PREMIER
SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
Comment
le Saint-Esprit opère trois choses en nous.
1.
Mes biens chers frères, nous faisons aujourd'hui la fête du Saint-Esprit, elle
mérite d'être célébrée avec toute sorte de sentiments de joie et de dévotion,
car il n'est rien de plus doux en Dieu que son Saint-Esprit ; il est la bonté
même de Dieu, il n'est autre que Dieu même. Si donc nous faisons la fête des
saints, à combien plus forte raison devons-nous célébrer la fête de celui par
qui tous les saints sont devenus saints? Si nous vénérons ceux qui ont été
sanctifiés, à combien plus juste titre devons-nous honorer celui qui les a
sanctifiés? Nous faisons donc aujourd'hui la fête de l'Esprit-Saint qui a
apparu sous une forme visible, tout invisible qu'il soit, et aujourd'hui ce
même Esprit-Saint nous révèle quelque chose de sa personne, comme le Père et le
Fils s'étaient précédemment révélés à nous; car c'est dans la parfaite
connaissance de la Trinité que se trouve la vie éternelle. Quant à présent nous
ne la connaissons qu'en partie, et pour le reste qui nous échappe, que nous ne
pouvons comprendre, nous le tenons par la foi. Pour ce qui est du Père, je le
connais comme créateur de toutes choses, en entendant les créatures s'écrier
toutes d'une voix : « C'est lui qui nous a faites, nous ne nous sommes point
faites nous-mêmes (Psal. XCIX, 3), » et saint Paul, apôtre, dire : «Ce qu'il y
a d'invisible en Dieu est devenu visible depuis la création du monde, par la
connaissance que les créatures en donnent (Rom., I, 20). » Quant à son éternité
et à son immutabilité, cela me dépasse trop pour que je puisse y rien
comprendre, car il habite dans une lumière inaccessible. Pour ce qui est du
Fils, j'en sais, par sa grâce, de grandes choses, je sais qu'il s'est incarné.
Quant à sa génération éternelle, qui pourra la raconter (Isa. LIII, 8)? Qui
peut comprendre que le Fils est égal au Père? En ce qui regarde le
Saint-Esprit, si je ne connais point sa procession du Père et du Fils, car
cette connaissance admirable est si loin de mon esprit, et si élevée que je ne
pourrai jamais y atteindre (Psal. CXXXVIII, 8), du moins je sais quelque chose
de lui, c'est l'inspiration. Il y a deux choses dans sa procession, c'est le
lieu d'où il procède et celui où il procède. La procession du Père et du Fils
se trouve, pour moi, enveloppée d'épaisses ténèbres, mais sa procession vers
les hommes commence à devenir accessible à ma connaissance aujourd'hui, et elle
est claire maintenant pour les fidèles.
2.
Dans le principe, l'Esprit-Saint invisible manifestait sa venue par des signes
visibles, il fallait qu'il en fût ainsi; mais aujourd'hui, plus les signes sont
spirituels, plus ils conviennent à leur nature, plus ils semblent dignes de
lui. Il vint donc alors sur les apôtres sous la forme de langues de feu, afin
qu'ils parlassent dans la langue de tous les peuples des paroles de feu, et
qu'ils annonçassent avec une langue de feu une loi de feu. Que personne ne se
plaigne que l'Esprit ne se manifeste plus à nous ainsi maintenant, « car le
Saint-Esprit se manifeste à chacun selon qu'il est besoin (I Cor. XII, 7). »
Après tout, s'il faut le dire, c'est plutôt à nous qu'aux apôtres que s'est
faite cette manifestation du Saint-Esprit : en effet, à quoi devaient leur
servir ces langues des nations, sinon à convertir les nations? Le Saint-Esprit
s'est manifesté à eux d'une autre manière qui leur était plus personnelle, et
c'est de cette manière là qu'il se manifeste encore en nous à présent. En
effet, il devint clair pour tous qu'ils avaient été revêtus de la vertu d'en
haut, quand on les vit passer d'une si grande pusillanimité à une telle
constance. Ils ne cherchent plus à fuir, ils ne songent plus à se cacher, dans
la crainte des Juifs, bien loin de là, ils prêchent en public avec une
constance plus grande que la crainte qui les poussait naguère à se cacher. On
ne peut douter que le changement opéré en eux ne soit l'œuvre du Très-Haut,
quand on se rappelle les craintes du prince des apôtres à la voix d'une
servante, et qu'on voit aujourd'hui sa force sous les coups dont les princes
des prêtres le font charger. « Les apôtres sortirent du conseil; dit
l'Écriture, tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de
souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Act. V, 41), » qu'ils avaient
abandonné quand on le conduisait lui-même, devant le conseil, et laissé seul
par leur fuite. Peut-on douter après cela, qu'ils aient été visités par
l'Esprit de force qui seul a pu faire éclater une puissance invisible dans leur
âme ? C'est de la même manière aussi que les choses que l'Esprit-Saint opère en
nous rendent témoignage de sa présence en nous.
