HUITIÈME INSTRUCTION
VIVRE DE FOI.
« Mon juste vit de foi ».
Héb. 10-38.
Dans les méditations
précédentes, nous avons médité les fondements de notre foi: la résurrection et
les diverses apparitions de Jésus qui prouvent clairement sa mission divine et
sa divinité. Cette conviction de tête ne suffit pas; il nous faut maintenant
accorder notre vie à notre foi. Jésus veut que nous devenions une seule chose
avec lui et donc que nous reproduisions toute sa vie dans la nôtre. Or, la
nôtre est toute dans le plan naturel par nature, toute selon la raison purement
humaine. La vie de Jésus n’est pas cela du tout. Sa vie est divine dans son
être et son activité. C’est celle-là qu’il nous faut substituer à la nôtre par
la grâce de Dieu.
Ce travail est assez
compliqué parce qu’il dépasse la raison; il faut accorder notre vie avec celle
de Jésus qui nous dépasse complètement. C’est en lui qu’il nous faut aller
chercher tous nos motifs d’agir et toute notre doctrine surnaturelle. Comme il
est tout divin dans l’orientation de son activité, nous aussi nous devons être
tout divin dans nos intentions. Nous y reviendrons plus loin.
Cette vie de foi n’est
pas seulement pour une élite, mais pour tous les chrétiens qui veulent suivre
J.C. Saint Paul la prêchait aux ignorants du peuple et l’exigeait tout de suite
du peuple, des chrétiens dès leur conversion. Il ne veut pas que les esclaves
obéissent à leurs Maîtres pour des motifs naturels, mais uniquement pour
l’amour de Dieu. Tous sont donc capables de la comprendre assez pour en vivre.
C’est aux prêtres de s’en remplir l’esprit et surtout le cœur et l’exiger
ensuite de tout le monde.
SA NATURE
Il s’agit pour nous de
vivre tout de suite dans ce monde la vie surnaturelle qu’il faudra vivre au
ciel dans la gloire. Evidemment, ce n’est qu’en germe, mais elle est de même
nature que celle du ciel. Comme la récolte est de même nature que la semence
que l’on jette en terre, comme le chêne est déjà dans le gland qui va le
produire. Pour mieux comprendre cette vie de foi, nous allons examiner les deux
éléments essentiels qui sont la grâce sanctifiante et la mentalité qu’elle doit
développer dans le chrétien. Il y a tant d’erreurs à ce sujet que tous
devraient prendre au sérieux ce que nous allons expliquer ici.
LA GRÂCE SANCTIFIANTE est
ce qui nous élève dans l’ordre surnaturel. Elle est une communication créée de
la vie divine, qui nous fait participants de la nature divine, enfants de Dieu
et héritiers du ciel; elle nous est ordinairement donnée au baptême. Un peu
comme un fer rougi au feu, prend la nature et l’activité du feu tout en restant
fer. Ainsi un homme en état de grâce reste homme, mais il participe à la nature
divine et à son activité.
Il n’y a pas de mérite
dans cette grâce, pas plus qu’un enfant mérite devant ses parents d’être
engendré par eux. Mais elle est la condition absolument nécessaire pour le
mérite, comme un enfant mérite auprès de ses parents, parce qu’il est humain
comme eux; mais son mérite n’est pas dans le fait d’être humain, mais quand il
agira comme un être humain.
Ainsi, la grâce
sanctifiante est un don extraordinaire de Dieu, mais l’homme n’y a aucune part;
il n’a donc aucun mérite à la recevoir mais, une fois reçue, s’il agit selon sa
nouvelle nature divine, alors, il fait plaisir à Dieu et il mérite devant lui.
Un nouveau-né qui meurt tout de suite après son baptême ira au ciel mais sans
aucun mérite de sa part et donc sans avoir donné de la gloire à Dieu. Qu’est-ce
qu’un nouveau-né donne aux parents? Rien qui vienne de lui-même. Ils sont
contents de voir leur nature en lui et c’est tout.
