De notre charge apostolique, à nous confiée par Dieu, nonobstant la faiblesse de nos mérites, découle pour nous le souci constant du troupeau du Seigneur. En conséquence, pour le garder fidèlement et le diriger salutairement, tel un berger vigilant, nous devons veiller avec assiduité et pourvoir avec attention à ce que soient repoussés loin de la bergerie du Christ tous ceux qui, à notre époque, pécheurs invétérés, s'appuient sur leurs propres lumières, s'insurgent avec une insolence perverse contre l'enseignement de la foi orthodoxe, pervertissent par des inventions superstitieuses et factices l'intelligence des saintes Écritures, se démènent pour déchirer l'unité de l'Église et de la tunique sans couture du Seigneur ; à ce qu'ils puissent continuer l'enseignement de l'erreur au mépris de l'état de disciple de la Vérité.
§ 1. Nous considérons la situation actuelle assez grave et dangereuse pour que le Pontife Romain, Vicaire de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ sur terre, revêtu de la plénitude du pouvoir sur les nations et les royaumes, juge de tous les hommes et ne pouvant être jugé par personne en ce monde, puisse toutefois être contredit s'il dévie de la Foi catholique.
Et, puisque là où le danger s'étend, là aussi il devient plus profond, il faut y veiller avec plus de diligence de telle sorte que des pseudo-prophètes ou des hommes revêtus d'une juridiction séculière ne puissent prendre misérablement dans leurs actes les âmes des gens simples, entraîner avec eux à la perdition et à la damnation éternelle des peuples innombrables soumis à leur soin et à leur autorité, soit spirituelle, soit temporelle. Et, pour que nous puissions ne jamais voir dans le lieu-Saint l'abomination de la désolation prédite par le Prophète Daniel, nous voulons autant que nous le pourrons avec l'aide de Dieu et selon notre charge pastorale, capturer les renards occupés à saccager la vigne du Seigneur et écarter les loups des bergeries, afin de ne pas sembler être comme les chiens muets, impuissants à aboyer, pour ne pas nous perdre avec les mauvais serviteurs et ne pas être assimilé à un mercenaire.
§ 2. Après mûre délibération à ce sujet avec nos vénérables frères des Cardinaux de la sainte Église Romaine, sur leur conseil et avec leur assentiment unanime, de part notre autorité apostolique, nous approuvons et renouvelons toutes et chacune des sentences, censures et peines d'excommunication, interdit et privation et autres, quelles qu'elles soient, portées et promulguées par les Pontifes Romains nos prédécesseurs ou tenus pour tels, soit par leurs lettres circulaires (même paraissant extravagantes), reçues par l'Église de Dieu dans les saints conciles, soit par les saints canons et constitutions et ordonnances apostoliques portés et promulgués, de quelque façon que ce soit, contre les hérétiques et les schismatiques. Nous voulons et décrétons qu'elles soient observées PERPÉTUELLEMENT . Si peut-être elles ne le sont pas, qu'elles soient rétablies en pleine observance et doivent le rester. En outre, quiconque serait arrêté, avouant ou convaincu d'avoir dévié de la foi catholique, être tombé en quelque hérésie ou schisme, l'avoir suscité ou y avoir adhéré, ou encore (que Dieu dans sa clémence et sa bonté envers tous les hommes, daigne l'empêcher !) si quelqu'un devait à l'avenir dévier et tomber dans l'hérésie ou le schisme, les susciter ou y adhérer, et qu'il soit pris sur le fait de cette déviation, incitation ou adhésion, qu'il l'avoue ou en soit convaincu, de quelque état, dignité, ordre, condition et prééminence qu'il soit, même évêque, archevêque, patriarche, primat, de dignité ecclésiastique encore supérieure, honoré du cardinalat, et ou que ce soit, investi de la charge de légat du Siège apostolique, perpétuelle ou temporaire, ou qu'il resplendisse d'une excellence et autorité séculière, conte, baron, marquis, duc, roi empereur, qui que ce soit parmi eux, il encourra les sentences, censures, peines susdites, nous le voulons et le décrétons.
§ 3. Considérant toutefois qu'il est bien de détourner du mal par la crainte des peines, ceux qui ne s'en abstiennent pas pour l'amour de la vertu; que les évêques, archevêques, ... etc. qui doivent guider les autres et leur servir d'exemples afin de les garder dans la foi catholique, pèchent plus gravement que les autres s'ils viennent à prévariquer, puisque non seulement ils se perdent eux-mêmes, mais de plus ils entraînent avec eux à la perdition et à l'abîme de la mort éternelle d'innombrables peuples confiés à leur soin et à leur autorité ou leurs sujets de quelque autre façon, sur un semblable conseil et assentiment (des cardinaux), en vertu de cette constitution nôtre VALIDE A PERPÉTUITÉ, par haine d'un si grand crime, le plus grave et pernicieux possible dans l'Église de Dieu, dans la plénitude de notre pouvoir apostolique, nous décidons, statuons, décrétons et définissons les sentences, censures et peines susdites...etc.
§ 4. Ceux qui prétendront avoir un droit de patronage ou de nomination de personnes aptes à gouverner des églises cathédrales, métropolitaines, patriarcales, primatiales, ou des monastères et autres bénéfices ecclésiastiques devenus vacants par ces privations, pour ne pas les exposer aux inconvénients d'une longue vacance après les avoir arrachés à l'esclavage des hérétiques, et afin de les confier à des personnes aptes à diriger fidèlement les peuples dans les voies de la justice, ceux-là devront présenter les dites personnes aux églises, monastères et autres bénéfices dans les limites du temps fixé par le droit canonique ou des contrats particuliers, ou statué en accord avec le Saint-Siège ; de même ils seront tenus de les présenter à Nous-mêmes ou au Pontife romain alors régnant ; sinon, le laps de temps écoulé, la pleine et libre disposition des églises, monastères et bénéfices susdits reviendra de plein droit à Nous et au Pontife romain susdit.
§ 5. En outre, quiconque prendra sur lui, sciemment et de quelque manière que ce soit, d'accueillir, défendre, favoriser ou croire les coupables arrêtés sur aveux ou preuves d'hérésie, ou encore d'enseigner leurs erreurs, celui-là encourra, du fait même, une sentence d'excommunication. Il deviendra hors la loi : il ne pourra participer ni oralement, ni en acte, ni par écrit, ni par délégation ou procuration, aux fonctions publiques ou privées, Conseils, Synodes, Concile général ou provincial, Conclave des Cardinaux, assemblée des fidèles, élections, témoignage en justice. Il n'y sera point admis.
§ 6. De plus, si jamais un jour il apparaissait qu'un évêque, faisant même fonction d'archevêque, de patriarche ou de primat ; qu'un cardinal de l'Église Romaine, même légat ; qu'un SOUVERAIN PONTIFE LUI-MÊME, avant sa promotion et élévation au cardinalat ou au souverain pontificat, déviant de la foi catholique, est tombé en quelque hérésie, sa promotion ou élévation, même si elle a eu lieu dans la concorde et avec l'assentiment unanime de tous les cardinaux, est NULLE , SANS VALEUR, NON AVENUE. Son entrée en charge, consécration, gouvernement, administration, tout devra être tenu pour ILLÉGITIME.
S'il s'agit du souverain Pontife, on ne pourra prétendre que son intronisation, adoration (agenouillement devant lui), l'obéissance à lui jurée, le cours d'une durée quelle qu'elle soit (de son règne), que tout cela a invalidé ou peut invalider son pontificat ; celui-ci ne peut être tenu pour légitime JAMAIS ET EN AUCUN DE SES ACTES.
De tels hommes, promus évêques, archevêques, patriarches, primats, cardinaux ou SOUVERAIN PONTIFE, ne peuvent être censés avoir reçu ou pouvoir recevoir AUCUN DROIT d'administration, ni dans le domaine spirituel, ni dans le domaine temporel. Tous leurs dits, faits, et gestes, leur administration et tous ses effets, tout est dénué de valeur et ne confère, par conséquent, aucune autorité, aucun droit à personne. Ces hommes ainsi promus seront donc, sans besoin d'aucune déclaration ultérieure, privés de toute dignité, place, honneur, titre, autorité, fonction et pouvoir, même si tous et chacun de ces hommes n'a dévié de la foi catholique, tombant dans le schisme ou l'hérésie, qu'après son élection, soit en suscitant soit en embrassant ces erreurs.
§ 7. Quand aux personnes assujetties au Pontife, aussi bien clercs séculiers et réguliers que laïcs, cardinaux y compris, qui auraient participé à l'élection du Pontife Romain déjà hors de la foi catholique, par hérésie ou schisme, ou qui y consentiraient de quelque autre manière, qui lui auraient promis obéissance, qui se seraient agenouillées devant lui...etc. de même quiconque se lierait à de telles personnes par hommage, serment ou caution, au lieu de renoncer en tout temps à leur obéir, les servir impunément, de les éviter comme des MAGICIENS, des PAÏENS et des PUBLICAINS et HÉRÉSIARQUES , toutes ses personnes assujetties, si elles prétendent néanmoins rester attachées fidèles et obéissantes... toutes ces personnes seront soumises au châtiment des censures et des peines qui frappent les gens qui déchirent la tunique du Seigneur.
§ 8. Nonobstant les décisions et dispositions apostoliques, ou encore les privilèges, indults et écrits apostoliques qui auraient été donnés à de tels [hérétiques promus invalidement pseudo- évêques, archevêques, patriarches, primats ou cardinaux ou à toute autre personne. [Nous cassons de tels écrits en leur faveur, quelle que soit la manière dont ils aient été formulés]: peu importe le contexte, la forme, les clauses. [Tout cela est nul,] fût-ce des décrets, des motu proprio ou [des formulations telles que] "de science certaine" et "dans la plénitude la puissance apostolique". [Nous frappons de même de nullité] tout consistoire ou encore tout autre moyen mis en œuvre: approbations répétées et renouvelées, insertion dans le corps des lois ecclésiastiques, chapitres des CONCLAVES, serment, confirmation apostolique ou toute autre confirmation, eût-elle été corroborée par serment par nous-mêmes.
Toutes les choses accordées à ceux qui ont été mentionnés expressément plus haut conservent leur valeur par ailleurs; nous les supprimons seulement et spécialement pour ces cas-là, sans que quiconque puisse y opposer quoi que ce soit.
§ 9. Mais pour que le présent écrit arrive à la connaissance de tous les intéressés, nous voulons que l'original (ou une copie signée par la main d'un notaire public et authentifiée par le sceau d'un dignitaire ecclésiastique; nous déterminons que l'on doit y ajouter foi) soit publié et affiché par quelques-uns de nos hérauts - aux portes de la basilique du prince des apôtres, - à la chancellerie apostolique, - et aussi au bord du Campo dei Fiori, et qu'une copie y soit laissée affichée. La publication et l'affichage et le fait d'y laisser une copie affichée suffisent et doivent être tenus pour solennels et légaux; il n'y a aucune autre publication à réclamer ou à attendre.
§ 10. Que personne donc ne se permette d'enfreindre ce document qui exprimant notre décision, innovation, sanction, statut, dérogation, décret, interdiction ou d'y contrevenir avec une audace téméraire. Si quelqu'un avait cette outrecuidance, il encourrait, qu'il le sache, L'INDIGNATION DU DIEU TOUT-PUISSANT ET DES BIENHEUREUX APÔTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL.
Donné à Rome, à Saint Pierre, le 15 des calendes de mars, l'an 1559, la quatrième année de notre pontificat.
† Moi, PAUL (IV), évêque de l'Église catholique.
samedi 28 février 2015
samedi 21 février 2015
Abbé L. Petit - De la Renaissance à la Révolution
DE LA RENAISSANCE A LA RÉVOLUTION
EN SUIVANT LES PHASES DU PÉDANTISME CLASSIQUE
Nous nous sommes plusieurs fois demandé, dans les pages de la Revue, quel était le fond de l'enseignement classique. Nous répondions : la routine, le lieu commun, le vide, le faux, le ridicule. Nous croyons avoir donné quelques raisons pour prouver la vérité de cette réponse. Un coup d'œil rapide sur trois siècles de l'histoire, depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, servira à la confirmer et à montrer qu'il faudrait même, pour être complétement exact, ajouter des termes encore plus sévères.
Personne n'ignore l'histoire de cette vaste révolte religieuse, intellectuelle et sociale, qui éclata au XVIe siècle sous le nom de Réforme. On connaît aussi l'esprit de la Réforme ; un seul mot le résume : séparation de Dieu. Séparation de Dieu dans l'ordre religieux, par le principe du libre examen substitué au principe de l'autorité divine de l'Église; séparation de Dieu dans l'ordre intellectuel, par le principe de la sécularisation des sciences, et la destruction du règne de la théologie; séparation de Dieu dans l'ordre civil, par le retour au principe du césarisme païen. De ces principes sont sorties toutes les erreurs et toutes les révolutions qui depuis lors ont bouleversé le monde.
Or, entre les auxiliaires qui servirent à la Réforme pour faire prévaloir ses principes et ses doctrines, la Renaissance païenne fut des plus efficaces. La Réforme se l'unit intimement; elle reconnut en elle son esprit; elle en fit sa sœur: et toutes deux travaillèrent avec un touchant accord à ruiner la foi du moyen-âge, et à faire disparaître de tout : idées, mœurs, lettres, institutions publiques, cet esprit profondément chrétien qui avait tout imprégné dans les siècles précédents. Il leur fallait du temps pour accomplir cette œuvre, mais à la fin elles devaient réussir.
C'est alors que naquit l'enseignement classique. Ce souffle d'hérésie et de paganisme qui traversait l'atmosphère européenne, entraînant par surcroît les exhalaisons du cloaque byzantin, que venait de remuer l'épée de Mahomet, excita partout comme une germination malsaine. On vit renaître sur le sol chrétien la poésie, l'éloquence, la peinture, la sculpture païenne avec toutes leurs traditions mythologiques, surtout avec leur sensualisme. Un immense engouement, ou pour mieux dire, une immense folie s'empara des esprits. Il reparut des soi-disant Virgiles et Horaces. Et les rhéteurs grecs, et les sophistes, et les philosophes de toutes écoles revécurent. Épicure même trouva des disciples. Cicéron eut presque des autels. La forme païenne domina en souveraine. Les Saintes Écritures furent considérées comme écrites en style barbare. Les saints Pères furent méprisés comme n'ayant pas l'idée de la belle latinité. On entendit un Érasme s'écrier qu'il mourrait en paix, parce que sur ses vieux jours, il avait eu le temps de se remettre en grâce avec son Cicéron Et ne vit-on pas je ne sais plus quel personnage ecclésiastique, demander l'exemption du bréviaire pour n'avoir pas le chagrin de lire le latin barbare des Ambroise, des Jérôme et des Augustin?
Au reste, il faut avouer que les lettres et les arts n'étaient pas seuls à revenir au paganisme : les mœurs suivaient la même route, et ces rhéteurs renaissants si fidèles à observer les règles du paganisme, ne manquaient point aussi de s'en permettre les licences.
Le fol entraînement du XVIe siècle se continua au XVIIe, mais alors il avait eu le temps de se régulariser. Ce n'était plus le dévergondage sans règles ; c'était un système et une méthode.
Par suite de ce système, presque plus rien de l'idée chrétienne ne subsista dans les arts. La littérature, comme l'architecture, comme la peinture, n'alla plus chercher ses inspirations et ses lois que dans les ouvrages et sur les modèles de Rome et d'Athènes. Ce fut une chose convenue que tout le moyen-âge était une époque de ténèbres et d'ignorance, et qu'il n'y fallait pas même regarder. On le flétrit en bloc du nom de gothique. De là on rompit avec toutes les traditions chrétiennes les plus glorieuses. Les faits d'armes des héros francs, les gestes de la chevalerie, le cycle si vaste et si varié des légendes nationales, ne furent plus jugés dignes de fournir des aliments à la poésie. Pour en tenir lieu, on écrivit des romans sur Cyrus et sur Alexandre.