3.
Comme il nous a été ordonné de nous détourner du mal et de faire du bien (I
Petr. III, 11, et Psal. XXXIII, 145), voyez comment le Saint-Esprit vient au
secours de notre faiblesse pour nous faire accomplir ces deux commandements,
car si les grâces sont différentes, l'Esprit qui les donne est le même. Ainsi,
pour nous détourner du mal, il opère trois choses en nous, la componction, la
supplication et la rémission. En effet, le commencement de notre retour à Dieu
est dans le repentir qui n'est certainement point le fruit de notre esprit,
mais de l'Esprit-Saint : c'est une vérité que la raison nous enseigne et que
l'autorité confirme. En effet, quel homme, s'il s'approche du feu, transi de
froid, hésitera à croire, quand il se sera réchauffé, que c'est du feu que lui
vient la chaleur qu'il n'aurait pu se procurer ailleurs? Ainsi en est-il de
celui .qui, transi de froid par le péché, s'il vient se réchauffer aux ardeurs
du repentir, il ne peut douter qu'il a reçu un autre esprit que le sien, qui le
gourmande et le juge? C'est d'ailleurs ce que nous apprend l'Évangile; car, en
parlant du Saint-Esprit que les fidèles doivent recevoir, le Sauveur dit : « Il
convaincra le monde de péché (Joan. XVI, 8). »
4.
Mais à quoi bon le repentir de sa faute, si on ne prie point pour en obtenir le
pardon? Or, il faut encore que ceci soit opéré par le Saint-Esprit, pour qu'il
remplisse notre âme d'une douce confiance qui la porte à prier avec joie et
sans hésiter. Voulez-vous que je vous montre que c'est là encore l'œuvre du
Saint-Esprit? D'abord, tant qu'il sera éloigné de vous, soyez sûr que vous ne
trouverez rien qui ressemble à la prière au fond de votre cœur. D'ailleurs,
n'est-ce pas en lui que nous nous écrions : Mon Père, mon Père (Rom. VIII, 16)
? N'est-ce pas lui encore qui prie pour nous avec des gémissements inénarrables
(Ibidem, 26), et cela dans le fond même de notre cœur? Que ne fait-il point
dans le cœur du Père? Mais, de même qu'au dedans de nous, il intercède pour
nous, ainsi, dans le Père, il nous pardonne nos fautes de concert avec le Père;
dans nos cœurs, il remplit auprès du Père le rôle de notre avocat, et dans le cœur
du Père il se conduit divers nous comme notre Seigneur. Ainsi c'est lui qui
nous donne la grâce de prier, et c'est lui qui nous accorde ce que 'nous
demandons dans la prière, et, en même temps qu'il nous élève vers Dieu, par une
pieuse confiance en lui, il incline bien plus encore le cœur de Dieu vers nous,
par un effet de sa bonté et de sa miséricorde. Aussi, pour que vous ne doutiez
point que c'est le Saint-Esprit qui opère la rémission des péchés, écoutez ce
qui fut dit un jour aux apôtres : «Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront
remis à ceux à qui vous les remettrez (Joan. XX, 22 et 23). » Voilà donc ce que
fait le Saint-Esprit pour nous éloigner du péché.
5.
Quant au bien, qu'est-ce que le Saint-Esprit opère en nous pour nous le faire
faire ? Il nous avertit, il nous meut, il nous instruit. Il avertit notre
mémoire, il instruit notre raison, il meut notre volonté; car toute l'âme est
dans ces trois facultés. Pour ce qui est de la mémoire le Saint-Esprit lui
suggère le souvenir du bien dans ses saintes pensées, et c'est par là qu'il
secoue notre lâcheté et réveille notre torpeur. Aussi, toutes les fois, ô mon
frère, que vous sentirez naître dans votre cœur le souvenir du bien, rendez
gloire à Dieu, et hommage au Saint-Esprit, c'est sa voix qui retentit à vos
oreilles, car il n'y a que lui qui parle de justice, et, comme dit l'Evangile :
« Il vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit (Joann. XIV, 26). »
Mais remarquez ce qui précède : « Il vous enseignera toutes choses (Ibid.). »
Or, je vous ai dit qu'il instruit la raison. Il y en a beaucoup qui sont
pressés de bien faire, mais ils ne savent ce qu'ils doivent faire, il leur
faut, pour cela, encore une grâce du Saint-Esprit. Il faut qu'après nous avoir
suggéré la pensée du bien, il nous apprenne à en venir aux actes, et à ne pas
laisser la grâce de Dieu stérile dans notre cœur. Mais quoi! n'est-il pas dit
que « celui-là est plus coupable, qui sait ce qu'il faut faire et ne le fait
point (Jacob. IV, 17) ? » Ce n'est donc point assez d'être averti et instruit
du bien à faire, il faut encore que nous soyons mus, et portés à le faire par
le Saint-Esprit qui aide notre faiblesse, et répand dans nos cœurs la charité
qui n'est autre que la Bonne volonté.
