facultés humaines.  Les gens doivent commencer par connaître un jeu ou une personne avant de les estimer.  C’est le même procédé pour arriver à estimer les choses de Dieu.  La foi commence par nous les révéler; c’est déjà beaucoup, mais si les fidèles ne s’arrêtent pas ou peu à ces vérités, ils n’arrivent jamais à les estimer.  Il faut les ruminer dans la méditation, les étudier dans les Écritures ou dans les auteurs qui les expliquent et surtout si on en parle souvent avec les gens qui les connaissent bien… ce qui est fort difficile de trouver.
Alors on finit par les estimer et les préférer aux choses du monde.  Le bon Dieu pourrait bien nous donner une grande estime pour les choses du ciel directement par une grâce infuse, mais d’ordinaire il veut que nous suivions la marche ordinaire de nos facultés spirituelles.  C’est pourquoi nous acquérons l’estime des choses divines en fonction des choses terrestres qu’il a créées précisément pour nous faire connaître et estimer ses perfections divines.  Suivons donc cet ordre voulu de Dieu.
Comme on estime un paletot en fonction du prix qu’on demande, ainsi on estimera un bien céleste en le comparant avec les biens de la terre.  Ainsi quand on veut se faire une bonne idée de la grandeur et de la beauté des demeures éternelles nous pouvons considérer les beaux palais, les somptueuses demeures des riches que nous estimons tant!  Puis nous n’avons qu’à enlever les limites de ce que nous voyons pour estimer incomparablement plus la maison de Dieu infinie en tout.  Il faut bien noter la différence entre les choses sensibles et celles de la foi.  Les premières agissent directement sur notre sensibilité et nous apportent des plaisirs concrets et présents, tandis que les choses de Dieu ne se représentent à nous qu’à travers le voile de la foi et n’ont aucune influence sur notre sensibilité.  Ce n’est donc que par le raisonnement qu’on arrive à les estimer à leur valeur manifestée à notre intelligence par la foi.  Nous avons deux actes à faire: nous savons que les biens célestes sont incomparablement supérieurs à ceux de la terre et nous les voulons sans aucune tendance sentie.  Voici un exemple: supposons qu’on m’avertit que je deviens l’héritier d’un château magnifique valant des millions en Europe.  Je n’ai jamais vu ce château et il n’agit donc pas du tout sur mes sens, cependant je sais sa valeur et je puis le vouloir sans éprouver d’attrait sensible pour lui.  C’est exactement ce que nous devons faire pour les choses du ciel.  Pour des hommes intelligents, les actes de nos facultés spirituelles doivent bien valoir les actes de nos passions animales et de nos sens matériels.  Il est donc sage de suivre les conclusions qu’elles nous indiquent.  Cessons donc de nous guider par nos sens ou notre animal, mais suivons surtout nos facultés spirituelles, car c’est à elles que s’adresse la foi qui nous révèle les biens célestes.  St Paul, 2 Cor.  4-, se raisonne ainsi: «Car notre légère affliction du moment présent produit pour nous, au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire, nos regards ne s’attachant pas aux choses visibles mais aux invisibles, car les choses visibles ne sont que pour un temps, les invisibles sont éternelles.» C’est donc à force de comparer les biens de ce monde avec ceux du ciel que l’esprit viendra à se passionner pour les célestes, pas sensiblement, mais intellectuellement.  L’intelligence arrivera à s’en faire une grande idée et donc à les estimer de plus en plus… et tout cela aboutira à l’amour divin.
