Mais qu’est-ce que la
Révolution ? Poser une semblable question, c’est en montrer l’importance.
Si, arrachant le masque à
la Révolution, vous lui demandez : Qui es-tu ? elle vous dira :
«Je ne suis pas ce que
l’on croit. Beaucoup parlent de moi, et bien peu me connaissent. Je ne suis ni
le carbonarisme qui conspire dans l’ombre, ni l’émeute qui gronde dans la rue,
ni le changement de la monarchie en république, ni la substitution d’une
dynastie à une autre, ni le trouble momentané de l’ordre public. Je ne suis ni
les hurlements des Jacobins ni les fureurs de la Montagne, ni le combat des
barricades ni le pillage, ni l’incendie ni la loi agraire, ni la guillotine ni
les noyades. Je ne suis ni Marat, ni Robespierre, ni Babeuf, ni Mazzini ni Kossuth.
Ces hommes sont mes fils, ils ne sont pas moi. Ces choses sont mes œuvres,
elles ne sont pas moi. Ces hommes et ces choses sont des faits passagers, et
moi je suis un état permanent.
«Je suis la haine de tout
ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est
pas roi et Dieu tout ensemble ; je suis la proclamation des droits de l’homme
contre les droits de Dieu ; je suis la philosophie de la révolte, la politique
de la révolte, la religion de la révolte ; je suis la négation armée (Nihilum armatum)
; je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme
au lieu de la volonté de Dieu ! en un mot, je suis l’anarchie ; car je suis
Dieu détrôné et l’homme à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle Révolution ;
c’est-à-dire renversement, parce que je mets eu haut ce qui, selon les lois
éternelles, doit être en bas, et en bas ce qui doit être en haut».
Cette définition est
exacte : la Révolution elle-même va nous le prouver en énumérant ses exigences.
Qu’a toujours demandé et que demande encore la Révolution ?
La Révolution a toujours
demandé, elle demande encore la destruction de l’ordre social et religieux
existant.
Elle l’attaque
incessamment, sur tous les points et de mille manières : par l’injure, par la
calomnie, par le sarcasme, par la violence ; elle l’appelle esclavage,
superstition, dégradation. Elle veut tout détruire, afin de tout refaire.
La Révolution demande la
souveraineté de l’homme, Roi, Sénat, ou Peuple, dans le but d’établir soit le despotisme
d’un seul, soit le despotisme de la multitude, soit une monarchie dans laquelle
le roi est esclave du parlement, et le parlement esclave de l’opinion, et
l’opinion esclave de quelques hommes.
La Révolution demande la
liberté, c’est-à-dire le laisser-faire en toutes choses, sauf, plus tard, à ne
rien laisser faire sans sa permission : le morcellement et l’aliénation
illimités de la propriété, la liberté illimitée de la concurrence ouvrière, la
liberté illimitée de la parole, des cultes et du divorce.
La Révolution demande
l’égalité, c’est-à-dire l’abolition de tous les droits acquis, de toutes les
hiérarchies sociales, de toutes les autorités établies, de toutes les
supériorités, au profit du nivellement complet.
La Révolution demande la
séparation de l’Église et de l’État, afin de ruiner l’influence sociale de la
première, la dépouiller impunément, faire absorber le pouvoir spirituel ou de
Dieu, par le pouvoir temporel ou de l’homme, de manière à réaliser sa maxime
favorite : l’Église doit être dans l’État, et le prêtre dans la sacristie.
La Révolution demande la
reconnaissance politique et la protection de tous les cultes, afin de mettre
sur la même ligne l’erreur et la vérité, de les rendre aux yeux des peuples
l’objet d’une égale indifférence, de les confondre dans un commun mépris, et
par là de substituer à la religion révélée de Dieu la religion naturelle, fabriquée
par l’homme, interprétée et sanctionnée par lui.
