L'institution de
l'Eucharistie
Qu'il est bon, le
Seigneur Jésus! qu'il est aimant! — Non content de s'être fait notre frère par
l'Incarnation, notre Sauveur par la Passion, — non content de s'être livré pour
nous, il veut pousser l'amour jusqu'à devenir notre Sacrement de vie !
Avec quelle joie il a
préparé ce grand et suprême don de sa dilection!
Avec quel bonheur il a
institué l'Eucharistie et nous l'a léguée comme son testament !
Suivons cette divine
sagesse dans la préparation de l'Eucharistie. — Adorons sa puissance,
s'épuisant elle-même dans cet acte d'amour.
Jésus révèle
l'Eucharistie dès longtemps à l'avance.
Il naît à Bethléem, la
maison du pain, domus papis. — Là, il est couché sur la paille, qui semble
alors porter l'épi du vrai froment.
A Cana et dans le désert,
lorsqu'il multiplie les pains, c'est l'Eucharistie qu'il révèle: là aussi,
Jésus promet l'Eucharistie. C'est une promesse publique, formelle.
Il jure avec serment
qu'il donnera sa chair à manger et son sang à boire.
C'est la préparation
éloignée. — Le moment vient de préparer plus immédiatement l'Eucharistie.
Ici, Jésus veut tout
préparer lui-même. — L'amour ne se décharge sur personne de ses obligations;
l'amour fait tout lui-même. C'est sa gloire.
Or, Jésus désigne la
ville : Jérusalem, la ville du sacrifice de l'antique Loi.
Il désigne la maison: le
Cénacle.
Il choisit les ministres
de cette œuvre: Pierre et Jean. — Le disciple de la foi : Pierre, — et le
disciple de l'amour: Jean.
Il indique l'heure: la
dernière de sa vie dont il pourra librement disposer.
Enfin il vient de
Béthanie au Cénacle: il est joyeux ; il active le pas; il lui tarde d'arriver.
—L'amour vole au-devant du sacrifice.
Mais voici l'institution
de l'auguste Sacrement. Quel moment! L'heure de l'amour a sonné; la Pâque
mosaïque va se consommer ; l'Agneau véritable va remplacer la figure; — le Pain
de vie, le Pain vivant, le Pain du ciel, remplace la manne du désert ... Tout
est prêt; les Apôtres sont purs: Jésus vient de leur laver les pieds. — Jésus
s'assied modestement à table: il faut manger la nouvelle Pâque assis, dans le
repos de Dieu.
Il se fait un grand
silence: les Apôtres sont attentifs : ils regardent.
Jésus se recueille en
lui-même; il prend du pain dans ses mains saintes et vénérables, lève les yeux
au Ciel, rend grâces à son Père de cette heure si désirée, étend la main, bénit
le pain ...
Et pendant que les
apôtres, pénétrés de respect, n'osent demander la signification de ces symboles
si mystérieux, Jésus prononce ces ravissantes paroles, aussi puissantes que la
parole créatrice: Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est
mon sang.
Le mystère de l'amour est
consommé. Jésus a accompli sa promesse. Il n'a plus rien à donner que sa vie
mortelle sur la croix; il la donnera, et il ressuscitera pour devenir notre
Hostie perpétuelle de propitiation, Hostie de communion, Hostie d'adoration.
Le Ciel est ravi à la vue
de ce mystère. La Très Sainte Trinité le contemple avec amour. Les Anges
l'adorent, saisis d'admiration.
Et de quels frémissements
de rage ne sont pas saisis les démons dans les enfers ! ...
Oui, Seigneur Jésus, tout
est consommé! Vous n'avez plus rien à donner à l'homme, pour lui prouver votre
amour. — Vous pouvez mourir maintenant; vous ne nous quitterez pas, même en
mourant. — Votre amour est éternisé sur la terre; retournez dans le Ciel de
votre gloire, l'Eucharistie sera le Ciel de votre amour.
Hélas! si l'amour de
Jésus au Très Saint Sacrement ne gagne pas notre cœur, Jésus est vaincu! Notre
ingratitude est plus grande que sa bonté; notre malice est plus puissante que
sa charité! Oh! non, mon bon Sauveur, votre charité me presse, me tourmente, me
lie.
La merveille de Dieu
Si l'Eucharistie est
l'œuvre d'un amour immense, cet amour a eu à son service une puissance infinie:
la toute-puissance de Dieu.
Saint Thomas appelle
l'Eucharistie la merveille des merveilles, maximum miraculorum.
Il suffit, pour s'en
convaincre, de méditer ce que la foi de l'Eglise nous enseigne sur ce mystère.
La première des
merveilles s'opérant en l'Eucharistie est la transsubstantiation : Jésus
d'abord, les prêtres ensuite, par son ordre et son institution, prennent du
pain et du vin, prononcent sur cette matière les paroles de la consécration, et
aussitôt toute la substance du pain, toute la substance du vin disparaît, elle
est changée au Corps sacré et au Sang adorable de Jésus-Christ!
Sous l'espèce du pain
comme sous celle du vin se trouve véritablement, réellement et
substantiellement le Corps glorieux du Sauveur.
Du pain, du vin, il ne
reste que les apparences: une couleur, une saveur, une pesanteur ; pour les
sens, c'est du pain, c'est du vin : la foi nous dit que c'est le Corps et le
Sang de Jésus, voilés sous les accidents qui ne subsistent que par un miracle.
—Miracle que peut seul opérer le Tout-Puissant, car il est contre les lois
ordinaires que les qualités des corps existent sans les corps qui les
soutiennent. C'est là l'œuvre de Dieu; sa volonté est leur raison d'être comme
elle est la raison de notre existence. Dieu peut tout ce qu'il veut: ceci ne
lui demande pas plus d'effort que cela.
Voilà la première
merveille de l'Eucharistie.
Une autre merveille,
contenue dans la première, c'est que ce miracle se renouvelle à la simple
parole d'un homme, du prêtre, et aussi souvent qu'il le veut. Tel est le
pouvoir que Dieu lui a communiqué; il veut que Dieu soit sur cet autel, et Dieu
y est! Le prêtre fait absolument la même merveille qu'opéra Jésus-Christ à la
Cène Eucharistique, et c'est de Jésus-Christ qu'il tient son pouvoir, en son
nom qu'il agit.