Les prêtres philosophes
s’extasient devant la grandeur de ce don de Dieu et avec raison. Jamais on ne
pourra en dire assez sur cette participation à la nature divine. Le malheur est
qu’ils en restent là. Ils devraient savoir que Dieu donne ce don merveilleux pour
que l’homme puisse agir en Dieu, en être divin. La grâce sanctifiante est comme
un instrument pour travailler pour Dieu, comme Dieu. Le plaisir vient de
1’usage de cet instrument. La nature humaine en soi est merveilleuse, mais dans
un idiot elle ne vaut pas grand-chose. De même dans un chrétien qui n’agit pas
selon sa nature divine, elle ne vaut pas grand-chose. Les philosophes disent
que si on meurt en état de grâce, on va au ciel… et ces imbéciles concluent ou
laissent entendre donc qu’elle suffit pour les chrétiens. C’est vrai s’ils
meurent… et encore? Mais s’ils vivent, il leur faut agir selon elle pour la
garder; ils doivent l’exercer et la nourrir par l’activité divine, comme pour
garder la vie du corps, il faut le faire manger.
Quand les prêtres croient
un homme en état de grâce, ils ne lui demandent plus rien; ils l’abandonnent à
sa grâce sanctifiante. C’est aussi insensé que si des parents ne faisaient rien
pour leurs enfants, puisqu’il leur suffit d’être humains! Parce qu’ils le sont
les parents veulent qu’ils agissent comme tels! Voilà ce que les prêtres
devraient s’informer de lui, s’il agit toujours et partout en enfant de Dieu!
Comme s’il était déjà dans le ciel! Qui a jamais fait cela?
Que dirait-on de médecins
que visitent un hôpital et surveillent si tous ces malades ont la nature
humaine! Cela leur suffit pour qu’ils sortent de là, contents de leur visite
aux malades. Ces malades sont paralysés, contaminés, souffrants, etc. mais ce
sont des humains essentiellement parfaits! Eh bien! notre grâce sanctifiante
est limitée en nous; elle peut être liée par des attaches et donc paralysée,
elle peut être contaminée par des motifs naturels, par des péchés véniels, par
la paresse spirituelle ou attaquée de la maladie du sommeil!… Et tout cela
laisse les prêtres indifférents! C’est malheureux pour les prêtres et les
fidèles!
Voit-on des parents ou
des instituteurs toujours répéter aux enfants qu’ils sont humains et qu’ils
doivent garder leur vie? Personne ne fait cette sottise; il faut aller dans le
clergé pour la trouver! Que de sermons pour vanter la grâce sanctifiante! Pour
exhorter les gens à la garder… et plus bête que tout le reste… d’insinuer
qu’elle suffit à un chrétien!… Jamais on ne trouve d’aussi fous dans l’ordre
naturel! Mais tous enseignent comment développer la vie naturelle et humaine et
comment en tirer profit. Qu’on fasse donc de même dans l’ordre surnaturel,
qu’on montre aux fidèles comment développer leur vie divine en agissant
divinement. C’est pourquoi en plus de la grâce sanctifiante, il faut…
UNE MENTALITÉ CHRÉTIENNE
qui consiste à diviniser notre activité intentionnelle libre en agissant pour
des motifs surnaturels. Car la grâce sanctifiante ne divinise pas
automatiquement nos intentions; je puis agir comme un vrai païen avec des
motifs purement naturels tout en étant en état de grâce. Or, ces motifs
naturels n’apportent pas de surnaturel à notre grâce sanctifiante pour
l’alimenter. C’est comme si je me contentais de respirer de l’air au lieu de
manger; je finirais par mourir de faim.
Jésus dit que notre
victoire sur le monde viendra de la foi; il ne dit pas: de notre grâce
sanctifiante. Dans tout le sermon sur la montagne il nous parle de l’esprit de
foi et de notre activité libre des motifs. Il termine en disant que celui qui
pratique cette doctrine ne péchera pas et les autres pécheront. Cette doctrine
est donc aussi importante que la grâce sanctifiante en pratique. Agir en homme
est aussi important que d’être homme. Que dit-on d’un idiot et qui est bien un
homme, mais qui n’agit pas en homme, qu’il serait mieux mort.
Si Saint Jean dit que
nous sommes les enfants de Dieu par la grâce sanctifiante, Saint Paul dit que
ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont conduits par l’esprit de Dieu. Rom.
8-14. On est conduit par l’Esprit de Dieu quand on agit selon cet Esprit et
donc pour des motifs surnaturels. Pour l’amour du bon Dieu que les prêtres qui
nous liront prennent donc ce texte de Saint Paul et se l’écrivent sur le front
et sur le cœur! Qu’ils s’en remplissent donc la tête et le cœur pour le vivre
et le prêcher aux autres. C’est dans ce sermon sur la montagne que Jésus donne
le moyen de garder sa grâce sanctifiante en évitant le péché… et il ne parle
pas d’elle du tout.
