LES ÉCHANTILLONS.
PREMIERE PARTIE: nature
«Ses perfections invisibles, son
éternelle puissance et sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues
visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres.» Rom. 1-20.
Plan Remarque Plan de Dieu pour
avoir sa gloire (l’Écriture sainte Son fondement: (l’exemple de Jésus (la pratique
des Saints (alimente les sens Conforme à la nature: (alimente l’intelligence
(alimente la volonté (durée Pratique: comparer l’échantillon avec Dieu…
(qualité (intensité
REMARQUE Maintenant nous allons
expliquer l’usage des créatures. St Ignace dit qu’elles ont été créées pour
nous aider à louer, révérer et servir Dieu. C’est ce que nous allons développer.
Puisque nous devons passer notre vie à louer Dieu, il faut de la matière pour
alimenter ces louanges. Ce sont les créatures qui vont nous la fournir. Nous
sommes encore dans le fondement des Exercices qui contient le plan divin pour notre
salut.
Souvent on nous demande: pourquoi
Dieu ne nous a-t-il pas créés tout de suite dans son ciel puisqu’il nous
voulait là, au lieu de nous faire passer par les choses créées de la terre où nous
risquons de perdre notre âme? La gloire de Dieu donne la réponse à cette
question. C’est que les louanges que nous lui aurions données au ciel
n’auraient pas été libres de cette liberté qui donne le mérite. Nous n’aurions
pas pu faire autrement que de le louer; alors Dieu n’aurait pas eu de gloire à
nos louanges sans liberté de faire le contraire. Dieu devait donc prendre un autre
moyen d’avoir sa gloire tout en nous laissant la liberté de ne pas lui en
donner.
Plan de dieu pour avoir sa gloire
Pour nous laisser la liberté de
le louer ou non, Dieu se cache derrière les créatures pour ainsi dire tout en
se manifestant d’une certaine façon à notre intelligence. N’étant pas éblouis
par la splendeur de ses perfections, nous restons libres de les louer ou non.
Dieu nous a bâtis avec tout ce qu’il faut pour le découvrir à travers le voile
épais des créatures, de sorte que nous arrivons à le connaître; mais il ne
force pas nos louanges par sa splendeur, que nous ne voyons pas, mais que nous
déduisons par un raisonnement. Nous restons donc libres de le louer ou de ne
pas le louer. Si nous le faisons, nous avons du mérite et Dieu de la gloire.
Le plan de Dieu est absolument
celui des voyageurs de commerce qui étalent leurs échantillons devant les gens
pour les inviter à acheter de leur marchandise. Dieu expose devant les hommes
des reflets de ses perfections infinies afin d’exciter les hommes à les
désirer, à mériter d’aller les contempler au ciel. Comme toute créature est
nécessairement limitée, Dieu en a créé un grand nombre afin de compléter par
les autres ce qui manque à chacune d’elles.
L’intention de Dieu est que les
hommes découvrent ses perfections divines cachées là et qu’ils arrivent à mieux
connaître et à mieux aimer leur Créateur. C’est par là qu’ils loueront Dieu et
qu’ainsi il aura sa gloire. Ce plan vient de la sagesse divine et tous les
chrétiens devraient le connaître à fond et en vivre dans leur vie concrète.
Mais les prêtres l’ignorent eux-mêmes ou en tout cas ne le donnent pas ou à peu
près jamais. Parfois ils l’indiquent en passant, mais ne l’expliquent pas assez
pour que les fidèles puissent le pratiquer. Rien de plus solidement établi dans
l’Écriture sainte, dans la vie de Jésus et dans la vie des saints.