Aimer est un acte de la volonté qui se porte vers un bien pour le posséder afin de s’y unir et en jouir.  L’amour est divin quand le bien aimé est Dieu et les choses de Dieu.  Il faut absolument distinguer cet amour de l’amour humain qui réside surtout dans la sensibilité, comme lorsqu’on se sent attiré par une personne à première vue.  On ne peut pas sentir un attrait semblable pour un être invisible et connu seulement par des déductions intellectuelles.  Un chrétien doit donc faire son amour pour Dieu à l’aide de ses facultés spirituelles appliquées aux échantillons comme nous l’avons déjà expliqué.  Il faut qu’il gagne son amour à la sueur… de ses raisonnements, aidés de la grâce.  Plus on diminuera la vie des sens en aiguillant toute son affection vers les perfections divines correspondantes à ce que les sens présentent à l’esprit et plus on a des chances d’arriver à un amour de Dieu très sérieux.  Voilà pourquoi ceux qui ont commencé à goûter Dieu aiment à s’éloigner des plaisirs sensibles; ils affectionnent les solitudes, le calme des bois ou de la campagne et l’isolement.  Leur esprit s’envole plus facilement vers les choses invisibles quand il n’y a rien de distrayant autour de lui.  Car c’est l’amour qui attire l’esprit et vice versa.  Un chrétien qui se délecte dans les plaisirs, même les meilleurs, aura de la difficulté à monter vers Dieu par la contemplation et la prière.  Voyons le procédé mental qui décide une femme de s’acheter un beau manteau qu’elle a vu dans un catalogue ou porté par une personne.  Chaque fois qu’elle le voit, elle le regarde longtemps, l’examine attentivement et conçoit une grande estime pour ce manteau.  Ce n’est qu’après cela que la volonté entrera en jeu et que cette femme se décidera à se procurer un semblable manteau.  Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’on peut dire qu’elle aime ce manteau puisqu’elle veut le posséder pour en jouir.
Eh bien!  il faut que notre estime augmente tellement que nous nous décidions un jour de le posséder à tout prix même aux dépens de ce que nous aimons des choses de la terre.  Comme la perle précieuse, Dieu s’achète avec tout ce que nous possédons au monde et sans exception.  On aime donc Dieu en proportion que l’on commence à l’acheter en se privant des plaisirs terrestres.  Autrement ce n’est que de l’admiration vaine.
Ceux qui sont affectueux se délectent dans la lecture des romans d’amour.  Ils aiment à suivre le jeu des passions pour arriver à posséder une personne aimée et ces liseurs de romans finissent toujours par reproduire dans leur vie ce qu’ils ont lu avec passion.  Eh bien!  les chrétiens devraient lire les romans d’amour de Dieu qu’il a fait écrire dans l’Écriture sainte.  Par exemple, comment il s’est pris pour gagner l’amour d’Abraham.  Que de sacrifices il lui a demandés pour son corps et pour son âme.  Il l’a éloigné de son pays et de ses parents, il lui a enlevé sa femme deux fois et enfin il lui a demandé le sacrifice de son jugement et de son amour de père en exigeant le sacrifice de son fils Isaac.
Dieu a agi de la sorte avec tous ceux qu’il s’est choisis comme amis spéciaux.  Il les a séparés des choses créées autant que possible afin que leur coeur soit tout à Dieu.  Cela confirme donc bien la doctrine que nous donnons ici: que le divin s’achète aux dépens de l’humain et que l’amour se montre par les sacrifices faits pour lui.  Ces idées devraient désabuser ceux qui voudraient aimer Dieu sans qu’il leur en coûte et qui croient que Dieu les aime quand il leur fait des faveurs ou qu’il les laisse bien tranquilles, et que Dieu est choqué contre eux quand il leur demande des sacrifices.  Ces gens sont dans l’illusion; ils ignorent les voies de Dieu.  Est-ce que l’Écriture ne dit pas que Dieu châtie ceux qu’il aime et qu’il frappe de verges ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants?  C’est que son amour nous veut semblables à lui.  Or nous sommes humains et couverts de péchés et pétris de tendances naturelles; il faut qu’il nous purifie de tout cela et violemment puisque nous ne voulons pas le laisser faire.  Au lieu de nous plaindre nous devrions l’en remercier de nous émonder de la sorte afin que nous portions plus de fruits surnaturels.  Un autre bon moyen d’acquérir l’amour de Dieu est d’étudier tout ce qu’il a fait pour sauver les hommes de l’enfer et leur donner le ciel, ce que l’on trouve dans les saintes Écritures; qu’on lise assidûment la Bible et l’on arrivera vite à l’amour de Dieu et des choses de Dieu.  Comme nous méditons surtout dans cette instruction comment arriver à l’amour de Dieu, il est bon d’en étudier les caractères afin de savoir quand on a cet amour de Dieu qui donne le ciel.  Il ne s’agit pas seulement de cet amour naturel qui aurait suffi dans le chemin des limbes pour arriver à notre bonheur naturel.  Il s’agit de l’amour de Dieu qui seul donne le ciel.  Nous allons en considérer trois.
