TRENTE-ET-UNIÈME
INSTRUCTION L’ABANDON.
« Que
votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
Toute la doctrine donnée
dans nos trois séries de retraites tend à nous rendre absolument conformes à
Dieu dans tout notre être par la grâce sanctifiante et dans notre mentalité par
une union libre de notre jugement et de notre volonté aussi parfaite que
possible avec la grâce de Dieu. Nous voulons devenir une seule chose avec la
Trinité par J.-C. Nous voulons donc vivre la vie du Père, juger selon la
sagesse du Fils et aimer avec l’amour du Saint-Esprit. En proportion que nous
visons ces trois activités trinitaires, nous pratiquons l’abandon à Dieu.
Au ciel, il est bien
certain que nous pratiquerons cet abandon à Dieu totalement. Il s’agit de
commencer tout de suite ce que nous ferons au ciel. L’abandon est le résumé de
toute la doctrine catholique que tout chrétien devrait pratiquer parfaitement
dans la foi sur terre pour aller la pratiquer au ciel dans la gloire.
SA NATURE
L’abandon consiste à se
laisser façonner par Dieu à son image par tous ses instruments qu’il a choisis
pour ce travail, soit des personnes ou des choses. Comme la statue se laisse
sculpter par l’artiste sans murmurer, comme le bâton dans la main du vieillard
qui en fait ce qu’il veut et même comme un cadavre qui se laisse traiter
n’importe comment par n’importe qui.
Cet abandon est fait
surtout de foi et d’amour de Dieu. La foi montre Dieu en arrière de toutes les
créatures et de tous les événements. Ces choses créées servent d’espèces
sensibles pour indiquer la présence de Dieu en eux. On devrait prendre une
attitude révérencielle devant tout ce qui se présente à soi comme on fait
devant une hostie consacrée. Ces créatures sont la voix qui nous crie la venue
du divin en nous si nous voulons bien l’accepter. La foi me dit que c’est Dieu
qui se présente dans chaque moment présent, peu importe sous quelle forme. Ce
devoir du présent m’apporte les bénédictions du ciel avec la joie et le mérite
pour le ciel. Elle me montre toutes les choses qui se présentent à moi comme
destinées par Dieu à me servir de tremplin pour monter aux choses de Dieu.
Elles sont toutes des moyens pour me sanctifier si je m’en sers selon la
volonté divine.
L’amour est un autre
élément important dans l’abandon. On a confiance dans celui qu’on aime; même
quand il fait de la peine, on sait que c’est pour un plus grand bien. Quand une
mère enlève une écharde dans le doigt de son enfant, elle lui fait mal, mais il
sait que c’est pour mieux le soulager du mal que lui fait l’écharde. De même
celui qui aime Dieu a confiance que tout ce qu’il lui fait, est pour son plus
grand bien et il s’abandonne à Dieu. Il vit la parole de Saint Paul: «Tout
coopère au bien de ceux qui aiment Dieu». Ou encore rien ne peut nous séparer
de la charité de Dieu. Donc même dans les grandes épreuves, on s’abandonne à
Dieu.
Avec la foi qui montre
Dieu en tout ce qui arrive et avec l’amour de Dieu qui fait aimer tout ce qu’il
aime pour nous toute la bile disparaît de la vie, les murmures cessent avec la
mauvaise humeur. Nous restons calmes devant tout ce qui se présente à nous de
la part de Dieu. Mais, comme ces catholiques sont rares! C’est qu’il faut être tout
aux choses de Dieu et avoir vaincu en bonne partie nos deux amours naturels qui
nous font le centre du monde! Le terme de toute notre activité! On ne peut pas
s’abandonner à Dieu quand on est plein de soi-même! Or, la masse des chrétiens
est dans ce cas. Avec nos prêtres philosophes qui n’attaquent à peu près jamais
nos deux amours naturels, les chrétiens les gardent. Alors, toute leur vie
pivote sur leur moi païen, même à leur insu. Aussi que d’énervement,
d’impatience et de chagrin dans les contrariétés de la vie! Comme c’est
justement le plan divin de renverser ce petit dieu du moi païen en chacun de
nous, il va nous envoyer toutes sortes d’épreuves pour l’abattre et le
détruire. Alors, ces «païens» de mentalité passent par des transes très pénibles
et sans grand mérite à cause de leur manque de foi et d’amour en Dieu.