La Révolution demande
saris cesse des Constitutions, c’est-à-dire l’anéantissement de la constitution
naturelle, historique, telle qu’elle s’est formée et développée, durant des
siècles, par les traditions et coutumes nationales, afin de la remplacer par
une nouvelle constitution, faite d’un trait de plume, dans le but d’abolir tous
les droits antérieurs, excepté ceux qui sont contenus dans cette nouvelle
charte, et uniquement parce qu’ils y sont. Depuis 1789 la France eu a eu
dix-sept, et elle n’est pas encore contente.
Telles sont les
principales demandes de la Révolution. Depuis quatre siècles, ses organes, dans
toute l’Europe, ne cessent de les renouveler tantôt une à une, tantôt toutes
ensemble, quelquefois d’une manière impérieuse, le plus souvent sous des
formules soi-disant gouvernementales.
Nous disons depuis quatre
siècles. À cette époque, en effet, la Révolution, c’est-à-dire la théorie
païenne de la souveraineté absolue de l’homme, se formule chez les nations
chrétiennes. Partie d’en haut pour descendre en bas, elle nous présente trois
phases distinctes. Depuis la Renaissance jusqu’en 1789, elle est royale ; en
1789 elle devient bourgeoise ; aujourd’hui elle tend à devenir populaire.
Inspirés par l’esprit de
l’antiquité païenne, la plupart des rois chrétiens ont voulu se faire Césars ;
et l’histoire nous les montre poursuivant pendant trois siècles, comme dernier
mot de toute de leur politique, l’affaiblissement et la destruction de toute
puissance capable de contre-balancer leur pouvoir absolu, ou d’en gêner
l’exercice. Ils ont voulu se faire Papes. De là l’oppression systématique de
l’Eglise, la spoliation de ses biens et la proclamation de maximes tendant à
consacrer leur affranchissement de son autorité sociale.
A la fin du dernier
siècle, les classes moyennes réagissent avec une épouvantable énergie contre le
paganisme monarchique, le renversent et le confisquent à leur profit. A
l’exemple des rois, les révolutionnaires de 89 se font Césars, ils se font
Papes. Nous les voyons, en conséquence, faire table rase de ce qui restait de
l’état religieux et social ; et, du milieu des ruines, on les entend proclamer
à leur profit la souveraineté absolue de l’homme sur tout ordre donné.
Le peuple, dont le bras a
exécuté la Révolution, le peuple pour qui on disait qu’elle était faite, et qui
en a été la victime ; le peuple, à son tour, aspire au Césarisme et à la
Papauté, et, d’une voix de plus en plus terrible, il crie à la bourgeoisie : Ôte-toi
de là, que je m’y mette ! Ainsi, après avoir été royale et bourgeoise, la
Révolution menace de devenir populaire. «La sauterelle mangera les restes de la
chenille ; le ver, les restes de la sauterelle ; la nielle, les restes du ver,
et il ne restera rien»1. Telle sera, si Dieu, n’y met la main, la dernière
phase de la Révolution.
En effet, ce que le
paganisme royal et le paganisme bourgeois ont demandé pour eux, le paganisme
démocratique le demande pour lui, à savoir : la suprématie absolue de l’homme
dans l’ordre religieux et dans l’ordre politique.
La suprématie absolue
entre les mains de la multitude, c’est la destruction universelle ; par
conséquent l’abolition de la propriété, pour arriver, comme le peuple l’entend,
et il ne s’en cache pas, au communisme, et du communisme à la jouissance.
Comment se faire illusion
sur ce point ? La propriété est-elle autre chose qu’un privilège de possession
donné de Dieu à l’un plutôt qu’à l’autre, soit par la naissance et l’hérédité,
soit par le travail réussi, soit par des spéculations heureuses La sainteté de
la propriété est-elle autre chose que la soumission à la loi de Dieu qui défend
le vol ? Si donc la Révolution ne reconnaît pas la loi divine comme obligatoire
dans la religion, dans l’autorité, dans la famille, dans la constitution, dans
la hiérarchie sociale, pourquoi reconnaîtrait-elle le privilège de la propriété
? Et si elle entreprend de remettre tout à neuf, religion, État, famille,
commune, peuple et constitution, pourquoi de ce remaniement universel exclure
la propriété ?
Voilà ce dont l’Europe
est aujourd’hui menacée.
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