Cet amour est absolu.  En effet puisque Dieu n’a créé les échantillons que pour nous donner une idée de ses perfections divines, il est évident que tout notre amour doit aller à Dieu seul.  Les créatures ne sont que des miroirs, que des moyens pour nous faire arriver à Dieu.  Or l’amour ne tombe jamais sur les moyens, mais sur la fin.  Donc tout notre amour doit aller absolument à Dieu seul.  C’est cet absolu que Dieu veut par le premier commandement où il mobilise absolument toutes nos capacités d’aimer pour lui seul.
St Paul avait cet absolu dans son coeur, dans son amour pour Dieu quand il dit: «Pour gagner J-C.  je me suis privé de toutes choses, les regardant comme du fumier!» Tout son amour allait donc absolument tout à Dieu.  De même tous les martyrs ont tout sacrifié pour l’amour de Dieu.  L’amour de Dieu ne souffre pas de condition ni de réserve: il faut tout lui donner comme Jésus l’enseigne dans les deux paraboles de la perle précieuse et du trésor dans le champ.  Qu’on remarque bien que cet absolu est dans la volonté ou dans l’ordre de l’intention.  On doit vouloir cet absolu; dans le concret chacun fera ce qu’il pourra pour l’exécuter selon ses forces actuelles. 
Avis aux scrupuleux et aux nerveux!  Qu’ils continuent de vouloir aimer Dieu d’une façon absolue et dans le concret qu’ils remercient Dieu de ce qu’il leur donne.  Dieu est le bien infini et la source de tous les biens créés: toute notre capacité d’aimer doit donc aller à lui seul.  Défions-nous de nos désirs d’amour divin dans tel poste, ou avec telle santé ou dans telle fonction.  Cet amour de condition ne vaut pas grand-chose devant Dieu.  On le fait dépendre de notre satisfaction d’abord; c’est donc qu’on s’aime plus qu’on aime Dieu.  C’est un amour très dangereux pour le salut et directement contre le premier commandement.  Mais combien fréquent même chez les bonnes âmes!  Un religieux veut bien se sanctifier mais dans telle maison en particulier; s’il est changé, adieu son travail de perfection.  Ou bien il aimera Dieu quand Dieu le débarrassera de tel compagnon qui lui pèse sur les épaules!  Ce n’est pas de l’amour de Dieu qui mène au ciel sûrement.  Ce chrétien peut déraper à tout instant de sa fin dernière.  Ayons donc un amour absolu pour Dieu!  «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit.»
Cet amour est exclusif.  C’est une conséquence du premier caractère.  Comme notre coeur est limité il ne peut pas se donner à une créature sans enlever cet amour à Dieu, à moins qu’il n’aime cette créature pour l’amour de Dieu; dans ce cas, c’est encore Dieu qu’il aime en elle.  Tout ce que nous avons dit plus haut s’applique donc ici.  Dans le sermon sur la montagne Jésus carrément affirme qu’on ne peut pas aimer Dieu et le monde: on aimera l’un et on haïra l’autre.  L’amour de Dieu exclut donc l’amour des créatures, Jésus le dit de bien des façons: «Si quelqu’un ne renonce pas à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple.» C’est la même idée dans le premier commandement.  C’est l’enseignement des saints, comme par exemple St Ignace: «Qu’ils cherchent Dieu en tout, se dépouillant de l’amour de toutes les choses créées pour diriger toute leur affection sur le créateur, l’aimant dans toutes
les créatures et toutes les créatures en lui, selon sa très sainte et divine volonté.» Règle 17ème.  On trouvera des auteurs qui disent tout le contraire.  Ils disent que l’amour de Dieu n’est pas exclusif, puisque les créatures sont les reflets de Dieu, elles sont aimables.  Cela est vrai pour les philosophes qui parlent selon «in se» philosophique, tandis que nous parlons en théologiens et donc «in nobis».  Là un amour pour une chose créée en enlève autant à Dieu.