Tout ce qui existait à cette époque d'hommes instruits, et capables d'exercer une influence sur les lettres, travaillait de concert à faire triompher l'idée païenne. Les poètes dramatiques composaient des tragédies sur des sujets grecs ou romains. Boileau écrivait son Art poétique, où il proscrivait du domaine littéraire tout élément chrétien. Au lieu des Anges, les Faunes et les Tritons: Bacchus, Cupidon et Vénus, au lieu de la sainte Vierge et des Saints ; Jupiter, au lieu de Jésus-Christ. Un archevêque, celui que les traités de littérature appellent le Cygne de Cambrai, et que le grand Roi appelait un bel esprit chimérique, imitait l'élégance et la monotonie d'Homère, dans un français non moins élégant et non moins monotone. Cette prose fleurie formait le Télémaque, dans lequel, si la mythologie venait à se perdre, on pourrait la retrouver tout entière ; et dans lequel aussi si l'on perdait les écrits de Fourier, de Saint-Simon, de Cabet et des autres semblables, on pourrait retrouver tout le système du socialisme tracé d'après Platon, et réalisé dans la république de Salente.
A côté de ces grands écrivains étaient les pédants. Les universités, les collèges étaient pleins de ces savants en perruque et en rabat, qui faisaient consister leur plus haute gloire à parfaire une période carrée. Ils étaient profonds dans la science des membres et des incises, des figures de pensées et des figures de mots. Et ils composaient, d'après Cicéron, des harangues dédiées à Monseigneur le Dauphin, ou aux princes du sang. C'était tantôt la vertu de Caton, tantôt celle de Brutus qui en faisait l'objet.
D'autres cultivaient la poésie : ils paraphrasaient et imitaient Horace : ils faisaient des odes sur Oreste et Pylade, sur Fulvie et les défaillances de Phébé, autrement dites éclipses de lune. Quelquefois ils composaient des hymnes ou traitaient des sujets sacrés; mais malheur alors au saint, malheur an mystère sur lequel tombait leur muse implacable. Bientôt comprimé dans la mesure du rythme horatien, affublé de haillons mythologiques, il perdait toute forme chrétienne. Les saints devenaient des divi heroes ; la sainte Vierge, une Diva potens la sainte Eucharistie, exigua Cereris imago ; et l'Amour divin, un jeune dieu qui, le carquois au côté, s'en allait, plein d'ardeur, lancer ses flèches sur les cimes des mortels.
Cette manie de faire entrer malgré tout; dans un moule païen des idées qui n'étaient nullement faites pour y entrer, produisait, dans la littérature latine de cette époque, une boursouflure extravagante. Tous ces écrivains chrétiens-païens du XVIIe siècle ont un style emphatique, savant, si l'on veut, mais extraordinairement contourné. Et où donc auraient-ils pu prendre une noble simplicité?
Pour le français, il faut convenir que le XVIIe siècle le parla et l'écrivit magnifiquement. Mais avec sa belle langue, et avec le grand nombre de ses grands écrivains, il nous fit une littérature qui n'est ni française, ni chrétienne. A peu près tout ce que nous réputons chef-d’œuvre est païen pour le fond. Il n'y a que fort peu d'exceptions, et ces exceptions ne furent pas toujours reçues favorablement. On sait quel accueil fut fait à Athalie.
L'esprit littéraire du XVIIe siècle s'alliait, d'ailleurs parfaitement avec l'esprit janséniste. Cette littérature solennelle, pour ne pas dire guindée, sévère sur les principes de la forme, proscrivant tout ce que l'idée chrétienne peut fournir de gracieux, de mystérieux, (le profondément poétique, était en harmonie avec les sentiments d'une secte qui rejetait tout le côté charmant et doux de la religion catholique : ses légendes, son symbolisme, un grand nombre de ses miracles, son surnaturalisme intérieur et extérieur. Le jansénisme du XVIIe siècle, avec ses allures raides et froides, préludait à l'incrédulité railleuse du XVIIe. La littérature du XVIIe siècle, avec sa forme païenne et pompeuse conduisait à la littérature élégante et impie du XVIIIe.
En effet, ce fond d'esprit do foi qui avait continué de subsister malgré tout, et qui avait sont vile encore le XVIIe siècle, disparaissait insensiblement sous les efforts inconscients des écrivains et des pédants ; et à mesure qu'il disparaissait, les idées païennes s'intronisaient de plus en plus. Le naturalisme gagnait avec le paganisme, et l'incrédulité avec le naturalisme. Le mode d'instruction était toujours le même, avec cette différence que la sève chrétienne tarissait sans cesse dans l'enseignement, tandis que le poison païen s'y insinuait davantage. Dans les collèges, le paganisme avait de plus en plus les honneurs. On lui empruntait la matière de tous les devoirs classiques. Il embellissait de son concours toutes les solennités littéraires. On ne faisait pas un compliment, à quelque personnage que ce fût, sans y introduire ou les Muses ou les Grâces, ou Cyrus ou Cicéron. Brutus était un héros : Scévola un demi-dieu. Les écoliers s'exerçaient à faire des déclamations sur tous ces sujets. Les Vies des grands hommes de Plutarque remplaçaient les Vies des saints. Rollin écrivait ses fameuses Histoires ancienne et romaine où les héros de l'antiquité font si parfaite figure qu'on rougit après eux de parler des héros chrétiens, et qu'on ne trouve plus, dans l'histoire de l'Eglise, que des sujets de honte
En même temps, à côté de ces pédants sérieux et toujours solennels, on en trouvait aussi de plaisants et de galants. A la cour, à la ville, en province, c'était partout le même pédantisme plein d'affectation, vide de naturel. Les élégants courtisans rimaient des envois à leurs Phébés et à leurs. Philis, et confiaient leurs vers à l'aile des zéphyrs. Les abbés de cour composaient des pastorales sentimentales et des madrigaux en l'honneur des dames. La poésie pastorale avait un charme particulier pour cette génération blasée, qui dormait sur les volcans, et portait dans son sein tant de monstres. Mais ces monstres eux-mêmes étaient alors à l'état de beaux esprits, et plusieurs se plaisaient à rimer des idylles.
Enfin, on ne trouvait plus dans toute la littérature, de vent, ni de grandeur : nul sentiment sincère, nulle passion du beau Tout y était :
... Sec, compassé,
Pincé, passé, cassé, glacé,
Brillant, mais d'un éclat fragile.
L'esprit chrétien n'y existait plus : et le protestantisme païen, ayant éteint le dernier souffle de foi, cette littérature ne produisait que des œuvres de mort. Il ne restait maintenant qu'à descendre des idées païennes aux faits païens, de la théorie à la pratique. Et c'est ce qui n'allait pas tarder. Les beaux esprits et les rhéteurs de la veille allaient bientôt devenir les révolutionnaires du lendemain. Après avoir déclamé sur les vertus de Brutus, ils allaient les imiter ; après avoir chanté les douceurs de la liberté antique et la félicité des anciennes républiques, ils allaient s'efforcer de faire régner par la main du bourreau cette liberté et cette félicité.
La révolution française, née de la tradition païenne, fit, comme elle le proclamait elle-même, son type du paganisme. Son idéal fut de le faire revivre : elle prit des noms païens elle fit des lois païennes; elle établit des constitutions copiées sur le modèle des républiques classiques. Il y eut alors des fêtes nationales imitées de la Grèce : fête des époux, fête de la vieillesse, fête de l'agriculture, fête de la raison... Les magistrats y prononçaient des harangues sur la morale républicaine. Les patriotes vertueux et les vénérables matrones y menaient ensemble des danses pudiques en l'honneur de la nature : des chœurs de jeunes vierges couronnées de fleurs et de jeunes garçons couronnés de lauriers se mêlaient à ces danses, et chantaient des hymnes patriotiques composées par les poètes nationaux : Alors on portait triomphalement au Panthéon avec une pompe reproduite des triomphes romains les restes de Rousseau, de Marat, de Le Pelletier, ces hommes dont le génie ou le dévouement honoraient l'espèce humaine.
Et pour que rien ne manquât à ces fêtes, il y avait aussi des sacrifices. On immolait des hécatombes; et c'étaient, perfection du genre, des hécatombes humaines ; c'étaient des ennemis de la République que l'on dévouait pour le bonheur de la patrie, pour le salut de la nation.
Ce règne sanguinaire du paganisme sous la Convention fut suivi d'un règne d'un autre caractère, plus hideux encore, sous le Directoire. Là on se jeta à corps perdu dans le paganisme : tout fut païen : ameublements, ornements, costumes ; les femmes s'habillaient comme les déesses des grecs. Plus que tout autre chose encore, ce qui fut païen, ce furent les mœurs. Elles le furent abominablement : on en peut lire le détail dans les histoires. Sous la Convention, on marchait dans le sang : sous le Directoire, on se vautra dans la boue. Cette société révolutionnaire, tirant des idées païennes dont elle s'était nourrie, toutes les conséquences pratiques, rivalisait avec la société romaine des époques de Sylla, d'Antoine, de Néron. Digne fruit de l'éducation classique, terme fatal où devait aboutir la Renaissance, jointe à la Réforme. Pour avoir voulu substituer le paganisme au christianisme dans la langue, on l'y avait aussi substitué dans les idées, puis dans les mœurs : et la société paganisée était tombée là où nous venons de la voir, là où elle avait mérité de tomber.
Heureux au moins si elle eut su profiter de la terrible leçon ! Elle l'a fait, mais incomplètement.
On prétendra peut-être que nous avons été trop loin dans nos déductions. Nous disions que pour caractériser l'enseignement, classique, l'histoire exigerait sans doute des termes plus forts que ceux de faux et de ridicule. S'il est vrai que cet enseignement ait eu sa large part dans la grande œuvre de corruption qui s'est opérée durant les trois derniers siècles, et qui a été couronnée par la révolution, il faut convenir qu'il ne suffit pas de l'appeler ridicule. Et si, à cause de ses sanglantes conséquences, on ne veut pas que nous l'appelions de ce dernier nom, on nous permettra du moins de maintenir qu'il est faux, et d'ajouter qu'il est dangereux.
L. PETIT.
EN SUIVANT LES PHASES DU PÉDANTISME CLASSIQUE
Nous nous sommes plusieurs fois demandé, dans les pages de la Revue, quel était le fond de l'enseignement classique. Nous répondions : la routine, le lieu commun, le vide, le faux, le ridicule. Nous croyons avoir donné quelques raisons pour prouver la vérité de cette réponse. Un coup d'œil rapide sur trois siècles de l'histoire, depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, servira à la confirmer et à montrer qu'il faudrait même, pour être complétement exact, ajouter des termes encore plus sévères.
Personne n'ignore l'histoire de cette vaste révolte religieuse, intellectuelle et sociale, qui éclata au XVIe siècle sous le nom de Réforme. On connaît aussi l'esprit de la Réforme ; un seul mot le résume : séparation de Dieu. Séparation de Dieu dans l'ordre religieux, par le principe du libre examen substitué au principe de l'autorité divine de l'Église; séparation de Dieu dans l'ordre intellectuel, par le principe de la sécularisation des sciences, et la destruction du règne de la théologie; séparation de Dieu dans l'ordre civil, par le retour au principe du césarisme païen. De ces principes sont sorties toutes les erreurs et toutes les révolutions qui depuis lors ont bouleversé le monde.
Or, entre les auxiliaires qui servirent à la Réforme pour faire prévaloir ses principes et ses doctrines, la Renaissance païenne fut des plus efficaces. La Réforme se l'unit intimement; elle reconnut en elle son esprit; elle en fit sa sœur: et toutes deux travaillèrent avec un touchant accord à ruiner la foi du moyen-âge, et à faire disparaître de tout : idées, mœurs, lettres, institutions publiques, cet esprit profondément chrétien qui avait tout imprégné dans les siècles précédents. Il leur fallait du temps pour accomplir cette œuvre, mais à la fin elles devaient réussir.
C'est alors que naquit l'enseignement classique. Ce souffle d'hérésie et de paganisme qui traversait l'atmosphère européenne, entraînant par surcroît les exhalaisons du cloaque byzantin, que venait de remuer l'épée de Mahomet, excita partout comme une germination malsaine. On vit renaître sur le sol chrétien la poésie, l'éloquence, la peinture, la sculpture païenne avec toutes leurs traditions mythologiques, surtout avec leur sensualisme. Un immense engouement, ou pour mieux dire, une immense folie s'empara des esprits. Il reparut des soi-disant Virgiles et Horaces. Et les rhéteurs grecs, et les sophistes, et les philosophes de toutes écoles revécurent. Épicure même trouva des disciples. Cicéron eut presque des autels. La forme païenne domina en souveraine. Les Saintes Écritures furent considérées comme écrites en style barbare. Les saints Pères furent méprisés comme n'ayant pas l'idée de la belle latinité. On entendit un Érasme s'écrier qu'il mourrait en paix, parce que sur ses vieux jours, il avait eu le temps de se remettre en grâce avec son Cicéron Et ne vit-on pas je ne sais plus quel personnage ecclésiastique, demander l'exemption du bréviaire pour n'avoir pas le chagrin de lire le latin barbare des Ambroise, des Jérôme et des Augustin?
Au reste, il faut avouer que les lettres et les arts n'étaient pas seuls à revenir au paganisme : les mœurs suivaient la même route, et ces rhéteurs renaissants si fidèles à observer les règles du paganisme, ne manquaient point aussi de s'en permettre les licences.
Le fol entraînement du XVIe siècle se continua au XVIIe, mais alors il avait eu le temps de se régulariser. Ce n'était plus le dévergondage sans règles ; c'était un système et une méthode.
Par suite de ce système, presque plus rien de l'idée chrétienne ne subsista dans les arts. La littérature, comme l'architecture, comme la peinture, n'alla plus chercher ses inspirations et ses lois que dans les ouvrages et sur les modèles de Rome et d'Athènes. Ce fut une chose convenue que tout le moyen-âge était une époque de ténèbres et d'ignorance, et qu'il n'y fallait pas même regarder. On le flétrit en bloc du nom de gothique. De là on rompit avec toutes les traditions chrétiennes les plus glorieuses. Les faits d'armes des héros francs, les gestes de la chevalerie, le cycle si vaste et si varié des légendes nationales, ne furent plus jugés dignes de fournir des aliments à la poésie. Pour en tenir lieu, on écrivit des romans sur Cyrus et sur Alexandre.
Tout ce qui existait à cette époque d'hommes instruits, et capables d'exercer une influence sur les lettres, travaillait de concert à faire triompher l'idée païenne. Les poètes dramatiques composaient des tragédies sur des sujets grecs ou romains. Boileau écrivait son Art poétique, où il proscrivait du domaine littéraire tout élément chrétien. Au lieu des Anges, les Faunes et les Tritons: Bacchus, Cupidon et Vénus, au lieu de la sainte Vierge et des Saints ; Jupiter, au lieu de Jésus-Christ. Un archevêque, celui que les traités de littérature appellent le Cygne de Cambrai, et que le grand Roi appelait un bel esprit chimérique, imitait l'élégance et la monotonie d'Homère, dans un français non moins élégant et non moins monotone. Cette prose fleurie formait le Télémaque, dans lequel, si la mythologie venait à se perdre, on pourrait la retrouver tout entière ; et dans lequel aussi si l'on perdait les écrits de Fourier, de Saint-Simon, de Cabet et des autres semblables, on pourrait retrouver tout le système du socialisme tracé d'après Platon, et réalisé dans la république de Salente.