Ceux qui ont plus de foi
et d’amour de Dieu ne s’énervent pas dans les difficultés de la vie. Par
exemple, on m’intente un procès injuste et compliqué: à quoi bon m’inquiéter,
me trémousser en m’énervant sur l’issue de ce procès? Il arrivera ce que Dieu
voudra! Evidemment, je dois faire ma part pour en bien sortir, faire les
démarches que la prudence me suggère comme si tout dépendait de moi, puis
ensuite j’abandonne le résultat à Dieu seul. Je dois avoir confiance en lui,
croire que tout ce qui arrivera vient de lui d’une façon ou d’une autre, et
qu’il m’aime plus que je ne m’aime moi-même. Alors je dois tout espérer de lui
et rester parfaitement calme.
L’abandon n’est donc possible
qu’en proportion qu’on détruit en soi nos deux amours naturels pour y
substituer l’amour de Dieu. Il est bien difficile dans l’ordre naturel: il faut
vivre de surnaturel pour pratiquer l’abandon. La raison et l’amour naturel ne
suffisent pas. Il faut surtout la foi et l’amour surnaturel de Dieu qui nous
jettent tous les deux dans le monde surnaturel de Dieu.
Jetons-nous donc dans les
bras de Dieu comme l’enfant dans les bras de sa mère. Il faut se sentir petit
et impuissant contre nos ennemis de toutes sortes pour se confier en Dieu seul.
Dieu enseignait notre absolue incapacité quand il déclarait que sans lui nous
ne pouvons rien. Les humbles vrais sont donc seuls capables de pratiquer
l’abandon à Dieu. Comme ces humbles sont rares! Car très peu de catholiques
pratiquent l’abandon à Dieu dans toutes les circonstances difficiles de la vie.
Tous ceux qui ont peur et qui tremblent devant le danger évidemment craignent
pour leur moi païen. Car si Jésus avait remplacé le païen en eux, ils n’auraient
peur de rien comme les Apôtres après la Pentecôte.
DANS L’ANCIEN TESTAMENT,
DIEU Y EXERCE SES AMIS
Saint Paul dit que tout
ce qui est écrit dans l’Ancien Testament était une figure de ce que Dieu fait
dans le Nouveau. Tout est donc pour notre instruction spirituelle. Si on
examine la conduite de Dieu envers ses amis, on voit qu’il les éprouve de
manière à les obliger à s’abandonner à lui. L’épreuve est contraire à leur
jugement et à leur volonté; pour agir, il faut donc qu’ils s’abandonnent à Dieu
exactement comme ils le feront au ciel.
Prenons le cas des anges.
Ce que Dieu leur demande est contraire à leurs deux facultés naturelles comme
la révolte de Lucifer et de ses anges le montre bien. Ils n’ont pas voulu
s’abandonner à Dieu: ils n’ont pas voulu agir dans la foi comme ils le feraient
dans la gloire… et ils se sont perdus à tout jamais! Saint Michel et les bons
anges se sont fiés à Dieu: ils se sont abandonnés parfaitement à ce qu’il
voulait d’eux; ils ont agi dans la foi comme ils agiront dans la gloire du
ciel. Ils méritaient donc le ciel.
Dieu exigeait un abandon
parfait de nos premiers parents dans l’épreuve pourtant insignifiante en soi,
mais grave par ses conséquences. Pourquoi défendre de manger tel fruit quand il
permettait les autres? Pourquoi une si grande menace pour si peu de chose?
Mais, au lieu de s’abandonner à Dieu, ils choisirent d’agir selon leurs
lumières naturelles comme Lucifer plutôt que de se fier à Dieu. Leur manque
d’abandon nous a valu toutes les misères que les hommes endureront jusqu’à la
fin des temps sans compter les châtiments en l’autre monde.