Notre-Seigneur n'a jamais
résisté à la parole de son prêtre.
Miracle de la puissance
de Dieu : la créature faible, mortelle, incarne Jésus sacramentel!
Jésus prit cinq pains au
désert : il les bénit, et les apôtres y trouvèrent de quoi nourrir cinq mille
hommes: faible image de cette autre merveille de l'Eucharistie, le miracle de
la multiplication.
Jésus aime tous les
hommes ; il veut se donner tout entier et personnellement à chacun ; chacun
aura sa part de la manne de vie: il faut donc qu'il se multiplie autant de fois
qu'il y a de communiants qui le veulent recevoir, et chaque fois qu'ils le voudront;
il faut, en quelque sorte, que la Table eucharistique couvre le monde. C'est ce
qui a lieu par sa puissance : tous le reçoivent tout entier avec tout ce qu'il
est, chaque Hostie consacrée le contient ; divisez cette sainte Hostie en
autant de parties que vous voudrez, Jésus est tout entier sous chacune des
parties; au lieu de le diviser, la fraction de l'Hostie le multiplie.
Qui pourra dire le nombre
d'Hosties que Jésus a mises, depuis le Cénacle, à la disposition de ses
enfants!
Mais non seulement Jésus
se multiplie avec les saintes parcelles ; en même temps, par une merveille
connexe à celle-là, il est à la fois en un nombre infini de lieux.
Aux jours de sa vie
mortelle, Jésus n'était que dans un lieu, n'habitait qu'une maison : peu
d'auditeurs privilégiés pouvaient jouir de sa présence et de sa parole ;
aujourd'hui, au Très Saint Sacrement, il est partout à la fois pour ainsi dire.
Son humanité participe en quelque sorte à l'immensité divine qui remplit tout.
Jésus est tout entier en un nombre infini de temples et en chacun. — C'est que,
tous les chrétiens répandus sur la surface de la terre étant les membres du
corps mystique de Jésus-Christ, il faut bien que lui, qui en est l'âme, soit
partout, répandu dans tout le corps, donnant la vie, l'entretenant en chacun de
ses membres.
Le Souverain Bien
Les disciples qui se
rendent à Emmaüs sont intérieurement échauffés, illuminés, émus de la
conversation du divin étranger qui s'est joint à eux pendant leur voyage.
Celui-ci veut les quitter
: Oh! demeurez avec nous, lui disent-ils, demeurez, car il se fait tard.
Ils ne pouvaient se
rassasier d'entendre le Seigneur: il leur semblait tout perdre en le perdant.
De nos jours, nous
pouvons bien dire à Notre Seigneur : Oh! , demeurez avec nous, Seigneur ; sans
vous, c'est la nuit, la nuit horrible!
C'est qu'en effet,
l'Eucharistie est le souverain bien du monde.
Etre privé de
l'Eucharistie serait le plus grand des malheurs.
Oui, Jésus est le
Souverain Bien! Avec lui, dit la Sagesse, me sont venus tous les biens. Et
saint Paul s'écrie : puisque Dieu nous a donné son Fils, comment ne nous
aurait-il pas tout donné avec lui ?
En effet, tout ce qu'il
a, tout ce qu'il est, il nous le donne ; il ne peut faire davantage.
Avec Jésus-Eucharistie,
la lumière luit sur le monde. Avec l'Eucharistie, nous avons le pain des forts,
le viatique des voyageurs, le pain d'Elie qui nous aide à arriver jusqu'à la
montagne de Dieu, la manne qui nous fait supporter l'horreur du désert.
Avec Jésus, nous avons la
consolation, le repos (dans les fatigues, les troubles de notre âme, les
déchirements de notre cœur.
En l'Eucharistie nous
trouvons le remède à nos maux, le prix des nouvelles dettes que nous contractons
chaque jour envers la justice divine par nos péchés : Notre Seigneur s'offre
chaque matin comme victime de propitiation pour les péchés du monde.
Mais ce don au-dessus de
tout don, sommes-nous sûrs de l'avoir toujours?
Jésus-Christ a promis de
demeurer avec son Eglise jusqu'à la consommation des siècles : il n'a fait de
promesse à aucun peuple, à aucun individu en particulier.
Il nous restera si nous
savons entourer sa Personne sacrée d'honneur et d'amour. La condition est
expresse.
L'honneur, Jésus-Christ y
a droit. Il le demande.
Il est notre Roi, notre
Sauveur. — A lui l'honneur avant tout autre honneur; à lui le culte suprême de
latrie; à lui l'honneur public: nous sommes son peuple.
La Cour céleste se
prosterne en présence de l'Agneau immolé. Ici-bas Jésus a reçu les adorations
des Anges en entrant dans ce monde, — des foules pendant sa vie, — des Apôtres
après sa résurrection.
Les peuples et les rois
sont venus l'adorer.
Au Sacrement, n'a-t-il
pas droit à plus d'honneur encore, puisqu'il y multiplie les sacrifices et
s'abaisse davantage.
A lui l'honneur solennel,
la magnificence, la richesse, la beauté du culte. Dieu avait fixé les moindres
détails du culte mosaïque : ce n'était qu'une figure. Les siècles de foi n'ont
jamais cru assez faire pour la splendeur du culte eucharistique: témoins ces
basiliques, ces vases sacrés, ces ornements, chefs-d’œuvre d'art et de
magnificence.
La foi opérait ces
merveilles; le culte, l'honneur rendus à Jésus-Christ sont la mesure de la foi
d'un peuple, l'expression de sa vertu.
L'honneur donc à
Jésus-Eucharistie : il en est digne, il y a droit!