6.
Mais, lorsque le Saint-Esprit, survenant ainsi en vous, se sera mis en
possession de votre âme tout entière, lui suggérera de bonnes pensées,
l'instruira et l'excitera, en faisant entendre constamment sa voix dans nos
âmes, et que nous entendrons ce que le Seigneur Dieu dira au dedans de nous en
éclairant notre raison et enflammant notre volonté. Ne vous semble-t-il pas
alors qu'il aura rempli, de langues de feu, la maison entière de notre âme?
Car, comme je vous l'ai déjà dit, l'âme est toute dans ces trois facultés. Que ces
langues de feu nous semblent distinctes les unes des autres, c'est un signe de
la multiplicité des pensées de notre esprit, mais dans leur multiplicité même,
la lumière de la vérité, et la chaleur de la charité, en fera comme un seul et
même foyer. D'ailleurs, on peut dire que la maison de notre âme ne sera
complètement remplie qu'à la fin, lorsqu'il sera versé dans notre sein une
bonne mesure, une mesure foulée, pressée, enfaîtée par dessus les bords. Mais
quand en sera-t-il ainsi? Seulement, lorsque les jours de la Pentecôte seront
accomplis. Heureux ceux qui sont déjà entrés dans la quadragésime du repos, et
qui ont commencé l'année jubilaire, je veux parler de ceux de nos frères à qui
le Saint-Esprit a donné l'ordre de se reposer de leurs travaux, car c'est
encore une de ses opérations. En effet, il y a deux époques que nous célébrons
particulièrement, l'une est la Quadragésime, et l'autre la Quinquagésime; l'une
précède la Passion et l'autre suit la Résurrection; la première est consacrée à
la componction du coeur et aux larmes de la pénitence; la seconde à la dévotion
de l'esprit, et au chant solennel de l'Alléluia. La sainte quarantaine est la
figure de la vie présente, et les cinquante jours qui la suivent sont l'image
du repos des saints qui succède à leur mort. Lorsque les jours de cette
cinquantaine seront terminés, c'est-à-dire au jugement dernier, et à la
résurrection, le jour de la Pentecôte sera venu, et la maison sera toute
remplie de la plénitude du Saint-Esprit. Car, la terre entière sera pleine de
sa majesté lorsque, non-seulement notre âme, mais aussi notre corps devenu
spirituel ressuscitera, si toutefois, selon l'avis que l'Apôtre nous donne,
nous avons eu soin de le semer enterre, lorsqu'il était encore tout animal (I
Cor. XV, 44).
DEUXIÈME
SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
Des
opérations de la Trinité en nous et de trois sortes de grâces du Saint-Esprit.
1.
C'est aujourd'hui, mes frères bien-aimés, que les cieux se sont fondus en eau à
la face du Dieu d'Israël, et qu'une pluie volontaire est tombée sur l'héritage
du Christ (Psal. LXVII, 10) ; car c'est aujourd'hui que l'Esprit-Saint qui
procède du Père, est descendu sur les apôtres dans la plénitude de sa majesté,
et leur a fait part des dons de sa grâce. Après les magnificences de la
résurrection, après les splendeurs de l'ascension, après la gloire décernée à
Jésus dans le séjour des cieux, il ne nous restait plus qu'à voir enfin la joie
des justes, depuis si longtemps attendue, et les hommes du ciel remplis des
dons des cieux. N'est-ce pas ce qu'avait prédit Isaïe longtemps d'avance, en
termes d'un grand poids, et dans un ordre parfait, lorsqu'il disait : « Un jour
viendra où le germe du Seigneur sera dans la magnificence et dans la gloire; où
les fruits de la terre seront abondants, et ceux qui auront été sauvés en
Israël seront dans la joie (Isa. IV, 2) ? » Ce germe du Seigneur n'est autre
que Jésus-Christ, qui seul a été conçu tout à fait sans péché, car s'il est
venu dans une chair semblable à celle du péché, cependant elle n'était point
une chair de péché, et pour avoir été fils d'Adam selon la chair, il ne fut
point son fils selon les privations; il ne fut pas un enfant de colère par la
nature comme le reste des hommes qui sont tous conçus dans l'iniquité. Or, ce
germe de la tige de Jessé qui se développe dans le sein fécond d'une vierge,
fut dans toute sa magnificence le jour où il ressuscita d'entre les morts; car,
c'est alors, Seigneur mon Dieu, que vous avez fait paraître votre grandeur
d'une manière éclatante, que vous vous êtes environné de gloire et de majesté,
et revêtu de lumière et d'éclat comme d'un manteau (Psal. CIII, 1 et 2). Mais
ensuite, quelle ne fut point la gloire de votre ascension, lorsque vous
retournâtes à votre Père, au milieu du cortège des anges et des âmes saintes,
ce jour où, la palme du triomphe à la main, vous êtes entré dans les cieux, et
où vous avez enfermé l'humanité que vous avez prise, dans l'identité même de la
divinité ? Quel homme pourrait, je ne dis point expliquer par des paroles, mais
seulement concevoir dans sa pensée, l'élévation de ce fruit mûri sur la terre,
quand il alla se placer à la droite du Père, sur ce trône où il éblouit les
yeux des natures célestes, lui que les anges n'osent contempler, et qu'ils
craignent de toucher même du regard? O Seigneur Jésus, que ceux qui ont été
sauvés en Israël, que vos apôtres dont vous avez fait choix avant la création
du monde, soient inondés d'allégresse. Que votre esprit qui est bon, qui lave
nos souillures et sème les vertus, vienne enfin dans un esprit de jugement et
de ferveur.