A côté de ces grands écrivains étaient les pédants. Les universités, les collèges étaient pleins de ces savants en perruque et en rabat, qui faisaient consister leur plus haute gloire à parfaire une période carrée. Ils étaient profonds dans la science des membres et des incises, des figures de pensées et des figures de mots. Et ils composaient, d'après Cicéron, des harangues dédiées à Monseigneur le Dauphin, ou aux princes du sang. C'était tantôt la vertu de Caton, tantôt celle de Brutus qui en faisait l'objet.
D'autres cultivaient la poésie : ils paraphrasaient et imitaient Horace : ils faisaient des odes sur Oreste et Pylade, sur Fulvie et les défaillances de Phébé, autrement dites éclipses de lune. Quelquefois ils composaient des hymnes ou traitaient des sujets sacrés; mais malheur alors au saint, malheur an mystère sur lequel tombait leur muse implacable. Bientôt comprimé dans la mesure du rythme horatien, affublé de haillons mythologiques, il perdait toute forme chrétienne. Les saints devenaient des divi heroes ; la sainte Vierge, une Diva potens la sainte Eucharistie, exigua Cereris imago ; et l'Amour divin, un jeune dieu qui, le carquois au côté, s'en allait, plein d'ardeur, lancer ses flèches sur les cimes des mortels.
Cette manie de faire entrer malgré tout; dans un moule païen des idées qui n'étaient nullement faites pour y entrer, produisait, dans la littérature latine de cette époque, une boursouflure extravagante. Tous ces écrivains chrétiens-païens du XVIIe siècle ont un style emphatique, savant, si l'on veut, mais extraordinairement contourné. Et où donc auraient-ils pu prendre une noble simplicité?
Pour le français, il faut convenir que le XVIIe siècle le parla et l'écrivit magnifiquement. Mais avec sa belle langue, et avec le grand nombre de ses grands écrivains, il nous fit une littérature qui n'est ni française, ni chrétienne. A peu près tout ce que nous réputons chef-d’œuvre est païen pour le fond. Il n'y a que fort peu d'exceptions, et ces exceptions ne furent pas toujours reçues favorablement. On sait quel accueil fut fait à Athalie.
L'esprit littéraire du XVIIe siècle s'alliait, d'ailleurs parfaitement avec l'esprit janséniste. Cette littérature solennelle, pour ne pas dire guindée, sévère sur les principes de la forme, proscrivant tout ce que l'idée chrétienne peut fournir de gracieux, de mystérieux, (le profondément poétique, était en harmonie avec les sentiments d'une secte qui rejetait tout le côté charmant et doux de la religion catholique : ses légendes, son symbolisme, un grand nombre de ses miracles, son surnaturalisme intérieur et extérieur. Le jansénisme du XVIIe siècle, avec ses allures raides et froides, préludait à l'incrédulité railleuse du XVIIe. La littérature du XVIIe siècle, avec sa forme païenne et pompeuse conduisait à la littérature élégante et impie du XVIIIe.
En effet, ce fond d'esprit do foi qui avait continué de subsister malgré tout, et qui avait sont vile encore le XVIIe siècle, disparaissait insensiblement sous les efforts inconscients des écrivains et des pédants ; et à mesure qu'il disparaissait, les idées païennes s'intronisaient de plus en plus. Le naturalisme gagnait avec le paganisme, et l'incrédulité avec le naturalisme. Le mode d'instruction était toujours le même, avec cette différence que la sève chrétienne tarissait sans cesse dans l'enseignement, tandis que le poison païen s'y insinuait davantage. Dans les collèges, le paganisme avait de plus en plus les honneurs. On lui empruntait la matière de tous les devoirs classiques. Il embellissait de son concours toutes les solennités littéraires. On ne faisait pas un compliment, à quelque personnage que ce fût, sans y introduire ou les Muses ou les Grâces, ou Cyrus ou Cicéron. Brutus était un héros : Scévola un demi-dieu. Les écoliers s'exerçaient à faire des déclamations sur tous ces sujets. Les Vies des grands hommes de Plutarque remplaçaient les Vies des saints. Rollin écrivait ses fameuses Histoires ancienne et romaine où les héros de l'antiquité font si parfaite figure qu'on rougit après eux de parler des héros chrétiens, et qu'on ne trouve plus, dans l'histoire de l'Eglise, que des sujets de honte
En même temps, à côté de ces pédants sérieux et toujours solennels, on en trouvait aussi de plaisants et de galants. A la cour, à la ville, en province, c'était partout le même pédantisme plein d'affectation, vide de naturel. Les élégants courtisans rimaient des envois à leurs Phébés et à leurs. Philis, et confiaient leurs vers à l'aile des zéphyrs. Les abbés de cour composaient des pastorales sentimentales et des madrigaux en l'honneur des dames. La poésie pastorale avait un charme particulier pour cette génération blasée, qui dormait sur les volcans, et portait dans son sein tant de monstres. Mais ces monstres eux-mêmes étaient alors à l'état de beaux esprits, et plusieurs se plaisaient à rimer des idylles.
Enfin, on ne trouvait plus dans toute la littérature, de vent, ni de grandeur : nul sentiment sincère, nulle passion du beau Tout y était :
... Sec, compassé,
Pincé, passé, cassé, glacé,
Brillant, mais d'un éclat fragile.
L'esprit chrétien n'y existait plus : et le protestantisme païen, ayant éteint le dernier souffle de foi, cette littérature ne produisait que des œuvres de mort. Il ne restait maintenant qu'à descendre des idées païennes aux faits païens, de la théorie à la pratique. Et c'est ce qui n'allait pas tarder. Les beaux esprits et les rhéteurs de la veille allaient bientôt devenir les révolutionnaires du lendemain. Après avoir déclamé sur les vertus de Brutus, ils allaient les imiter ; après avoir chanté les douceurs de la liberté antique et la félicité des anciennes républiques, ils allaient s'efforcer de faire régner par la main du bourreau cette liberté et cette félicité.
La révolution française, née de la tradition païenne, fit, comme elle le proclamait elle-même, son type du paganisme. Son idéal fut de le faire revivre : elle prit des noms païens elle fit des lois païennes; elle établit des constitutions copiées sur le modèle des républiques classiques. Il y eut alors des fêtes nationales imitées de la Grèce : fête des époux, fête de la vieillesse, fête de l'agriculture, fête de la raison... Les magistrats y prononçaient des harangues sur la morale républicaine. Les patriotes vertueux et les vénérables matrones y menaient ensemble des danses pudiques en l'honneur de la nature : des chœurs de jeunes vierges couronnées de fleurs et de jeunes garçons couronnés de lauriers se mêlaient à ces danses, et chantaient des hymnes patriotiques composées par les poètes nationaux : Alors on portait triomphalement au Panthéon avec une pompe reproduite des triomphes romains les restes de Rousseau, de Marat, de Le Pelletier, ces hommes dont le génie ou le dévouement honoraient l'espèce humaine.
Et pour que rien ne manquât à ces fêtes, il y avait aussi des sacrifices. On immolait des hécatombes; et c'étaient, perfection du genre, des hécatombes humaines ; c'étaient des ennemis de la République que l'on dévouait pour le bonheur de la patrie, pour le salut de la nation.
Ce règne sanguinaire du paganisme sous la Convention fut suivi d'un règne d'un autre caractère, plus hideux encore, sous le Directoire. Là on se jeta à corps perdu dans le paganisme : tout fut païen : ameublements, ornements, costumes ; les femmes s'habillaient comme les déesses des grecs. Plus que tout autre chose encore, ce qui fut païen, ce furent les mœurs. Elles le furent abominablement : on en peut lire le détail dans les histoires. Sous la Convention, on marchait dans le sang : sous le Directoire, on se vautra dans la boue. Cette société révolutionnaire, tirant des idées païennes dont elle s'était nourrie, toutes les conséquences pratiques, rivalisait avec la société romaine des époques de Sylla, d'Antoine, de Néron. Digne fruit de l'éducation classique, terme fatal où devait aboutir la Renaissance, jointe à la Réforme. Pour avoir voulu substituer le paganisme au christianisme dans la langue, on l'y avait aussi substitué dans les idées, puis dans les mœurs : et la société paganisée était tombée là où nous venons de la voir, là où elle avait mérité de tomber.
Heureux au moins si elle eut su profiter de la terrible leçon ! Elle l'a fait, mais incomplètement.
On prétendra peut-être que nous avons été trop loin dans nos déductions. Nous disions que pour caractériser l'enseignement, classique, l'histoire exigerait sans doute des termes plus forts que ceux de faux et de ridicule. S'il est vrai que cet enseignement ait eu sa large part dans la grande œuvre de corruption qui s'est opérée durant les trois derniers siècles, et qui a été couronnée par la révolution, il faut convenir qu'il ne suffit pas de l'appeler ridicule. Et si, à cause de ses sanglantes conséquences, on ne veut pas que nous l'appelions de ce dernier nom, on nous permettra du moins de maintenir qu'il est faux, et d'ajouter qu'il est dangereux.
L. PETIT.
mercredi 18 février 2015
Saint Antoine du désert contre les philosophes païens.
De la prudence et de la vivacité d'esprit de saint Antoine et comme il confondit deux philosophes.
Il était extrêmement prudent et, ce qui est admirable, n'étant point instruit aux lettres humaines, il avait une vivacité d'esprit et une intelligence non pareilles. Comme il était sur la montagne la plus proche, deux philosophes grecs l'étant allé trouver à dessein de le surprendre, il reconnut dans leur visage qui ils étaient et, allant au devant d'eux, leur dit par un interprète: « Pourquoi vous travaillez-vous tant, o philosophe, pour venir trouver un homme stupide? » A quoi répondant que non seulement il ne l'était pas, mais qu'il était fort sage et fort habile, il leur réplique : « Si vous êtes venus vers moi comme vers un insensé, vous avez pris inutilement beaucoup de peine et, si vous m'estimez sage, devenez sages comme moi : il faut imiter ce que l'on estime bon. Et, comme si j'étais allé vers vous je vous imiterais; puisque vous êtes venus vers moi, c'est à vous à vous rendre semblables à moi. Or je suis chrétien ». Ils s'en allèrent sur cela pleins d'étonnement et ayant reconnu que les démons mêmes le craignaient.
D'autres de ces sages selon le monde l'étant venu trouver au même lieu et croyant se moquer de lui à cause qu'il n'avait point étudié, il leur dit : « Qui tenez-vous être le premier, ou l'esprit ou les sciences et lequel des deux est la cause de l'autre, ou l'esprit des sciences ou les sciences de l'esprit? » Sur quoi répondant que l'esprit précédait les sciences, puisqu'il en était l'inventeur, il leur répliqua : « Les sciences ne sont donc pas nécessaires à celui qui a l'esprit sain et solide ». Cela les ayant surpris et tous ceux qui étaient présents, ils s'en allèrent avec admiration de voir une si grande vivacité d'esprit dans un homme sans lettres.
Sa manière d'agir, qui n'avait rien de rustique ni de sauvage, n'était point d'une personne nourrie et vieillie sur une montagne. Mais il était civil et agréable et ses discours étaient tellement assaisonnés du sel d'une sagesse divine que tous ceux qui le venaient voir recevaient de la joie et de la consolation de ses entretiens, sans pouvoir trouver à redire à ses actions.
Vie de Saint Antoine par Saint Athanase
samedi 14 février 2015
Père Onésime Lacouture - 1-27 - La volonté divine
VINGT-CINQUIÈME
INSTRUCTION LA VOLONTÉ DIVINE.
«Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel! » plan (Libre En elle-même… ……… (Immuable
(Aimable
(Parfois gênée La volonté
divine Dans ses effets……… (Variable (Souvent désagréable (Toute sainteté Est le
principe de……… (Toute efficacité (Toute félicité Se présente: Comme dans
l’Annonciation… Conséquence: Indifférence.
LA VOLONTÉ DIVINE… Nous
voici rendus au terme des subdivisions du souverain domaine de Dieu: tout ce
que nous avons dit à ce sujet se termine à la volonté divine: la fin de l’homme
d’une façon concrète. Elle vaut la peine
qu’on lui consacre une méditation complète, même si on revient à quelques idées
déjà méditées, puisque celle-ci est comme la conséquence de tout ce que nous
avons dit de la volonté divine.
Comme elle est la source
de toutes les bénédictions que nous recevons du ciel, on ne peut jamais trop la
considérer. Elle est la moelle et
l’essence de la vie spirituelle.
Examinons quelques-unes de ses qualités pour mieux l’accepter dans notre
vie pratique. en elle-même…
Elle est libre de faire
ce qu’elle veut. Qui pourrait l’empêcher
d’agir à sa guise? Elle est infinie et
donc suprême en tout. En théorie, nous
acceptons tous cette vérité évidente.
Mais en pratique combien la nient par leur façon d’agir! Tous les impatients, les énervés, tous ceux
qui disputent, qui se mettent en colère contre les personnes et les choses n’admettent
pas que Dieu soit libre de faire ce qu’il veut.
Car nous avons bien montré que absolument tout ce qui arrive vient
sûrement de Dieu, excepté nos péchés, que nous faisons nous-mêmes. Nous avons donc tous besoin d’approfondir
davantage ces vérités que nous ne pratiquons pas assez encore dans la vie. La liberté d’un être intelligent est entravée
par des choses qui ne dépendent pas de lui, soit dans les événements soit dans
les personnes dont la volonté peut s’opposer à la sienne. Mais rien de cela en Dieu, comme il est le
créateur de tout l’univers et qu’il a tout disposé comme il l’a voulu lui-même,
personne ne peut l’empêcher de faire ce qu’il veut. Il est le seul être infini et tout puissant;
donc il n’y a absolument rien qui puisse s’opposer à sa volonté dans ce qu’il
veut faire.
Sa volonté est la
dernière raison de toutes choses au monde.
Il nous l’a donnée comme échantillon de sa liberté. Qu’on demande à un cultivateur pourquoi il a
semé de l’avoine dans telle pièce, il répondra: parce qu’il l’a voulu! Qu’on demande à une cuisinière pourquoi elle
a fait cuire un rôti au lieu d’un bouilli, elle peut répondre: parce qu’elle a
voulu… Appliquons cette connaissance de la liberté de Dieu dans tous les cas
qui ne nous plaisent pas afin de ne plus jamais critiquer la volonté
divine. Pourquoi a-t-il fait les hommes
si bornés? Parce qu’il l’a voulu! Pourquoi les a-t-il faits si contraires les
uns aux autres? Parce qu’il était libre
de le faire et qu’il l’a voulu. Prenons
donc une bonne fois la résolution de respecter cette liberté de Dieu dans sa
demeure qui est l’univers. Surtout
maintenant que nous savons comment il dirige tous ses êtres libres comme il le
veut: donc tout ce qui nous vient des personnes nous vient de Dieu: adorons sa
sainte volonté en tout et surtout dans ce qui nous est désagréable, car c’est
là que nous sommes exposés à critiquer.
Qu’on ne regarde pas cette pratique comme une affaire de pure dévotion;
il s’agit de nous assurer le ciel! Si on
est mécontent de sa volonté on le mécontente et on s’éloigne de lui en
proportion. Alors mettons-nous-y
sérieusement; cessons de critiquer!
Améliorons ce que nous pouvons et laissons le reste à Dieu sans murmurer
contre lui.