Son fondement
Dans la sainte Écriture, Sag. 13:
«Insensés par nature tous les hommes qui ont ignoré Dieu Et qui n’ont pas su
par les biens visibles voir Celui qui est. Et, par la considération de ses œuvres,
reconnaître l’Ouvrier. Mais ils ont regardé le feu, le vent, l’air libre, Le
cercle des étoiles, l’eau impétueuse, les flambeaux du ciel, Comme des dieux
gouvernant l’univers. Si, charmés de leur beauté, ils ont pris ces créatures
pour des dieux Qu’ils sachent combien le Maître l’emporte sur elles, Car c’est
l’auteur même de la beauté qui les a faites. Et s’ils en admiraient la
puissance et les effets, Qu’ils en concluent combien est plus puissant celui
qui les a faites. Car la grandeur et la beauté des créatures Font connaître par
analogie Celui qui en est le Créateur.»
Ps. 93: «Comprenez donc, stupides
enfants du peuple! Insensés, quand aurez-vous l’intelligence? Celui qui a
planté l’oreille n’entendrait-il pas? Celui qui a formé l’œil ne verrait-il
pas? Celui qui châtie les nations ne punirait-il pas? Celui qui donne à l’homme
l’intelligence ne connaîtrait-il pas?
Nous avons aussi le texte cité en
tête de cette instruction. Dans l’exemple de Jésus, qui s’est servi des choses
les plus banales pour mieux faire connaître les attributs de Dieu. On remarquera
qu’il commence par dire que la créature n’est rien en comparaison de la
perfection divine correspondante; si le mot «échantillon» n’est pas là, l’idée
y est sûrement, comme nous allons voir par quelques exemples. Jean, 4: l’eau.
Quand la Samaritaine vient puiser de l’eau au puits de Jacob Jésus lui dit:
«Quiconque boit de cette eau aura encore soif! Elle n’est donc rien en
comparaison de celle que je lui donnerai au ciel. Mais celui qui boira de l’eau
que je lui donnerai, n’aura plus jamais soif. Mais elle deviendra en lui une
source d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle.»
Remarquons que Jésus parle d’eau
dans le ciel. La Samaritaine voulait de l’eau, Jésus l’aiguille de l’eau
matérielle dans le puits de Jacob à l’eau qui jaillit jusque dans la vie éternelle.
Il y a donc au ciel quelque chose qui correspond à notre eau matérielle.
Personne ne sera assez simple pour croire que c’est la même sorte d’eau que sur
la terre, mais tous comprennent facilement qu’il s’agit d’analogie. Jésus commence
à parler à cette femme de l’eau matérielle qu’elle était venue puiser, puis
graduellement il lui parle d’une autre sorte d’eau incomparablement meilleure
qui désaltère parfaitement et étanche la soif pour toujours. La Samaritaine qui
voulait de l’eau ordinaire veut encore bien plus cette eau extraordinaire que
Jésus lui offre. Dieu a créé l’eau pour faire connaître les propriétés de la
grâce qui lave les péchés, désaltère de la soif des choses créées pénètre l’âme
pour lui faire porter des fruits spirituels comme l’eau fait pour les récoltes.
L’eau naturelle est donc un échantillon de l’eau surnaturelle de la grâce.
Où sont les prêtres qui ont saisi
tout l’enseignement surnaturel dans cette conversation de Jésus avec la Samaritaine?
La femme laisse là sa cruche et court chercher ses amis pour venir causer avec
Jésus. Si les prêtres donnaient cette idée des échantillons, les fidèles les
laisseraient là pour courir après le surnaturel. Ce n’était pas péché pour elle
de remplir sa cruche quand même de cette eau naturelle, mais devant cette
promesse d’une eau supérieure, elle méprise l’eau naturelle. Voilà ce que les
prêtres devraient expliquer aux fidèles; que toutes les jouissances terrestres
ne sont que des échantillons de celles du ciel. Alors ils laisseraient là les échantillons
pour courir après les jouissances du ciel.
Jean, 6: le pain. Après que Jésus
eut nourri des milliers de personnes en multipliant les pains, la foule vint le
trouver le lendemain de l’autre côté du lac, évidemment pour manger encore ce
pain. Jésus leur dit: «Vous me cherchiez, non à cause des miracles que vous
avez vus, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été
rassasiés. Travaillez pour avoir non la nourriture qui périt (le pain naturel
ne vaut donc rien en comparaison de l’autre; ce n’est qu’un échantillon) mais
pour celle qui demeure pour la vie éternelle et que le Fils de l’homme vous
donnera.