Mais il ne saurait se
contenter des honneurs extérieurs. Il demande le culte de notre amour : notre
service intérieur, la soumission de notre esprit, non point renfermés en nous,
mais manifestés par ces attentions si tendres, si aimables d'un bon fils pour
ses parents, qui vit autour de son père, de sa mère, qui a besoin de les voir,
de leur donner des témoignages de sa tendresse; qui, loin d'eux, souffre
languit; qui est là au premier besoin, qui vole au premier signe, qui prévient
les désirs même autant qu'il est en lui, qui est prêt à tout pour faire plaisir
à son bon père, à sa bonne mère : voilà le culte de l'amour naturel.
Le culte d'amour que
réclame Jésus-Eucharistie est le même. Il cherche l'Eucharistie, celui qui
aime; il en parle volontiers, il a besoin de Jésus, il tend sans cesse vers
lui, il lui offre toutes ses actions, tous les plaisirs de son cœur, ses joies,
ses consolations : il fait de tout un bouquet pour Jésus-Eucharistie.
C'est à ce prix que nous
garderons le Très Saint Sacrement, car le perdre ce serait le souverain mai.
Quand le soleil se
couche, les ténèbres s'amoncellent; lorsqu'il ne luit pas, il fait froid.
Si l'amour de
l'Eucharistie s'éteint dans un cœur, la foi se perd, l'indifférence règne, et
dans cette nuit de l'âme les vices sortent comme des bêtes fauves pour faire
leur proie.
Oh! malheur incomparable
! Qu'est-ce qui pour ra ranimer un cœur glacé que l'Eucharistie est impuissante
à réchauffer?
Et ce que fait
Jésus-Christ pour les individus, il le fait pour les peuples.
Il n'est plus aimé,
respecté, connu; on le délaisse, on le méprise. — Que ferait un roi abandonné
de ses sujets?
Jésus s'en va! il va vers
un peuple meilleur.
Quels tristes spectacles
que ces délaissements de Notre Seigneur ! — Il eut un Tabernacle dans le
Cénacle: aujourd'hui le Cénacle est une mosquée ! Il n'y avait plus de vrais
adorateurs. Que voulez-vous qu'y fît Jésus?
L'Égypte, l'Afrique,
autrefois terre classique des saints, habitées par des légions de saints
moines, Jésus-Christ les a abandonnées ; depuis que l'Eucharistie n'y est plus,
la désolation y règne : mais soyez sûr que Jésus-Christ n'a quitté la place que
le dernier, quand il n'y a plus trouvé un seul adorateur.
Sachons bien que, Jésus
s'en allant, les échafauds, la persécution, la barbarie reviendront. Qui donc
arrêterait ces fléaux?
O Seigneur, demeurez avec
nous ! Nous serons vos fidèles adorateurs ! Mieux vaudrait l'exil, la
mendicité, la mort, que d'être privés de vous.
Oh ! ne nous infligez pas
cette punition d'abandonner le sanctuaire de votre amour.
Le Très Saint Sacrement
n'est pas aimé!
Hélas ! il n'est que trop
vrai, Notre Seigneur au Très Saint Sacrement n'est pas aimé !
Et d'abord de ces
millions de païens, de ces millions de juifs, d'infidèles, de ces millions de
schismatiques et d'hérétiques qui ne connaissent pas ou connaissent mal
l'Eucharistie.
Oh ! parmi tant de
milliers de créatures en qui Dieu a mis un cœur capable d'aimer, combien
aimeraient le Saint Sacrement si elles le connaissaient comme moi !
Ne dois-je pas au moins
m'efforcer de l'aimer pour elles, à leur place?
Parmi les catholiques,
peu, très peu aiment Jésus au Très Saint Sacrement: combien pensent souvent à
lui? parlent de lui? viennent l'adorer, le recevoir?
Pourquoi cet oubli, cette
froideur? Oh! c'est qu'ils n'ont jamais goûté l'Eucharistie, sa suavité, les
délices de son amour!
C'est qu'ils n'ont jamais
connu Jésus dans sa bonté.
C'est qu'ils ne se doutent
pas de' l'étendue de son amour au Très Saint Sacrement !
Quelques-uns ont la foi
en Jésus-Christ, mais une foi inactive, une foi tellement superficielle qu'elle
ne va pas jusqu'au cœur, mais se borne à ce que demande rigoureusement la
conscience, le salut. Et encore ces derniers sont-ils relativement peu nombreux
parmi tant d'autres catholiques qui vivent en vrais païens, comme s'ils
n'avaient jamais entendu parler de l'Eucharistie.
D'où vient que Notre
Seigneur est si peu aimé en l'Eucharistie?
Cela vient de ce qu'on
n'en parle pas assez, de ce qu'on ne recommande que la foi à la présence de
Jésus-Christ au lieu de parler de sa vie, de son amour au Très Saint Sacrement,
au lieu de faire ressortir les sacrifices que lui impose son amour, en un mot,
au lieu de montrer Jésus-Eucharistie aimant chacun de nous personnellement,
particulièrement.
Une autre cause, c'est
notre conduite qui dénote en nous peu d'amour: à nous voir prier, adorer,
fréquenter l'église, on ne comprend pas la présence de. Jésus-Christ.
Combien ne font jamais,
parmi les meilleurs, une visite de dévotion au Très Saint Sacrement, pour lui
parler avec leur cœur, lui dire leur amour! Ils n'aiment donc pas Notre
Seigneur en l'Eucharistie, parce qu'ils ne le connaissent pas assez.
Mais s'ils le connaissent
avec son amour, les sacrifices, les désirs de son cœur, et si, malgré cela, ils
ne l'aiment pas, quelle injure!
Oui, une injure!
Car c'est dire à
Jésus-Christ qu'il n'est pas assez beau, assez bon, assez aimable, pour être
préféré à ce qui leur plaît.
Quelle ingratitude.
Après tant de grâces
reçues de ce bon Sauveur, tant de promesses de l'aimer, tant d'offrandes de
soi-même à son service, c'est se rire de son amour que de le traiter ainsi.
Quelle lâcheté!
Car si on ne veut pas
trop le connaître, le voir de près, le recevoir, lui parler cœur à cœur, c'est
qu'on a peur d'être pris par son amour ! On a peur d'être obligé de se rendre
et de lui sacrifier son cœur sans réserve, son esprit, sa vie sans condition !