Elle est immuable. Comme l’intelligence de Dieu est infinie,
elle voit tout de suite les fins qu’elle veut et les meilleurs moyens pour les
obtenir, de sorte qu’elle ne tâtonne jamais ni ne se corrige; elle ne change
donc jamais. Cependant Dieu par sa
volonté immuable, veut les changements qu’il y a dans le monde, comme celui des
saisons, des âges, des humeurs et des dispositions chez les hommes. Alors à quoi bon prier? N’est-ce pas influencer la volonté divine? Sûrement il faut prier, mais Dieu a vu cette
prière de toute éternité et il a voulu alors ce qu’il veut après notre
prière. Comme un père de famille
pourrait acheter d’avance une montre à son fils parce qu’il sait qu’il va lui
en demander une. Pourquoi n’essayons
nous pas d’imiter Dieu dans son acte éternel en autant que nous le pouvons,
même avec notre nature si changeante? On
pourrait dire à Dieu quelque chose comme ceci: Mon Dieu, j’accepte tout de
suite, par un acte réfléchi, toutes les variations des dispositions et des
conditions des personnes avec lesquelles je vivrai dans l’avenir. Quand j’en verrai de bonne humeur, je
m’attendrai à les voir de mauvaise humeur le lendemain, comme cela se voit si
fréquemment. Alors je ne serai plus
renversé de voir des gens de mauvaise humeur qui me critiquent, m’injurient et
me font du tort; je m’y attends et je le veux tout de suite tel que Dieu le
veut lui aussi tout de suite. Je fais de
même pour mes propres changements d’humeur et je ne me plaindrai pas quand je
serai triste ou impatient ou en colère.
Ce n’est sûrement pas facile, nous sommes si peu habitués à imiter Dieu;
mais il y a un commencement à tout; essayons de participer à l’immutabilité de
la volonté de Dieu en voulant tout de suite ce qui nous arrivera dans tout le
cours de notre vie… et attendons-nous à tout au monde! Quand un homme ouvre un magasin, est-ce qu’il
n’accepte pas tout de suite d’être dérangé par la clientèle? Quand on entreprend un voyage en mer, est-ce
qu’on n’accepte pas tout de suite d’être ballotté par les vagues? Eh bien!
pourquoi ne pas accepter tout de suite toutes les traverses et toutes
les épreuves de la vie humaine? Nous
avons vu dans les méditations précédentes que tout ce qui massacre le païen est
normal dans la vie d’un chrétien et dans le plan de Dieu; il faut donc s’y attendre. Ne soyons donc plus étonnés, renversés de ce
que ces contrariétés nous arrivent. Ne
changeons plus dans notre acceptation!
Imitons l’immutabilité de la volonté divine. C’est un des plus beaux actes d’amour de Dieu
qu’on puisse faire. Que de mérites sont
attachés à cette pratique qui unit notre volonté à celle de Dieu d’avance avec
d’autant plus de mérite. Quelle source
de paix et de bonheur elle met dans le coeur.
C’est un acte admirable aussi de confiance sans limite en la bonté de
Dieu.
Elle est aimable. Dieu nous a créés pour nous communiquer son
bonheur et il a créé le monde pour nous aider à parvenir à ce bonheur; il est
donc évident que sa volonté ne veut que le bien de l’homme et en ce monde et en
l’autre. Même après le péché, le fait
qu’il nous livre son Fils unique pour le réparer, montre bien qu’il veut nous
faire arriver à son bonheur céleste et cela au moyen des créatures; il n’y a
donc que du bien pour l’homme en tout ce que Dieu veut. Il ne s’agit pas ici de savoir que la volonté
est aimable, il faut nous en convaincre assez pour que nous le montrions dans
notre manière de recevoir d’elle tout ce qu’elle nous présente dans les
épreuves comme dans les bienfaits.
Voyons l’amour de Dieu en tout ce qui nous arrive Attachons-nous donc à
la volonté de Dieu en elle-même et pour elle-même; elle renferme toutes les
perfections divines. Comme le soleil est
toujours beau en lui-même ainsi la volonté divine l’est aussi en elle-même. Ce qui le fait varier vient de la terre et de
ses brouillards qui s’interposent entre nous et le soleil. Sur terre nous ne pouvons éviter ces
variations du soleil, mais dans l’ordre surnaturel, par la grâce de Dieu, nous
pouvons nous élever au-dessus de nous-mêmes et de nos humeurs et passions pour
contempler la volonté divine en elle-même avec tous les avantages merveilleux
pour la paix, le mérite et le bonheur de l’âme même sur la terre dans les
ténèbres de la foi. dans ses
effets. Il est bon de repasser ces
apparences en nous parce que c’est la façon ordinaire de la juger
faussement. Il faut nous défaire de la
juger dans ses effets, parce que ces effets viennent de nos déficiences d’une
façon ou d’une autre. Nous n’avons pas
le droit d’en tenir Dieu responsable et de le juger selon ces effets en nous. Car tout ce qu’il y a de désagréable en elle
vient de nous. Voyons quelques-unes de
ces causes qui font qu’elle est….
parfois gênée… Le péché est une révolte contre la volonté de Dieu; c’est
là seul que Dieu ne fait pas ce qu’il veut.
Pour un temps le pécheur gêne donc la volonté divine dans l’exercice de
sa liberté. Dans l’éternité le pécheur
retombera sous la volonté divine pour son malheur. S’il ne veut pas se soumettre à l’amour de
Dieu, il se soumettra malgré lui à sa justice éternelle. Les attaches aux créatures paralysent la
volonté divine dans le bien qu’elle voudrait nous faire. Car Dieu est amour et il ne peut supporter un
amour rival au sien; il lui ferme ses trésors de grâces. Tout chrétien est tenu de s’en défaire le
plus possible avec la grâce de Dieu, car il perd énormément en les cultivant
même dans les bonnes choses en soi; Dieu n’en veut pas du tout comme on sait
par le premier commandement où il mobilise absolument toutes nos capacités
d’aimer pour lui seul.
Le manque de foi. Comme Jésus fit peu de miracles à Nazareth
parce que ses compatriotes n’avaient pas de foi en lui, ainsi, le manque de foi
en un chrétien empêche Dieu de lui faire du bien comme il voudrait; cela
paralyse donc la volonté divine. C’est
par la foi qu’on monte dans le surnaturel où Dieu opère par sa grâce; celui qui
ne l’a pas ou peu perd beaucoup.
L’ignorance du plan divin, comme par exemple dans la folie de la croix,
empêche la volonté de Dieu de donner une foule de grâces, car ces gens
regardent comme un mal ce qui est un grand bien, et comme un bien ce qui est
contraire au plan divin. Ainsi, que Dieu
leur oppose un imbécile qui contrarie leur jugement, ils voient là un mal pour
eux quand Dieu leur donnait simplement une occasion de renoncer à leur jugement
pour leur donner sa sagesse divine à la place.
On voit combien nos défauts de toutes sortes peuvent paralyser la
volonté de Dieu pour nous faire du bien.
À nous donc de les diminuer le plus possible. Elle est variable comme les choses terrestres
le sont. Celui qui s’attache à ces
changements extérieurs plutôt qu’à la volonté de Dieu, va passer par toute la
gamme des émotions humaines: que d’impatiences et d’énervements pour lui! Exemple: dans un collège, supposons qu’on
change un professeur de classe chaque semaine.
Combien peu se promèneraient de classe en classe sans murmurer contre le
supérieur et même qui accepteraient de changer!
Puisqu’ils sentent des déchirements intérieurs, c’est donc qu’ils ont
laissé une partie de leur coeur dans leur ancienne classe; ils n’enseignaient
pas uniquement pour faire plaisir à Dieu et faire sa volonté, mais en bonne
partie pour leur propre satisfaction.
Car celui qui fait tout seulement pour Dieu ne voit que sa volonté en
arrière de tous les changements qui le touchent et il les suit sans aucune
difficulté: c’est qu’il déménage chaque fois, corps et âme, heureux de suivre
son unique trésor, la volonté de Dieu.
Quand on voyage dans un train à 50 milles à l’heure, si on s’attache aux
choses qui passent à côté du train, il y aura de sérieux inconvénients. Mais que fait-on? On cause par exemple avec un compagnon qui
voyage comme moi et nous allons d’une ville dans une autre sans nous occuper
même des changements extérieurs au train.
Eh bien! Pourquoi ne pas faire la
même chose dans notre grand voyage à travers la vie du monde: occupons-nous
seulement à causer avec la volonté de Dieu qui nous suit partout où nous allons
pour nous donner des biens infinis! Elle
devrait nous suffire! Pourquoi alors
nous arrêter aux changements extérieurs?
Promenons-nous donc avec elle à travers toutes les variations des choses
humaines sans même les remarquer si possible!
On remarque que dès que Dieu appelle quelqu’un à la sainteté, il le fait
voyager constamment pour le détacher des choses du monde comme il fit pour
Abraham, Jacob et Joseph, etc.
Aidons-lui donc à nous détacher en cessant de nous accrocher à quelque
poste, à quelque maison, ou quelque personne ou quelque ville. Le degré de notre paganisme est manifesté par
ces attaches à toutes ces niaiseries de la vie humaine. Ce sont ces païens qui murmurent contre les
fréquents déplacements que la providence exige de tous ceux qu’elle veut
sanctifier. Nous sommes des voyageurs et
des pèlerins en ce monde, nous dit l’Écriture, nous cheminons vers notre vraie
patrie le ciel; pourquoi nous attacher aux diverses choses qui bordent la route
vers le ciel? Celui qui vit de foi cesse
de voir les variations dans la volonté divine à cause de ses effets: il ne
s’attache qu’à elle et alors il retombe avec elle dans l’immutabilité divine et
de l’éternité avec toutes les heureuses conséquences pour sa paix, son mérite
et son bonheur même en ce monde. Que de
fois on entend dire aux inférieurs que leur supérieur ne sait pas ce qu’il
veut: il dit: oui, et deux minutes après il dit: non! Aujourd’hui il est de bonne humeur et demain,
de mauvaise humeur; il change comme le vent et ses inférieurs s’impatientent de
ces variations chez le supérieur. Mais
on devrait voir maintenant que c’est un supérieur idéal pour sanctifier ses
inférieurs s’ils avaient un grain de foi surnaturelle! Quelle bénédiction Dieu leur fait là et ils
sont trop païens pour l’apprécier!…
Souvent désagréable. Ce point revient pratiquement au
précédent. Parmi ces variations de la
volonté divine quant à nous, à cause de notre condition humaine, il y en a
beaucoup qui nous sont désagréables.
Car, non seulement nous avons à expier nos péchés, mais après cela et en
même temps que cela, nous avons toute notre activité naturelle à diviniser,
nous avons donc à renoncer à notre païen ou au vieil homme naturel auquel nous
tenons mordicus par nature. Dieu est
obligé de nous amputer tout ce naturel comme le chirurgien ampute en nous tout
ce qui est gangrené. Pour ces opérations
Dieu se sert de ses créatures selon son bon plaisir. Allons-nous prendre 50 ans pour l’admettre et
pour le pratiquer? Est-ce que le bonheur
du ciel ne vaut pas toutes ces souffrances?
Tous les plaignards le sont parce qu’ils n’ont jamais ou trop rarement
réfléchi sur la sublimité de cette participation à la vie intime de la Trinité
au ciel. En proportion que nos chrétiens
pensent sérieusement à la grandeur du bonheur du ciel, ils sont patients pour
supporter les épreuves de la vie, sachant bien qu’ils seront heureux dans la
mesure où ils participeront au calice de N.
S. Ces idées ne sont pas
seulement pour l’esprit, mais pour le coeur et donc pour la vie pratique. Que pas un de nous ne se plaigne à l’avenir
des contrariétés que Dieu lui envoie pour le diviniser. Faisons tout de suite la volonté de Dieu
comme au ciel. Elle est le principe… de
toute sainteté. La sainteté de Dieu
consiste dans l’adhésion de sa volonté pour ses perfections infinies. En d’autres termes qui seront mieux compris
par nous, elle est son amour-propre, mais en lui parfaitement légitime parce
que ses perfections lui appartiennent en propre. Si donc on veut la volonté de Dieu, on veut
tout ce qu’elle veut elle-même, ses propres perfections. De cette sorte nous participons à sa sainteté
à mesure que nous adhérons à sa volonté.
Comme pour nous, la
volonté divine se manifeste à travers tous les événements et les personnes qui
viennent en contact avec nous, il faut le savoir et profiter de ces contacts
pour faire la volonté divine. Comme une
femme brode un nom avec des centaines de coups d’aiguille, ainsi Dieu brode son
nom en nous ou son union avec nous par des milliers de coups de
providence. Ou encore, comme un
historien écrit une histoire par des milliers de lettres juxtaposées selon son
intelligence et sa volonté, ainsi Dieu écrit l’histoire de mon union avec lui
par des milliers d’événements souvent bien insignifiants, mais qui dans
l’ensemble font mon union avec la volonté divine en proportion que je vis de
foi et donc ma sainteté. Vues de cette
façon, les créatures nous apportent quelque chose du Créateur: c’est l’ensemble
de tout ce divin qui fait notre sainteté.
Mais cela est à la condition de recevoir la volonté divine dans la chose
qu’elle me présente. Si on dispute, si
on s’impatiente, on perd le divin. De
même si on perd son temps à analyser le pourquoi de la volonté divine on perd
en proportion. Les uns objectent: je ne
sais pas si telle chose me vient de Dieu.
Du moment qu’elle ne vient pas de notre volonté, on peut toujours dire
qu’elle vient de Dieu, même en passant par le démon! D’autres ne savent pas s’ils avancent en
vertu et voudraient le savoir. Eh
bien! moi non plus je ne le sais pas… et
ce m’est égal! Ce n’est pas le savoir
qui compte devant Dieu mais le vouloir!
Du moment qu’on veut sincèrement se sanctifier, on peut être sûr que
cela est agréable à Dieu; que pouvons-nous désirer de plus? De toute efficacité. La volonté de Dieu est l’âme des choses; elle
leur donne la vie et le mouvement et donc le rendement en faveur de
l’homme. Que de fois dans l’Écriture
Dieu fait dire à son peuple qu’il le bénira s’il observe ses commandements et
qu’il le punira s’il lui désobéit. Alors
dès que la volonté de Dieu n’est plus là, les choses ne valent plus rien pour nous
au point de vue du mérite éternel. Qu’on
aime sa mère tant qu’on voudra, dès que son âme la quitte, on l’enterre, elle
n’est plus qu’un cadavre pour la famille.
Eh bien! qu’on aime un emploi,
une maison, un ami ou tout autre chose, dès que la volonté de Dieu n’est plus
là, ces choses ne sont plus pour nous que des cadavres!!! Tout chrétien devrait donc toujours s’assurer
de la volonté de Dieu dans tout ce qu’il entreprend. Il veut faire un voyage, qu’il consulte Dieu
d’abord, pour voir s’il est parfaitement conforme à sa volonté; il veut acheter
une maison ou une ferme, qu’il s’arrête avant de conclure le marché et qu’il
prie, qu’il consulte Dieu pour voir si cet achat est bien conforme à la volonté
de Dieu. Quand même il n’aurait pas une
réponse bien nette par quelque bonne inspiration, le seul fait qu’il a consulté
Dieu lui plaît et il bénira cet achat.
Dans l’Ancien Testament il y a plusieurs cas où Dieu a puni les Juifs
parce qu’ils avaient consulté des païens au lieu de le consulter lui, leur
Dieu. Quand ils le consultaient d’abord,
il les bénissait. Or c’est encore le
même Dieu pour nous et aussi jaloux pour sa gloire. Quand un homme ne consulte que les hommes ou
son propre jugement, Dieu lui envoie un fiasco pour l’en punir. Voilà ce qui explique tant de ménages plus ou
moins malheureux! Ils n’ont pas consulté
Dieu avant de se marier, mais ils ont suivi leurs passions, leurs goûts
particuliers, ou n’ont consulté que des hommes.
