QUATORZIÈME INSTRUCTION
LA SAINTE TRINITÉ.
«Jésus, ayant été baptisé
et priant, le ciel s’ouvrit et le Saint-Esprit descendit sur lui sous la forme
sensible d’une colombe et on entendit une voix du ciel: «Vous êtes mon Fils
bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances». Luc, 3-21.
Nous allons l’étudier
surtout en vue de la vivre davantage dans notre propre vie quotidienne. Puisque
nous nous en allons au ciel pour participer à la vie, à la sagesse et au
bonheur de la Trinité, nous devons commencer sur terre cette vie divine en
union avec la Sainte Trinité, par sa grâce et dans la foi.
Peu de chrétiens
s’occupent de la Trinité; ils parlent ordinairement de Dieu. C’est quelque
chose évidemment, mais ce n’est pas suffisant. Puisque nous avons été baptisés
au nom de la Trinité, nous devons continuer de la vivre dans toute notre vie.
Dans le ciel, le bonheur va justement être dans la contemplation des
processions divines des trois Personnes et dans notre participation à leur vie
réciproque; donc il nous faut commencer tout de suite dans la foi, cette vie
trinitaire.
Les prêtres sont bien
responsables de cette ignorance des fidèles au sujet de la Trinité. Quand même
c’est un mystère, il y a une foule de choses très pratiques pour notre vie
spirituelle que nous connaissons déjà par révélation de J.-C., nous devons nous
en servir pour nous sanctifier.
C’est un sujet difficile
parce qu’il dépasse non seulement la raison, mais aussi sa façon ordinaire de
comprendre. Ce que la raison trouve pénible, c’est d’être guidée par une
lumière qui ne vient pas d’elle-même et dans un monde qu’elle ne peut pas se
représenter dans l’imagination ou dans les sens. Elle se trouve comme perdue
entre ciel et terre. Elle trouve dur de suivre une lumière qui ne l’éclaire pas
selon son mode ordinaire de comprendre et qui pour elle est ténèbres. Il faut
qu’elle accepte d’être conduite par un autre qu’elle n’a jamais vu ni connu par
elle-même.
LA FOI EST NOTRE SEUL
GUIDE
Son cas est exactement
celui d’un aveugle qui se laisse conduire par un autre, un guide. S’il
s’abandonne à son guide, tout en restant aveugle, il se trouve à voir pour
ainsi dire par les yeux de son guide. Eh bien! Il en est ainsi pour la raison:
si elle suit fidèlement la foi, qui voit clair dans les choses divines, la
raison finira par voir comme la foi avec les yeux de la foi. Mais la difficulté
reste quand même. Il faut beaucoup d’humilité et d’amour de Dieu pour se
soumettre ainsi à la révélation et organiser sa vie selon les exigences de la
foi.
Prenons un exemple dans
l’Eucharistie. L’homme voit du pain, goûte du pain et touche du pain; c’est
bien assez pour que la raison conclue que c’est bien du pain. Cependant elle
doit se renoncer et juger selon la foi qui lui dit: Il n’y a pas de pain là du
tout, mais seulement les apparences du pain et c’est l’Humanité sainte de Jésus
avec sa divinité.
Combien de chrétiens
acceptent dans la pratique de la vie cet enseignement de la foi? Qui vont voir
Jésus en personne à l’église? Qui vont le recevoir souvent dans la sainte
communion, qui s’entretiennent avec lui dans le Tabernacle? Quelle foi faible!
Le mal vient de ce qu’ils ne prient pas assez pour avoir une foi vive et
ardente. Elle ne vient pas seule; il faut la demander et l’augmenter encore par
la prière.
Si c’est difficile de
croire, ce l’est encore bien plus de vivre cette foi. Là évidemment on
rencontre le «païen» partout avec son aveuglement, ses convoitises qui nous
attirent aux choses sensibles et tous les attraits qu’offre un monde jouisseur
secondé par les démons.
Enfin, ces vérités
divines sont pleines de mystères pour nous, habitués aux choses de la terre et
à notre manière de comprendre de la terre. Ces choses surnaturelles nous
semblent donc difficiles à saisir par notre pauvre raison humaine.
Mais Dieu vient à notre
secours en nous éclairant lui-même par ses illuminations intérieures et les
dons du Saint-Esprit, en proportion qu’il nous voit enclins à les recevoir et à
nous disposer selon ses exigences que nous pouvons étudier dans les bons
auteurs spirituels.