Quand St Paul dit qu’il s’est privé de toutes choses pour gagner l’amour de Dieu, il montre assez que cet amour est exclusif.  Il ne dit pas qu’il a aimé Dieu affectivement et les créatures effectivement.  Cette distinction est pour les philosophes; pour les saints comme pour Jésus, il n’y a que l’amour effectif qui se prouve dans les faits.  Cet amour est exclusif non pas dans la tête seulement, mais dans la pratique concrète de la vie.  Celui qui aime Dieu réellement méprise ses échantillons de fait.  Il use des créatures nécessaires et utiles parce que Dieu veut qu’il s’en serve, mais il n’y met pas son coeur, il ne les aime pas pour elles-mêmes, mais pour Dieu; dans ce cas il n’y a pas de rivalité entre ces deux amours puisqu’ils deviennent pratiquement le même.  Cela répond à l’objection qu’on entend souvent quand on explique cette doctrine.  Un mari dira: est-ce que je n’ai pas le droit d’aimer ma femme?  Pour comprendre la solution de cette objection, il faut remarquer que l’amour naturel et physique n’est pas libre et donc n’a ni mérite ni démérite devant Dieu.  La liberté n’est que dans la volonté et dans les motifs.  Ce mari, comme un païen, prend dans son amour physique ses motifs naturels d’aimer sa femme.  Comme chrétien, il doit aller en Dieu chercher son motif surnaturel libre pour aimer sa femme.  Ce motif surnaturel ne change en rien son amour physique qui demeure et il suffit pour satisfaire Dieu.  Si cet homme fait cela habituellement, quand sa femme deviendra désagréable par l’âge ou les infirmités ou lui deviendra antipathique, cet homme ne changera pas de conduite envers elle.  parce que dieu le veut, il la traitera comme J-C.  en personne, malgré qu’il ne ressente aucunement cet attrait naturel qu’il avait pour elle autrefois.
Ce n’est que dans nos motifs libres de la volonté que l’on peut aimer Dieu malgré l’attraction des créatures et acquérir du mérite dans toutes nos tentations.  Ce motif surnaturel ne nuit en rien à l’affection qu’on peut avoir pour une personne ou pour une chose.  Un chrétien a le droit de marier une fille qu’il aime de cette façon naturelle, pourvu qu’il aille en Dieu chercher son motif pour la marier.  On peut dire qu’il garde son motif naturel qui vient de son amour naturel et donc que les deux motifs s’ajoutent.  Remarquons bien que ces motifs s’ajoutent pour le fait de la marier, mais il n’y a que son motif surnaturel qui lui donne mérite pour le ciel.  L’autre motif naturel de la marier parce qu’elle est belle ne vaut rien du tout pour le ciel.  Voilà pourquoi les chrétiens doivent surveiller uniquement leurs motifs surnaturels dans tout ce qu’ils font; leur mérite éternel ne vient que de ces motifs, évidemment la grâce sanctifiante supposée.  Il ne faut donc pas confondre ces deux amours, autrement on ne comprend plus rien au renoncement à l’amour des choses créées.  En d’autres termes, Dieu ne s’occupe pas de ce qui se passe dans l’animal, mais uniquement de ce qui se passe dans la volonté libre et dans les motifs qui viennent d’elle.  Les chrétiens devraient donc uniquement travailler dans ce domaine des intentions ou des motifs pour leur sanctification.