On connaît l’exemple
d’Abraham. Dieu lui demande une terrible épreuve absolument contraire à son
jugement et à sa volonté. Abraham se renonce complètement et s’abandonne à Dieu
qui accepte son sacrifice et son abandon comme preuve qu’il préfère Dieu à tout
au monde et par là il mérite le ciel et la faveur d’être le père du peuple
choisi de Dieu. C’est sa foi en Dieu et son amour de Dieu qui sont à la base de
son parfait abandon à Dieu. Il a imité Saint Michel et les bons anges dans leur
abandon à Dieu: il mérite donc le ciel comme eux.
Le meilleur exemple de
cette conduite de Dieu est celle qu’il exerça envers le peuple juif pendant les
quarante ans de sa marche vers la Terre promise. Dieu fera pour chacun de nous
en proportion que nous en valons la peine justement ce qu’il fit au peuple
juif. Dieu a fait exprès pour les aveugler, leur rendre la vie humainement
impossible, les exposer à des conjonctures inextricables précisément pour les
obliger à s’abandonner à lui. Dieu n’a pas réussi à faire pratiquer l’abandon à
son peuple, mais les leçons étaient là quand même pour eux comme elles le sont
pour nous si nous voulons en profiter. A part deux, ils ont tous péri en chemin
à cause de leurs murmures contre Dieu. Le même châtiment attend tous ceux qui
refusent de se laisser conduire par Dieu comme il veut et où il veut. Il sait
ce qu’il veut de nous et il connaît les meilleurs moyens pour nous conduire à
notre fin dernière, nous devrions avoir assez de confiance en sa sagesse et en
sa puissance pour nous laisser faire comme l’enfant dans les bras de sa mère.
Là seul est le vrai bonheur pour nous tous.
Ce que Dieu a fait dans
le désert pour les juifs était justement pour détruire leur deux amours
naturels: il les a privés de toute satisfaction des créatures; ils étaient dans
le plus grand dénuement possible, pas même de pain ni d’eau! Puis, pour
détruire leur amour-propre, il a tout fait contrairement à leur jugement, tout
humainement impossible. C’est un miracle continuel de la Providence pendant ces
quarante années à travers le désert. Ils allaient jusqu’à se moquer de Dieu
comme en disant, par exemple: « Dieu va-t-il nous mettre la table dans le
désert? Va-t-il faire jaillir de l’eau des rochers?». Ils voyaient donc que
leur vie était impossible humainement parlant. Même après bien des miracles de
Dieu, les Juifs en général ne s’abandonnèrent pas à Dieu, comme ils auraient dû
le faire. Aussi, Dieu les punit sévèrement et finalement tous périrent excepté
deux avant d’entrer en terre promise, de ceux qui étaient partis d’Egypte.
J’ai dit que l’abandon
est fait surtout de foi et d’amour de Dieu. Or, les juifs voulaient suivre leur
bon sens humain et leurs amours des choses créées: ils ne pouvaient donc pas
pratiquer l’abandon à Dieu. Ils avaient mis leur propre fin dernière en
eux-mêmes au lieu de la mettre en Dieu. C’est pourquoi Dieu a fait tout le
contraire de leur bon sens et de leur amour naturel… et ils ont été très
malheureux et un grand nombre sans doute ont perdu le ciel en plus.
Dieu les conduit par un
nuage jour et nuit et ils ne savent pas du tout où il les mène. C’est bien
l’image de la foi aveugle que Dieu veut pour nous tous. Dieu les tient dans le
désert où il est impossible de vivre évidemment pour qu’ils s’abandonnent à lui
totalement. Rien de plus clair! Ils auraient pu être conduits en Terre Promise
en quelques semaines ou quelques mois: il les promène là quarante ans!
Eh bien! Voilà la façon
d’agir de Dieu pour tous ceux qui veulent entrer au ciel. Pour les faire vivre
de foi et d’amour surnaturel de Dieu, il massacre leur jugement et leur amour
des choses créées. Il aime à nous mettre dans des troubles compliqués et dans
des positions inextricables, justement pour nous obliger à mettre notre
confiance en lui seul. Mais, la plupart des chrétiens font comme les juifs au
désert, ils murmurent contre la Providence et perdent ainsi leur mérite.