Avant de faire un pas dans cette importante affaire tout chrétien
devrait prier longtemps, consulter Dieu et s’efforcer de découvrir si c’est
bien la volonté de Dieu qu’on se marie et qu’on marie telle personne. L’archange Gabriel dit à Tobie que les maris
de Sara avaient été tués par le démon le premier soir de leurs noces parce
qu’ils n’avaient consulté que leur nature et non pas Dieu. C’est évident que la leçon est pour tous les
âges puisque le St Esprit l’a fait écrire dans la Bible. De nos jours tout le monde voit des exemples
frappants de cette doctrine. Après les
deux grandes guerres mondiales, le grand Conseil des Alliés, réuni pour faire
la paix, a perdu tous les fruits de ces deux victoires justement parce qu’il
n’a pas voulu consulter Dieu. Ils n’ont
pas même fait une prière au commencement de leurs assemblées. Eh bien!
ils ont voulu régler la paix sans le concours de Dieu et c’est un fiasco
phénoménal. Ils ont semé des divisions
pour de futures guerres et ils ont perdu tous les avantages de leurs victoires
complètes… Mais ces païens n’ont pas encore appris leur leçon: ils continuent
de vouloir mener le monde sans Dieu et ils vont à la ruine. C’est la débâcle totale en toutes
choses. Eh bien! que chacun commence dès aujourd’hui à mettre
Dieu en tête de toutes ses actions et de toutes ses entreprises. En proportion de ce qu’on veut faire, qu’on
prenne du temps pour tout régler avec Dieu d’abord. Trop de religieux et de prêtres oublient ces
exigences de la gloire de Dieu. On les
voit se choisir un homme éminent d’après eux, puis ils comptent sur lui pour
toute l’entreprise… et dans la même proportion leur grand homme gâte
l’entreprise… parce que ces gens qui l’ont mis là comptaient trop sur lui et
sur eux-mêmes dans ce choix. En
proportion qu’on oublie Dieu pour compter sur les hommes dans la même
proportion on ira à la débâcle! Mais qui
prend ces leçons des autres? Ils se
succèdent les uns les autres et font les mêmes bêtises que leurs prédécesseurs
tant ils sont païens de mentalité, remplis d’eux-mêmes et de leur suffisance. Voilà pourquoi Dieu ne les seconde pas et
qu’ils manquent leur coup…
De toute félicité. C’est la conséquence des deux autres points:
si on vit uni à la source de tous les biens et qu’on met sa confiance
uniquement en Dieu, on est béni de Dieu en tout; voilà la route du véritable
bonheur sur terre. On accomplit ce que
le premier psaume dit: «Bienheureux l’homme qui met son plaisir dans la loi de
Yahveh et qui la médite jour et nuit! Il
est comme un arbre planté près d’un cours d’eau, qui donne son fruit et son
temps et dont le feuillage ne se flétrit pas: tout ce qu’il fait réussit!»
Est-ce que ce n’est pas le succès que les hommes cherchent? Pourquoi alors ne pas prendre le seul moyen
de réussir en tout: s’unir à la volonté de Dieu d’abord et ne chercher que son
bon plaisir? Qu’on cesse donc de
s’appuyer sur les créatures quand le Créateur s’offre à nous pour nous donner
tout ce que nous voulons. Avec lui,
succès!
Sans lui, fiasco!…
manière de se présenter… Comme dans l’Annonciation. On sait que le plan divin est de nous
diviniser complètement afin de nous rendre aptes à participer à l’activité
trinitaire au ciel par notre union avec J-C.
Plus J-C. sera formé en moi et
plus il me communiquera le bonheur de la Trinité. Par conséquent notre sanctification est
l’incarnation continuée dans les membres du corps mystique de J-C. C’est donc tout le même mystique qui se
continue en nous tel que commencé en J-C.
Dieu nous a tout raconté l’Incarnation une fois pour nous montrer
comment il nous sanctifie, mais, maintenant, tout est invisible pour chacun de
nous, mais aussi réel que dans l’Annonciation et nous avons les mêmes
personnages pratiquement, puisque c’est le même mystère qui se continue. Comme il a fallu l’union de la volonté de
Marie à la volonté de Dieu, caché en arrière d’une créature, comme étant l’ange
Gabriel. Divisons le mystère en ses
parties pour mieux nous l’expliquer. Le
messager pour Marie est l’archange Gabriel; c’est lui qui lui apporte la
volonté de Dieu. Comme le mystère
dépasse toute compréhension humaine, Dieu veut montrer qu’il s’agit d’une
opération purement divine, c’est pourquoi il envoie un ange qui se manifeste à
Marie.
Quel sera notre messager
quand Dieu voudra nous donner plus de divin?
Il pourrait bien encore envoyer un ange, mais nous ne le méritons pas et
de plus Dieu veut exercer notre foi. Le
messager de la volonté divine pour nous est le devoir du présent, que ce soit
une personne à recevoir, un voisin à soulager, un service à rendre au prochain,
une tâche qui s’impose par mon devoir d’état, un événement qui m’arrive, une
charge qu’on m’impose, une maladie, un contretemps, etc. etc., tout cela est mon ange Gabriel qui
m’apporte la volonté de Dieu et qui me demande si je veux être la mère du divin
qu’il m’apporte… Un jour qu’on loue Marie, sa Mère, Jésus dit que tous ceux qui
font la volonté de son Père sont sa Mère!
C’est lorsqu’on fait la volonté de Dieu que le St Esprit forme plus de
divin en nous, ce qui est former Jésus en nous: nous sommes donc sa Mère en ce
sens.
On voit l’importance de
toutes les méditations où on explique comment voir la volonté de Dieu dans
absolument tout ce qui nous arrive excepté nos péchés. Celui qui ne voit pas comment Dieu vient en
lui, en arrière d’un ennemi, d’un méchant, d’un imbécile, etc. perd toutes ses chances de voir Jésus formé
en lui faute d’union avec la volonté de Dieu qui se cache en arrière de ces
personnes désagréables. Le message de
l’archange Gabriel est le plus merveilleux jamais venu du ciel: le Verbe va se
faire homme pour vivre comme nous sur la terre et surtout pour y souffrir et
être crucifié pour expier nos péchés.
Pour Marie, ce message dépasse toute la nature humaine, car après
qu’elle a dit qu’elle ne connaissait pas d’homme et évidemment dans le sens
qu’elle ne pouvait pas à cause d’un vœu très probablement. L’ange le comprend ainsi puisqu’il lui dit
qu’elle n’aura pas besoin de l’homme puisque ce sera par la vertu du St Esprit
qu’elle deviendra mère. Jamais Dieu
n’avait demandé une chose aussi impossible à sa créature, et aussi jamais une
créature n’a reçu autant de divin que Marie puisqu’elle a reçu le Verbe en
personne. Dieu a fait ce grand miracle
parce que la Ste Vierge a cru en la parole de Dieu. Il en sera de même pour nous: plus ce que
Dieu demande est difficile, absurde et désagréable et plus il y a du divin pour
nous à condition que l’on croie en Dieu.
Par exemple, quel immense sacrifice Dieu demanda quand il exigea
d’Abraham qu’il lui immolât Isaac! Eh
bien! Dieu bénit Abraham et lui promit
que le Messie sortirait de sa race et que lui-même serait béni en ce
monde. De même les grandes épreuves de
Joseph lui attirèrent de très grandes bénédictions du ciel. Par conséquent dès qu’une épreuve quelconque
nous arrive, au lieu de ne voir que ce que nous perdons, pour critiquer et
murmurer contre la Providence, voyons donc tout de suite simplement comme un
ange de Dieu qui nous apporte l’offre de devenir la «mère» de Jésus dans un
certain degré, en proportion que nous croyons en la parole de Dieu que cette
créature nous apporte de la part de Dieu.
Et plus elle nous est pénible et plus Jésus sera formé en nous si nous
l’acceptons en esprit de foi. Ceux qui
croient à la présence réelle dans l’hostie consacrée devraient croire aussi
bien à la volonté de Dieu dans tout événement qui lui arrive de la part de
Dieu, ou en tout ce qui lui vient des personnes. C est le même Dieu qui nous enseigne ces deux
manières d’être du divin dans l’hostie consacrée et dans tout ce qui vient en
contact avec nous. Comme l’hostie
consacrée cache sous les espèces sensibles la présence de Jésus, ainsi toute
créature qui vient en contact avec nous cache l’action divine qui veut produire
Jésus en nous. «Le St Esprit vous
couvrira de son ombre». Pour nous cette
ombre est justement la créature qui se présente à nous dans notre devoir d’état
présentement. C’est une ombre parce qu
on ne voit pas le divin caché en elle.
Plus l’ombre est épaisse et plus il y a de divin. Ainsi, la conception de Jésus en Marie était
physiquement impossible aux yeux des hommes; il fallait donc une foi
extraordinaire pour y croire quand même.
Par exemple, il est plus difficile pour nous d’obéir à un supérieur
malcommode qu’à un bon supérieur; à un qui manque de jugement plutôt qu’à un
qui est sage, etc. Dans tous ces cas on
a beaucoup plus de mérite parce que l’ombre contredit notre jugement; elle est
donc plus épaisse, et il faut plus de foi pour croire à l’action divine quand
même. Cette doctrine est de nature à
nous donner une bonne dose d’humilité, car nous aussi nous sommes seulement une
ombre, qui cachons l’action divine dans le bien que nous faisons aux autres;
nous ne sommes que le messager de la volonté divine ou de la grâce. En Marie, ce n’est ni l’ange, ni l’ombre qui
a opéré la conception de Jésus, mais le St Esprit. Il en est ainsi pour moi quand je fais le
bien; ce n’est pas moi qui le fais, mais Dieu par moi et en arrière de
moi. Je ne suis que l’écran qui cache
l’action divine. Alors d’où peut me
venir le sujet de me glorifier? Il n’y
en a absolument aucun. Que Je ne
l’oublie plus dans le bien que je pourrai faire ou plutôt, pour parler selon la
foi, que Dieu pourra faire par moi, comme son instrument seulement, pas comme
cause du bien d’aucune façon. Quelle
idée pour nous garder humbles!
Quel dommage que les
fidèles ne sachent pas ce plan divin pour leur donner Jésus! Justement ce qui les contrarie le plus leur
apporterait plus de divin. Au lieu de
disputer ils devraient remercier Dieu à deux genoux de leur donner une si belle
chance d’exercer leur esprit de foi et de tant mériter pour le ciel. Quelle ignorance que de regarder comme un mal
ce qui les divinise le plus! ce qui va
leur donner le plus grand bonheur!
Les prêtres ont une
grande responsabilité de ne pas expliquer ces voies de Dieu pour nous
sanctifier. Qu’ils les étudient
davantage au lieu de perdre leur temps dans une foule de choses plus ou moins
profanes; ils devraient lire plus de livres spirituels, surtout ceux qui
traitent de l’ascétisme et de la mystique.
Ce serait plus catholique que de se passionner pour les sports de toutes
sortes! Le consentement de Marie était
la condition, non la cause de l’Incarnation.
Tout de même Dieu l’a attendu avant de lui donner Jésus. Il fait de même pour tout messager qu’il met
sur notre route pour nous apporter sa volonté; il attend que nous consentions à
ce qui nous arrive avant d’opérer une augmentation de Jésus en nous. Alors, que ce consentement soit clair,
catégorique et sans condition. C’est
Dieu qui a mis une personne bien désagréable pour vivre avec moi dans telle
communauté ou telle maison: eh bien! dès
que l’on comprend la situation, qu’on dise du fond du coeur à Dieu: Mon Dieu,
j’accepte de vivre avec cette personne de bon coeur, selon votre sainte
volonté! et qu’on le montre dans la
suite par la façon de traiter cette personne, exactement comme si elle était un
ange descendu du ciel pour m’apporter Jésus!
Voilà ce que des chrétiens doivent faire dans tout le cours de leur
vie. le devoir du présent est
important. Le passé n’existe plus et
l’avenir n’existe pas encore; alors je suis donc en communication avec Dieu
uniquement dans l’instant présent. Il
est donc important de rester en union avec Dieu à ce moment puisque c’est le
seul par où la grâce peut m’arriver. Si
je proteste contre mon messager de la grâce, je n’en reçois plus du ciel. Voilà pourquoi tous les démons font tant pour
faire murmurer les gens dans ce qui leur arrive. Exemple: une sphère métallique roule sur une
table électrisée. Le point de contact
change constamment, mais comme il y a de l’électricité partout, elle entre dans
la sphère par ce point de contact. Dès
qu’on le brise on empêche l’électricité de passer. Eh bien!
notre vie est comme une sphère qui roule sur le plan éternel et divin;
tant que notre volonté fait le contact avec celle de Dieu, la grâce s’écoule en
notre âme, mais dès qu’elle refuse son devoir du présent, elle retire donc sa
volonté et le contact- est brisé avec Dieu et la grâce cesse d’entrer dans
l’âme. Tous ceux qui désobéissent à
leurs supérieurs voient maintenant ce qu’ils perdent de divin. Un cultivateur dit à son fils de faucher
telle pièce de grain, le fils s’en va à la pêche; pendant tout ce temps la
grâce n’entre pas dans son âme; il n’a aucun mérite devant Dieu de sa
pêche. Un Curé dit à son vicaire d’aller
confesser à trois heures; il s’en va faire une promenade à la place; pendant
tout ce temps il perd son mérite qu’il aurait eu à confesser. Après avoir accepté l’épreuve, rien n’empêche
qu’on prenne les moyens convenables pour en sortir, comme dans une
maladie. Je l’accepte, puis ensuite je
vais voir le médecin. Cela n’est pas
contraire à la volonté de Dieu; ainsi dans toutes les épreuves… L’abandon à la
volonté divine est la conséquence de la doctrine que nous venons de
donner. Comme la Ste Vierge s est
abandonnée à Dieu dès qu’elle vit la volonté de Dieu; ainsi maintenant que nous
savons que la volonté de Dieu se manifeste à nous par le devoir du présent, il
faut nous abandonner parfaitement à cette sainte volonté qui se cache en
arrière du devoir présent.
Dans le ciel nous serons
parfaitement abandonnés à Dieu; eh bien!
il faut commencer tout de suite dans la foi ce que nous voulons faire
dans la gloire. Ce qui faisait la grande
difficulté d’accepter la volonté de Dieu dans les choses désagréables, notre
ignorance, nous ne pouvons plus la prendre comme excuse. Car nous savons maintenant que les choses
pénibles, même si elles viennent du diable, de fait viennent de Dieu pour nous;
qu’elles ont même d’autant plus de divin pour nous qu’elles sont contraires à
notre nature. Il n’y a donc plus rien
pour nous empêcher de nous abandonner parfaitement à la volonté de Dieu dans
tout ce qui nous arrive au jour le jour, ou mieux, instant par instant. L’indifférence D’après St Ignace, qui ne fait
que suivre la théologie, tous nos motifs d’agir doivent venir exclusivement de
notre fin dernière et donc de la volonté divine, qui est notre fin
dernière. Donc là où la volonté de Dieu
ne se manifeste point d’une façon ou d’une autre, je dois rester indifférent et
suspendre mon adhésion. Ce n’est donc
qu’en fonction de la volonté divine qu’on peut être indifférent, comme St
Ignace l’indique en disant: «Désirant et connaissant uniquement ce qui me
conduit plus sûrement à ma fin dernière.» Toute notre retraite jusqu’à présent
n’est qu’une préparation à faire la volonté de Dieu en toutes choses, sans
aucune exception, hors le péché évidemment.
Il ne faut pas essayer de prêcher l’indifférence en dehors de la volonté
de Dieu, comme certains commentateurs le font.