On a peur de l'amour de
Jésus-Christ au Très Saint Sacrement, et on le fuit!
On se trouble devant lui,
on craint de céder! Comme Pilate, Hérode, on fuit sa présence!
On n'aime pas Notre
Seigneur au Très Saint Sacrement, parce qu'on ignore ou que l'on n'examine pas
assez les sacrifices que son amour y fait pour nous. Ils sont tellement
surprenants que, rien que d'y penser, j'en ai le cœur opprimé et les yeux en
larmes !
L'institution de
l'Eucharistie était au prix de toute la passion du Sauveur. Comment cela?
Parce que l'Eucharistie
est le sacrifice de la nouvelle loi; or, il n'y a pas de sacrifice sans
victime; l'immolation exige la mort de la victime, et pour participer aux
mérites du sacrifice, il faut participer à la victime par la manducation. Or,
tout cela est dans l'Eucharistie.
Elle est le sacrifice non
sanglant, parce que la victime est morte une fois et que, par cette seule mort,
elle a réparé et mérité toute justification ; mais elle se perpétue en son état
de victime, pour nous appliquer les mérites du sacrifice sanglant de la croix,
qui doit durer et être représenté à Dieu jusqu'à la fin du monde. Nous devons
manger notre part de la victime; mais si elle n'avait cet état de mort, nous
aurions trop de répugnance à la manger : on ne mange que ce qui est mort à sa
vie propre.
De sorte que
l'Eucharistie était au prix de l'agonie au jardin des Olives, des humiliations
qu'il dut subir devant les tribunaux de Caïphe et de Pilate, de sa mort sur le
Calvaire! La victime devait passer par toutes ces immolations pour arriver
jusqu'à l'état sacramentel et jusqu'à nous.
En instituant son
Sacrement, Jésus perpétuait les sacrifices de sa Passion ; il se condamnait à
subir :
Un abandon aussi
douloureux que celui qu'il endura au jardin des Olives ;
La trahison de ses amis,
de ses disciples devenant schismatiques, hérétiques, renégats, qui vendraient
la sainte hostie aux Juifs, aux magiciens.
Il perpétuait les
reniements qui l'affligèrent chez Anne;
Les fureurs sacrilèges de
Caïphe ;
Les mépris d'Hérode;
La lâcheté de Pilate ;
La honte de se voir
préférer une passion, une idole de chair, comme il s'était vu préférer Barabbas
;
Le crucifiement
sacramentel dans le corps et dans l'âme du communiant sacrilège.
Eh bien, Notre Seigneur
savait tout cela d'avance, il connaissait tous les nouveaux Judas, il les
comptait parmi les siens, parmi ses enfants bien-aimés ; tout cela ne l'a pas
arrêté, il a voulu que son amour allât plus loin que l'ingratitude et la malice
de l'homme; il a voulu survivre à sa malice sacrilège.
Il connaissait d'avance
la tiédeur des siens, la mienne ; le peu de fruit que l'on retirerait de la
communion ; il a voulu aimer quand même, aimer plus qu'il n'était aimé, plus
que l'homme ne pourrait le reconnaître.
Quoi encore? Cet état de
mort, alors qu'il a la plénitude de la vie et d'une vie surnaturelle et
glorieuse; être traité comme un mort, regardé comme un mort, n'est-ce rien? Cet
état de mort dit que Jésus est sans beauté, sans mouvement, sans défense,
enveloppé dans les saintes espèces comme dans un suaire, et dans le tabernacle
comme dans un tombeau ; cependant il est là, voyant tout, entendant tout. Il
souffre tout comme s'il était mort. Son amour a voilé sa puissance, sa gloire,
ses mains, ses pieds, son beau visage, sa bouche sacrée, tout. Il ne lui a
laissé que son cœur pour aimer et son état de victime pour intercéder en notre
faveur.
A la vue de tant d'amour
de Jésus-Christ pour l'homme, qui en est si peu reconnaissant, il semble que le
démon triomphe et insulte à Jésus. Moi, dit-il, je ne donne rien à l'homme, de
vrai, de beau, de bon; je n'ai pas souffert pour lui, et je suis plus aimé,
plus obéi, mieux servi que vous.
Hélas ! il n'est que trop
vrai, et notre froideur, notre ingratitude, sont le triomphe de Satan, contre
Dieu.
Oh! comment pouvons-nous
oublier l'amour de Notre Seigneur, un amour qui lui a tant coûté, auquel il n'a
rien refusé?
Il est vrai aussi que le
monde fait tous ses efforts pour empêcher d'aimer Jésus au Très Saint Sacrement
d'un amour véritable et pratique, pour empêcher qu'on ne le visite, pour
paralyser les effets de cet amour.
Il absorbe, il lie, il
captive les âmes dans les occupations, les bonnes œuvres extérieures, pour les
détourner d'appliquer longtemps leurs pensées sur l'amour de Jésus.
Il combat même
directement cet amour pratique, et le représente comme non requis, comme
possible tout au plus dans un cloître.
Et le démon livre une
guerre de tous les instants à notre amour envers Jésus au Très Saint Sacrement.
Il sait que Jésus est là
vivant, substantiel, attirant et possédant directement les âmes par lui-même:
il efface en nous la pensée, la bonne impression de l'Eucharistie.
Pour lui, c'est décisif.
Et cependant Dieu est
tout amour.
Et ce doux Sauveur nous
crie de son Hostie : Aimez-moi comme je vous ai aimés; demeurez dans mon amour!
Je suis venu apporter sur
la terre le feu de l'amour, et mon plus ardent désir est qu'il embrase vos
cœurs.
Oh ! à la mort, après la
mort, que doit-on penser de l'Eucharistie, lorsqu'on en voit, qu'on en connaît
toute la bonté, tout l'amour, toutes les richesses!
Aimons le Très Saint
Sacrement
Quand je serai élevé de
terre, j'attirerai tout à moi. — C'est du haut de sa croix d'abord que Notre
Seigneur a attiré toutes les âmes à lui en les rachetant. Mais certainement aussi, en prononçant ces
paroles, Notre Seigneur avait en vue son trône eucharistique, au pied duquel il
veut attirer toutes les âmes pour les y lier par les chaînes de son amour.