« In se », la vie est plus
importante que la nourriture, mais « in nobis » la nourriture est aussi
nécessaire que la vie, puisque sans elle on meurt. Eh bien! quand même que la
grâce sanctifiante est plus importante «in se» que les motifs surnaturels, en
nous ces motifs surnaturels sont la nourriture de notre vie divine: en
pratique, ils sont donc aussi importants.
Aussi les Apôtres
insistaient beaucoup sur la nécessité d’agir uniquement pour des motifs
surnaturels et jamais pour des motifs naturels. Par exemple…:
Saint Paul aux Col. 3-23:
« Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur comme le faisant pour le
Seigneur et non pour les hommes ». On trouve cette idée souvent dans leurs
écrits. Ils font écho à la doctrine du sermon sur la montagne où Jésus ne veut
que des motifs surnaturels pour nous tous.
Comme un idiot a la
nature humaine, mais agit comme un animal seulement, ainsi le chrétien qui a la
nature divine et qui n’agit que comme un païen, est un idiot devant Dieu. Il
nous a donné la grâce sanctifiante précisément pour que nous agissions comme
ses enfants, en êtres divins. On ne peut le faire librement que dans nos
facultés spirituelles en orientant notre activité vers Dieu, ce qui se fait par
les motifs surnaturels.
C’est là que nous devons
exercer l’esprit de foi; c’est organiser notre vie selon ce que Dieu veut! Ceux
qui organisent leur vie selon la raison seule sont des païens! Dans le ciel,
nous agirons sûrement uniquement selon la lumière divine que Dieu nous
communiquera dans la gloire. Eh bien! C’est ce que nous devons faire tout de
suite dans la foi et selon la foi… et la raison n’a qu’à exécuter ce que la foi
lui montre.
La conclusion est que les
prêtres devraient cesser de parler de la grâce sanctifiante et expliquer aux
fidèles la psychologie nécessaire ou les moyens subjectifs pour la garder.
Qu’on vante une viande tant qu’on voudra en soi, c’est uniquement ce que mon
estomac en digère qui est bon pour moi. Ainsi c’est l’usage que je fais de ma grâce
sanctifiante qui m’aide à la garder et à l’augmenter. Voilà la vie de foi: agir
comme un être divin.
Les prêtres philosophes
n’arrivent pas à cette mentalité chrétienne parce qu’ils sont enfargés dans
leurs «in se» abstraits et ne se rendent pas aux «en nous, in nobis», ou à la
vie en nous, qui sont les seuls pratiques pour nous sanctifier. Car c’est le
travail subjectif et psychologique en nous que Dieu surveille et récompense. Là
seul s’exerce notre liberté, essentielle au mérite.
Supposons qu’un roi
adopte un fermier pour vivre en sa cour; ce fermier est élevé au rang «royal»,
mais s’il n’agit jamais en fils de roi, s’il reste là figé comme un glaçon ou
comme une colonne de marbre, le roi le jettera dehors bien vite! Eh bien! Le
chrétien qui vit dans le surnaturel de la grâce sanctifiante et qui n’agit pas
comme tel est une nuisance pour Dieu comme le fermier pour le roi.
Qu’on nous laisse la paix
avec la grâce sanctifiante! Mais qu’on s’occupe activement d’agir dans le
surnaturel selon sa nature divine! Surveillons ce qui nourrit cette vie divine.
Or, ce sont les intentions ou les motifs surnaturels qui le font. Le souci des
parents est de nourrir leurs enfants très bien, sachant que c’est ainsi qu’ils
ont plus de chance de vivre. Que les prêtres montrent donc le même sens
surnaturel pour la vie divine de la grâce! Qu’ils s’occupent de sa nourriture:
les motifs surnaturels et alors les chrétiens auront toutes les chances de
garder leur grâce sanctifiante.
Que dirait-on d’un homme
qui passe son temps à se demander s’il vit… ou s’il meurt et qui ne fait rien
pour alimenter sa vie? On ne rencontre jamais pareil imbécile dans les choses
humaines; mais dans les choses surnaturelles, on en rencontre par milliers dans
le clergé! Où sont les prêtres qui surveillent si les chrétiens vivent bien en
enfants de Dieu, s’ils agissent uniquement avec des motifs surnaturels comme
Jésus, les Apôtres et les saints le veulent? Qui massacrent tous les motifs
naturels même bons en soi, comme Saint Ignace fait dans tous ses Exercices
spirituels et Saint Jean de la Croix et bien d’autres. Où sont ces prêtres-là?