Amour urgent veut dire qu’il faut préférer Dieu pendant que nous pouvons jouir des échantillons.  C’est pendant qu’on a de l’argent qu’il faut acheter ou qu’on a du blé pour semer, qu’il faut choisir entre cette semence et sa récolte.  C’est ici qu’on voit un effet désastreux du philosophisme si répandu dans le monde.  Les gens font leur choix de Dieu seulement de tête.  Évidemment cela peut se faire en un clin d’oeil à la fin de la vie.  Voilà pourquoi tant de chrétiens remettent à plus tard le soin de leur salut.  Dans leur coeur ils veulent dire qu’ils s’occuperont de sauver leur âme quand ils ne pourront plus jouir des créatures.  C’est aussi fou que de dire: Je m’achèterai une maison quand je n’aurai plus d’argent et je sèmerai mon grain quand je n’en aurai plus!  Car ce sont justement toutes ces jouissances qui sont la monnaie pour acheter le ciel ou des grains pour le récolter.  La plupart des chrétiens ne seraient pas affectés par ce que nous disons ici, car ils répondent qu’ils ne prennent que les plaisirs permis.  Mais cela ne fait pas de différence pour gagner le ciel.  Les choses permises sont de la monnaie comme les défendues.  Il y en a assez pour captiver complètement le coeur de l’homme et il se damne à cause de cet amour pour le créé.  Jésus n’a jamais fait cette distinction quand il s’agit de choisir entre le monde et Dieu.  Quand les prêtres et les fidèles vont-ils cesser de faire cette distinction?  Le choix des chrétiens n’est pas entre les choses permises et les choses défendues, mais entre dieu et toutes les créatures sans exception!  sans distinction!  Ceux qui se servent de cette distinction entre permis et défendu sont encore par leur mentalité sur le chemin des limbes dans l’ordre naturel.  Que tous nos chrétiens formés par nos philosophes changent leur tactique de vouloir jouir le plus possible des choses permises, puis ensuite faute de mieux de consentir à aller voir Dieu au ciel.  ce n’est pas le plan divin actuellement dans l’ordre surnaturel.  Ici il faut acheter Dieu pendant qu’on a de l’argent ou qu’on peut encore jouir des choses permises.  Exemple: un mari abandonne sa femme pour aller vivre avec d’autres et il lui écrit qu’il l’aime encore, qu’il ne l’oublie pas et que lorsqu’il sera près de mourir il reviendra avec elle, mais qu’il aime mieux vivre avec d’autres en attendant sa mort.  Qui dirait que cet homme aime sa femme?  Personne…
Eh bien!  que de chrétiens agissent de la sorte avec Dieu: ils protestent qu’ils ne l’ont pas abandonné, qu’ils pensent à lui souvent, qu’ils gardent leur religion, mais en attendant la mort ils s’amusent avec les choses créées.  Ce sera bien assez le temps de revenir à Dieu à la mort!  Quelle folie de penser ainsi!  Voici une parole terrible de St Augustin pour ces gens-là: «Ceux qui voudraient s’éterniser sur la terre pour jouir des créatures, s’il leur était possible, n’ont pas assez d’amour de Dieu pour être sauvés.» Ps.  30.  Toutes ces fameuses recettes données pour le salut à la dernière minute viennent des philosophes habitués à juger «in se» dans l’abstrait.  En théorie une seconde suffit pour regretter ses péchés, c’est vrai.  Il est
vrai aussi que toutes les conversions sont possibles à Dieu.  On dit: «Dieu veut sauver le pécheur et il est infiniment miséricordieux, donc il peut et il sauve les mourants qui se repentent.» Mais je réponds: Dieu veut aussi sérieusement la conversion du pécheur pendant qu’il est en santé et qu’il pèche, pourquoi ne le change-t-il pas alors?  Il est aussi fort là qu’à la mort du pécheur?  Sa miséricorde est sans limite pendant que le pécheur est en santé, pourquoi ne lui pardonne-t-il pas ses péchés?  Pourquoi ne le convertit-il pas?  Tous les arguments apportés pour la conversion du pécheur à la mort valent pendant la vie et la santé du pécheur.  Pourtant combien ne se convertissent pas?  On va dire qu’à la mort le pécheur change d’idée; il regrette sa vie.  C’est possible sûrement, mais montrons que c’est un gros risque à prendre.  Jésus a pris la peine de nous avertir que ce ne sont pas ceux qui crient: Seigneur, Seigneur, qui entrent au ciel, mais ceux qui font la volonté de son Père.  Or le pécheur ne l’a pas fait très souvent.  À la mort, à quoi le pécheur va-t-il préférer Dieu?  Aux plaisirs?  Il ne peut plus en prendre!  Je gaspille follement mon argent et quand je n’en ai plus, je m’en vais au magasin pour m’acheter un beau paletot; vont-ils me le donner quelque bien disposé que je sois, quelque regret que j’aie d’avoir gaspillé mon argent?  Comment puis-je dire que je préfère ce paletot à mon argent que je n’ai plus?  C’est de la sottise toute pure!