Notre Seigneur veut
mettre en nous un amour passionné pour lui.
Toute vertu, toute pensée
qui ne se termine pas à une passion, qui ne finit pas par devenir une passion,
ne produira jamais rien de grand.
Ce n'est pas de l'amour,
que l'affection d'un enfant: il aime par instinct et parce qu'il se sent aimé ;
il s'aime en ceux qui lui font du bien.
L'amour ne triomphe que
quand il est en nous une passion de vie. Sans cela on peut produire des actes
d'amour isolés, plus ou moins fréquents; la vie n'est pas prise, n'est pas
donnée.
Or, tant que nous
n'aurons pas pour Notre Seigneur au Très Saint Sacrement un amour de passion,
nous n'aurons rien fait.
Notre Seigneur, certes,
nous y aime avec passion, nous y aime à l'aveugle, sans penser à lui, se
dévouant tout entier pour nous: il faut lui rendre la pareille.
Notre amour, pour être
une passion, doit subir les lois des passions humaines. Je parle des passions
honnêtes, naturellement bonnes ; car les passions sont indifférentes en
elles-mêmes ; nous les rendons mauvaises quand nous les dirigeons vers le mal,
mais il ne tient qu'à nous de nous en servir pour le bien.
Or, une passion qui
domine un homme, le concentre.
Cet homme veut arriver à
telle position honorable et élevée. Il ne travaillera que pour cela : dix,
vingt ans, n'importe; j'arriverai, dit-il; il fait unité: tout est réduit à
servir cette pensée, ce désir ; il laisse de côté tout ce qui ne le mènerait
pas où il tend.
Voilà comment on arrive
dans le monde ; ces passions peuvent devenir mauvaises, et ne sont, hélas !
bien souvent qu'un crime continuel ; mais enfin elles peuvent être et sont
encore honorables.
Sans une passion on
n'arrive à rien : la vie n'a point de but; on traîne une vie inutile.
Eh bien, dans l'ordre du
salut, il faut avoir aussi une passion qui domine notre vie et lui fasse
produire, pour la gloire de Dieu, tous les fruits que le Seigneur en attend.
Aimez telle vertu, telle
vérité, tel mystère avec passion. Dévouez-y votre vie, consacrez-y vos pensées
et vos travaux ; sans cela vous n'arriverez à rien, vous ne serez qu'un
journalier à vos pièces, jamais un héros !
Ayez un amour de passion
pour l'Eucharistie. Aimez Notre Seigneur au Très Saint Sacrement avec toute
l'ardeur dont on s'aime dans le monde, mais par des motifs surnaturels.
Pour y arriver, vous
commencerez par mettre votre esprit sous l'influence de cette passion.
Nourrissez en vous l'esprit de foi ; persuadez-vous invinciblement de la vérité
de l'Eucharistie, de la vérité de l'amour que Notre Seigneur vous y témoigne.
Ayez une grande idée, une
contemplation ravie de l'amour et de la présence de Notre Seigneur; vous donnez
par là à votre amour un foyer qui alimentera sa flamme ; il sera constant
alors.
Un homme de génie conçoit
un chef-d’œuvre; il l'embrasse du regard de l'âme, il en est ravi ; il le réalisera
par tous les moyens possibles, au prix de tous les sacrifices ; il ne se
lassera pas, il ne se rebutera pas ; son chef-d’œuvre le domine ; il le voit,
il ne peut en détourner sa pensée.
Eh bien, voyez Notre
Seigneur au Très Saint Sacrement, voyez son amour : que cette pensée vous
saisisse, qu'elle vous ravisse. Quoi ! est-ce possible que Notre Seigneur
m'aime au point de se donner toujours, sans se fatiguer jamais?
Votre esprit se fixe
alors en Notre Seigneur; toutes vos pensées vont le chercher, l'étudier; vous
voulez approfondir les raisons de son amour ; vous tombez dans l'étonnement,
dans le ravissement, et votre cœur laisse échapper ce cri: Comment répondre à
tant d'amour ?
Et voilà l'amour du cœur
qui se forme. On n'aime bien que ce que l'on connaît bien.
Et le cœur bondit vers le
Très Saint Sacrement! Jésus-Christ m'aime! Il m'aime en son Sacrement !
Le cœur briserait, s'il
pouvait, son enveloppe de chair, pour s'unir plus étroitement à Notre Seigneur.
Voyez les saints; leur
amour les transporte, les fait souffrir, les embrase ; c'est un feu qui les
consume, use leurs forces et finit par les faire mourir. Heureuse mort !
Mais si nous n'allons pas
tous jusque-là, tout au moins nous pouvons aimer avec passion Notre Seigneur,
nous laisser dominer par son amour.
Il y en a qui aiment à la
folie leurs parents, leurs amis, et qui ne savent pas aimer le bon Dieu I Mais
ce que l'on fait pour la créature, c'est ce que l'on a à faire pour Dieu :
seulement le bon Dieu, il faut l'aimer sans mesure, et toujours davantage.
Une âme qui aime ainsi,
n'a qu'une puissance, qu'une vie: Notre Seigneur au Très Saint Sacrement. — Il
est là! ... Elle vit sous le coup de cette pensée. — Il est là? ... Il y a
correspondance alors, il y a société de vie.
Ah ! pourquoi donc ne pas
en arriver là? On retourne à plus de dix-huit siècles en arrière pour chercher
des exemples de vertu dans la vie mortelle de Notre Seigneur!
Mais Notre Seigneur
pourrait nous dire: Vous m'avez aimé au Calvaire, parce que j'y efface vos
péchés ; vous m'avez aimé à la Crèche, parce que je suis doux et aimable ;
pourquoi donc ne m'avez-vous pas aimé au Saint Sacrement, où je suis toujours
avec vous? Vous n'aviez qu'à venir. J'étais là, à côté de vous!