On sait que tout ce que
Dieu a fait pour conduire les Juifs en Terre Promise était la figure de ce
qu’il veut faire pour chacun de nous sur la route du ciel. Eh bien! Il n’a pas
voulu laisser les Juifs se conduire eux-mêmes dans le désert, mais c’est
lui-même qui les conduisait par une colonne de nuage le jour et une colonne
illuminée le soir. Cette nuée est la figure de la foi; elle nous conduit
sûrement à notre Terre Promise, au ciel, mais il nous faut sacrifier notre
raison et suivre aveuglement cette nuée de la foi; elle nous conduira sûrement
au ciel. Or combien ne veulent pas s’abandonner à la foi! Ils prennent
seulement ce qui concorde avec leur petit bon sens humain, aussi ces gens
risquent gravement leur salut éternel.
J.-C. a pris la peine de
venir sur la terre pour nous porter son message divin qui nous conduira
certainement au ciel si nous le suivons fidèlement. Dieu a donné à chaque être
une lumière pour le conduire dans son monde particulier. Ainsi les animaux ont
leur instinct pour les conduire dans les choses sensibles. L’homme a la raison
pour le conduire dans les sciences et dans sa vie humaine et raisonnable. Or
Dieu nous a élevés de la vie humaine dans la vie divine; il devait donc nous
donner une lumière capable de nous conduire dans les choses divines; c’est la
foi…
J’insiste donc que c’est
la foi seule qui doit nous conduire dans les choses divines… et non pas la
raison. Il faut expliquer cela, les gens sont tellement embrouillés sur ce
point. L’Eglise a défini qu’il n’y a pas d’opposition entre la foi et la
raison, mais accord parfait! Voici une conclusion erronée qu’on tire de là; on
en conclut que du moment qu’on suit la raison, on se trouve à suivre la foi,
puisqu’il y a accord parfait entre les deux!
Il y a accord entre les
deux au point de vue de la vérité historique, ontologique ou des faits. S’il
est vrai que Napoléon a existé, c’est vrai aussi dans l’ordre surnaturel où la
foi l’admet aussi. S’il y a de fait trois Personnes en Dieu, dans la Trinité,
la raison ne peut pas le nier. Si l’essence de l’homme pour la raison est
d’être un animal raisonnable, c’est aussi vrai dans la foi.
La grande erreur d’une
foule de prêtres et de fidèles est d’affirmer que la raison et la foi
s’accordent toujours en tout. Eh bien! Non. Au point de vue de l’orientation de
notre activité, les deux s’opposent habituellement! Agir selon la raison
contredit agir selon la foi et vice versa. L’Evangile est rempli de ces
directives données par la foi et qui sont directement contraires à celles que
donnerait la raison. Par exemple:
«N’aimez pas le monde, ni
ce qui est dans le monde; si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est
pas en lui».
La raison dit tout le
contraire: Aimez le monde et tout ce qui est dans le monde… et c’est justement
ce que font les fidèles et la plupart des prêtres et des religieux.
«Aimez vos ennemis et
faites-leur du bien et priez pour eux».
La raison dit tout le
contraire et la preuve: combien peu de chrétiens sont capables d’aimer leurs
ennemis!
Ce soir, il y a une heure
sainte à l’église et tout à côté on donne des vues dans un cinéma; combien vont
suivre la foi et aller à l’église plutôt que de suivre la raison et aller au
cinéma?
Un mari encore jeune se
voit abandonné par sa femme qui s’en va vivre avec un autre; combien vont
suivre la foi et rester parfaitement chaste de toutes les façons? La plupart
diraient: «Ça n’a pas de bon sens et je vais faire comme elle!».
C’est que la foi veut
nous faire mener une vie toute céleste, tandis que la raison nous fait mener
une vie terrestre, si différente de l’autre! Puisque nous sommes maintenant des
enfants de Dieu, nous devons vivre comme Dieu, dans l’ordre surnaturel et donc
cesser de vivre comme des païens malgré les cris de la nature.