Y en a-t-il un sur mille? J’en doute! Mais dès que les prêtres voient qu’un
chrétien ne commet pas de gros péchés mortels, ils le laissent parfaitement
tranquille. Qui a jamais entendu un prêtre lui demander s’il n’agit que pour
des motifs surnaturels en tout et qui lui défend d’agir pour de bons motifs
naturels en lui disant qu’il agit comme un païen?
Où sont les prêtres qui
défendent aux fidèles d’avoir des affections naturelles pour les choses de la
terre même bonnes en soi? Or, tous les Saints avec Jésus condamnent absolument
tout amour donné à une créature pour elle-même. Pas un philosophe ne le fait.
Pas un prêtre ne devrait tolérer aucune activité naturelle libre dans les
chrétiens et presque tous le font. C’est leur doctrine des «in se» qui les
tient sur la grâce sanctifiante au lieu d’aller travailler sur l’orientation
intentionnelle des motifs. Ne les suivons donc pas là!
Saint Paul aux Gal. 5-11,
écrit: « Conduisez-vous selon l’esprit et vous n’accomplirez point les désirs de
la chair ». C’est encore l’usage qu’on fait de la grâce sanctifiante que
l’Apôtre loue.
Aux Eph. 3-16: « Afin que
selon les richesses de sa gloire, il vous fortifie dans l’homme intérieur par
son esprit. Que J.-C. habite par la foi dans vos cœurs et qu’étant enracinés et
fondés sur la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints la
largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de ce mystère et connaître
l’amour de J.-C. que surpasse toute science, afin que vous en soyez remplis
selon toute la plénitude de Dieu ». Il ne parle pas de la grâce sanctifiante,
mais de ce qu’on doit faire quand on l’a.
SA DIFFICULTÉ
C’est facile d’expliquer
ce qu’il faut faire pour vivre de foi, mais c’est autre chose de le faire.
Examinons les difficultés en les divisant, afin de mieux savoir comment les
vaincre. Il y a des difficultés qui viennent de l’intérieur ou de la nature de
la foi et d’autres de l’extérieur ou de l’influence des créatures contre la vie
de foi. Voyons-les séparément.
DIFFICULTÉ INTRINSÈQUE.
On sait que l’homme est un animal raisonnable. Eh bien! Pour vivre de foi, il
faut aller contre nos deux éléments constitutifs: l’animal et la raison.
D’abord contre l’animal:
vivre de foi, c’est vivre comme si nous étions de purs esprits: en effet, c’est
aller prendre dans la révélation toute la doctrine divine que nous devons
pratiquer surnaturellement et donc selon la foi. Il n’y a rien là pour notre
animal ou notre corps charnel. La foi veut que nous vivions comme des anges ou
de purs esprits. C’est donc au-dessus et donc contraire à la vie animale en
nous.
Toutes les créatures
continuent de s’offrir à nous comme si nous n’étions que des païens ou des
animaux. Il faut donc les rejeter constamment au grand déplaisir de l’animal…
et l’animal, c’est nous! Quand on se satisfait au jour le jour, on ne trouve
aucune difficulté évidemment, mais quand on veut rejeter tous ces plaisirs
terrestres, on remarque plus leur interminable série… et y résister est
extrêmement pénible à la nature humaine.
Même quand nous sommes
obligés de prendre certains plaisirs, nous n’avons pas le droit de nous y
affectionner; c’est absolument contraire à la vie spirituelle et très dangereux
même pour le salut. Saint François de Sales le dit dans le vingt-troisième
chapitre du premier livre de son Introduction à la vie dévote: « Ce n’est pas
mal de prendre un repas modéré, mais c’est mal de s’y affectionner!
Saint Paul défend de
s’attacher même aux choses nécessaires. « Que ceux qui ont des femmes soient
comme n’en ayant pas, que ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas.
Enfin que ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas, car la figure de ce
monde passe». 1 Cor. 7-29. Rien donc en ce monde ne vaut la peine qu’on lui
donne la moindre affection. Dieu seul doit être aimé selon le premier
commandement.