Si nos philosophes, au
lieu de tant parler contre le péché, expliquaient aux fidèles les voies de Dieu
dans les épreuves, les fidèles seraient plus calmes et s’abandonneraient mieux
à Dieu. En tout cas, que ceux qui lisent ces lignes prennent bien leur leçon de
s’abandonner à Dieu quand il les met dans des conditions impossibles d’agir ou
de vivre. Parce qu’on ne voit pas comment on pourra en sortir, est-ce une
raison de croire que Dieu ne pourra pas trouver moyen de venir nous aider?
Est-ce que Dieu n’est pas plus sage que nous, plus fort que nous? Alors,
n’allons donc jamais nous décourager dans les grandes difficultés de la vie.
Dieu les fait très grandes, précisément pour qu’elles nous dépassent
entièrement, afin que nous attendions tout de lui seul.
Que dirions-nous d’un
petit enfant qui ne peut pas vaincre une difficulté et qui ne s’abandonne pas à
son père tout près de lui? Spontanément, il demanderait à son papa de faire ce
que lui ne peut pas. Eh bien! C’est justement ce que Dieu veut de nous tous. Il
nous jette dans des trous inextricables pour que nous criions vers lui. Quelle
folie que de murmurer contre Dieu au lieu de nous abandonner à lui! Tout cela
est normal dans la vie de ceux qui sont sur le chemin du ciel! Qu’ils le
sachent donc et qu’ils s’abandonnent à Dieu en tout et partout!
JÉSUS L’ENSEIGNE DANS LE
NOUVEAU TESTAMENT
Il confirme ainsi ce que
Dieu faisait dans l’Ancien Testament. Il donne cette doctrine surtout dans le
sermon sur la Montagne où il entre dans les détails de la vie la plus commune
pour nous montrer que l’abandon doit être une vie et pas seulement un acte ou
des actes passagers. Comme la plupart des inquiétudes viennent surtout au sujet
de la vie et du corps, il nous dit: «Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de
ce que vous boirez ou mangerez, ou pour votre corps, de quoi vous le vêtirez:
la vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement?»
Si Dieu nous a donné la vie et le corps sans nous, il nous donnera bien ce
qu’il faut pour l’entretien de l’un et de l’autre. S’il donne le plus, il
donnera bien le moins. C’est si clair… et comme on ne le prend pas! C’est bien
la preuve que les hommes ont bien peu de foi en Dieu. Ils ne voient que le
sensible et ne s’occupent que des choses matérielles: ils ne voient pas Celui
qui nous les fournit! Hommes de peu de foi! Ils disent qu’ils croient en Dieu
et agissent comme si Dieu n’existait pas! Aussi Jésus insiste sur les détails.
« Regardez les
oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent rien dans les
greniers… et votre Père céleste les nourrit; ne valez-vous pas plus qu’eux?».
Quelle logique venant de Jésus même… et nous ne l’avons pas encore prise! Comme
nous avons la tête dure! Il ne veut pas que nous ayons plus d’inquiétude que
les oiseaux du ciel. Evidemment un père de famille doit se trouver de l’ouvrage
pour gagner la vie des siens, il doit prévoir même pour leur avenir, mais tout
cela sans l’ombre d’inquiétude, mais avec parfait abandon à Dieu pour le
résultat. Voici encore un exemple.
« Considérez les lis
des champs, comment ils croissent; ils ne travaillent pas, ni ne filent et,
cependant, je vous dis que Salomon, même dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu
comme l’un d’eux. Que dit Dieu, revêt ainsi l’herbe des champs qui est aujourd’hui
et qui demain sera jeté au four, ne le fera-t-il pas bien plus pour vous, gens
de peu de foi? Ne vous mettez donc point en peine, disant: «Que mangerons-nous
ou que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous?». Car ce sont les païens qui
cherchent toutes ces choses. Cherchez donc d’abord le royaume de Dieu et sa
justice et le reste vous sera donné par surcroît… N’ayez donc point souci du
lendemain! Le lendemain aura soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine».