2.
Allons, mes frères, repassons dans notre esprit les opérations de la Trinité en
nous et sur nous, depuis le commencement jusqu'à la fin du monde, et voyons
avec quelle sollicitude, cette majesté divine, sur qui repose l'administration
et le gouvernement des siècles, a pris soin de ne point nous perdre pour
l'éternité. Elle avait tout créé dans la puissance, elle gouvernait tout dans
la sagesse, et multipliait les preuves de l'une et de l'autre, c'est-à-dire de la
puissance et de la sagesse, dans la création et dans la conservation de la
machine ronde; quant à la bonté, cette bonté excessive qui était aussi en Dieu,
elle y demeurait cachée dans le cœur du Père, mais elle devait, un jour, se
répandre comme un trésor depuis longtemps grossi, sur la race des enfants
d'Adam. Mais en attendant le jour propice pour cela, le Seigneur disait : « Je
nourris des pensées de paix (Isa. XXIX, 11), » et songeait à nous envoyer celui
qui est notre paix, celui qui a réuni en un, ce qui était divisé en deux, il
méditait, dis-je, de donner enfin la paix par dessus la paix, la paix à ceux
qui étaient loin de lui, et la paix à ceux qui en étaient proches. Le Verbe de
Dieu était établi au plus haut des cieux, mais sa propre bonté l'engagea à
descendre vers nous, sa miséricorde l'arracha de son trône, la vérité, comme il
avait promis de venir, le contraignit à le faire, la pureté d'un sein virginal,
le reçut sans détriment pour la virginité de sa mère, et sa puissance l'en fit
sortir de même; l'obéissance fut son guide en toute occasion, et la patience,
son armure ; sa charité le fit reconnaître à son langage et à ses miracles.
3.
A présent, je trouve dans la pensée de mes maux et dans le souvenir des larmes
de mon Dieu, une ample matière à réflexion sur les voies que je suis, et un
motif de tourner mes pas vers ses commandements. En effet, ces liens sont
ineffables, parce que, pour tout dire en un mot, le Dieu sage n'a rien trouvé
de meilleur pour nous racheter dans toute sa sagesse. Mais nous étions
environnés de maux sans nombre; car, comme dit le Juste : « Mes péchés ont
dépassé le nombre des grains de sable de la mer, et vous, Seigneur, vous me
pardonnerez ces péchés pour la gloire de votre nom, parce qu'ils sont nombreux
(Psal. XXIV, 12). » Si le diable envoya un serpent, aux replis tortueux,
verser, par le conduit de l'oreille, dans l'âme de la femme, un venin qui
devait se répandre ensuite dans toute sa race, Dieu, de son côté, envoya aussi
un ange, Gabriel, pour faire entrer également par le conduit de l'oreille, dans
le sein d'une vierge, le Verbe du Père, et faire pénétrer l'antidote par la
même voie que le poison avait suivie. Ah! nous avons vu sa gloire, et c'était
bien la gloire qui convenait au Fils unique du Père, et ce que le Christ nous a
apporté du cœur de son Père n'avait rien que de paternel; en sorte que le genre
humain pouvait, dans sa crainte, soupçonner dans le Fils de Dieu rien qui ne
fût doux et digne du cœur d'un Père. Nous n'étions qu'une plaie depuis la
plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, nous étions hors de la bonne voie
dès le ventre de nos mères, nous étions damnés dam leur sein avant même d'y
être nés, car nous sommes conçus du péché et conçus dans le péché.
4.