Ailleurs il dit: « Si vous
êtes ressuscités avec J.-C., recherchez les choses d’en haut; n’ayez de goût
que pour les choses du ciel et non pour celles de la terre». C’est une
véritable mort au monde. On dit qu’un homme est mort quand les choses de ce
monde n’ont plus aucune influence sur lui. Eh bien! Quand on vit de foi, les
choses du monde n’ont plus d’influence sur le cœur; on s’en sert par utilité ou
nécessité, jamais par amour. Ceux qui se laissent guider par la raison, ne
peuvent jamais arriver à cette mort aux choses du monde. Il n’y a que la foi
pour nous aider à produire ce résultat.
Si on monte à la partie
intellectuelle de l’homme, vivre de foi est encore plus difficile; car s’il est
difficile de renoncer aux choses extérieures, c’est autrement difficile de se
renoncer soi-même. Comme il est pénible aux hommes d’agir contre la raison! Or
la foi demande une foule de choses contraires à la raison humaine et païenne.
Par exemple, aimer et récompenser ses ennemis, mépriser les biens de la terre,
organiser sa vie non pas selon la raison, mais selon la foi: comme ils sont
rares les chrétiens qui sont capables de le faire! Ils trouvent donc cela bien
trop difficile pour eux.
La foi nous enseigne à
nous défaire de notre personnalité morale, de notre moi païen et de mourir à
nous-mêmes et de se faire comme les esclaves de Jésus, nous seul Maître. « Si
quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même! C’est dur; eh bien!
qu’il porte sa croix tous les jours». Les Apôtres et Jésus ne prêchaient pas
cette doctrine à des Carmélites, mais aux plus ignorants imaginables des gens
du monde. « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu par J.-C. ». Où sont
même les prêtres et les religieux qui essaient même de pratiquer cette doctrine
si claire? En proportion qu’on la pratique, qu’on est mort à soi on ne critique
plus, on ne s’impatiente plus, on ne se met plus en colère, on ne fait jamais
d’excès ni dans les joies ni dans les peines, on s’approche de l’attitude du
mort dans sa tombe par rapport aux choses créées. Où sont ces chrétiens? Où
sont ceux qui restent calmes dans les contrariétés? Dans les souffrances? En
proportion qu’on se fâche contre les personnes et les choses, c’est signe qu’on
ne vit pas de foi, mais de bon sens païen.
« Mais voici l’épreuve des
épreuves! Au début de la vie de foi, Dieu nous attire vers lui par des
consolations intérieures, comme la conviction que nous faisons plaisir à Dieu
et que nous progressons dans le chemin de la vertu. Mais avec le temps, il nous
supprime tout ce miel; il semble se retirer de nous; le ciel est d’airain; il
n’entend plus nos prières… tout semble mort là-haut! C’est l’époque la plus
difficile de la perfection, non pas en soi, mais pour nous qui sommes encore
faibles dans la foi. Nous n’avons plus les jouissances des créatures que nous
avons rejetées, nous perdons même les jouissances spirituelles dans la
conviction de faire bien et maintenant nous perdons le sentiment de la présence
de Dieu; il ne reste plus rien pour nous!
Eh bien! C’est la
perfection de la foi; il ne nous reste plus que la confiance en sa parole, sans
aucun appui humain nulle part. Nous ne voulons plus de la terre et le ciel
semble ne pas vouloir de nous. Nous sommes comme suspendus entre le ciel et la
terre. Ce vide immense que Dieu laisse dans l’âme de celui qui le recherche
sincèrement est extrêmement pénible surtout au début.
Cette foi pure est la
meilleure préparation à la vertu d’espérance qui consiste à mettre sa confiance
dans des biens que nous ne possédons pas encore. Quand on ne voit plus rien
autour de soi, il est plus facile d’exercer son espérance dans les biens à
venir du ciel.
Ceux qui n’ont pas encore
eu ces difficultés n’ont évidemment pas commencé à vivre de foi; ils sont dans
la foi, mais ne vivent pas selon la foi.
DIFFICULTÉS EXTRINSÈQUES.
Celui qui vit de foi, va nécessairement contre le monde et contre le démon; il
les aura tous deux contre lui pour lui faire la guerre.