Dieu veut donc avoir soin
de nous au jour le jour comme il faisait au désert. Il faisait tomber la manne,
mais juste ce qu’il fallait pour chacun: si quelqu’un voulait en accumuler,
elle se corrompait tout de suite. Est-ce qu’il ne le montre pas aussi en nous
obligeant à manger tous les jours. Il aurait bien pu nous bâtir de façon à ce
qu’un repas par mois ou même par an puisse nous soutenir. Non, il veut nous
montrer que tout est à recommencer tous les jours, afin que nous comptions plus
sur lui chaque jour. De même peut-on dormir pour des semaines d’avance? Pas du
tout! Chaque nuit, c’est à recommencer.
Dieu veut que nous
fassions cela en tout autant que possible et selon la nature des choses que
Dieu a déterminées. Remarquons bien encore que Dieu ne défend pas une certaine
prévoyance, mais il défend absolument toute inquiétude au sujet de l’avenir.
Cette inquiétude est une insulte à sa bonté et à son amour pour nous.
Jésus nous enseigne
l’abandon encore plus par sa conduite. Il vivait au jour le jour. A Nazareth,
il gagnait si peu qu’il n’a jamais fait d’économie pour le lendemain: c’était
toujours à recommencer chaque jour. Il était des plus pauvres au monde. Durant
sa vie publique, il dit lui-même qu’il n’avait pas où reposer la tête. Le fait
que les Apôtres avaient une bourse n’infirme pas ce qu’on dit de sa pauvreté
parce qu’il y avait si peu dans cette bourse qu’elle suffisait à peine au
strict nécessaire de chaque jour. Plus d’une fois il est dit qu’ils n’avaient
rien pour souper, qu’ils passèrent tout le jour sans manger.
LA PRATIQUE DES SAINTS
En proportion qu’ils se
sont sanctifiés, ils ont pratiqué l’abandon à Dieu. Au début, on voit que Dieu
les laisse compter sur des moyens humains pour subsister ou pour réussir dans
leurs œuvres. Puis, à mesure qu’ils progressent dans la vertu, Dieu leur enlève
ces moyens, non pas pour détruire leurs œuvres, mais pour qu’ils comptent plus
sur Dieu.
Tous ont voulu imiter la
sainte Humanité de Jésus qui a pratiqué le plus parfait abandon possible. Quand
même elle n’était pas une personne, on peut examiner son exemple parce qu’elle
était de même chair que nous. Elle est notre modèle. Elle s’est abandonnée au
Verbe sur la terre comme au ciel. Elle pouvait physiquement s’opposer, par
exemple, à la passion, mais elle se soumettait toujours au divin. Dans
l’agonie, elle montre sa répugnance pour la souffrance, mais ajoute tout de
suite: que votre volonté soit faite et non pas la mienne! Même la mort la plus
horrible ne l’empêche pas de s’abandonner parfaitement à Dieu.
On va dire qu’elle était
unie au Verbe. Nous aussi, nous sommes unis à J.-C. par la grâce et il peut
nous fortifier comme il a fortifié son Humanité. Comme la sainte Humanité
n’était pas une personne, elle était soumise au Verbe. Eh bien! Jésus nous
demande de nous renoncer nous-mêmes justement pour que nous ne nous opposions
plus à ses vouloirs divins. C’est pourquoi Jésus veut que nous agissions comme
si nous n’étions pas une personne, et c’est ce renoncement qui fait le fond de
l’abandon. En proportion qu’on se croit quelque chose, on ne s’abandonne pas à
Dieu. C’est dans la mesure que nous connaissons notre néant ou notre dépendance
absolue de Dieu que nous nous abandonnons à lui. Or, jamais une créature n’a
mieux connu son néant devant Dieu que la sainte Humanité. Voilà pourquoi son
abandon a été si parfait. Jamais Dieu ne prendra possession d’un cœur qui reste
maître de lui-même. Partout où il se trouve, il veut être le seul Maître, pour
y exercer son souverain domaine comme dans le monde et au ciel. Que tous ceux
qui veulent s’unir à Dieu commencent par vider leur cœur d’eux-mêmes et de
l’affection du monde. Notre moi païen, qui vit de nos deux amours, doit faire
place à J.-C. et ce n’est qu’après cela que l’abandon sera possible. Rien de
plus important dans toute la vie spirituelle!