Sans doute les pécheurs préfèrent tous aller au ciel au lieu d’aller en enfer, mais qui peut prouver que la seule préférence du ciel à l’enfer à l’heure tragique de la mort constitue un amour suffisant pour mériter la vision béatifique?  Le plan divin est de préférer Dieu aux plaisirs de la terre pendant que nous pouvons en jouir.  Les prédicateurs du salut à la dernière minute vont dire qu’il peut faire le sacrifice de sa vie: c’est possible sûrement.  Mais quelle garantie peut-on avoir que ce pécheur est capable de cette préférence à l’heure de la mort quand il n’a jamais pu le faire de son vivant ou mieux lorsqu’il était en pleine vigueur?  Un mari qui a vécu avec une autre toute sa vie peut-il à l’heure de la mort dire à sa femme qu’il la préfère à sa maîtresse?  Il peut le dire, mais qui le croira?… Le mourant peut être sérieux quand il dit qu’il préfère Dieu aux plaisirs de la terre, mais le sérieux n’est pas de l’amour de Dieu.  Quand Judas s’est repenti de son crime, il était sérieux et extraordinairement repentant; sa peine était immense.  Où sont les pécheurs qui ont une plus grande contrition que Judas?  Qu’est-ce qui a donc manqué à son repentir?  Ce qui avait manqué toute sa vie: l’amour de Dieu de préférence aux créatures.  Judas avait une attache; il aimait l’argent et il volait tous les jours un peu… quelques sous par jour.  Ce n’était pas grand-chose en soi comme dirait un philosophe.  Il n’avait donc pas d’amour de Dieu avant son crime; ce n’est pas ce crime qui lui en donna!  Judas a eu sa bonne pensée, il a confessé son crime devant tous les prêtres du temple et il a eu une peine énorme et il s’est damné quand même!  Quelle douche froide sur les facilités des philosophes du salut à la dernière minute!