Avec quelle patience il essaie
d’élever leur esprit graduellement du pain matériel au pain divin! Il leur
parle de la manne. «Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont
morts. Pourtant ce pain descendait du ciel! «Voici le pain descendu du ciel
afin que celui qui en mange ne meure plus. Je suis le pain vivant qui suis
descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement et le
pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde.» Les Juifs veulent du
pain. Jésus leur offre un pain céleste. Celui de la terre n’est donc qu’un
échantillon de l’autre. La Samaritaine voulait de l’eau naturelle, Jésus lui
parle d’une eau surnaturelle. Quand les prêtres vont-ils comprendre la leçon
des échantillons? Les repas. En St Luc, 22-28, nous avons l’enseignement de
Jésus qui dit que les repas de la terre ne sont que des échantillons des repas
célestes. «À vous qui êtes restés avec moi dans mes tentations, je vous prépare
le royaume que mon Père m’a préparé afin que vous mangiez et que vous buviez à
ma table dans mon royaume.» En St Luc, 12-37, il dit que c’est lui qui se ceindra
et les fera mettre à sa table et qu’il les servira en passant devant eux. Les
repas de la terre sont donc des échantillons des repas célestes. Mathieu 6-19.
Les trésors de la terre ne sont que des échantillons des trésors célestes. «Ne vous
amassez point des trésors sur la terre où la rouille et les vers les rongent et
où les voleurs les déterrent et les dérobent. Mais amassez-vous des trésors
dans le ciel, où la rouille et les vers ne les rongent point et où il n’y a pas
de voleurs qui les déterrent et les dérobent, car là où est votre trésor là
aussi est votre cœur.»
Si donc Jésus ne craint pas
d’offrir de l’eau céleste pour de l’eau terrestre, du pain céleste pour du pain
matériel, des repas célestes pour des repas terrestres et des trésors célestes
pour des trésors terrestres, nous avons donc le droit et le devoir de suivre son
exemple en aiguillant tous nos chrétiens des plaisirs de la terre aux plaisirs
correspondants dans le ciel, sans qu’on puisse nous accuser de faire du ciel un
ciel à la Mahomet. Peu de chrétiens seront assez insensés pour croire que nous transportons
les plaisirs de la terre tels quels dans le ciel. Il suffit de les avertir une
fois pour toute que la différence est énorme. Jésus dit lui-même que ceux de la
terre ne valent rien en comparaison de ceux du ciel, ils ne sont donc pas semblables.
Dans la parabole du trésor caché et dans celle de la perle précieuse, il veut
que nous donnions tous les échantillons pour acheter le ciel. Mt. 13. Quel
dommage que les prêtres n’aient pas compris cette façon de faire de Jésus pour
les plaisirs de la terre! Quel puissant moyen pour faire monter les chrétiens
des plaisirs de la terre à ceux du ciel, pour les détacher des premiers et les
affectionner aux seconds! Ceux qui trouvent ce moyen insignifiant n’ont donc
rien compris à la sagesse de Jésus dans l’usage des créatures. Que tous les prêtres
commencent donc d’imiter N.S. dans ce genre de prédication!… La pratique des
Saints.