Voilà une idée qu’il faut
méditer quand nous avons le bonheur de posséder la sainte Humanité dans la
Communion. C’est en elle que Jésus veut nous transformer quand il vient à nous,
afin de nous transformer encore plus en sa divinité. Ne l’oublions pas! Elle
est totalement abandonnée au Verbe: faisons donc de même avec la grâce de Dieu.
Insistons pour reproduire sa vie le plus parfaitement possible. Là est toute
notre sainteté!… Demandons-la avec grande ferveur et insistance!
L’exemple de la Sainte
Vierge mérite une mention spéciale! Pas une seule pure créature n’a pratiqué
l’abandon aussi parfaitement. On la dirait l’abandon incarné, tant cette vertu
brille en elle. Dieu en fait tout ce qu’il veut; elle ne montre jamais la
moindre opposition ni la moindre impatience contre les dispositions de la
divine Providence.
Quand elle retrouve Jésus
au temple, Dieu permet qu’elle lui pose une question par manque de reproche,
mais qui était bien justifiée dans les circonstances. Dieu voulait donner une
chance à Jésus d’énoncer tout son programme de vie devant tout le monde: «Ne
saviez-vous pas que je devais être tout aux choses de mon Père?». Durant toute
la passion de son Divin Fils, elle a accepté toutes les souffrances morales et
toutes les humiliations sans aucune plainte. Son cœur était transpercé de
douleur, mais elle restait parfaitement abandonnée à Dieu. Voilà notre second
modèle que nous devrions nous efforcer d’imiter avec la grâce de Dieu.
La vie des saints est
remplie d’exemples de leur abandon à Dieu, surtout dans toutes leurs
difficultés toujours si nombreuses dans leur vie. A mesure qu’ils progressaient
en vertu, Dieu les éprouvait de plus en plus dans l’abandon. Il supprimait les
moyens de subsister ou de leurs entreprises, afin qu’ils comptassent encore
plus sur sa Providence.
Un des plus beaux
exemples d’abandon à la Providence de Dieu est certainement le cas de l’hospice
de Saint Jean Cottolengo à Turin en Italie. Depuis un siècle, des milliers et
des milliers d’infirmes et de malades sont hospitalisés là sans aucun revenu
fixe, et l’on refuse seulement ceux qui sont capables de payer! On ne tient pas
de comptabilité, on ne compte pas les malades; on s’abandonne pour tout à la
bonté de Dieu. Quand j’ai eu le bonheur de le visiter, il y a dix ans, pour la
deuxième fois, ils devaient être autour de quinze mille personnes que Dieu
nourrit comme les oiseaux de l’air! Quelle merveille! Et quel miracle continuel
depuis tant d’années… et qu’ils sont rares ceux qui imitent cet abandon à Dieu.
Ailleurs, dès qu’on commence une œuvre de bienfaisance, il faut des teneurs de
livres et tout est compté à la cent. Aussi, le bon Dieu se fait tirer l’oreille
pour écouter les demandes de ces commerçants!
En notre temps, Dieu a
suscité Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus pour rappeler au monde cette grande
vertu de l’abandon. Elle a été la caractéristique de sa vie. Elle en a saisi la
portée profonde pour la vie spirituelle et elle a su en vivre jusque dans les
moindres détails de chaque jour.
Elle insiste pour dire
qu’elle s’est abandonnée à Dieu justement parce qu’elle se sentait incapable de
quoi que ce soit toute seule, et pourtant elle voulait devenir une grande
sainte. De bonne heure, Jésus lui a fait comprendre cette parole qui a orienté
toute la vie de Thérèse: «A moins que vous ne deveniez de petits enfants, vous
n’entrerez point dans le royaume de Dieu». Ce fut une révélation pour elle et
elle s’est mise à la pratiquer le mieux possible et avec la grâce de Dieu elle
a réussi à merveille. Elle s’est faite petite à ses yeux et Dieu l’a faite
grande aux siens. En peu d’années, elle a gravi les plus hauts sommets de la
sainteté et fait connaître au monde cette belle vertu qui consomme la sainteté
des amis de Dieu.