L’Ecriture dit que notre
élévation à l’ordre surnaturel est une nouvelle création, une vie nouvelle et
donc surtout dans la partie libre de notre activité et donc dans les motifs qui
doivent tous être absolument surnaturels comme notre fin dernière l’est. Comme
l’Apôtre dit: notre conversation doit être dans le ciel, ce qui veut dire notre
manière de vivre doit être toute celle du ciel. Nous devons donc vivre
uniquement dans le surnaturel et donc suivre notre lumière surnaturelle qui est
la foi et non pas la raison. Un païen fait œ qu’il veut, il se dirige selon sa
raison, mais un chrétien doit faire ce que Dieu veut à tout instant, du jour ou
de la nuit. Il doit consulter son Maître en tout ce qu’il fait et suivre ses
directives. Un païen prend en lui-même la direction de son activité; un
chrétien la prend en dehors de lui-même, en Dieu et en sa foi qui lui indique
la volonté de Dieu.
LA TRINITÉ EST…
LA VIE DIVINE du Père.
Jamais la raison n’aurait même pu soupçonner ce que la foi enseigne au sujet de
l’existence de la Sainte Trinité et encore bien moins de l’habitation de la
Sainte Trinité en nous. Nous n’avons donc qu’à prendre ce que la foi nous enseigne
et avec la raison essayer de tirer les conclusions pratiques pour notre propre
conduite spirituelle. Du fond de l’éternité, Dieu décida de créer des êtres
capables de le connaître et de l’aimer, afin de leur communiquer son propre
bonheur! Il est amour et l’amour aime à se répandre. Comme il est infini, il
devait faire cela d’une façon digne de son infinité. Il lui faudrait recevoir
le maximum de l’amour de la création. Il pouvait faire cela en qualité et en
quantité.
D’abord en qualité. Par
l’Incarnation de son Verbe, il lui donna la plus parfaite âme humaine qu’il
était capable de créer par sa puissance absolue, pour qu’elle soit digne du
Verbe, infini en tout comme son Père. Ce n’est que par ce moyen qu’il pourrait
avoir un être créé, en dehors de lui-même, et qui pourrait l’aimer de la plus
parfaite manière possible en dehors de l’infini. C’est la sainte Humanité de
J.-C. Si elle n’avait pas toutes les perfections possibles pour aimer Dieu le
plus parfaitement possible, Dieu n’aurait pas pu dire qu’il trouvait toutes ses
complaisances en elle. Ce que le Père dit du haut du ciel sur le Thabor,
s’adresse évidemment à Jésus en tant qu’homme aussi bien qu’en tant que Dieu
tel qu’il était en personne sur la montagne sainte.
A cette âme si parfaite,
Dieu communique la plus parfaite grâce sanctifiante qu’il pouvait créer aussi
par sa puissance absolue. L’Humanité de Jésus a donc reçu la plus grande et la
plus parfaite communication de la vie divine que Dieu pouvait donner à un être
créé. En voilà donc une capable d’aimer Dieu du maximum d’amour en dehors de
Dieu même. Comme elle est unie dans la Personne du Verbe. Voilà une création
digne de Dieu!
Mais ce Fils n’est que le
premier-né évidemment de toute une autre lignée de fils qu’il aura moins parfaits
que Jésus, mais semblables à lui par adoption: les hommes. Il nous crée des
animaux raisonnables et nous élève au rang divin en nous donnant la grâce
sanctifiante qui est une participation créée de sa vie divine. Nous devenons
donc ses véritables enfants, dignes de participer à sa vie trinitaire et à
aller plus tard jouir de son bonheur éternel dans la vision béatifique.
C’est une adoption
autrement parfaite que l’adoption simplement humaine. Dans cette dernière,
l’enfant n’est accepté que pour participer aux biens communs de sa famille
d’adoption. Mais cela ne le fait pas vraiment enfant de la famille. Tandis que
dans l’adoption divine, nous devenons participants non seulement des biens de
Dieu, mais de sa vie même. Nous devenons vraiment ses enfants dans toute la
force du mot, puisqu’il nous donne sa vie propre par la grâce sanctifiante.
Si nous croyons à cette
vie et que nous aimons Dieu, il dit que la Trinité viendra en nous et fera là
sa demeure! Elle ne nous fait pas égaux à Dieu, mais de même race ou des êtres
vraiment divins, ou comme on dit: déiformes ou semblables à Dieu. Il se trouve
à être vraiment notre Père et nous ses enfants réels avec tous les droits que
ce privilège comporte.