D’abord les hommes seront
contre lui. Lui ne suit pas le bon sens humain, mais la foi, tandis que la
plupart des hommes suivent la raison humaine et donc se permettent tout ce qui
n’est pas péché, cultivent les attaches aux plaisirs permis sans aucun
scrupule. Or, la foi condamne toute attache, pas nécessairement comme péché,
mais comme contraire à l’amour de Dieu et donc très dommageable à la vie de
perfection que tous doivent essayer de pratiquer.
Dès qu’on ne suit plus le
monde dans ses affections pour les plaisirs de la terre, on se fait critiquer
et ridiculiser par son entourage. Combien de chrétiens cultivent toutes sortes
d’attaches pour faire comme les autres et donc pour éviter de se faire
critiquer! Sont dans ce cas une foule de fumeurs, d’amateurs de sport, de
filles qui suivent la mode, etc. Si nous continuons de vivre de foi, les gens
du monde nous abandonnent et nous vivons isolés des autres, ce que peu de
chrétiens peuvent supporter.
Les pires ennemis de la
vie de la foi évidemment sont les démons qui prévoient bien que les hommes qui
vivent de foi leur échappent sûrement. Ils font tout pour les persécuter, afin
de les ramener au «bon sens»! Ils se servent d’abord des pécheurs et des
mondains pour leur vanter les plaisirs qu’ils ne prennent pas, pour les exposer
à la tentation et les y faire tomber.
Puis ils se serviront des
amis, des bonnes personnes qui nous entourent et même des prêtres ou des
religieux. Ces gens feront tout pour nous ramener «au juste milieu», à la
modération, au bon sens de tout le monde. Surtout on fera valoir la charité
pour les autres, pour les mettre à l’aise, pour les gagner au bien et nous les
attirer en faisant comme eux!
Les démons profitent de
ces attaques qu’ils ont suscitées pour nous tenter. Ils se serviront de nos
meilleurs amis et même des prêtres pour nous dire: Est-ce que tu ne vas pas
trop loin dans ta singularité? N’est-ce pas de l’orgueil que de vouloir passer
pour meilleur que les autres? Combien jouissent des créatures et pourtant ils
sont aussi bons que toi! Que de prêtres fument, vont aux joutes de toutes
sortes et pourtant ils sont respectés et font bien leur ministère. Le
Saint-Esprit te donnerait-il à toi seul la lumière pour te conduire
contrairement à tout le monde et même aux prêtres et aux religieux? C’est dur!
Cependant pour ceux qui
persévèrent dans cette vie de foi, ils goûtent un immense bonheur. Comme le
cultivateur est heureux de jeter son grain en terre par l’espérance de la
récolte, ainsi le chrétien qui sème ses plaisirs ou ses deux amours naturels est
heureux dans l’espérance de la récolte céleste qu’il aura à sa mort. De plus,
le bon Dieu est plus actif pour le soutenir que le démon pour le renverser. La
vie d’union avec Dieu que cette foi suppose est une source incomparable de
bonheur solide pour l’âme qui jouit incomparablement plus avec Dieu qu’avec ses
échantillons.
SON MODÈLE: L’HUMANITÉ DE
JÉSUS
Elle avait une
intelligence et une volonté, mais comme elle n’était pas une personne, c’est le
Verbe qui la conduisait et l’éclairait en tout. Jésus dit que ses pensées, ses
paroles et ses actions viennent toutes du Père qui les fait en lui. Peu importe
pour le moment que Jésus ait eu une foi comme nous ou non, il est certain que
son humanité se laissait guider absolument par la lumière divine qui était en
lui. C’est là que nous le montrons comme notre modèle. Nous aussi, nous avons
une lumière divine dans le don de la foi, eh bien! il s’agit pour nous de lui
obéir aussi fidèlement que la sainte humanité obéissait à la lumière divine qui
la guidait.
D’ordinaire, nous
manquons de logique et de conviction: par exemple, la foi nous dit carrément
que J.-C., en corps, en âme et en divinité est réellement présent dans
l’Eucharistie. Alors, marchons d’après cette lumière! Croyons-là absolument! Et
agissons en conséquence… sans attendre cinquante ans pour la pratiquer!