St Jean Chrysostome. Vol. IV, 2è
hom. sur la disgrâce d’Eutropie, p. 298, écrit: Jésus donne à son épouse une
dot en deux parties: l’une qui lui est donnée à titre d’arrhes, L’autre qu’il
lui avait promise pour le temps à venir. Que lui a-t-il donné? Il lui a donné
le pardon des péchés, la rémission du châtiment, la justice, la sanctification,
la rédemption… tous ces dons furent faits aux Apôtres. Donc certains présents
ont été donnés, d’autres promis; les uns livrés à l’expérience pour en jouir,
les autres livrés à l’espérance, à la foi; l’une pour le présent, l’autre pour
l’avenir; l’une pour ce que les yeux voient, l’autre pour ce que les oreilles
entendent; l’une pour les dons effectués, l’autre pour ceux que la foi attend;
l’une vous la voyez, l’autre vous l’entendez annoncer. Je ne veux pas que tu dises:
encore espérer? encore attendre par la foi? Encore des biens à venir? Tiens,
regarde: ces biens-ci, je te les donne; ces autres je te les promets; donc, ces
autres biens sont en espérance, mais prends ceux-ci comme gages, ceux-ci à
titre d’arrhes, ceux-ci comme échantillons! Je te promets un royaume? Oui, je
t’ai donné encore plus: je t’ai donné le Maître du royaume…»
Voilà un saint Docteur qui
comprenait parfaitement la doctrine des échantillons dans le plan divin et qui
n’avait pas peur de s’en servir. Mais où sont les prêtres qui lisent ce Père de
L’Évangile? Ailleurs, Hom 23; Eph. 5-10, p. 563, il écrit: «Nous aussi nous
avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin
portée par deux hommes, Josué et Caleb, mais des arrhes de l’Esprit, cette
discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le chœur des Apôtres… c’est
Jésus qui nous a apporté les fruits du ciel.» À Ste Mechtilde, Jésus dit un
jour: «Cherche-moi dans tes sens. Si ton âme voit par exemple des choses belles
et admirables, qu’elle pense combien est beau, aimable et bon Celui qui les a
faites et qu’elle s’élève aussitôt vers le Créateur de l’univers. Lorsqu’elle
entend une mélodie suave et quelque discours agréable, qu’elle se dise: Oh!
combien sera douce cette voix qui t’appellera un jour! Toute délectation qui se
présente doit donc ramener le souvenir des délices cachées en Dieu qui a créé
toute beauté et tout plaisir pour nous faire connaître sa bonté et pour nous
attirer à son amour.» Sa vie, 3ème partie. ch. 44.
St Ignace aimait à contempler le
ciel étoilé pour de là monter aux splendeurs du ciel. «Comme la terre est vile
quand je contemple le ciel!» disait-il souvent.
St François-Xavier aimait à
monter dans son clocher d’église à Goa pour contempler la mer qui s’étale aux
pieds des montagnes de ce pays d’où il s’élevait jusqu’aux collines éternelles
où son amour habitait. Ce coin de pays est un des plus beaux de la terre. Que
Dieu soit béni de m’avoir donné l’insigne faveur de le visiter en 1919. En
montant de Pangim à l’ancienne Goa sur les collines et en circulant à travers
ces forêts de cocotiers par un chemin qui côtoie la mer, il me semblait monter
au ciel tant le panorama est sublime! J’aurais voulu avoir plusieurs jours pour
contempler à mon goût ce qui ravissait le cœur de saint François-Xavier. St
Stanislas Kostka répondait à son frère Paul qui le sollicitait à prendre part
aux soirées mondaines de Vienne: «Je suis né pour de plus grandes choses.»
C’est donc qu’il avait comparé souvent les plaisirs de la terre avec ceux du
ciel et qu’il avait compris que ceux de la terre ne sont que des échantillons
des autres. St Louis de Gonzague avait comme refrain quand on lui vantait les
beautés de la terre: «Qu’est-ce que tout cela comparé à l’éternité?» Les Saints
se sont passionnés pour Dieu en proportion qu’ils ont compris que les beautés
de la terre n’étaient que des échantillons de celles du ciel. Alors facilement
ils aiguillaient leur esprit et leur cœur vers Dieu pour lui donner leur admiration
et tout leur cœur.
Conforme à la nature
Cette idée des créatures comme
échantillons de Dieu cadre bien avec la nature humaine; c’est donc une preuve
qu’elle est bien de Dieu. En effet, elle donne de l’exercice à toutes les
parties composantes de notre nature humaine divinisée. D’abord elle alimente la
vie animale ou de sens. L’homme se sert des créatures pour se nourrir, pour son
travail manuel et pour se réjouir.