LA SAGESSE DIVINE est
attribuée à la deuxième Personne de la Sainte Trinité. Le Fils est comme la
Pensée du Père, il est son Verbe et sa Sagesse, car Dieu est infiniment sage et
c’est cette Sagesse qui constitue la deuxième Personne de la Trinité, ça par
quoi il se comprend lui-même. Comme elle vient du Père, on dit qu’elle est son
Fils.
Notre intelligence n’est
qu’un échantillon de la sienne et comme nous l’apprécions! Sûrement autant que
notre vie! Est-ce qu’on ne dit pas devant un idiot: Il serait aussi bien mort!
On estime les hommes au poids de leur intelligence. C’est elle qui manifeste la
vie, qui l’exploite en lui faisant donner son rendement. Comme nous apprécions
notre intelligence! Un compliment sur nos talents réjouit le cœur pour des
années! comme un blâme sur ce point attriste profondément!
L’Ecriture dit que le
Verbe ou la Sagesse divine est comme le reflet de la substance divine et de sa
splendeur ou le miroir de la divinité. C’est elle qui manifeste ce qu’il y a en
Dieu. Elle est infinie comme Dieu.
Nous sommes appelés à
aller participer à cette sagesse divine au ciel qui fera notre bonheur éternel.
Mais pour cela, il nous faut commencer sur terre dans la foi ce que nous
voulons faire dans la gloire céleste. Toute la vie du chrétien devrait se
passer à chercher cette sagesse divine pour y conformer ses pensées et ses
jugements. Nous devons prendre tout de suite la mentalité de J.-C., suivre son
esprit et juger comme lui en tout.
Où trouver cette divine
sagesse sinon dans les Ecritures? Dieu a mis là tout ce qui concerne notre
sanctification, afin que nous ne soyons pas seulement ses enfants, mais que
nous agissions comme tels et soyons parfaits selon sa sainte volonté. C’est là
que nous apprendrons à penser comme Jésus, à parler comme lui, à agir comme lui
en tout. De cette sorte, nous ferons une seule chose avec lui et donc avec son
Père avec lequel il est intimement uni.
En proportion que nous
vivrons de cette sagesse divine, nous approuverons tout ce qu’elle fait dans le
monde ou qu’elle permet. Nous ne devons donc pas murmurer jamais contre quoi
que ce soit en dehors du péché, car tout est dirigé par la sagesse divine pour
notre plus grand bien spirituel; c’est à nous de faire accorder nos jugements
avec ceux de Dieu, peu importe ce que notre petit bon sens humain en pense.
Ceux qui s’impatientent, qui murmurent et qui se fâchent contre les personnes
ou les événements insultent cette sagesse divine qui veut les choses ainsi pour
notre sanctification.
Tandis que ceux qui
approuvent tout ce que Dieu fait dans le monde lui font grand plaisir et
l’honorent en le glorifiant. Dans la même mesure, ils jouiront de lui au ciel.
Le plus grand obstacle à
cette sagesse divine en nous est notre propre sagesse humaine que nous tenons
tant à garder. Mais si nous ne voulons pas la sacrifier pour suivre celle de
Dieu, elle ne viendra pas en nous. Il nous a donné la nôtre pour que nous
puissions la semer, afin de récolter la sienne: c’est le prix de sa sagesse!
«Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde, afin de confondre les
sages!». Ceux qui mettent leur confiance en leur raison humaine se rendent
indignes de recevoir la sagesse divine. Dieu veut toute la gloire du bien que
nous faisons: il faut donc le faire selon et avec sa sagesse divine.
L’AMOUR DIVIN est
l’attraction mutuelle entre le Père et le Fils. On l’appelle le Saint-Esprit
parce que les deux premières Personnes l’ont comme exhalé dans leur soupir
réciproque d’amour. L’activité divine part donc du Père, passe par le Fils et
revient au Père par le Saint-Esprit. Le cycle est donc complet et fermé; il ne
peut pas y avoir d’autre relation entre ces trois Personnes divines. Toute
l’activité trinitaire se trouve donc dans la vie, la Sagesse et l’Amour divin.