Entrons dans l’Eglise
comme dans le ciel! Que toute notre âme et toute notre attention soient
uniquement concentrées sur J.-C. présent là et occupons-nous de lui! Pour le
louer, le remercier, lui parler et l’écouter au fond du cœur. Cessons de
tourner la tête de tous côtés, cherchant quelqu’un de plus intéressant que
J.-C. Ne passons jamais devant une église sans entrer pour saluer Jésus et nous
entretenir avec lui selon le temps dont nous disposons. Au moins saluons-le en
enlevant notre chapeau ou en faisant le signe de la croix pour montrer que nous
respectons sa présence. Quelle ardeur on devrait mettre à le recevoir
corporellement dans notre cœur! Car il est là avec son corps, son âme et sa
divinité.
Si un homme devait être
adopté par un roi pour aller vivre en son palais, disons l’an prochain, est-ce
qu’il n’y penserait pas toujours? Qu’il en parlerait constamment et qu’il se
préparerait pour sa nouvelle fonction royale? Eh bien! A plus forte raison, un
chrétien qui s’attend d’aller bientôt vivre en la cour céleste dans la Sainte
Trinité doit aller là chercher toutes ses pensées, ses paroles et ses actions.
C’est ce que faisait l’humanité de Jésus: imitons-la donc dans sa vie toute
divine dans l’union intime avec le Verbe.
Jésus dit que ses voies
et ses pensées sont aussi différentes des nôtres que le ciel est élevé
au-dessus de la terre. Celui donc qui vit de foi nécessairement, doit se
« singulariser » parmi les autres qui sont tout aux choses de la terre. Son amour
est en Dieu et dans les choses de Dieu, tandis que l’amour des autres est tout
dans les choses de la terre; il diffère donc complètement des autres à
mentalité païenne plus ou moins.
Comme la vie de Jésus condamnait
le monde qui ne vit que pour les choses de la terre et que le monde l’a haï et
persécuté et tué, ainsi, de nos jours, encore, ceux qui vivent de foi se
trouvent à condamner ceux qui vivent selon le monde et ils s’attirent la même
haine du monde et la même persécution.
Souvent on entend dire
quand on est tout aux choses de Dieu: ne soyez pas trop tranchant! Mettez des
nuances dans votre doctrine pour ne pas aliéner les gens du monde. On peut leur
répondre que Jésus devait avoir assez de jugement pour savoir mettre les
nuances voulues et pourtant il n’a pas réussi à gagner ceux qui suivent
l’esprit du monde: ils ont été ses ennemis.
N’oublions pas que c’est
une lutte entre deux amours opposés: celui de Dieu et celui de Satan. Comment
amadouer Lucifer? Par conséquent, c’est inutile de vouloir éviter la
persécution quand on veut vivre de foi. On a le monde, soi-même et les démons
contre soi. Il n’y a que Dieu seul pour nous donner la victoire de si puissants
ennemis. Voilà pourquoi il faut être un homme de profonde prière et bien uni à
Dieu pour remporter la victoire sur eux. Mais cette victoire surnaturelle
s’achète aux dépens de beaucoup de sacrifices comme Jésus a fait durant sa vie.
Jésus nous avertit:
« Votre victoire sur le monde viendra de votre foi! ». Tout chrétien doit donc
s’efforcer de vivre de divin exactement comme Jésus pour vaincre ses ennemis.
Jamais vivre de raison produira le même résultat. C’est le divin de la foi qui
nous obtiendra toutes les grâces nécessaires pour rester fidèles à Dieu à
travers toutes les embûches du démon contre nous.
Ce n’est donc pas une
doctrine pour une élite, mais absolument pour tous les chrétiens. Que tous
surveillent leurs motifs pour qu’ils soient absolument surnaturels, exactement
comme les motifs de Jésus. Nous sommes corps et âme dans l’ordre surnaturel;
vivons donc là! et de là! Prenons notre vie uniquement en Dieu; prenons là
seulement nos motifs et donc qu’ils soient tous surnaturels!
SON MÉRITE…
lui vient de ce qu’on
fait grand plaisir à Dieu en nous renonçant dans la partie la plus noble: le
jugement et la volonté, pour agir exactement comme Jésus. Non seulement nous
sommes les enfants de Dieu, mais par la foi nous en montrons notre appréciation
en agissant selon notre nature divine que nous avons par la grâce sanctifiante.
Nous honorons Dieu en allant chercher en lui notre lumière pour agir. Comme les
parents sont contents quand les enfants vont les consulter pour faire juste ce
qu’ils aiment et comme ils aiment que leurs enfants agissent.