Ah! au jugement, ce ne
sont pas tant nos péchés qui nous effraieront et qui nous seront le plus
reprochés ; ils sont pardonnés sans retour. Mais Notre Seigneur nous reprochera
son amour ! Vous m'avez aimé moins que les créatures! Vous n'avez pas fait de
moi le bonheur de votre vie ! Vous m'avez aimé assez pour ne pas m'offenser
mortellement; pas assez pour vivre de moi !
Mais nous pourrions dire
: Sommes-nous donc obligés d'aimer ainsi?
Je sais bien que le
précepte d'aimer ainsi n'est pas écrit; il n'y en a pas besoin ! Rien ne le
dit, tout le crie: la loi en est dans notre cœur.
Oui, ce qui m'effraie,
c'est que les chrétiens penseront volontiers et sérieusement à tous les
mystères, se dévoueront au culte de quelque saint ; et à Notre Seigneur au Très
Saint Sacrement, non!
Mais pourquoi, pourquoi?
Ah! c'est qu'on ne peut regarder attentivement le Très Saint Sacrement sans
dire : Il faut que je l'aime, que j'aille le visiter ; je ne puis le laisser
seul; il m'aime trop !
Pour le reste, c'est
loin, c'est de l'histoire: ça ne prend pas ainsi le cœur ; on admire surtout ;
mais ici, il faut se donner, il faut demeurer, il faut vivre en Notre Seigneur
!
L'Eucharistie est la plus
noble aspiration de notre coeur : aimons-la donc avec passion!
On dit: Mais c'est de
l'exagération, tout cela.
Mais l'amour n'est que de
l'exagération ! Exagérer, c'est dépasser la loi ; eh bien, l'amour doit
exagérer !
L'amour que nous témoigne
Notre Seigneur en demeurant avec nous sans honneurs, sans serviteurs, n'est-il
pas exagéré aussi?
Celui qui ne peut s'en
tenir qu'à ce qu'il doit absolument, n'aime pas. — On n'aime que lorsqu'on sent
en soi la passion de l'amour.
Et vous aurez la passion
de l'Eucharistie quand Notre Seigneur au Très Saint Sacrement sera votre pensée
habituelle, quand votre bonheur sera de venir à ses pieds; votre désir
constant, de lui faire plaisir.
Allons ! entrons en Notre
Seigneur ! Aimons-le un peu pour lui ; sachons nous oublier et nous donner à ce
bon Sauveur ! Immolons-nous donc un peu! Voyez ces cierges, cette lampe, qui se
consument sans rien laisser, sans rien se réserver.
Pourquoi ne serions-nous
pas, pour Notre Seigneur, un holocauste dont il ne resterait rien ?
Non, ne vivons plus ; que
Jésus-Hostie vive seul en nous! Il nous aime tant!
L'Eucharistie, notre voie
Notre Seigneur a dit ces
paroles alors qu'il était parmi les hommes. Mais elles s'étendent plus loin que
la vie humaine du Sauveur. Elles sont pour toujours, et il peut toujours les
dire avec autant de vérité au Très Saint Sacrement. Il y a des chemins
factices, des routes de traverse dans la vie spirituelle, des routes qu'on peut
suivre pour un temps et quitter ensuite. Notre Seigneur au saint Sacrement est
la voie stable. Il est le moyen, il est le modèle; car il nous servirait de peu
de connaître la voie, s'il ne nous apprenait, par son exemple, à la suivre. On
ne va au ciel que par la participation à la vie de Notre Seigneur. Cette vie
nous est donnée en germe par le baptême ; les sacrements la fortifient ; mais
elle consiste surtout dans la pratique et l'imitation des vertus du Sauveur.
Nous avons besoin de voir Notre Seigneur à ]'oeuvre pour imiter ses vertus; de
le suivre dans tous les détails des sacrifices, des travaux qu'elles demandent
pour régner en nous. Ses vertus sont l'application de ses paroles, elles sont
ses préceptes en action. Pour arriver à la perfection, il faut les détailler,
car il n'y a de parfait que ce qui est particularisé : Non est perfectum nisi
particulare.
Le Verbe éternel, qui
voulait nous ramener à son Père, et qui ne pouvait au ciel pratiquer les vertus
humaines qui impliquent toutes une idée de combat et de sacrifice, s'est fait
homme; il a pris les outils de l'homme et il a travaillé sous ses yeux. Et
comme dans le ciel, où il est remonté glorieux, il ne peut plus pratiquer nos vertus
de patience, de pauvreté, d'humilité, il s'est fait Sacrement pour continuer
d'être notre modèle. Ces vertus ne procèdent plus de la liberté, il n'en fait
plus les actes méritoires : il en a fait son état, il s'en est revêtu.
Autrefois il en pratiquait les actes
: aujourd'hui il en a revêtu extérieurement l'état. Sur terre il fut humble et
humilié : aujourd'hui il règne glorieux, mais sous un état, une apparence
d'humilité au Très Saint Sacrement. Il s'est uni l'état des vertus d'une
manière inséparable : en le contemplant, nous voyons ses vertus et nous savons
comment nous devons en pratiquer les actes. Otez sa pauvreté, qu'il soit suivi
d'un cortège magnifique, nous serons anéantis devant Sa Majesté, il n'y aura
plus d'amour ; l'amour ne se témoigne qu'en descendant. La patience, le pardon
des injures, il les pratique encore plus qu'au Calvaire. Là ses bourreaux ne le
connaissaient pas; ici on le connaît et on l'insulte. Il prie pour tant de
villes déicides dont il est proscrit. Sans ce cri de pardon, il n'y aurait plus
de Sacrement d'amour, mais la justice entourerait et protégerait son trône
insulté. L'acte de la vertu, il ne le pratique plus, il en a l'état : c'est
nous qui devons en faire les actes et ainsi le compléter. Par là, il ne fait
qu'une personne morale avec nous. Nous sommes ses membres agissants, son corps,
dont il est le chef et le cœur ; de sorte qu'il peut dire: Je vis encore. Nous
le complétons, nous le perpétuons.
Là donc, au Sacrement,
Jésus nous offre le modèle de toutes les vertus ; nous en étudierons
quelques-unes en détail. Rien n'est beau comme l'Eucharistie!