Comme le Saint-Esprit
procède du Père et du Fils, ainsi, notre amour de Dieu en nous procédera de la
quantité ou du degré de notre vie divine et de notre sagesse divine. Sans la
grâce sanctifiante, il est impossible d’aimer Dieu sincèrement. De même celui
qui ne vit pas selon la sagesse divine de la foi ne peut pas aimer Dieu assez
pour être sauvé. Ceux qui ne jugent pas selon Dieu les événements et les
personnes, n’arriveront jamais à l’amour divin. Est-ce qu’on peut aimer une
personne que l’on trouve sotte? Eh bien! Si on dispute contre ce que Dieu a
fait dans le monde, comment peut-on l’aimer? Les trois personnes sont
solidaires l’une de l’autre. Pour augmenter dans l’activité de l’une, il faut
augmenter dans l’activité des deux autres. Par conséquent, si on n’aime pas la
manière de Dieu de gouverner le monde par sa sagesse infinie, c’est Dieu même
qu’on n’aime pas dans la même mesure.
Dieu est amour et pour
demeurer en Dieu, il faut demeurer en l’amour. Or, l’amour est une fin; on la
veut sans limite; on y pense constamment, on en parle à tout le monde et l’on
fait tout en vue de son amour. Eh bien! Sont-ils nombreux les chrétiens qui
aiment Dieu vraiment? Où sont ceux qui aiment à en parler? A en entendre
parler? Comme ils sont rares! Rares donc sont ceux qui aiment Dieu! Quand on
aime, on cherche à mieux connaître. Quand on aime, on cherche à se trouver
souvent avec l’objet de son amour. Ceux qui aiment Dieu recherchent donc les
choses de Dieu le plus possible; ils veulent s’instruire de tout ce que
concerne Dieu et le fréquentent le plus possible là où il est: dans le
Tabernacle et la sainte communion.
Comme le Saint-Esprit
agit en nous surtout par ses dons, nous devons les lui demander souvent et nous
disposer à les recevoir. Nous savons maintenant ce que cela veut dire: nous
défaire de toute attache qui empêche l’exercice des dons en nous. Car comment
Dieu peut-il nous donner la perfection de son amour quand on trouve qu’il ne
nous suffit pas et que nous cherchons de l’amour dans les créatures? C’est une
insulte à lui faire et nous la payons en étant privés de ces touches divines
qu’il ne donne qu’à ceux qui mettent tout leur amour en lui seul.
Une autre façon de le
montrer est qu’il s’agit ici de l’amour surnaturel de Dieu, le seul qui nous
donne le ciel. Car nous pouvons avoir un certain amour, que j’appelle naturel
et qui aurait suffi pour aller aux limbes. C’est une espèce d’admiration
intellectuelle pour l’être suprême et créateur que la raison toute seule peut
découvrir. Combien de prêtres philosophes n’ont actuellement que cet amour de
tête seulement!
Or, l’amour surnaturel
s’achète aux dépens de l’amour des créatures. Par conséquent, dès que je
conçois ce qu’est Dieu pour moi dans l’ordre surnaturel et dans ma destinée
surnaturelle, je dois retirer mon amour de toutes les créatures pour le
concentrer totalement sur Dieu seul comme il le veut dans son premier
commandement où il veut accaparer absolument toute notre capacité d’aimer. La
mesure d’aimer Dieu est de l’aimer sans mesure!
SON HABITATION EN NOUS
LE PÈRE NOUS DONNE SA
VIE.
Quand la Trinité vient en
nous, il est évident qu’elle continue en elle-même son activité divine, comme
dans le ciel. Mais plus que cela puisqu’elle vient en nous, c’est pour faire en
nous ce qu’elle fait en elle-même. Chacune des Personnes veut nous communiquer
son activité propre, afin de nous rendre semblables à elle-même. Le bienfait
est tellement grand qu’il vaut la peine d’être considéré en particulier.
Voyons d’abord le rôle du
Père en notre faveur. Il veut nous donner sa vie divine par la grâce
sanctifiante, donc créer et par suite toujours limiter et donc susceptible
d’augmentation. Ce que Jésus disait un jour: «Je suis venu pour qu’ils aient la
vie et qu’ils l’aient en abondance», il ne faisait que répéter ce qu’il avait
entendu dire à son Père. Donc quand le Père vient en nous, il vient pour
augmenter notre vie divine dans la grâce sanctifiante.