La seule raison de rester indifférent c’est quand on a compris que la
volonté de Dieu doit être le seul mobile de nos actions ou qu’elle est l’âme de
nos actions; alors quand elle n’est pas là il n’y a rien de bon pour nous là;
donc on reste indifférent. Demandons à
Dieu la grâce de ne plus vivre que pour la volonté de Dieu et selon la volonté
de Dieu; cultivons-la comme notre vie éternelle, car c’est elle seule qui va
nous la donner. Ce culte nous détachera
de tant d’imperfections dans la vie spirituelle qui rongent notre mérite: comme
notre amour-propre, notre gloriole, nos jouissances même spirituelles. En cultivant la volonté divine, on se
détourne de soi pour mettre Dieu le centre de notre vie; tout converge alors
sur Dieu puisqu’on ne cherche que sa sainte volonté en tout. Alors c’est la mort plus ou moins lente du
païen, mais la mort sûre avec le temps.
C’est l’oubli de soi pour mettre Dieu à la place de ce petit dieu rival
de Dieu même.
«Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel» montre ce que Dieu pense de cette doctrine
que nous venons de donner. C’est la vie
du ciel qui commence pour nous sur la terre; c’est le bonheur qui entre en
l’âme avec cette sainte volonté et c’est la vie intime avec la Trinité en union
avec Jésus qui se forme toujours de plus en plus avec notre union à la volonté
divine dans tout ce qui nous arrive de la part de cette sainte volonté… «Qu’il
me soit fait selon cette volonté» doit être le refrain habituel de tout
chrétien qui veut arriver au ciel.
mardi 10 février 2015
Gérard Malchelosse - Fille de joie ou fille du roi
Il s'est fait, autour de
cet ouvrage, avant même et depuis sa parution il y a un mois, une publicité qui
laisse entendre qu'avant M. Lanctot, rien ne s'est publié sur la, question tant
discutée de la pureté des origines de nos aïeules. Dans un interview accordé à
Madeleine Fohy-Saint-Hilaire (Le Petit Journal, 15 juin 1952), M. Lanctot
aurait dit qu'il en "était venu à traiter de l'émigration féminine en
Nouvelle-France, tout simplement après avoir constaté, en lisant et relisant
notre histoire, combien on avait négligé cet élément fondateur de notre passé:
la femme."
"Nos historiens,
continue M. Lanctot, paraissent avoir trop exclusivement mis en relief les
découvertes, les missions et les guerres. Il faudrait faire entrer dans
l'histoire toutes ces héroïnes anonymes des débuts et ces industrieuses
compagnes qui, dans la suite, ont contribué à l'égal de celles mentionnées, à
faire de la Nouvelle-France cette magnifique réussite sociale que représente
notre pays. Il le faut d'autant plus que j'ai lu et entendu trop souvent la
rumeur que nombre de nos aïeules avaient été recrutées dans les rues et ruelles
de Paris et que l'on s'est souvent permis, à tort, de les coiffer du titre de
filles de joie. Non seulement il n'est pas venu de France de femmes de mince vertu,
mais celles qui ont crânement bravé les interminables traversées et tempêtes
d'autrefois ont été choisies avec un soin particulier... Si la majorité d'entre
elles étaient d'industrieuses filles d'artisans ou de campagnards, une forte
proportion appartenaient à la noblesse et à la bonne bourgeoisie, pendant qu'un
deuxième groupe, plus nombreux, sortait d'institutions, hospices et
orphelinats, où elles avaient été fort bien éduquées, instruites et formées aux
travaux ménagers. C'est à elles que nous devons d'avoir si bien conservé ces
bonnes manières et cette courtoisie charmante qui faisaient dire à un
gouverneur anglais que "les Canadiens représentaient un peuple de
gentilshommes". Vous comprenez pourquoi je me suis mis à ''oeuvre afin de
rendre à ces vaillantes ancêtres l'honneur et la louange qui leur reviennent en
droit et balayer cette calomnieuse légende. Il est temps que justice et vérité
se fassent à leur égard."
En Vérité, il faut dire
que M. Lanctot traite dans ce livre d'une question longuement étudiée et mise
au point avant lui par de nombreux historiens canadiens: Benjamin Suite, le
premier et à plusieurs reprise(1), puis Joseph Edmond Roy (2), Gérard
Malchelosse (3), Robert La Roque de Roquebrune (4), Pierre Boucher (5), le Père
Archange Gobdout (6) ont fait, chacun séparément et à des époques distancées,
le procès des filles émigrées en Nouvelle-France. La cause était depuis
longtemps entendue, et le jugement rendu, quand M. Lanctot a repris le même
sujet.
M. Lanctot s'est donné
depuis quelques années pour mission de détruire les faussetés historiques (7).
Prenant pour acquis que les légendes ont la vie dure et qu'on ne les tue jamais
trop souvent puisqu'elles renaissent sans cesse, il a cru que le temps des
hypothèses ou affirmations hasardeuses était passé et qu'on ne pouvait plus
écrire sur notre histoire à moins de l'étudier à la loupe. D'aucuns ont
prétendu qu'il se plaisait aux paradoxes. Non pas. Un peu partout d'ailleurs,
les redresseurs d'erreurs historiques sont souvent regardés comme gens qui se
plairaient à contrarier le sentiment national.
Dans Filles de joie ou
Filles du roi, M. Lanctot reprend, explique, met au point ce que nous
connaissions déjà, mais sous une forme erronée ou incomplète. Il procède par
l'étude du détail, la recherche des faits et il y apporte un judicieux esprit
critique. Il élargit considérablement le champ exploité par ses devanciers. Il
ne dore pas non plus les pilules; il ne fait nullement appel à l'imagination.
S'il lui arrive de nous montrer le passé tout en beau, c'est qu'il n'a pu faire
autrement. Les faits qu'il rapporte confondent les calomniateurs et les
contradicteurs (Saint-Amant, Tallemant des Réaux, La Hontan, Le Sage, Manet,
Baudot, Bussy-Rabutin, Baugy, d'Aleyrac, Edouard Fournier, Robert Le Blant,
Claude de Bonnault, etc.) et le jour pénètre partout.
Il fut une époque dans l'histoire
de la Nouvelle-France où la population masculine excéda de beaucoup la
féminine. Aussi, durant la période de 1640¬1673 ou environ, les autorités
ont-elles encouragé l'émigration de jeunes filles au Canada pour donner des
épouses aux nouveaux colons. C'était alors tâche difficile que de faire passer
en Nouvelle-France des filles en nombre requis. Le recrutement a obéi, dès les
commencements, à des méthodes ou principes rigoureux. La proportion des élues
comparée à la demande est toujours restée infime. Les recrues étaient
surveillées avec soin; on s'appliquait à ne diriger vers les ports
d'embarquement, que des jeunes filles honnêtes, issues de familles
irréprochables, qui, pour la plupart, devenues orphelines ou pauvres, avaient
été élevées aux frais de l'État. Raison pour laquelle on les appelait "les
filles du roi". On ne sait peut-être pas assez, en France et ailleurs, que
chacun des colons venus au Canada, de 1634 à 1700, a son histoire; pas une
personne ne nous échappe, j'oserais dire. Tous ou presque tous, nous les
pouvons dire gens stables, de vie régulière et très religieux généralement. Au
Canada, il n'y avait guère place pour les personnes vicieuses. Quelle est donc
cette rage, qui de nos jours encore, porte certains auteurs à nous prêter des
origines impures et à soutenir que le Canada se serait peuplé de filles
chassées du royaume ? Au début de la colonie, le Canada avait mauvaise
réputation. On se rappelait les tentatives — heureusement avortées — de
Roberval et de La Roche pour transplanter en Amérique des repris de justice.
Puis, par la suite, on enleva de Paris des courtisanes qu'on envoya, à partir
de 1627, aux Antilles, puis à la Louisiane, de 1710 à 1740. Mais qui ne sait
que les écrivains de cette époque confondaient la Nouvelle-France avec les Iles
d'Amérique ?
Grâce aux historiens
consciencieux on sait maintenant à quoi s'en tenir. Depuis soixante ans, on a
fait bonne justice de tous les racontars malveillants débités sur la pureté des
origines des Canadiens français, hommes et femmes. M. Lanctot a eu l'excellente
idée de ramasser les accusations et de les confronter avec les textes
contemporains. S'il est vrai que la colonie du Canada a été une drôle
d'affaire, mal conduite jusqu'à 1663, alors qu'elle fut prise au sérieux par le
grand Colbert, — mais pour une trop courte durée, — il n'en est pas moins vrai
que l'on sut la préserver de tout temps de toute émigration louche. Le Canada
ne fut jamais une colonie pénale.
Le travail de M. Lanctot
peut se diviser en quatre parties: 1. La faillite des expéditions de Roberval
et de La Roche; 2. L'émigration féminine en Nouvelle-France, 1634-1663; les
filles du roi, 1663-1673; 3. Les filles de joie aux Antilles, 1627-1715; 4. Les
courtisanes en Louisiane, 1710-1740.
Les chapitres que M.
Lanctot consacre aux Antilles et à la Louisiane, bien qu'ils ne soient pas tout
à fait neufs pour les connaisseurs, renseigneront admirablement les lecteurs de
toute catégorie, puisque ce livre a surtout été fait pour le grand public.
L'auteur n'a pas, toutefois, traité de l'émigration des Françaises à l'île de
la Réunion, autrefois l'lle Bourbon, qui, elle aussi comme les lies d'Amérique,
reçut vers le même temps, un grand nombre d'orphelines et de filles perdues. Il
faut convenir que très peu d'erreurs se sont glissées dans l'étude de M.
Lanctot. Toutefois, lorsque l'historien écrit (p. 102) "qu'un millier de
soldats s'établirent dans la colonie, après le traité de paix imposé aux
Iroquois en 1667", il paraît bien qu'il soit en contradiction avec les
faits, puisque à peine 400 soldats furent licenciés ici en 1668. Lorsqu'il
réfute les méchancetés de La Hontan, il omet, intentionnellement ou non, de
dire qu'elles ont été démolies de pièce en pièce par Joseph-Edmond Roy et
Benjamin Sulte dès avant 1895. Quant à Le Sage, Aegidius Fauteux l'a réfuté
dans une savante étude sur les faux du chevalier de Beauchêne (Cahiers des Dix,
1937).
M. Lanctot s'est défendu
(p. 227) de faire un index, prétextant que son ouvrage est une monographie
restreinte à un seul sujet, et qui dès lors n'exigerait rien d'autre chose
qu'une table des matières. Pourtant un index approprié et bien fait n'aurait
pas été sans multiples avantages. Mais passons.
Filles de joie ou Filles
du roi, sans laisser d'emprunter à beaucoup d'autres historiens pour ce qui a
trait à l'émigration des filles en Nouvelle-France, est, en somme, un très beau
livre, plein de renseignements nouveaux, présentés et mis au point avec un art
consommé. M. Lanctot qui s'est formé à l'école des maîtres de la science
européenne, en a le langage précis, fort, imagé. L'ouvrage qu'il vient de
publier sera sans conteste d'un précieux et inappréciable concours à tous ceux
qui étudient l'histoire du Canada. Et il faudra être doublement aveugle, après
ce grand coup de l'auteur de Filles de joie ou Filles du roi, pour jeter le
moindre discrédit sur nos aïeules.
Gérard MALCHELOSSE
1. Histoire des
Canadiens-Français (1882); Prétendues origines des Canadiens-Français, M.S.R.C.
(1885); Défense de nos origines (1930); aussi plusieurs conférences sur le même
sujet.
2. Le Baron de La Hontan, M.S.R.C. (1894).
3. Travail lu devant la Société historique de Montréal, 31 mai
1922; The Gazette, 1 juin 1922; Le Canada, La Presse, Le Devoir, 2 juin 1922;
Défense de nos origines (1930) pp. 91-109; La Vie Canadienne, juin 1930;
Cahiers des Dix (1950), pp. 55-80.
4. L'Ordre, juillet 1934; L'Echo de Saint-Justin, août 1934;
BRH, 1939; La Guerre et l'Amour au Canada autrefois (1945).
5. Deux conférences devant la Société historique de Montréal,
1938 et 1939; "Mille filles du roi," ouvrage manuscrit que M. Lanctot
a pu longuement consulter puisqu'il en reproduit les statistiques à plusieurs
endroits; voir notamment, en note, à la p. 199.
6. BRH, 1939-1941.
7. Voir Faussaires et faussetés en histoire canadienne (1948)
et Réalisations françaises de Cartier à Montcalm (1951).
lundi 9 février 2015
Saint Pie X - Il fermo proposito
LETTRE ENCYCLIQUE SUR L'ACTION CATHOLIQUE ou ACTION DES
CATHOLIQUES
Aux Evêques d'Italie
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction
apostolique.
Le ferme propos (1) que Nous avons formé,
dès les débuts de Notre Pontificat, de consacrer à la restauration de toutes
choses dans le Christ toutes les forces que Nous tenons de la bonté du
Seigneur, éveille en Notre cœur une grande confiance dans la grâce puissante de
Dieu, sans laquelle Nous ne pouvons ici-bas concevoir ni entreprendre rien de
grand et de fécond pour le salut des âmes. En même temps, Nous sentons plus
vivement que jamais, pour ce noble dessein, le besoin de votre concours unanime
et constant, Vénérables Frères appelés à partager Notre charge Pastorale, du
concours de chacun des clercs et des fidèles confiés à vos soins. Tous, en
vérité, dans la Sainte Eglise de Dieu, nous sommes appelés à former ce corps
unique dont la tête est le Christ; corps étroitement organisé, comme l'enseigne
l'apôtre saint Paul (2), et bien coordonné dans toutes ses articulations, et
cela en vertu de l'opération propre de chaque membre, d'où le corps tire son propre
accroissement et peu à peu se perfectionne dans le lien de la charité.
Et si dans cette œuvre d'"édification
du Corps du Christ" (3) Notre premier devoir est d'enseigner, d'indiquer
la méthode à suivre et les moyens à employer, d'avertir et d'exhorter
paternellement, c'est également le devoir de tous Nos Fils bien-aimés, répandus
dans le monde entier, d'accueillir Nos paroles, de les réaliser d'abord en
eux-mêmes et de contribuer efficacement à les réaliser aussi chez les autres,
chacun selon la grâce qu'il a reçue de Dieu, selon son état et ses fonctions,
selon le zèle dont son cœur est enflammé.
Ici, Nous voulons seulement rappeler ces
multiples œuvres de zèle, entreprises pour le bien de l'Eglise, de la société
et des individus, communément désignées sous le nom d'Action Catholique, qui,
par la grâce de Dieu, fleurissent en tout lieu et abondent pareillement en
notre Italie.
Vous comprenez bien, Vénérables Frères, à
quel point elles doivent Nous être chères, et quel est Notre intime désir de
les voir affermies et favorisées. Non seulement, à maintes reprises, Nous en
avons traité de vive voix au moins avec quelques-uns d'entre vous et avec vos
principaux représentants en Italie quand ils Nous présentaient en personne
l'hommage de leur dévouement et de leur affection filiale, mais de plus Nous
avons, sur cette question, publié, ou fait publier par Notre autorité, certains
actes que vous connaissez tous déjà. Il est vrai que certains de ces actes,
comme l'exigeaient des circonstances douloureuses pour Nous, étaient plutôt
destinés à écarter les obstacles qui entravaient la marche de l'action
catholique et à condamner certaines tendances indisciplinées, qui allaient
s'insinuant, au grave détriment de la cause commune.
Il tardait donc à Notre cœur d'envoyer à
tous une parole de réconfort et de paternel encouragement, afin que, sur le
terrain débarrassé autant qu'il dépend de Nous de tout obstacle, on continue à
édifier le bien et à l'accroître largement. Nous sommes donc très heureux de le
faire à présent par cette lettre, pour la consolation commune, avec la
certitude que Notre parole sera de tous docilement écoutée et obéie.