Dieu a doué l’homme
d’intelligence qui prend les éléments de ses connaissances dans la vie des
sens, puis par sa nature spirituelle, elle peut monter plus haut que la matière
pour se faire des connaissances spirituelles comme elle. À l’aide des premiers
principes, elle peut se faire une certaine connaissance de Dieu et de ses
perfections. Enfin avec sa volonté qui suit l’intelligence l’homme peut
alimenter sa vie spirituelle et divine par la foi, l’espérance et la charité.
Elle peut même aller plus loin que l’intelligence et désirer et vouloir des
perfections qui dépassent l’intelligence. C’est là dans l’amour divin
qu’aboutit le plan divin. Tout chrétien n’a qu’à suivre l’ordre de ses facultés
ou de sa composition pour arriver à réaliser le plan divin pour son salut
éternel. Voyons maintenant la pratique.
La pratique
Elle consiste à comparer l’échantillon
avec la perfection céleste correspondante en durée, en qualité et en intensité.
C’est la pratique de la contemplation que tous les saints ont connue et pratiquée.
En durée.
Commençons par la partie animale
et sensible de notre activité humaine selon l’ordre ontologique établi par Dieu
qu’il faut toujours respecter. Prenons l’exemple d’une orange qu’on mange, et
raisonnons selon le plan de Dieu en les créant. Il a mis là un certain plaisir
animal pour nous donner une idée du plaisir qu’on goûtera au ciel en mangeant
les oranges célestes. Ce plaisir ne dure que quelques minutes et même si on
peut le répéter après 40, 50 et quelques années on aura fini de manger les
oranges terrestres. Si j’aime tant ce plaisir, je devrais en vouloir
éternellement; or il n’y a qu’au ciel que je pourrai jouir éternellement; je
dois donc aller au ciel pour manger mes oranges célestes! Il ne faut pas avoir
peur de faire servir ce plaisir animal à faire désirer le ciel même pour jouir
d’un plaisir matériel. Dans la résurrection nos corps seront matériels quoique
spiritualisés. Le corps de Jésus pouvait être touché par les Apôtres même après
sa résurrection; il en sera donc de même pour les nôtres. Jésus a mangé du miel
et du poisson, pourquoi ne pourrions-nous pas manger dans le ciel des choses de
même nature que notre corps? Nous disons que ce n’est qu’un commencement de comparaison
avec les choses du ciel; il ne faut pas en rester là évidemment. Il ne faut pas
se faire un ciel matériel seulement comme Mahomet. Nous avons montré que Jésus
s’est servi des choses bien matérielles comme l’eau et le pain pour faire
désirer le ciel aux Juifs. Nous pouvons donc l’imiter en cela en nous servant
des plaisirs matériels pour faire désirer les plaisirs correspondants dans le
ciel. Autrement nous perdrions une foule d’occasions de faire servir ces choses
matérielles à nous élever vers Dieu. Chose curieuse, les hommes sont tout aux
choses matérielles des sens et quand on leur propose de s’en servir pour monter
vers Dieu, ils s’en scandalisent!…
Le mieux est de comparer la chose
qui se présente à nous dans le moment avec celle qui lui correspond au ciel. À
un voyageur de commerce qui étale ses échantillons de drap, on ne demande pas
du sirop. À un ivrogne, c’est inutile de parler des consolations spirituelles
du ciel. Parlons-lui de liqueurs célestes et l’on a des chances d’être écouté!
À un orgueilleux qui ne cherche que des louanges, n’offrons pas des choses à manger.
Offrons-lui des louanges spirituelles. À tous donc, offrons le plaisir
correspondant au ciel de celui qu’ils recherchent actuellement, à l’exemple de
Jésus qui offre de l’eau céleste à la Samaritaine qui voulait de l’eau naturelle,
et du pain céleste aux Juifs qui voulaient du pain matériel. En qualité.