Jésus-Christ est donc venu apporter un premier remède là même où nous sommes
atteints par la première blessure; il descend substantiellement dans le sein
d'une Vierge, et y est conçu par l'opération du Saint-Esprit, pour purifier
ainsi notre propre conception, que l'esprit du mal avait infestée sinon faite;
ne voulant pas que sa vie terrestre fût stérile, il purifie, pendant les neuf
mois passés dans le sein de sa mère, notre antique blessure, en scrutant à
fond, comme on dit, ce pays de purulence, afin d'y faire revenir une santé
perpétuelle. Voilà comment il apparaît alors notre salut au milieu de la terre,
c'est-à-dire dans le sein même de la Vierge Marie, qui est appelée le milieu de
la ferre avec une admirable propriété de termes. En effet, Marie est comme le
juste milieu, comme l'arche de Dieu, comme la cause de toutes choses, et
l'affaire de tous les siècles, où se fixent les regards de ceux qui habitent
dans le ciel, et de ceux qui sont dans les enfers, de ceux qui nous ont
précédés, de nous qui venons après eux, et de ceux qui viendront après nous,
des enfants de nos enfants, et des enfants qui descendront de nos
petits-enfants. Ceux qui sont dans le ciel la contemplent pour être réparés, et
ceux qui habitent dans les enfers fixent les yeux sur elle pour en être tirés ;
ceux qui font précédée la considèrent pour être trouvés des prophètes fidèles;
et ceux qui la suivent, pour être glorifiés. Voilà pourquoi toutes les nations
vous proclament bienheureuse, ô Mère de Dieu, Maîtresse du inonde, Reine du
ciel (Luc. I, 48); oui, dis-je, toutes les nations, car il y a des générations
dans le ciel comme il en est sur la terre, selon ces paroles de l'Apôtre : a Le
père des esprits, de qui découle touffe paternité dans le ciel et sur la terre
(Eph. III, 15). » Ainsi désormais toutes les générations, ô Vierge, vous
proclameront bienheureuse, parce que vous avez enfanté pour elles toutes, la
vie et la gloire. N'est-ce point en vous que les anges trouvent à jamais la
joie, les justes, la grâce, et les pécheurs, le pardon? C'est donc avec raison
que toute créature a les yeux fixés sur vous, puisque ce n'est que par vous, en
vous et, de vous que la main du Tout-Puissant a récréé ce qu'il avait créé une
première fois.
5.
Mais vous, Seigneur Jésus, me ferez-vous la grâce de me donner votre vie de
même que vous m'avez donné votre conception? Car ce n'est pas assez que ma
conception soit impulse, ma mort est perverse et ma vie pleine de péril; mais
ma mort est suivie, d'une seconde mort plus grave que la première. Je te donnerai,
me répond-il, non-seulement ma conception, mais ma vie aussi; et cela à tous
les degrés des âges que tu pourras parcourir; je te donnerai donc, ô homme, mon
bas-âge, mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse, je te donnerai tout, je te
donnerai même ma mort, ma résurrection, et mon ascension, je t'enverrai ensuite
le Saint-Esprit, et cela je le feras afin due ma conception purifie la tienne,
que ma, vie façonne ta vie, ove ma mort détruise ta mort, que ma résurrection
prélude à la tienne, que mon ascension prépare ton ascension et que ton esprit
vienne en aide à ta faiblesse. Ainsi, tu verras sans obscurité la voie où tu dois,
marcher, tu sauras avec quelle prudence on doit y marches, et' tu verras le
séjour où tu dois tendre. Dans nia vie tu connaîtras ta voie, et, en me voyant
frayer les sentiers de la pauvreté, et de l'obéissance, de l'humilité et de la
patience, de la charité et de la miséricorde, sans jamais m'en écarter, tu
pourras marcher sur mes pas, sans t’écarter ni à droite ni à gauche. Mais dans
ma mort te donnerai ma justice, je briserai le joug de ta captivité, je
débusquerai les ennemis qui assiègent tes voies et les occupent et les
empêcherai de te nuire. Après cela je retournerai dans le séjour d'où je suis
parti, et je rendrai la vue de ma personne à ces brebis qui étaient restées sur
les montagnes et que j'avais quittées, non pas pour te ramener, toi, mais pour
te rapporter sur mes épaules.
6.
Mais, ô homme, pour que tu ne te plaignes point de mon absence et que ton cœur
n'en soit point attristé, je t'enverrai l'Esprit paraclet, qui te donnera un
gage de salut, la force de la vie, 1a lumière de la science: le gage du salut,
c'est le témoignage que cet Esprit saint rendra à ton esprit que tu es fils de
Dieu : ce sont les signes bien certains (a) de prédestination qu'il imprimera
et montrera dans ton cœur. Il répandra la joie dans ton cœur et il arrosera, sinon constamment, du moins bien souvent, ton âme de la féconde rosée du Ciel. Il te donnera aussi la force de la vie en sorte que ce qui est impossible à la nature, par sa grâce, non-seulement te deviendra possible, mais même te sera facile, et te fera marcher avec bonheur comme au sein de la richesse et de l'abondance, au milieu des travaux et des veilles, dans la faim et la soif et dans toutes les observances religieuses, qui sembleraient un plat de mort si elles n'étaient édulcorées par cette douce farine. Il te donnera enfin la lumière de la science qui te fera dire, quand tu auras tout fait comme il faut que ce soit fait, que tu es un serviteur inutile : cette lumière de science qui t'empêchera de t'attribuer le bien que tu pourras trouver en toi, attendu que tout bien vient de lui, de lui, dis-je, sans qui non seulement, ô homme, tu es incapable de commencer le moindre bien, mais de commencer quelque bien que ce soit, bien loin de pouvoir le mener à bonne fin, Voilà donc, comment cet esprit t'instruira en ces trois choses, de toutes choses ; oui, de tout ce qui a rapport à ton salut, car c'est en ces trois choses que se trouve la perfection pleine et entière.