Immense est le champ de l'action
catholique; par elle-même, elle n'exclut absolument rien de ce qui, d'une
manière quelconque, directement ou indirectement, appartient à la mission
divine de l'Eglise.
On reconnaît sans peine la nécessité de
concourir individuellement à une œuvre si importante non seulement pour la
sanctification de nos âmes, mais encore pour répandre et toujours mieux
développer le règne de Dieu dans les individus, les familles et la société,
chacun procurant selon ses propres forces le bien du prochain, par la diffusion
de la vérité révélée, l'exercice des vertus chrétiennes et les œuvres de
charité ou de miséricorde spirituelle et corporelle. Telle est la conduite
digne de Dieu à laquelle nous exhorte saint Paul, de façon à lui plaire en
toutes choses en produisant les fruits de toutes les bonnes œuvres et en
progressant dans la science de Dieu : "Ut ambuletis digne Deo placentes :
in omni opere bono fructificantes, et crescentes in scientia Dei" (4).
Outre ces biens, il en est un grand nombre
de l'ordre naturel, qui, sans être directement l'objet de la mission de
l'Eglise, en découlent cependant comme une de ses conséquences naturelles. La
lumière de la Révélation catholique est telle qu'elle se répand très vive sur
toute science; si grande est la force des maximes évangéliques que les
préceptes de la loi naturelle y trouvent un fondement plus sûr et une plus
puissante vigueur; telle est enfin l'efficacité de la vérité et de la morale
enseignées par Jésus-Christ, que même le bien-être matériel des individus, de
la famille et de la société humaine en reçoit providentiellement soutien et
protection.
L'Eglise, tout en prêchant Jésus crucifié,
scandale et folie pour le monde (5), est devenue la première inspiratrice et la
promotrice de la civilisation. Elle l'a répandue partout où ont prêché ses
apôtres, conservant et perfectionnant les bons éléments des antiques
civilisations païennes, arrachant à la barbarie et élevant jusqu'à une forme de
société civilisée les peuples nouveaux qui se réfugiaient dans son sein
maternel, et donnant à la société entière, peu à peu sans doute, mais d'une
marche sûre et toujours progressive, cette empreinte si caractéristique
qu'encore aujourd'hui elle conserve partout.
La civilisation du monde est une
civilisation chrétienne ; elle est d'autant plus vraie, plus durable, plus
féconde en fruits précieux, qu'elle est plus nettement chrétienne ; d'autant
plus décadente, pour le grand malheur de la société, qu'elle se soustrait
davantage à l'idée chrétienne.
Aussi, par la force intrinsèque des
choses, l'Eglise devient-elle encore en fait la gardienne et la protectrice de
la civilisation chrétienne. Et ce fait fut reconnu et admis dans d'autres
siècles de l'histoire; il forme encore le fondement inébranlable des
législations civiles. Sur ce fait reposèrent les relations de l'Eglise et des
Etats, la reconnaissance publique de l'autorité de l'Eglise dans toutes les
matières qui touchent de quelque façon à la conscience, la subordination de
toutes les lois de l'Etat aux divines lois de l'Evangile, l'accord des deux
pouvoirs, civil et ecclésiastique, pour procurer le bien temporel des peuples
de telle manière que le bien éternel n'en eût pas à souffrir.
Nous n'avons pas besoin de vous dire,
Vénérables Frères, la prospérité et le bien-être, la paix et la concorde, la
respectueuse soumission à l'autorité et l'excellent gouvernement qui
s'établiraient et se maintiendraient dans ce monde si l'on pouvait réaliser
partout le parfait idéal de la civilisation chrétienne. Mais, étant donnée la
lutte continuelle de la chair contre l'Esprit, des ténèbres contre la lumière,
de Satan contre Dieu, Nous ne pouvons espérer un si grand bien, au moins dans
sa pleine mesure. De là, contre les pacifiques conquêtes de l'Eglise,
d'incessantes attaques, d'autant plus douloureuses et funestes que la société
humaine tend davantage à se gouverner d'après des principes opposés au concept
chrétien et à se séparer entièrement de Dieu.
Ce n'est pas une raison pour perdre
courage. L'Eglise sait que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre
elle ; mais elle sait aussi que dans ce monde elle trouvera l'oppression, que
ses apôtres sont envoyés comme des agneaux au milieu des loups, que ses fidèles
seront toujours couverts de haine et de mépris, comme fut rassasié de haine et
de mépris son divin Fondateur. L'Eglise va néanmoins en avant sans crainte, et,
tandis qu'elle étend le règne de Dieu dans les régions où il n'a pas encore été
prêché, elle s'efforce par tous les moyens de réparer les pertes éprouvées dans
le royaume déjà conquis.
Tout restaurer dans le Christ a toujours
été la devise de l'Eglise, et c'est particulièrement la Nôtre, dans les temps
périlleux que Nous traversons. Restaurer toutes choses, non d'une manière
quelconque, mais dans le Christ; "ce qui est sur la terre et ce qui est
dans le ciel en lui" (6), ajoute l'Apôtre; restaurer dans le Christ non
seulement ce qui incombe directement à l'Église en vertu de sa divine mission
qui est de conduire les âmes à Dieu, mais encore, comme Nous l'avons expliqué,
ce qui découle spontanément de cette divine mission, la civilisation chrétienne
dans l'ensemble de tous et de chacun des éléments qui la constituent.
Et pour Nous arrêter à cette seule
dernière partie de la restauration désirée, vous voyez bien, Vénérables Frères,
quel appui apportent à l'Eglise ces troupes choisies de catholiques qui se
proposent précisément de réunir ensemble toutes leurs forces vives dans le but
de combattre par tous les moyens justes et légaux la civilisation
antichrétienne; réparer par tous les moyens les désordres si graves qui en
dérivent ; replacer Jésus-Christ dans la famille, dans l'école, dans la société
; rétablir le principe de l'autorité humaine comme représentant celle de Dieu;
prendre souverainement à cœur les intérêts du peuple et particulièrement ceux
de la classe ouvrière et agricole, non seulement en inculquant au cœur de tous
le principe religieux, seule source vraie de consolation dans les angoisses de
la vie, mais en s'efforçant de sécher leurs larmes, d'adoucir leurs peines,
d'améliorer leur condition économique par de sages mesures; s'employer, par
conséquent, à rendre les lois publiques conformes à la justice, à corriger ou
supprimer celles qui ne le sont pas; défendre enfin et soutenir avec un esprit
vraiment catholique les droits de Dieu en toutes choses et les droits non moins
sacrés de l'Eglise.
L'ensemble de toutes ces œuvres, dont les
principaux soutiens et promoteurs sont des laïques catholiques, et dont la
conception varie suivant les besoins propres de chaque nation et les
circonstances particulières de chaque pays, constitue précisément ce que l'on a
coutume de désigner par un terme spécial et assurément très noble : Action
catholique ou Action des catholiques. Elle est toujours venue en aide à
l'Eglise, et l'Eglise l'a toujours accueillie favorablement et bénie, bien
qu'elle se soit diversement exercée selon les époques.
Et ici, il faut remarquer tout de suite
qu'il est aujourd'hui impossible de rétablir sous la même forme toutes les
institutions qui ont pu être utiles et même les seules efficaces dans les
siècles passés, si nombreuses sont les modifications radicales que le cours des
temps introduit dans la société et dans la vie publique, et si multiples les
besoins nouveaux que les circonstances changeantes ne cessent de susciter. Mais
l'Eglise, en sa longue histoire, a toujours et en toute occasion lumineusement
démontré qu'elle possède une vertu merveilleuse d'adaptation aux conditions
variables de la société civile : sans jamais porter atteinte à l'intégrité ou
l'immutabilité de la foi, de la morale, et en sauvegardant toujours ses droits
sacrés, elle se plie et s'accommode facilement, en tout ce qui est contingent
et accidentel, aux vicissitudes des temps et aux nouvelles exigences de la
société.
La piété, dit saint Paul, se prête à tout,
possédant les promesses divines pour les biens de la vie présente comme pour
ceux de la vie future : "Pietas autem ad omnia utilis est, promissionem
habens vitæ, quæ nunc est et futuræ" (7). Et donc aussi, l'action
catholique, tout en variant, quand il est opportun, ses formes extérieures et
ses moyens d'action, reste toujours la même dans les principes qui la dirigent
et le but très noble qu'elle poursuit. Et pour qu'en même temps elle soit
vraiment efficace, il conviendra d'indiquer avec soin les conditions qu'elle
exige elle-même si l'on considère bien sa nature et sa fin.
Avant tout, il faut être profondément
convaincu que l'instrument est inutile s'il n'est approprié au travail que l'on
veut exécuter. L'action catholique (comme il ressort jusqu'à l'évidence de ce
qui vient d'être dit), se proposant de restaurer toutes choses dans le Christ,
constitue un véritable apostolat à l'honneur et la gloire du Christ lui-même.
Pour bien l'accomplir, il nous faut la grâce divine, et l'apôtre ne la reçoit
point s'il n'est uni au Christ. C'est seulement quand nous aurons formé
Jésus-Christ en nous que nous pourrons plus facilement le rendre aux familles,
à la société. Tous ceux donc qui sont appelés à diriger ou qui se consacrent à
promouvoir le mouvement catholique, doivent être des catholiques à toute
épreuve, convaincus de leur foi, solidement instruits des choses de la
religion, sincèrement soumis à l'Eglise et en particulier à cette suprême
Chaire apostolique et au Vicaire de Jésus-Christ sur la terre; ils doivent être
des hommes d'une piété véritable, de mâles vertus, de mœurs pures et d'une vie
tellement sans tache qu'ils servent à tous d'exemple efficace.
Si l'esprit n'est pas ainsi réglé, il sera
non seulement difficile de promouvoir les autres au bien, mais presque
impossible d'agir avec une intention droite, et les forces manqueront pour
supporter avec persévérance les ennuis qu'entraîne avec lui tout apostolat, les
calomnies des adversaires, la froideur et le peu de concours des hommes de bien
eux-mêmes, parfois enfin les jalousies des amis et des compagnons d'armes,
excusables sans doute, étant donnée la faiblesse de la nature humaine, mais
grandement préjudiciables et causes de discordes, de heurts et de querelles
intestines. Seule, une vertu patiente et affermie dans le bien, et en même
temps suave et délicate, est capable d'écarter ou de diminuer ces difficultés
de façon que l'œuvre à laquelle sont consacrées les forces catholiques ne soit
pas compromise. La volonté de Dieu, disait saint Pierre aux premiers chrétiens,
est qu'en faisant le bien vous fermiez la bouche aux insensés : "Sic est
voluntas Dei, ut bene facientes obmutescere faciatis imprudentium hominum
ignorantiam" (8).
Il importe, en outre, de bien définir les
œuvres pour lesquelles les forces catholiques se doivent dépenser avec toute
énergie et constance. Ces œuvres doivent être d'une importance si évidente,
répondre de telle sorte aux besoins de la société actuelle, s'adapter si bien
aux intérêts moraux et matériels, surtout ceux du peuple et des classes
déshéritées, que, tout en excitant la meilleure activité chez les promoteurs de
l'action catholique pour les résultats importants et certains qu'elles font
espérer d'elles-mêmes, elles soient aussi par tous facilement comprises et
volontiers accueillies.
Précisément parce que les graves problèmes
de la vie sociale d'aujourd'hui exigent une solution prompte et sûre, tout le
monde a le plus vif intérêt à savoir et connaître les divers modes sous
lesquels ces solutions se présentent en pratique. Les discussions dans un sens
ou dans l'autre se multiplient de plus en plus et se répandent facilement au
moyen de la presse. Il est donc souverainement nécessaire que l'action
catholique saisisse le moment opportun, marche en avant avec courage, propose
elle aussi sa solution et la fasse valoir par une propagande ferme, active,
intelligente, disciplinée, capable de s'opposer directement à la propagande
adverse.
La bonté et la justice des principes
chrétiens, la droite morale que professent les catholiques, leur entier
désintéressement pour ce qui leur est personnel, la franchise et la sincérité
avec laquelle ils recherchent uniquement le vrai, le solide, le suprême bien
d'autrui, enfin leur évidente aptitude à servir mieux encore que les autres les
vrais intérêts économiques du peuple, tout cela ne peut manquer de faire
impression sur l'esprit et le cœur de tous ceux qui les écoutent, d'en grossir
les rangs de manière à faire d'eux un corps solide et compact, capable de
résister vigoureusement au courant contraire et de tenir les adversaires en
respect.
Ce besoin suprême, Notre prédécesseur Léon
XIII, de sainte mémoire, le perçut pleinement en indiquant, surtout dans la
mémorable Encyclique Rerum Novarum et dans d'autres documents postérieurs,
l'objet autour duquel doit principalement se déployer l'action catholique, à
savoir la solution pratique de la question sociale selon les principes chrétiens.
Et Nous-même, suivant ces règles si sages, Nous avons, dans Notre Motu proprio
du 18 décembre 1903, donné à l'action populaire chrétienne, qui comprend en
elle tout le mouvement catholique social, une constitution fondamentale qui pût
être comme la règle pratique du travail commun et le lien de la concorde et de
la charité. Sur ce terrain donc, et dans ce but très saint et très nécessaire,
doivent avant tout se grouper et s'affermir les œuvres catholiques, variées et
multiples de forme, mais toutes également destinées à promouvoir efficacement
le même bien social.
Mais pour que cette action sociale se
maintienne et prospère avec la nécessaire cohésion des œuvres diverses qui la
composent, il importe par-dessus tout que les catholiques observent entre eux
une concorde exemplaire; et, par ailleurs, on ne l'obtiendra jamais s'il n'y a
en tous unité de vues. Sur une telle nécessité il ne peut y avoir aucune sorte
de doute, tant sont clairs et évidents les enseignements donnés par cette
Chaire apostolique, tant est vive la lumière qu'ont répandue, sur ce sujet, par
leurs écrits, les plus remarquables catholiques de tous les pays, tant est
louable l'exemple - plusieurs fois proposé par Nous-même - des catholiques
d'autres nations, qui, précisément par cette concorde et unité de vues, ont, en
peu de temps, obtenu des fruits féconds et très consolants !
Pour assurer ce résultat, parmi les
diverses œuvres également dignes d'éloge on a constaté ailleurs la singulière
efficacité d'une institution de caractère général, qui, sous le nom
d'"Union populaire", est destinée à réunir les catholiques de toutes
les classes sociales, mais spécialement les grandes masses du peuple, autour
d'un centre unique et commun de doctrine, de propagande et d'organisation
sociale.
Elle répond à un besoin également senti
presque dans tous les pays; la simplicité de sa constitution résulte de la
nature même des choses, qui se rencontre également partout; aussi ne peut-on
dire qu'elle soit propre à une nation plutôt qu'à une autre, mais elle convient
à toutes celles où se manifestent les mêmes besoins et surgissent les mêmes
périls. Son caractère éminemment populaire la fait facilement aimer et
accepter; elle ne trouble ni ne gêne aucune autre institution, mais elle donne
plutôt aux autres institutions force et cohésion, car son organisation
strictement personnelle pousse les individus à entrer dans les institutions
particulières, les forme à un travail pratique et vraiment profitable, et unit
tous les esprits dans une même pensée et une même volonté.
Ce centre social ainsi établi, toutes les
autres institutions de caractère économique destinées à résoudre pratiquement
et sous ses aspects variés le problème social se trouvent comme spontanément
groupées ensemble pour le but général qui les unit; ce qui ne les empêche pas
de prendre, suivant les divers besoins auxquels elles pourvoient, des formes
diverses et des moyens d'action différents, comme le réclame le but particulier
de chacune d'elles.