Si nous agissons comme si
nous étions dans le ciel avant de l’être, quelle gloire pour Dieu! C’est donc
que nous avons une grande confiance en sa bonté, que nous croyons à sa parole
et donc que nous l’aimons. Voilà le fond de notre mérite quand nous agissons
selon la foi et donc que nous vivons de foi.
Dans le onzième ch. aux
Héb., Saint Paul montre l’excellence et l’efficacité de la foi et comme elle
est agréable à Dieu et donc méritoire pour nous. Il donne plusieurs exemples de
ceux qui ont obtenu de grandes faveurs de Dieu, à cause de leur grande foi. Il
est bon d’en repasser quelques-uns pour nous encourager à croire davantage à ce
que Dieu dit.
Il commence par dire que
«la foi est la substance des choses qu’on doit espérer, une pieuse conviction
de celles qu’on ne voit pas». Il veut dire que par la foi les choses divines
prennent corps en nous, une espèce d’existence mystique qui se continuera dans
la gloire céleste. Puisque Dieu est fidèle, elles nous deviennent présentes grâce
à notre espérance en Dieu. C’est comme un chèque qui n’est pas encore de
l’argent, mais qui nous donne droit à l’argent que ce chèque représente.
Aussi c’est par la foi
que les anciens pères ont reçu de Dieu un témoignage si avantageux. Dieu a
montré sa satisfaction en leur accordant ce qu’ils ont cru. Ainsi il agréa les
sacrifices d’Abel parce qu’il mettait plus de foi que Caïn. C’est par la foi
qu’Hénoch fut enlevé, afin qu’il ne vît pas la mort et on ne le trouva plus
parce que Dieu l’avait transporté. Car l’Ecriture lui rend ce témoignage
qu’avant d’avoir été ainsi enlevé, il plaisait à Dieu. Or sans la foi, il est
impossible de plaire à Dieu, car pour s’approcher de Dieu, il faut croire qu’il
est et qu’il récompense ceux qui le cherchent.
C’est par la foi
qu’Abraham quitta son pays sans savoir où il allait, qu’il séjourna dans une
terre étrangère, habitant sous des tentes, car il attendait cette cité qui a un
ferme fondement, dont Dieu même est le fondateur et l’architecte… tous ceux-là
sont morts dans la foi, n’ayant pas reçu les biens promis, mais les regardant
et les saluant de loin, et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur
la terre, c’est-à-dire, la patrie céleste… C’est par la foi qu’Abraham, lorsque
Dieu voulut le tenter, offrit Isaac, et c’était son fils unique qu’il offrait,
lui qui avait reçu les promesses et à qui il avait été dit: c’est d’Isaac que
naîtra la postérité qui portera votre nom, etc… ».
Ces exemples donnent une
bonne idée de ce que doit être la vie de foi. C’est vivre dans ce monde
physiquement, mais par l’amour c’est vivre uniquement dans le ciel par
l’espérance et donc en proportion qu’on y croit. Ceux-là alors ne sont pas
intéressés aux choses de la terre. Ils pratiquent à la lettre ce que Saint Paul
nous recommande: « Si vous êtes ressuscités avec J.-C., recherchez les choses
d’en-haut où J.-C. est assis à la droite de son Père; n’ayez de goût que pour
les choses du ciel et non pour celles de la terre ».
Comme nos catholiques qui
vivent de foi sont rares! Ils sont dans la foi, mais ne vivent pas de foi. Ils
sont tout aux choses de la terre, ne parlent que des choses humaines; donc leur
amour est sur la terre, pas dans le ciel! Ils sont heureux dans le monde; ils
ont une peur bleue de mourir et s’ils pouvaient vivre éternellement sur la
terre, ils ne voudraient pas du ciel.
Sont-ils nombreux les
prêtres et les religieux qui vivent de foi?
Qui parlent volontiers
des choses du ciel? Non, ils ne sont pas nombreux! Si on en veut une preuve,
qu’on essaye de leur parler des choses surnaturelles! On peut les intéresser à
tout excepté aux choses de Dieu: donc ils ne vivent pas de ce que la foi nous
montre! Appliquons le critère donné par Jésus même: que la bouche parle de
l’abondance du cœur. Eh bien! Leur abondance est toute des choses de la terre
comme leurs conversations le montrent bien.
Essayons donc de changer
de vie! Sortons de l’animal, de l’esprit pour entrer de plain-pied uniquement
dans le monde surnaturel, et restons-y pour l’éternité avec la grâce de Dieu!
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