8. O enfants d'Adam, ô hommes de pierre et de bronze, que tant de bonté, une telle flamme, un amour si brûlant, un cœur si ardent qui a échangé de si riches vêtements contre des hardes si viles, ne peuvent attendrir! cet amant de nos âmes ne nous a point rachetés au prix de choses corruptibles, à prix d'or ou d'argent, mais au prix de son précieux sang dont il a versé la dernière goutte pour nous, car Veau et le sang ont coulé à flots des cinq plaies du corps de Jésus. Qu'aurait-il dû faire de plus qu'il n'ait pas fait? il a rendu la vue aux aveugles, il a ramené dans la droite voie ceux qui s'étaient égarés; il a réconcilié les pécheurs avec Dieu, il a justifié les impies, il a passé trente-trois ans sur la terre, il vécut au milieu des hommes et mourut pour les hommes, lui qui n'eut qu'un mot à dire, et toutes les vertus angéliques, les séraphins et les chérubins, ont été créés, lui enfin qui peut tout ce qu'il veut. Que te demande donc, ô homme, celui qui t'a recherché avec une pareille sollicitude? rien autre chose que de te voir pressé du désir de monter avec ton Dieu. Or ce désir, il n'y a que le Saint-Esprit qui le fasse naître, lui qui scrute le fond de nos cœurs, qui discerne les parties de notre âme et les intentions de notre esprit, lui qui ne souffre point la présence du plus petit brin de paille dans la demeure de notre cœur, lorsqu'il s'y est établi, sans le consumer aussitôt aux ardeurs de son seul regard, cet esprit, dis-je, plein de douceur et de suavité, qui plie notre volonté, ou plutôt la redresse et la conforme à la sienne, afin que nous puissions comprendre exactement quelle elle est, l'aimer avec ferveur, et l'accomplir avec efficacité.
7. C'est précisément ce qui faisait dire à un prophète, sous l'inspiration du même esprit: « semez pour vous dans la justice, » voilà pour le gage du salut : « moissonnez l'espérance de la vie, » ces mots rappellent la force de la vie; et «Allumez-vous la lumière de la science » paroles qui n'ont besoin d'aucun commentaire; et si ce même esprit a apparu sur les apôtres en langue de feu, c'est pour rappeler qu'il éclaire en même temps qu'il échauffe; aussi ceux qu'il remplit de sa présence les remplit-il en même temps de ferveur, et leur fait-il connaître en vérité qu'il n'y a que la miséricorde toute seule qui les a prévenus et qui les conduit. Le serviteur de Dieu qui disait « la miséricorde de mon Dieu me préviendra (Psal. LVIII, 11), » ou bien, « votre miséricorde, Seigneur, est devant mes yeux (Psal. XXV, 3), » ou bien encore, « votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie (Psal. XXII, 6), » et ailleurs, « le Seigneur m'environne de la miséricorde (Psal. CII, 4), » et enfin, « mon Dieu et ma miséricorde (Psal. LVIII, 11), » était bien rempli des preuves de cette miséricorde. Avec quelle douceur, Seigneur Jésus, n'avez-vous point vécu parmi les hommes! avec quelle abondance et quelle largesse ne leur avez-vous point fait du bien! quelle force n'avez-vous point montrée au milieu des traitements indignes et cruels que vous avez essuyés pour les hommes! On peut bien dire qu'il eût été plus facile d'aspirer le miel de la pierre et l'huile des rochers les plus durs, tant vous fûtes vous-mêmes dur et insensible aux paroles, plus dur encore aux coups, extrêmement dur enfin au supplice de la croix, car, au milieu de toutes ces épreuves on vous vit muet comme l'agneau qui se tait, et n'ouvre même point la bouche entre les mains de celui qui lui ravit sa toison. Vous voyez avec quelle vérité s'exprimait celui qui disait : « le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXXIX, 23). » Dieu le Père pour racheter un esclave n'épargne pas même son Fils, et le Fils va de lui-même au devant des épreuves; le Père et ce Fils envoient ensuite le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit enfin prie pour nous avec des gémissements inénarrables.