Cette partie est pour l’âme qui
est spirituelle. Dieu l’a mise dans l’homme comme un ange dans l’animal. Qu’on imagine
l’âme se tenant comme à côté de l’animal et raisonnant sur les impressions de
l’animal et gardons l’exemple de l’orange. Ce plaisir que Dieu a mis dans la
manducation de ce fruit vient de Dieu et donc existait d’une certaine façon en Dieu.
La bonté de l’orange était donc dans l’essence divine d’une façon spirituelle
et mon âme qui est aussi spirituelle pourra donc jouir de ce plaisir au ciel et
en Dieu à la façon divine. Le point difficile est que je goûte les oranges
terrestres tandis que je ne goûte pas les oranges célestes et spirituelles. Là
est justement mon mérite et la gloire de Dieu. Les oranges célestes ne forcent
pas ma volonté et comme je ne les vois pas, je reste libre de les préférer aux
autres oranges ou non. Si je le fais, il me faut faire un acte de volonté pour
les vouloir par esprit de foi en Dieu. Cet acte exige l’exercice de toutes
sortes de vertus très agréables à Dieu, comme un acte de foi en la parole de
Dieu, un acte d’espérance en les biens célestes et un acte d’amour de
préférence pour Dieu sur les échantillons terrestres. Celui qui agit de la
sorte se jette aveuglément dans les bras de Dieu. Pour y arriver il faut faire
toutes sortes de réflexions, de considérations et de prières pour en obtenir la
grâce. En voici quelques-unes:
St Grégoire, hom. év. dim. Oct. Corps. Ch.,
dit: «Le plaisir terrestre est surtout dans l’appétit, mais dès qu’on le prend
il disparaît, preuve qu’on n’est pas fait pour lui. On n’éprouve aucun appétit
pour les choses spirituelles, mais le plaisir est dans leur expérience et plus
on en prend et plus on peut en prendre: preuve que nous sommes faits pour ces plaisirs.»
Quand on approche d’une table
bien garnie, c’est la faim qui fait jouir. Dès qu’elle est satisfaite, le
plaisir disparaît. Il en est ainsi pour tous les autres plaisirs terrestres.
Nous ne sommes donc pas faits pour eux, mais pour les plaisirs célestes qui ne
rassasient jamais. Ce fait montre combien les jouissances surnaturelles sont
supérieures à celles de la terre. Mais il ne faut pas s’attendre à sentir de
l’attrait pour celles du ciel; nous les connaissons uniquement par la foi en la
parole de Dieu et par des déductions intellectuelles; aucune d’elles n’agit sur
les sens. Mais ces conclusions et ces actes sont aussi humains, viennent aussi
bien de Dieu que l’attrait sensible qu’il a mis dans l’animal. C’est à l’homme
de montrer son jugement en suivant ces actes de ses facultés spirituelles
encore plus que les actes de ses sens.
La conduite de Dieu nous enseigne
ce qu’il pense des échantillons. Il les jette à ses ennemis comme à ses amis,
que de pécheurs ont tous les plaisirs qu’ils veulent! Dieu doit donc réserver à
ses enfants du ciel des biens incomparablement meilleurs. Dieu nous enseigne à
rejeter les biens de ce monde comme du fumier, comme de la balayure et il nous
défend de les aimer. «N’aimez pas le monde ni ce qu’il y a dans le monde.» Dans
un grand nombre d’oraisons l’Église nous fait demander le mépris des choses de
la terre et l’amour des biens célestes. St Jean de la C., M. du C. L. 1, ch. 6,
écrit: «N.S. dit: Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner
aux chiens (Mt. 13-26) Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens (Mt.