La parabole des vierges folles est de nature à faire frémir ceux qui remettent à plus tard leur conversion.  Ces vierges étaient bonnes, avaient la foi et voulaient sérieusement aller aux noces puisqu’elles étaient là une bonne partie de la nuit.  Elles ont dû voir qu’elles n’avaient pas d’huile dans leurs lampes, mais elles raisonnèrent comme nos retardataires: nous en aurons quand le temps sera venu.  Cependant l’époux n’a pas voulu accepter leur préparation tardive de la dernière heure.  Pourquoi?  parce qu’en prenant un risque elles montraient qu’elles ne préféraient pas l’époux à tout le monde.  Quand on tient à une chose mordicus on ne prend pas de risque à son sujet.  C’est un amour absolu et exclusif qui donne le ciel et elles ne l’avaient pas.  Ces vierges étaient sincères quand elles frappaient à la porte pour entrer aux noces; elles le voulaient pour tout de bon.  Ces bonnes dispositions ne valaient rien parce qu’elles avaient été insouciantes pendant la veillée.  Que de chrétiens ont ces vierges folles pour patronnes!  et modèles!  Ils ont conscience qu’il leur manque la vertu pour être sauvés actuellement; ils risquent donc leur salut; ils n’aiment donc pas Dieu plus que leurs plaisirs terrestres.  Ils auront beau être sincères, sérieux et frapper à la porte du paradis, ils peuvent bien entendre les mêmes paroles de l’époux aux vierges folles: «Il fallait être prêt pendant que vous attendiez mon arrivée… et cela est toute la vie…» Qu’on nous fournisse donc des textes où Jésus dit qu’on peut attendre à la dernière heure pour se convertir.  On n’a que l’exemple du bon larron qui n’est pas le patron des retardataires, puisque c’était la première fois qu’il rencontrait Jésus et il s’est converti tout de suite.  Un sur deux!  Si on dit que la miséricorde est infinie, on répond que la justice l’est aussi.  S’il y a cinq vierges sages, il y en a cinq folles qui ne sont pas sauvées.
Ces changements faciles en amour viennent de la tête des philosophes.  «In se», c’est toujours facile, mais ce n’est pas vrai que ce soit facile dans le concret.  On ne change pas son coeur comme sa chemise!  Voit-on souvent un homme amouraché d’une femme qui l’aime une semaine et la déteste l’autre et ainsi de suite plusieurs fois?  Non, jamais!  Or la conversion est justement un changement de cette nature.  Un homme pèche quand il met sa fin dernière dans une créature et il se convertit quand il la met en Dieu.  Ce n’est pas vrai que cela puisse se faire et se fait facilement et souvent pour la même personne.  Voit-on souvent un pécheur se convertir pour de bon une semaine, puis pécher une autre semaine, puis revenir à Dieu encore à la troisième, etc.  Ce phénomène n’existe pas!
Ce serait différent pour un (pécheur) chrétien qui pèche par accident pour ainsi dire et rarement.  Celui-là aime vraiment Dieu quand même et à l’heure de la mort il a vraiment des chances sérieuses que son repentir soit du véritable amour de Dieu.  En d’autres termes, qui a de l’amour véritable pour Dieu durant sa vie peut espérer que Dieu lui pardonne ses péchés à la fin de sa vie à cause de son amour qu’il a toujours gardé dans sa volonté.  C’est le cas de St Pierre.  Mais les autres qui pèchent habituellement et donc qui n’aiment pas Dieu et qui comptent sur la fin de leur vie pour revenir à Dieu sont des Judas qui risquent fort d’avoir le même sort que ce sans-coeur durant sa vie.  L’amour de Dieu est donc urgent et il faut que tous essaient par tous les moyens à leur disposition de préférer Dieu à tous les plaisirs terrestres pour continuer de la faire dans la vision béatifique.  Surtout qu’on ne suive plus la doctrine des philosophes sur la facilité de se sauver.  C’est justement cette même doctrine que les prêtres donnent à peu près partout avec le résultat désastreux que nous constations dans tout le monde.  Plus les fidèles suivent nos philosophes et plus ils restent païens et dans leur mentalité et dans leur conduite.  Si leur doctrine de miséricorde exclusive ne peut empêcher le débordement des moeurs païennes, elle ne doit pas valoir mieux pour l’heure de la mort.  Alors qu’on prenne toutes ces recettes faciles de salut magique avec un grain de sel… Nous ne sommes sûrs que d’une chose: nous devons suivre un Sauveur crucifié qui nous dit sur tous les tons qu’il faudra souffrir comme lui, se renoncer comme lui tous les jours de sa vie et porter sa croix tous les jours de sa vie.  Voilà ce qui est certain.  Il ne dit pas à la dernière heure ou minute, jamais il ne l’a dit, jamais il ne dit qu’une bonne pensée sauve à la dernière minute.  Ce n’est pas une idée qu’il veut, ni une pensée, c’est de l’amour et de l’amour de préférence, non pas à l’enfer ou aux démons, mais à ses bonnes créatures sur la terre.  Encore une fois et qu’on y pense sérieusement: Puisque la façon de présenter la religion par les philosophes du clergé se montre extraordinairement inefficace, inutile pour la très grande masse des chrétiens, c’est donc qu’elle ne vaut rien non plus pour l’heure de la mort.  Sous un extérieur de charité, en voulant sauver tout le monde sans amour de Dieu, c’est une doctrine cruelle puisqu’elle est responsable de la perte de millions d’âmes qui vivent loin de J-C.  comme on le voit par leurs conversations, jamais de Dieu ni des choses de Dieu.