Mais, seules, les âmes
pieuses, qui communient, qui réfléchissent, peuvent le comprendre. Les autres
ne comprennent rien. Il est peu de personnes qui pensent aux vertus, à la vie,
à l'état de Notre Seigneur au Saint Sacrement. On le traite comme une statue;
on croit qu'il n'est là que pour nous pardonner et recevoir nos prières. C'est
faux. Notre Seigneur vit et agit : regardez-le, étudiez-le, imitez-le. Ceux qui
ne le font pas sont obligés de remonter à dix-huit siècles en arrière, de lire
l'Évangile, de le compléter quant aux détails intimes ; ils sont privés de la
douceur de cette parole actuelle. et présente: je suis votre voie, aujourd'hui
; moi je suis votre voie! Sans doute la vérité ne décline pas et l'Évangile est
un livre toujours vivant. Mais enfin quel labeur pour retourner toujours en
arrière! Et ce n'est qu'une représentation qui demande du travail et qui
fatigue. C'est plus spéculatif, et cela soutient moins la vertu. Les vertus ne
se prennent et ne se soutiennent facilement qu'en l'Eucharistie. Rappelons-nous
donc que Notre Seigneur n'est pas au Sacrement seulement comme dispensateur de
ses grâces ; il y est aussi et surtout notre voie et notre modèle. L'éducation
se fait par la présence, par une correspondance secrète qui existe entre le
cœur de la mère et celui de l'enfant. Les étrangers n'y réussissent pas, tandis
que la voix de la mère fait vibrer le cœur de son enfant. Nous n'aurons en nous
la vie de Notre Seigneur que si nous vivons sous son inspiration, que s'il nous
élève lui-même. On peut vous indiquer la voie des vertus, mais vous donner des
vertus, vous faire votre éducation intime, personne ne le peut que Notre
Seigneur. Moïse et Josué conduisaient le peuple, mais ils étaient eux-mêmes
conduits par la colonne de feu. De même un directeur ne vous redit que les
ordres de Notre Seigneur ; il le consulte, il cherche Notre Seigneur en vous,
la grâce et l'attrait particulier qu'il a déposés en votre âme. Pour vous
connaître, il cherche à connaître Notre Seigneur en vous, et il vous conduit
selon votre grâce dominante qu'il développe et applique en votre vie sous la
conduite du souverain Directeur des âmes. Il n'a qu'à vous redire ses ordres.
Eh bien, Notre Seigneur est au Saint Sacrement pour tous, et non point
seulement pour les directeurs des âmes : tous peuvent l'y voir et l'y
consulter. Regardez-le pratiquer les vertus, et vous saurez ce que vous avez à
faire. Si vous lisez l'Evan giclé, transportez-le en l'Eucharistie, et de
l'Eucharistie en vous. Vous avez alors une bien plus grande puissance.
L'Évangile s'illumine, et vous avez sous les yeux et réellement la continuation
de ce que vous y lisez. Car Notre Seigneur, qui est le modèle, est aussi la
lumière qui nous manifeste le modèle, qui nous en découvre les beautés. Notre
Seigneur au Saint Sacrement est sa propre lumière, sa propre connaissance,
comme le soleil est à lui-même sa preuve; il se montre et il se fait connaître.
Il n'y a pas besoin de raisonnements pour cela. Un enfant ne raisonne pas pour
reconnaître ses parents. Ainsi se manifeste Notre Seigneur par sa présence, sa
réalité. Mais à mesure que nous connaissons mieux sa voix, que notre cœur est
plus vide et plus sympathique, Notre Seigneur se manifeste sous un jour plus
lumineux et d'une manière intime que ceux-là seuls connaissent qui aiment. Il
donne alors à l'âme une conviction divine qui éclipse toute lumière de raison
naturelle. Voyez Madeleine: un seul mot de Jésus, et elle l'a reconnu! Ainsi au
Saint Sacrement il ne dit qu'un mot, mais qui retentit en notre cœur : C'est
moi! ... Et on le sent, et on le croit plus fortement que si on le voyait des
yeux. Cette manifestation eucharistique doit être le point de départ pour tous
les actes de la vie. Il faut que toutes les vertus partent de l'Eucharistie.
Vous voulez pratiquer l'humilité: voyez comme Jésus la pratique au Sacrement.
Partez de cette connaissance, de cette lumière, et allez à la Crèche, si vous
voulez, ou au Calvaire. Et vous y allez plus facilement, parce que c'est dans
la nature de notre intelligence de procéder du connu à l'inconnu. Vous avez au
Sacrement l'humilité de Notre Seigneur sous vos yeux. Il vous sera bien plus
facile de supposer par là ce qu'elle a été dans sa naissance ou dans tout autre
circonstance. Faites ainsi pour toutes les vertus. On comprend mieux l'Évangile
alors. Notre Seigneur parle par son état: il peut mieux que personne expliquer
et faire comprendre ses paroles et ses mystères. Il nous donne de plus l'onction
pour nous les faire goûter en même temps que nous les comprenons. On ne cherche
plus la mine: on y est, on l'exploite. Ce n'est donc que par l'Eucharistie que
l'on sent toute la force actuelle de ces paroles du Sauveur : Je suis la voie.
Ego sum via.
Le Ciel de l'Eucharistie.