7-6) Par ces paroles le divin Maître compare aux enfants de Dieu ceux qui
renoncent à tous les appétits de la créature et se disposent à recevoir
purement l’esprit de Dieu; il compare aux chiens ceux qui veulent trouver dans
les créatures un aliment à leurs passions. Les enfants ne sont-ils pas admis à
manger à la table de leur père des mets qui leur sont servis, c’est-à-dire, à
se nourrir de son esprit tandis que les chiens se contentent des miettes
tombées de la table du père de famille; et ceux qui cherchent leur nourriture
dans les choses créées, sont, à juste titre, appelés chiens… aussi, marchent-ils
toujours affamés, et les miettes qu’ils ramassent servent plutôt à exciter leur
appétit qu’à rassasier leur faim. David dit en parlant d’eux: ils souffriront
la faim comme des chiens et ils tourneront autour de la ville, mais s’ils ne
sont pas rassasiés, ils s’abandonneront aux murmures.» Les passionnés des
plaisirs sensibles ne goûteront pas cette comparaison du saint Docteur, mais
elle est juste et bien méritée. Quelle sottise que de préférer des échantillons
aux perfections divines, les miettes au banquet divin! Puisqu’on aime tant ces
plaisirs, qu’on s’assure donc le ciel où ils sont éternels! Mais pour cela il
faut sacrifier sur la terre ces plaisirs afin de les avoir au ciel.
En intensité. Qu’est-ce que la
chaleur développée par un rayon de soleil comparée à celle développée par tout
le soleil? La différence est encore plus grande entre le plaisir développé par
un échantillon et le bonheur donné par Dieu au ciel. Car le plaisir est
matériel et le plaisir céleste est spirituel. Dieu est l’auteur de tous les
plaisirs des échantillons et le monde créé n’est qu’un rayon de l’essence
divine; combien plus grand doit être le bonheur avec la source infinie de tous
les échantillons! Si Dieu donne parfois à ses saints une bouffée de son bonheur
divin, ils en sont ravis et ne vivent plus que pour ces joies célestes et tous
les échantillons ne leur semblent plus que de la balayure. St Paul a entrevu le
troisième ciel et il considère toute la création comme du fumier, en
comparaison avec ce qu’il a entrevu. En résumé, l’univers est un immense
catalogue du céleste magasin général. Ceux qui cherchent leur bonheur dans les
échantillons sont aussi insensés que s’ils se contentaient des pages d’un
catalogue au lieu de la marchandise représentée là. Certains aiment à
ridiculiser le mot échantillon. Par exemple, ils montrent une cigarette et
disent en farce que c’est leur échantillon du ciel. On pourrait ainsi
ridiculiser toutes les comparaisons de Jésus, comme celle de la femme qui bouleverse
toute sa maison pour trouver un sou perdu, échantillon de la joie céleste du
retour d’un pécheur ou de la poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes,
échantillon de la providence divine pour nous protéger, etc. C’est un jeu dangereux
que de se moquer de la façon de faire de J-C. Ce n’est qu’un moyen d’arriver à
Dieu; on ne s’arrête pas plus au moyen qu’aux échelons d’une échelle quand on
monte sur un toit. Ne nous arrêtons pas aux échantillons, mais filons au plus vite
vers les perfections divines représentées par ces échantillons. Si la part de
l’intelligence dans ces comparaisons est importante, celle de la volonté l’est
encore plus. C’est elle qui doit donner le coup pour choisir de fait le plaisir
céleste de préférence au plaisir terrestre et c’est elle qui doit obtenir la grâce
de la faire par la prière. Car nous sommes dans le monde surnaturel et l’homme
n’y peut absolument rien sans la grâce de Dieu, qu’il doit demander par la
prière fervente et continuelle. Voilà la pierre d’achoppement pour un grand nombre
à qui on explique ce système des échantillons; ils admettent vite son utilité,
ils voient vite son procédé, puis trop souvent ils se contentent de faire des
comparaisons purement intellectuelles et ne vont pas plus loin. Le résultat est
qu’ils l’abandonnent vite parce que la grâce de Dieu n’a pas eu la chance
d’agir. Puisque nous voulons des choses surnaturelles, il faut absolument les
demander par la prière. Ces comparaisons ne sont que des conditions pour
l’action divine de la grâce; elles n’en sont pas du tout les causes. Il faut
donc prier et continuer de faire ces comparaisons.
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