Mais nous savons qu’il ne
s’impose pas: il exige notre coopération libre. Il produira donc cette vie en
proportion que d’abord nous enlevons les obstacles et ensuite que nous
montrions notre désir intense et notre amour [notre haine] pour les créatures.
C’est parfaitement inutile de demander plus de grâce sanctifiante, si on ne
diminue pas son amour pour les créatures en les sacrifiant pour l’amour de
Dieu.
De même si on espère
l’augmenter, il faut le montrer en l’exerçant de plus en plus dans la pratique
de la vie. Par exemple, en nous occupant de plus en plus de choses spirituelles
et en coupant dans les choses du monde. Car Dieu regarde les œuvres et pas
seulement les désirs.
Quel bienfait inouï que
de savoir que la Sainte Trinité peut et veut nous communiquer toutes ses
processions comme en elle-même pour nous rendre semblables à elle dans la foi
pour nous faire goûter son bonheur dans la gloire du ciel! Ce qu’elle a fait
dans la sainte Humanité de Jésus, elle veut le faire en nous. Nos deux amours
naturels sont les pires obstacles à l’action trinitaire Or, l’on sait comment
les prêtres philosophes ne les attaquent jamais et même les protègent par
toutes sortes de sophismes comme on a montré ailleurs. Ils empêchent donc Dieu
de reproduire devant Dieu. Que Dieu ait pitié d’eux et leur ouvre les yeux dans
leur erreur de tactique, dans leurs «in se» purement spéculatifs.
Ceux qui veulent
favoriser l’action du Père pour nous donner sa vie divine seront ardents à
prendre tous les moyens que Dieu nous a déjà donnés pour nourrir cette vie
divine, comme la communion surtout, la lecture et la méditation des Ecritures,
car Jésus a dit que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain mais de toute
parole qui sort de la bouche de Dieu, donc des Ecritures. Enfin, qu’il pratique
toutes les vertus; elles nous apportent le divin dans la mesure que nous les
pratiquons. Il ne faut pas oublier la prière absolument nécessaire, même avec
les autres moyens. Dieu exige que nous lui demandions ses dons, afin de nous
les faire apprécier et d’avoir sa gloire quand il nous les donne.
LE FILS NOUS DONNE SA
SAGESSE.
A la dernière Cène, Jésus
dit: «Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, car le serviteur ne sait pas
ce que son maître fait, je vous appelle mes amis parce que je vous ai fait
connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père». Comme son rôle dans la Trinité
est de manifester le Père, une fois incarné ce rôle demeure en J.-C.: c’est
encore lui qui par sa vie et par sa doctrine nous enseigne la véritable sagesse
divine qui nous mène à Dieu. Avant de mourir Jésus dit: «Je vous ai fait
connaître au monde, je vous ai glorifié, j’ai accompli l’œuvre que vous m’aviez
confiée». Or connaître Jésus et Celui qui l’a envoyé, c est la vie éternelle.
C’est donc connaître la Trinité et les trésors immenses de sagesse divine
qu’elle renferme.
Quelle immense faveur que
de pouvoir pénétrer avec la grâce de Dieu dans le plan divin insondable à
l’esprit humain! C’est Jésus qui nous a apporté la connaissance des secrets de
Dieu cachés en son éternelle sagesse. Mais il reste à chacun de nous de les
comprendre dans notre propre esprit, aidé de la foi divine. Le chrétien peut
passer toute sa vie à s’appliquer à lui personnellement les trésors de sagesse
renfermés dans les paroles de Jésus, telles que rapportées dans les évangiles
et les épîtres.
Pour participer à la
sagesse de J.-C., qu’il veut bien nous donner, il nous fait renoncer à notre
propre jugement. Par exemple, quand on l’entend dire qu’il faut mépriser le
monde et tout ce qu’il y a dans le monde, il faut cesser d’estimer les choses
du monde malgré les répugnances de la nature, changer son jugement à ce sujet
et prendre celui de J.-C. Il faut agir de la sorte pour tout ce qui contredit
notre jugement pour juger de tout selon la sagesse de Jésus.
•791 Comment se fait-il
qu’il faille tant de temps pour sacrifier notre pauvre petit jugement si étroit
pour prendre celui de J.-C., notre Dieu? Jésus nous fait dire par son Apôtre:
«N’ayez de goût que pour les choses de Dieu et non pour celles de la terre!»,
et nous continuons de préférer celles de la terre à celles du ciel! Quel abîme
d’aveuglement quand l’homme est laissé à lui! Pourtant Dieu l’éclaire, mais il
ne veut pas voir! Il ferme les peux pour rester dans les ténèbres!