Dans une affaire de cette importance on doit prendre le côté le plus sûr.  On ne prend pas de risque pour son salut éternel.  C’est une aussi grande hérésie de faire Dieu toute miséricorde que de le faire toute justice comme les Jansénistes.  La doctrine orthodoxe est de mettre autant de justice de Dieu dans sa vie et dans sa mentalité que de miséricorde.  Par conséquent avoir une peur d’être damné aussi grande que la confiance d’être sauvé.  Les saints nous donnent tous cet exemple.  Leur vie si mortifiée montrait bien qu’ils avaient une peur bleue d’être damnés et en même temps leur amour de Dieu leur donnait une grande confiance en la miséricorde divine.  Ne soyons donc ni jansénistes ni philosophes!  Soyons de vrais théologiens chrétiens qui laissent en Dieu toutes ses perfections.  C’est détruire Dieu aussi sûrement de le faire rien que miséricorde que de le faire rien que justice.
conclusion: travailler sur la mentalité Pour faire ce choix de Dieu à travers toutes ses créatures, il faut exercer ses facultés spirituelles constamment; il faut abstraire le divin du sensible par l’intelligence et y adhérer par la volonté.  Les Apôtres à l’exemple de J-C.  exhortent constamment les fidèles à se transformer intérieurement, non seulement à éviter les péchés, mais aussi les motifs naturels.  «Renouvelez-vous donc dans l’intérieur de votre âme et revêtez-vous de l’homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu dans une justice et une sainteté véritable.» Éph.  4-24.  «Que chacun ait en vue non ses propres intérêts, mais ceux des autres.» Phil.  2-4.  Donc pas de motifs naturels.  «Ce sont ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu qui sont enfants de Dieu.» Rom.  8.  C’est dans nos facultés que nous pratiquons les trois vertus théologales nécessaires au salut et toutes les vertus surnaturelles qui en découlent.  Là seul est notre liberté, donc là seul est notre mérite aussi.  La grâce sanctifiante n’est que la condition du mérite, il faut la liberté pour le mérite et donc la volonté.  Pour aller à Dieu par l’amour, il faut orienter vers Dieu toute l’activité, ce qui doit se faire par nos deux facultés spirituelles.  Tous les professeurs et les prédicateurs devraient donc orienter leurs instructions à fournir de l’aliment à l’activité de ces deux facultés.  Ce n’est pas des «in se» qui vont stimuler cette activité, mais des «in nobis» pratiques.
C’est d’autant plus nécessaire que nous ne ressentons pas d’attraction naturelle pour les choses de Dieu; il nous faut donc faire cette attraction par un travail pénible et constant de comparaison des choses créées avec le créateur afin d’aiguiller sur Dieu nos deux facultés, qui à leur tour finiront avec la grâce de Dieu de nous conduire à l’amour de Dieu.  C’est par le travail personnel de la contemplation, de l’étude et de la prière que nous arriverons à nous attacher à Dieu surnaturellement: la seule façon qui donne le ciel.  Remarquons que nous ne voulons parler dans cette méditation que du procédé pour arriver à l’amour de Dieu; plus tard nous parlerons de l’amour de Dieu en nous ou acquis au moins en partie.
 

 

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