En montant au ciel le
jour de l'Ascension, Jésus-Christ va prendre possession de sa gloire et nous y
préparer une place. Avec Jésus-Christ l'humanité rachetée rentre au ciel : nous
savons qu'il ne nous est plus fermé, et nous vivons dans l'attente du jour où
ses portes s'ouvriront devant nous. Cette espérance nous soutient et nous
encourage. Elle pourrait à la rigueur suffire à nous faire mener une vie
chrétienne, et nous souffririons, pour ne pas la perdre, toutes les tristesses
de la vie. Cependant Notre Seigneur pour entretenir en nous et pour rendre plus
efficace l'espérance du ciel, pour nous faire attendre patiemment le ciel de la
gloire et nous y conduire, a créé le beau ciel de l'Eucharistie. Car
l'Eucharistie est un beau ciel, le ciel commencé. N'est-elle pas Jésus glorieux
venant du ciel sur la terre, et amenant le ciel avec lui? Le ciel n'est-il pas
partout où est Notre Seigneur? Son état, bien que voilé à nos sens, y est
glorieux, triomphant, bienheureux: il n'a plus rien des misères de la vie, et
quand nous communions, nous recevons le ciel, puisque nous recevons Jésus, qui
fait tout le bonheur et toute la gloire du paradis. Quelle gloire pour un sujet
de recevoir son roi ! Nous aussi, glorifions-nous : nous recevons le Roi du
ciel! Jésus vient en nous pour que nous n'oubliions pas notre vraie patrie, ou
bien pour qu'en y pensant nous ne mourions pas de désir et d'ennui. Il vient et
demeure corporellement en nos cœurs tant que dure le Sacrement; puis, les
espèces détruites, il remonte au ciel, mais demeure en nous par sa grâce et par
sa présence d'amour. Pourquoi ne demeure-t-il pas longtemps? Parce que la,
condition de sa présence corporelle est l'intégrité des saintes espèces.
Jésus, venant en nous,
apporte les fruits et les fleurs du paradis. Quelles sont-elles? Je ne sais; on
ne les voit pas, mais on sent leur parfum. Il nous apporte ses mérites
glorifiés, son épée victorieuse de Satan; il nous apporte ses armes, afin que
nous nous en servions; ses mérites, afin que nous y ajoutions les nôtres en les
faisant fructifier. L'Eucharistie est l'échelle, non pas de Jacob, mais de
Jésus, qui monte au ciel et en descend continuellement pour nous. Ii est dans
un mouvement incessant vers nous.
Mais voyons quels sont
spécialement les biens, célestes que nous apporte Jésus quand nous le recevons.
D'abord la gloire. Il est
vrai que la gloire des saints et des bienheureux est une fleur qui ne
s'épanouit qu'au soleil du paradis et sous le regard de Dieu : cette gloire
éclatante, nous ne pouvons l'avoir sur terre: on nous adorerait! Mais nous en
recevons le germe caché, qui la contient tout entière, comme la semence
renferme l'épi. L'Eucharistie dépose en nous le ferment de la résurrection, à
cause d'une gloire spéciale et plus éclatante, et, semée dans la chair
corruptible, elle éclatera sur notre corps ressuscité et immortel.
Ensuite le bonheur. Notre
âme, entrant au ciel, se voit mise en possession, sans crainte de le perdre ni
de le voir diminuer, du bonheur de Dieu lui-même. Mais, dans la Communion, ne
recevez-vous pas quelques parcelles de ce vrai bonheur? Il ne nous est pas
donné tout entier, de peur que nous ne pensions plus au ciel; mais de quelle
paix, de quelle douce joie n'êtes-vous pas inondés après la Communion! Plus
l'âme est dégagée des affections terrestres, plus elle jouit de ce bonheur, et
il y a des âmes si heureuses après la Communion que leurs corps lui-même s'en
ressent.
Enfin les Bienheureux
participent à la puissance de Dieu. Or, celui qui communie avec un grand désir
de s'unir à Jésus, n'éprouve plus qu'un souverain mépris pour tout ce qui n'est
pas digne de ses affections divinisées. Il domine tout ce qui est terrestre:
c'est la vraie puissance. C'est alors que la Communion fait monter l'âme vers
Dieu. La prière se définit: une ascension de notre âme vers Dieu. Mais
qu'est-ce que la prière comparée à la Communion? Que cette ascension de
pensées, de désirs, est loin de cette ascension sacramentelle où Jésus nous
élève avec lui jusqu'au sein de Dieu!
L'aigle, pour habituer ses
aiglons à voler dans les plus hautes régions, leur présente leur nourriture en
se tenant de beaucoup au-dessus d'eux, et, s'élevant toujours à mesure qu'ils
s'approchent, il les fait insensiblement monter jusqu'aux astres.
Ainsi Jésus, l'Aigle
divin, vient vers nous, nous apporte la nourriture dont nous avons besoin, puis
il monte et nous invite à le suivre. Il nous comble de douceurs, afin de nous
faire désirer le bonheur du ciel; il nous apprivoise avec la pensée du ciel.
Ne remarquez-vous pas
que, lorsque vous possédez Jésus en votre cœur, vous désirez le paradis et
méprisez tout le reste? Vous voudriez mourir sur l'heure pour être plus tôt uni
à Dieu pour jamais. Celui qui communie rarement ne peut désirer Dieu bien
vivement, et il a peur de la mort. Au fond, cette pensée n'est pas mauvaise ;
mais si vous pouviez avoir la certitude d'aller de suite au ciel, ah ! vous ne
voudriez pas demeurer un quart d'heure de plus sur la terre! En un quart
d'heure au ciel, vous témoignerez à Dieu plus d'amour, et le glorifierez
davantage que pendant la plus longue vie.
Ainsi donc la Communion
nous prépare au ciel. Quelle grâce que de mourir après avoir reçu le Saint
Viatique! Je sais que la contrition parfaite nous justifie et nous donne droit
au ciel; mais qu'il doit être bien meilleur de s'en aller en compagnie de
Jésus, et d'être jugé par son amour, uni encore, pour ainsi dire, à son
Sacrement d'amour ! Aussi l'Eglise veut que ses prêtres administrent le Saint
Viatique, même au dernier moment, au pénitent disposé, quand même H aurait déjà
perdu l'usage de ses sens ; tant cette bonne Mère tient à ce que ses enfants ne
partent que bien approvisionnés pour ce terrible voyage !
Demandons souvent cette
grâce de recevoir le saint Viatique avant de mourir : ce sera le gage de notre
bonheur éternel ; et Saint Chrysostome assure, au livre du Sacerdoce, que les
Anges attendent à leur sortie du corps les âmes de ceux qui viennent de
communier ; à cause de ce divin Sacrement. ils les entourent et les
accompagnent comme des satellites jusqu'auprès du trône de Dieu.
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