LE SAINT-ESPRIT NOUS
DONNE SON AMOUR… dans la proportion que nous vivons l’activité des deux
premières Personnes. C’est pourquoi il faut insister surtout sur les deux
premières, afin de s’assurer l’activité du Saint-Esprit. Suivons l’ordre établi
par Dieu dans la Trinité, si nous voulons aboutir à l’amour de Dieu. Surtout
sacrifions l’échantillon d’amour que Dieu nous a donné pour nous-mêmes et pour
le monde. Pour récolter l’amour de Dieu, il nous faut semer nos deux amours
naturels. Autrement c’est aussi impossible que pour un cultivateur de récolter
sans avoir semé. Jésus dit qu’il en est ainsi! Allons-nous prendre cinquante
ans pour croire qu’il est plus sage que nous? Qu’il sait ce qu’il dit?
Quand je dis que le
Saint-Esprit nous donne son amour, cela veut dire qu’il se donne lui-même à
nous. C’est lui qui vient habiter dans notre âme et en faire son temple et son
sanctuaire. De même pour le Fils et le Père: ce sont eux qui se donnent pour
être notre vie et notre sagesse divines.
C’est en nous laissant
envahir par ces trois Personnes divines ou par leurs activités réciproques que
nous sommes transformés en êtres divins de plus en plus parfaitement avec la
grâce de Dieu.
Comme la Trinité s’est
communiquée aussi parfaitement que possible à l’Humanité de Jésus, ainsi elle
veut se donner à nous pour continuer en nous son activité trinitaire comme en
elle-même. Dans la mesure que nous enlevons les obstacles à son action et que
nous nous disposons à la recevoir, le Père nous donnera de plus en plus de sa
vie divine que l’on reçoit dans la grâce sanctifiante, le Fils nous donnera sa
sagesse et le Saint-Esprit son amour divin.
Le travail de la
perfection consiste donc pour nous à faire de la place pour cette activité
trinitaire en nous. Comment le faire? En faisant mourir en nous la vie humaine
dans notre mentalité, ou nos affections naturelles et nos motifs naturels qui
sont des obstacles positifs à la vie divine. Dieu n’a rien de ces affections ou
de ces motifs naturels; donc un chrétien ne doit plus en avoir. On a beau dire
qu’ils sont bons en soi, est-ce que Dieu a tout ce qui est bon en soi? Un chien
est bon en soi, est-ce que le chien existe en Dieu? Donc qu’on nous laisse la
paix avec ces motifs bons en soi. Ils sont humains, donc Dieu n’en veut pas! Il
ne veut que du pur divin en lui. Et comme nous devons être transformés en êtres
divins, il n’en veut pas plus en nous qu’en lui.
De même ceux qui veulent
suivre leur sagesse humaine n’agissent pas comme des êtres divins, car Dieu ne
suit pas la sagesse humaine, mais sa sagesse divine. Si donc nous voulons
devenir une seule chose avec lui, nous devons abandonner de suite notre bon
sens humain pour ne suivre que la sagesse divine qui nous est manifestée par la
foi.
Enfin, si nous voulons
vivre d’amour divin, il faut cesser de suivre l’amour humain, quelque bon qu’il
soit en lui-même. Dieu n’a que du divin, nous devons donc n’avoir nous aussi
que du divin dans notre activité libre et volontaire. Eh bien! Tout amour
naturel est un obstacle positif à l’amour du Saint-Esprit. Son amour est tout
divin; si je veux son amour, je dois diviniser tout le mien et donc rejeter
absolument toute affection naturelle quelque bonne qu’elle soit.
La Vie, la Sagesse et
l’Amour sont les trois foyers d’activité intentionnelle libre, qui sont païens
par nature en nous, et donc que nous devons rejeter absolument pour ne prendre
que les trois foyers divins correspondants en la Trinité. C’est le travail de
toute une vie! Commençons tout de suite!
NOS DEVOIRS ENVERS LA
TRINITÉ
L’ADORATION.