Cette vertu est agréable
à Dieu parce qu’elle fait ressortir ses plus beaux attributs comme sa bonté, sa
puissance et son amour pour nous. Pour la pratiquer, il faut avoir la même
mentalité que Dieu pour se fier à lui de la sorte. Cette ressemblance d’esprit
est une grande cause de sainteté pour nous et de gloire pour Dieu.
NÉCESSITÉ DE S’Y EXERCER
SOUVENT
D’abord, ce n’est pas
dans l’abondance ou dans les succès qu’on peut facilement s’y exercer. Car
c’est facile à dire qu’on s’abandonne à Dieu quand on a tout à souhait. Qu’on
surveille surtout les épreuves: c’est là qu’il faut pratiquer l’abandon à Dieu.
Pratiquons-le dans les petits détails de la vie. Par exemple:
On partait pour un voyage
et voici que l’on manque son train ou son bateau: combien s’impatientent et
disputent contre ceux qui en sont plus ou moins responsables. C’est du
paganisme tout pur! Qu’on sache donc que c’est Dieu qui a tout disposé
justement pour que vous manquiez votre train et vous donner une occasion de pratiquer
l’abandon à Dieu. Subissez les inconvénients et remerciez-le de cette épreuve
qui vous attire tant de surnaturel si elle vous fait perdre du naturel!
Si vous tombez malade,
acceptez tout de suite les conséquences voulues par Dieu. A quoi bon regimber?
Si vous murmurez, Dieu est capable de prolonger votre maladie jusqu’à ce que
vous vous soumettiez à sa sainte volonté, et en attendant vous perdez votre
mérite.
Une mère de famille a un
mari ivrogne et paresseux qui laisse sa famille dans la misère et, cependant,
il exige ses droits impitoyablement, augmentant la famille avec la misère.
C’est fou au point de vue humain de faire son devoir, mais qu’elle s’abandonne
à Dieu, qu’elle mette sa confiance en lui et Dieu prendra soin d’elle et de ses
enfants. Les années de misères finiront, mais son bonheur éternel ne finira
jamais!
Plusieurs membres d’une
famille vont mal, leur mère, qui est très bonne, ne sait plus que faire pour
les ramener à Dieu. Au lieu de passer son temps à disputer, ce qui n’avancera
rien, qu’elle s’abandonne à Dieu et qu’elle prie pour leur conversion: elle
obtiendra ce qu’elle veut avec le temps.
N’oublions pas que Dieu
fait exprès pour nous mettre dans des impasses de toutes sortes, justement pour
que nous avouions notre absolue incapacité d’en sortir et donc que nous nous
abandonnions totalement à Dieu. Il gâte notre petit bonheur païen dans les
créatures précisément pour que nous le cherchions uniquement en Dieu.
Mais n’attendons pas les
épreuves pour pratiquer l’abandon: commençons dans les bonnes choses. Avant
toute entreprise, avant tout voyage et avant toute action sérieuse, disons à
Dieu du fond du cœur: «Mon Dieu, je m’abandonne absolument à vous au sujet de
telle affaire: vous me donnerez ce que vous voudrez pour le salut de mon âme et
votre gloire. Consultons Dieu avant d’entreprendre quoi que ce soit; c’est
reconnaître qu’il est notre seul Maître et que nous tenons tout de lui. C’est
l’honorer grandement et lui donner une grande gloire qu’il saura bien nous
rendre dans son beau ciel. Que ce ne soit pas simplement un pieux désir, que ce
soit une vie tout de suite dans le concret. Qu’on agisse tout de suite comme si
nous étions déjà dans le ciel… et ce sera le moyen le plus sûr d’y arriver! Que
la Sainte Vierge nous obtienne à tous cette grâce et que le Saint-Esprit nous
dirige dans ce chemin si sûr de la sainteté!
Aucun commentaire:
Publier un commentaire