(a)
Saint Bernard appelle ces signes, « des signes bien certains, » dans le même
sens qu'il disait dans son second sermon pour l'octave de Pâques, n. 3. « Si
toute certitude sur ce point nous est absolument refusée. « On peut se reporter
encore su premier sermon, pour la septuagésime, n. 1, où Saint Bernard
s’exprime ainsi : « Il est certain que nous ne sommes point assurés de notre
salut; mais l'espérance qui s'appuie sur la foi nous console et empêche une
nous ne soyons torturés par l'inquiétude et le doute à ce sujet. Aussi nous
a-t-il donné des signes si manifestes de salut, qu'il n'est pas permis de
douter que ceux en qui ils se rencontrent ne soient du nombre des élus. Il a
voulu, s'il leur refusait la certitude du salut, afin de les maintenir dans une
sorte de sollicitude à ce sujet, leur donner au moins dans l'espérance, la
grâce de la consolation. » On peut consulter encore là-dessus, si on veut, les
notes de Horstius.
TROISIEME
SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE.
De
l’opération multiple du Saint-Esprit en nous.
1.
L'Esprit-Saint, dont nous faisons aujourd'hui la fête, d'une manière toute
particulière, plût au ciel que ce fût aussi avec une dévotion toute
particulière, m'est témoin du bonheur avec lequel je vous ferais part de toutes
les inspirations de la grâce d'en haut, si j'en recevais quelques unes, oui, il
le sait, dis-je, cet Esprit qui vous a réunis, non-seulement dans une même
cité, mais dans une même demeure, afin d'y descendre sur vous, et de se reposer
sur vous, mes frères bien-aimés, qui avez le cœur humble, et écoutez ses
paroles avec tremblement. C'est le même esprit qui a couvert la vierge Marie de
son ombre, et fortifié les apôtres d'un côté, pour tempérer l'effet de
l'arrivée de la divinité dans le sein de cette vierge, et de l'autre pour
revêtir les apôtres de la vertu d'en haut, je veux dire de la plus ardente
charité. C'est, en effet, la cuirasse dont se recouvrit le collège apostolique
tout entier, comme un géant, qui se prépare à se venger des nations, et à
châtier les peuples, à lier leurs rois en chargeant leurs pieds de chaînes, et
les grands d'entre eux, en leur mettant les fers aux mains (Psal., CXLIX, 7 et
8), car ils étaient envoyés vers la maison du fort armé, pour le garrotter et
s'emparer de tous ses meubles, il leur fallait donc une force plus grande que
la sienne. Quelle mission n'aurait-ce point été pour leur faiblesse, de
triompher de la mort, et de ne point laisser les portes de l'enfer prévaloir
contre eux, s'ils n'avaient eu, vivante au fond de leur cœur, pour triompher
par elle, une charité aussi forte que la mort même, un zèle aussi inflexible
que l'enfer (Cant. VIII, 6) ? Or, c'est de ce zèle qu'ils faisaient preuve,
quand on les prit pour des hommes ivres (Act. II, 13). Ils l'étaient, en effet,
mais non du vin que pensaient ceux qui ne croyaient pas à leur parole. Oui, dis-je,
ils étaient ivres, mais d'un vin nouveau, dont de vieilles outres étaient
indignes, et que, d'ailleurs, elles n'auraient pu contenir. Ce vin, c'était
celui que la vraie vigne avait laissé couler du haut du ciel, un vin capable de
réjouir le mur de l'homme, non point de troubler son esprit; un vin qui fait
germer les vierges, et ne force point les sages à apostasier la sagesse.
C'était un vin nouveau pour les habitants de la terre, car, pour ceux du ciel,
il se trouvait jadis en extrême abondance, non dans des outres de peaux, ou
dans des vases de terre, mais dans des celliers à vin, dans des outres
spirituelles. Il coulait à flot, dans les rues et les places de la sainte cité,
où il répandait la joie du cœur, non la luxure de la chair, car les habitants
de la terre et les enfants des hommes n'avaient point de vin de cette nature.
2.
Ainsi, il avait au ciel un vin particulier que la terre ignorait mais la terre
avait aussi un produit qui lui était propre, c'est la chair du Christ, dont
elle était fière, et dont les cieux ambitionnaient la vue. Qui donc empêche
qu'il ne se fasse un fidèle commerce entre le ciel et la terre, entre les auges
et les apôtres, un échange de la chair du Christ entre les uns et les autres,
en sorte que la terre possède l'Esprit-Saint, et le ciel, la chair du Christ ,
et que l'un et l'autre soient à jamais possédés en commun par la terre et par
les cieux en même temps ? Jésus avait
dit : « Si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra point à vous (Joann. XVI,
7.) » C'était dire : Si vous ne cédez l'objet de votre amour, vous n'aurez
point celui de vos désirs; il vous est donc avantageux que je m'en aille et que
je vous transporte de la terre au ciel, de la chair à l'esprit, car le Père est
esprit, le Fils est esprit, et l'Esprit-Saint est esprit aussi. Enfin le Christ
est un esprit devant .ans yeux. Or, le Père étant esprit cherche des adorateurs
qui l'adorent en esprit et en vérité. Quant au Saint-Esprit, il semble avoir
reçu le nom d'esprit par excellence, parce qu'il procède du. Père et du fils,
et se trouve être le lien le plus ferme et le plus indissoluble de la Trinité,
et celui de saint également en propre, parce qu'il est un don du Père et du
Fils et qu'il sanctifie toute créature. Mais le Père n'en est pas moins aussi
esprit et saint ; de même que le Fils est également saint et esprit, le Fils,
dis-je, « de qui, en qui et par qui toutes choses sont (Rom. XI, 36), » selon
le mot de l'Apôtre.