Dès que nous croyons
fermement que la Trinité habite en nous, le premier mouvement de l’âme doit
être l’adoration, car elle est le temple du Saint-Esprit, elle est un
sanctuaire où Dieu habite. Elle reconnaît sa majesté infinie et sa propre
bassesse; elle s’incline dans une révérence profonde devant la grandeur de Dieu:
c’est là un acte d’adoration dû à Dieu seul. Aussitôt que la Sainte Vierge
comprit que le Verbe s’incarnait en elle, elle adora Dieu et chanta sa
reconnaissance dans son célèbre Magnificat, que l’Eglise continue de redire
constamment pour la gloire de Dieu. Que ce soient nos sentiments habituels
puisque la Trinité habite en nous réellement, si nous sommes en état de grâce.
Disons comme Marie: «Mon âme magnifie le Seigneur, parce qu’il a fait en moi de
grandes choses! Et son nom est saint!». Prenons tout de suite l’attitude que
nous aurons au ciel devant la Sainte Trinité: c’est celle de l’adoration
profonde.
L’AMOUR.
D’abord Dieu l’exige par
un commandement bien formel. Mais ceux qui ont tant soit peu de cœur devraient
lui donner leur amour en considération de tous les bienfaits qu’ils doivent à
chacune des trois Personnes divines: au Père la création, au Fils la rédemption
et au Saint-Esprit la sanctification avec toutes les conséquences pratiques que
ces ineffables faveurs comportent. Dieu nous demande de l’aimer: Mon fils,
donne-moi ton cœur! Comment lui refuser l’amour après tout ce qu’il a fait pour
nous? Que de péchés il nous a pardonnés! Que de bienfaits il a ajoutés à ses
pardons! Surtout puisque la Trinité vit en nous pour inspirer, influencer, conduire,
protéger et bénir toute notre activité libre, afin de la rendre semblable à la
sienne: toute divine! Il veut nous garder de tout mal et de tout péché, il veut
nous diviniser dans toutes les fibres de notre être, afin de nous faire
participants de son bonheur au ciel. N’est-ce pas assez pour l’aimer de toute
la capacité de notre être?
Mais pour arriver là, il
nous faut retirer notre amour des échantillons où il se perd inutilement pour
le ciel, et nuisiblement même pour notre salut. Car tout brin d’amour que nous
donnons aux échantillons est une insulte à Dieu et nous fait perdre sa grâce et
donc nuit à notre salut.
L’IMITATION.
Si nous admettons tout ce
qui précède, il nous reste à vouloir reproduire dans la pratique de la vie tout
ce que la Trinité fait en elle-même en autant que nous le pouvons avec la grâce
de Dieu. Comme Fils adoptifs de Dieu, nous avons l’obligation stricte de vivre
en enfants de Dieu pour nous rendre dignes de la société des trois Personnes
divines au ciel en commençant dans la foi et par la grâce de Dieu.
Les Apôtres se sont
servis souvent des conséquences que nous pouvons tirer de ce que nous sommes
les enfants de Dieu. «Ne savez vous pas que vous êtes les temples de Dieu et que
l’Esprit de Dieu habite en vous? Si quelqu’un souille le temple de Dieu, Dieu
le détruira: car le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous». 1 Cor.
3-16.
C’est cette idée que nous
devons reproduire, la Trinité en nous, que les Apôtres et les Pères de l’Eglise
ont souvent exploitée pour exhorter les fidèles à la sainteté. C’est autrement
efficace que de leur parler des péchés à éviter. C’est cette prédication
positive de la nécessité de revivre la vie divine en nous qui fait le plus de
bien aux âmes et que le Saint-Esprit bénit davantage.
Cultivons surtout notre
vie divine; étudions-là, pratiquons-la le plus possible en augmentant notre
grâce sanctifiante par tous les moyens à notre disposition, comme la messe, la
communion et les sacrifices.
Soyons sûrs de toujours juger
toutes les choses comme Jésus le fait et que nous le savons par l’Ecriture. Par
exemple, quand il dit de nous aimer les uns les autres, faisons-le! Aimons
toutes les personnes par le même motif que nous aimons Dieu.
Enfin, surveillons notre
amour qu’il soit tout aux choses de Dieu et uniquement là. C’est pour nous
communiquer toute sa vie trinitaire que la Trinité vient en nous; vivons donc
comme elle en tout et partout! Insistons souvent dans nos prières pour obtenir
ces grâces.
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