Et ici il Nous est fort agréable d'exprimer,
avec Notre satisfaction pour le grand progrès qui sur ce point a déjà été fait
en Italie, la ferme espérance que, Dieu aidant, on fera encore beaucoup plus à
l'avenir en affermissant le bien obtenu et en l'étendant avec un zèle toujours
croissant.
C'est cette ligne de conduite qui a mérité
les plus grands éloges à l'Œ uvre des Congrès et Comités catholiques, grâce à
l'activité intelligente des hommes excellents qui la dirigeaient et qui ont été
préposés à ses diverses institutions particulières ou les dirigent encore
actuellement.
C'est pourquoi, de même que, en vertu de
Notre propre volonté, un pareil centre ou union d'œuvres de caractère
économique a été expressément maintenu lors de la dissolution de la susdite Œ
uvre des Congrès, ainsi il devra fonctionner encore dans l'avenir sous la
diligente direction de ceux qui lui sont préposés.
En outre, pour que l'action catholique
soit de tous points efficace, il ne suffit pas qu'elle soit proportionnée aux
nécessités sociales actuelles ; il convient encore qu'elle soit mise en valeur
par tous les moyens pratiques que lui fournissent aujourd'hui le progrès des
études sociales et économiques, les expériences déjà faites ailleurs, les
conditions de la société civile, la vie publique même des États.
Autrement l'on s'expose à marcher
longtemps à tâtons, à la recherche de choses nouvelles et hasardées, alors que
l'on en a sous la main de bonnes et certaines qui ont déjà fait excellemment
leurs preuves; ou bien l'on court encore le danger de proposer des institutions
et des méthodes qui convenaient peut-être à d'autres époques, mais qui
aujourd'hui ne sont pas comprises par le peuple; on risque enfin de s'arrêter à
mi-chemin parce qu'on n'use pas, même dans la mesure légitime, de ces droits de
citoyen que les constitutions civiles modernes offrent à tous et par conséquent
même aux catholiques.
Et, pour Nous arrêter à ce dernier point,
il est certain que les constitutions actuelles des Etats donnent
indistinctement à tous la faculté d'exercer une influence sur la chose
publique, et les catholiques, tout en respectant les obligations imposées par
la loi de Dieu et les prescriptions de l'Eglise, peuvent en user en toute
sûreté de conscience pour se montrer, tout autant et même mieux que les autres,
capables de coopérer au bien-être matériel et civil du peuple, et acquérir
ainsi une autorité et une considération qui leur permettent aussi de défendre
et de promouvoir les biens d'un ordre plus élevé, qui sont les biens de l'âme.
Ces droits civils sont multiples et de
différente nature, jusqu'à celui de participer directement à la vie politique
du pays par la représentation du peuple dans les Assemblées législatives. De
très graves raisons Nous dissuadent, Vénérables Frères, de Nous écarter de la
règle jadis établie par Notre Prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, et suivie
ensuite, durant son long pontificat, par Notre autre Prédécesseur Léon XIII, de
sainte mémoire; selon cette règle il reste en général interdit aux catholiques
d'Italie de participer au pouvoir législatif.
Toutefois, d'autres raisons pareillement
très graves, tirées du bien suprême de la société, qu'il faut sauver à tout
prix, peuvent réclamer que dans des cas particuliers on dispense de la loi,
spécialement dans le cas où Vous, Vénérables Frères, vous en reconnaissiez la
stricte nécessité pour le bien des âmes et les intérêts suprêmes de vos
Églises, et que vous en fassiez la demande.
Or, la possibilité de cette bienveillante
concession de Notre part entraîne pour tous les catholiques le devoir de se
préparer prudemment et sérieusement à la vie politique, pour le moment où ils y
seraient appelés.
D'où il importe beaucoup que cette même
activité, déjà louablement déployée par les catholiques pour se préparer, par
une bonne organisation électorale, à la vie administrative des Communes et des
Conseils provinciaux, s'étende encore à la préparation convenable et à
l'organisation pour la vie politique, comme la recommandation en fut faite
opportunément par la Présidence générale des Œ uvres économiques en Italie dans
sa Circulaire du 3 décembre 1904.
En même temps, il faudra inculquer et
suivre en pratique les principes élevés qui règlent la conscience de tout vrai
catholique: il doit se souvenir avant tout d'être en toute circonstance et de
se montrer vraiment catholique, assumant et exerçant les charges publiques avec
la ferme et constante résolution de promouvoir autant qu'il le peut le bien
social et économique de la patrie et particulièrement du peuple, suivant les
principes de la civilisation nettement chrétienne, et de défendre en même temps
les intérêts suprêmes de l'Eglise, qui sont ceux de la religion et de la
justice.
Tels sont, Vénérables Frères, les
caractères, l'objet et les conditions de l'action catholique considérée dans sa
partie la plus importante, qui est la solution de la question sociale, et qui,
à ce titre, mérite l'application la plus énergique et la plus constante de
toutes les forces catholiques.
Cela n'exclut pas que l'on favorise et
développe aussi d'autres œuvres de genre différent, d'organisation variée, mais
qui visent toutes également tel ou tel bien particulier de la société et du
peuple et une nouvelle efflorescence de la civilisation chrétienne, sous divers
aspects déterminés.
Ces œuvres surgissent la plupart grâce au
zèle de quelques particuliers, se répandent dans chaque diocèse, et quelquefois
se groupent en fédérations plus étendues. Or, toutes les fois que le but en est
louable, que les principes chrétiens sont fermement suivis et que les moyens
employés sont justes, il faut les louer elles aussi et les encourager de toute
façon.
Il faudra aussi leur laisser une certaine
liberté d'organisation, car il n'est pas possible que là où plusieurs personnes
se rencontrent elles se modèlent toutes sur le même type, ou se concentrent
sous une direction unique. Quant à l'organisation, elle doit surgir
spontanément des œuvres mêmes ; sinon l'on aurait des édifices de belle
architecture mais privés de fondement réel, et partant tout à fait éphémères.
Il convient aussi de tenir compte du
caractère de chaque population ; les usages, les tendances varient suivant les
lieux. Ce qui importe, c'est que l'on édifie sur un bon fondement, avec de
solides principes, avec zèle et constance ; et, si cela est obtenu, la manière
et la forme que prennent les différentes œuvres sont et demeurent
accidentelles.
Pour renouveler enfin et pour accroître la
vigueur nécessaire dans toutes les œuvres catholiques indistinctement, pour
offrir à leurs promoteurs et à leurs membres l'occasion de se voir et de se
connaître mutuellement, de resserrer toujours plus étroitement entre eux les
liens de la charité fraternelle, de s'animer les uns les autres d'un zèle
toujours plus ardent à l'action efficace, et de pourvoir à une meilleure
solidité et à une diffusion des œuvres mêmes, il sera d'une merveilleuse
utilité d'organiser de temps en temps, selon les instructions déjà données par
ce Saint-Siège apostolique, des Congrès généraux ou particuliers de catholiques
italiens, qui doivent être la solennelle manifestation de la foi catholique et
la fête commune de la concorde et de la paix.
Il Nous reste, Vénérables Frères, à
traiter un autre point de la plus grande importance : les relations que toutes
les œuvres de l'action catholique doivent avoir avec l'autorité ecclésiastique.
Si l'on considère bien les doctrines que
Nous avons développées dans la première partie de Notre Lettre, l'on conclura
facilement que toutes les œuvres qui viennent directement en aide au ministère
spirituel et pastoral de l'Eglise, et qui par suite se proposent une fin religieuse
visant directement le bien des âmes, doivent dans tous leurs détails être
subordonnées à l'autorité de l'Eglise et, partant, également à l'autorité des
évêques, établis par l'Esprit-Saint pour gouverner l'Eglise de Dieu dans les
diocèses qui leur ont été assignés.
Mais, même les autres œuvres qui, comme
Nous l'avons dit, sont principalement fondées pour restaurer et promouvoir dans
le Christ la vraie civilisation chrétienne, et qui constituent, dans le sens
donné plus haut, l'action catholique, ne peuvent nullement se concevoir
indépendantes du conseil et de la haute direction de l'autorité ecclésiastique,
d'autant plus d'ailleurs qu'elles doivent toutes se conformer aux principes de
la doctrine et de la morale chrétiennes; il est bien moins possible encore de
les concevoir en opposition plus ou moins ouverte avec cette même autorité.
Il est certain que de telles œuvres, étant
donnée leur nature, doivent se mouvoir avec la liberté qui leur convient
raisonnablement, puisque c'est sur elles-mêmes que retombe la responsabilité de
leur action, surtout dans les affaires temporelles et économiques ainsi que
dans celles de la vie publique, administrative ou politique, toutes choses
étrangères au ministère purement spirituel. Mais puisque les catholiques
portent toujours la bannière du Christ, par cela même ils portent la bannière
de l'Eglise; et il est donc raisonnable qu'ils la reçoivent des mains de
l'Eglise, que l'Eglise veille à ce que l'honneur en soit toujours sans tache,
et qu'à l'action de cette vigilance maternelle les catholiques se soumettent en
fils dociles et affectueux.
D'où il apparaît manifestement combien
furent mal avisés ceux-là, peu nombreux à la vérité, qui, ici en Italie et sous
Nos yeux, voulurent se charger d'une mission qu'ils n'avaient reçue ni de Nous
ni d'aucun de nos Frères dans l'épiscopat, et qui se mirent à la remplir non
seulement sans le respect dû à l'autorité, mais même en allant ouvertement
contre ce qu'elle voulait, cherchant à légitimer leur désobéissance par de
futiles distinctions. Ils disaient eux aussi, qu'ils levaient une bannière au
nom du Christ ; mais une telle bannière ne pouvait pas être du Christ parce
qu'elle ne portait point dans ses plis la doctrine du divin Rédempteur qui,
encore ici, a son application : "Celui qui vous écoute, m'écoute; et celui
qui vous méprise, me méprise" (9); "celui qui n'est pas avec moi, est
contre moi, et celui qui n'amasse pas avec moi, dissipe" (10); doctrine
donc d'humilité, de soumission, de filial respect.
Avec une extrême amertume de cœur Nous
avons dû condamner une pareille tendance et arrêter avec autorité le mouvement
pernicieux qui déjà se dessinait. Et Notre douleur était d'autant plus vive que
Nous voyions imprudemment entraînés par une voix aussi fausse bon nombre de
jeunes gens qui Nous sont très chers, dont beaucoup ont une intelligence
d'élite, un zèle ardent, et qui sont capables d'opérer efficacement le bien
pourvu qu'ils soient bien dirigés.
Et, pendant que Nous montrons à tous la
ligne de conduite que doit suivre l'action catholique, Nous ne pouvons
dissimuler, Vénérables Frères, le sérieux péril auquel la condition des temps
expose aujourd'hui le clergé : c'est de donner une excessive importance aux
intérêts matériels du peuple en négligeant les intérêts bien plus graves de son
ministère sacré.
Le prêtre, élevé au-dessus des autres
hommes pour remplir la mission qu'il tient de Dieu, doit se maintenir également
au-dessus de tous les intérêts humains, de tous les conflits, de toutes les
classes de la société. Son propre champ d'action est l'Eglise, où, ambassadeur
de Dieu, il prêche la vérité et inculque, avec le respect des droits de Dieu,
le respect aux droits de toutes les créatures. En agissant ainsi, il ne
s'expose à aucune opposition, il n'apparaît pas homme de parti, soutien des
uns, adversaire des autres ; et, pour éviter de heurter certaines tendances ou
pour ne pas exciter sur beaucoup de sujets les esprits aigris, il ne se met pas
dans le péril de dissimuler la vérité ou de la taire, manquant dans l'un et
dans l'autre cas à ses devoirs; sans ajouter que, amené à traiter bien souvent
de choses matérielles, il pourrait se trouver impliqué solidairement dans des
obligations nuisibles à sa personne et à la dignité de son ministère. Il ne
devra donc prendre part à des Associations de ce genre qu'après mûre
délibération, d'accord avec son évêque, et dans les cas seulement où sa
collaboration est à l'abri de tout danger et d'une évidente utilité.
On ne met pas, de cette façon, un frein à
son zèle. Le véritable apôtre doit "se faire tout à tous, pour les sauver
tous" (11) : comme autrefois le divin Rédempteur, il doit se sentir ému
d'une profonde pitié en "contemplant les foules ainsi tourmentées, gisant
comme des brebis sans pasteur" (12).
Que, par la propagande efficace de la
presse, les exhortations vivantes de la parole, le concours direct dans les cas
indiqués plus haut, chacun s'emploie donc à améliorer, dans les limites de la
justice et de la charité, la condition économique du peuple en favorisant et
propageant les institutions qui conduisent à ce résultat, celles surtout qui se
proposent de bien discipliner les multitudes en les prémunissant contre la
tyrannie envahissante du socialisme, et qui les sauvent à la fois de la ruine
économique et de la désorganisation morale et religieuse. De cette façon, la
participation du clergé aux œuvres de l'action catholique a un but hautement
religieux ; elle ne sera jamais pour lui un obstacle, mais, au contraire, une
aide dans son ministère spirituel, dont elle élargira le champ d'action et
multipliera les fruits.
Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous
avions à cœur d'exposer et d'inculquer relativement à l'action catholique telle
qu'il faut la soutenir et la promouvoir dans notre Italie.
Montrer le bien ne suffit pas ; il faut le
réaliser dans la pratique. A cela aideront beaucoup vos encouragements et Nos
exhortations paternelles et immédiates à bien faire. Les débuts pourront être
humbles; pourvu que l'on commence réellement, la grâce divine les fera croître
en peu de temps et prospérer. Que tous Nos fils chéris qui se dévouent à
l'action catholique, écoutent à nouveau la parole qui jaillit si spontanément
de Notre cœur. Au milieu des amertumes qui Nous environnent chaque jour, si
Nous avons quelque consolation dans le Christ, s'il Nous vient quelque
réconfort de votre charité, s'il y a communion d'esprit et compassion de cœur,
vous dirons-Nous avec l'apôtre saint Paul (13), rendez complète Notre joie par
votre concorde, votre charité mutuelle, votre unanimité de sentiments,
l'humilité et la soumission due, en cherchant non pas l'intérêt propre mais le
bien commun, et en faisant passer dans vos cœurs les sentiments mêmes qui
étaient ceux de Jésus-Christ Notre Sauveur. Qu'il soit le principe de toutes
vos entreprises: "Tout ce que vous dites ou faites, que tout soit au nom
de Notre-Seigneur Jésus-Christ" (14), qu'il soit le terme de toute votre
activité: "Que tout absolument soit de Lui, pour Lui, à Lui; à Lui gloire
dans les siècles" (15) ! En ce jour, très heureux, qui rappelle le moment
où les Apôtres, remplis de l'Esprit-Saint, sortirent du Cénacle pour prêcher au
monde le règne du Christ, que descende pareillement sur vous tous la vertu du
même Esprit; qu'Il adoucisse toute dureté, qu'Il réchauffe les âmes froides, et
qu'Il remette dans les droits sentiers tout ce qui est dévoyé: "Flecte quod
est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium".
Comme signe de la faveur divine, et gage
de Notre très spéciale affection, Nous vous accordons du fond du cœur,
Vénérables Frères, à vous, à votre clergé et au peuple italien, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la
fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905, l'an II de Notre Pontificat.
NOTES
1. " il fermo proposito " en
italien.
2. Eph. IV, 16
3. Eph. IV, 12.
4. Coloss. 1,10.
5. I. Cor. I, 23.
6. Ephes. I, 10.
7. I Tim. IV, 8.
8. I Petr. II, 15.
9. Luc. X, 16.
10. Ibid., XI, 23.
11. I. Cor. IX, 22.
12. Matth. IX, 36.
13. Philipp. II, I, 5.
14. Coloss. III, 17.
15. Rom. XI, 36.
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