3.
Il y a trois choses dans l'œuvre de ce monde qui doivent attirer nos pensées :
qu'est-ce que le monde, comment existe-t-il, et pourquoi a-t-il été fait? Dans
la création des êtres éclate, d'une manière admirable, la puissance qui a créé
tant et de si grandes choses, en si grand nombre et avec tant de magnificence.
Dans la manière dont elles ont été faites, se montre une sagesse unique qui a
placé les uns en haut, les autres en bas et d'autres encore au milieu. Si nous
réfléchissons sur la fin pour lesquelles toutes ces choses ont été faites, nous
trouvons, en elles toutes, la preuve d'une si utile bonté et d'une si bonne
utilité, qu'il y a en elles de quoi accabler sous la multitude et la grandeur
des bienfaits dont elles sont pleines pour nous, les plus ingrats des hommes.
Dieu a donc montré sa puissance infinie, en faisant tout de rien, d'une sagesse
égale, en ne faisant rien que de beau, et d'une bonté pareille à sa sagesse et
à sa puissance, en ne créant rien que d'utile. Mais nous savons qu'il y eut,
dès le commencement, et nous voyons tous les jours qu'il y en a beaucoup parmi
les enfants des hommes, que les biens de l'ordre mystérieux et sensible de la
nature tiennent courbés sous les jouissances sensuelles, bien des hommes,
dis-je, qui se sont donnés tout entiers aux choses créées sans se demander
jamais ni comment, ni pourquoi elles ont été créées. Comment les
appellerons-nous, sinon hommes charnels ? Il y en a bien quelques-uns, je
pense, et l'histoire nous apprend qu'il en a existé plusieurs dans ces
dispositions-là, dont le goût unique et la suprême occupation sont de
rechercher ce que Dieu a fait, et comment il l'a fait, d'une manière si
exclusive, que non-seulement, pour la plupart, ils ont négligé de s'enquérir de
l'utilité des choses, mais sont allés même jusqu'à les mépriser avec
magnanimité, et à se contenter d'une nourriture à peine suffisante et vile. Ces
gens-là se sont donné à eux-mêmes le titre de philosophes ; quant à moi, pour
les appeler par leur véritable nom, je dirai que ce sont des hommes curieux et
vains.
4.
A ces deux espèces d'hommes en ont succédé de beaucoup plus sages qui, comptant
pour peu de chose de savoir ce que Dieu a fait et comment il l'a fait, ont
appliqué toute la sagacité de leur esprit à découvrir pour quelle fin il l'a
fait, aussi ne leur a-t-il point échappé que tout ce que Dieu a fait, il l'a
fait pour lui et pour les siens; non pas toutefois de la même manière pour lui
que pour les siens. Quand nous disons qu'il a fait tout pour lui (Prov.), notre
pensée se reporte à celui qui est l'origine et la source même des choses; et
quand nous disons il a fart « tout pour les siens, » nous avons en vue les
conséquences de ce qu il a fait. Il a donc fait toute chose pour lui, par nue
bonté gratuite, et il a fait toutes choses pour ses élus, c'est-à-dire en vue
de leur utilité, en sorte que dans le premier cas, nous avons la cause
efficiente des êtres, et dans le second nous en trouvons la cause finale. Les
Hommes spirituels sont donc ceux qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient
pas, et qui cherchent Dieu dans la simplicité de leur âme, sans se mettre
beaucoup en peine de savoir de quelle manière tourne la machine du monde. Ainsi
les premiers sont pleins de volupté, les seconds de vanité et les troisièmes de
vérité.
5.
Je suis heureux, mes frères, que vous apparteniez à l'école de ces derniers,
c'est-à-dire à l'école du Saint-Esprit, où vous apprendrez la bonté, la
discipline et la science et où vous pourriez vous écrier : J'ai eu plus
d'intelligence que tous ceux qui m'instruisaient (Psal. CXVIII, 99). Pourquoi
cela? Est-ce parce que je me suis paré de vêtements de pourpre et de lin, parce
que je me suis assis à des tables mieux servies que le reste des hommes? Est-ce
parce que j'ai compris quelque chose aux arguties de Platon, aux artifices
d'Aristote, ou parce que je me suis donné bien du mal pour les comprendre? Non,
non, mais parce que « j'ai recherché vos commandements, ô mon Dieu (Ibid. 100).
» Heureux celui qui repose sur ce lit nuptial du Saint-Esprit, pour comprendre
ces trois sortes d'esprits dont le même serviteur de Dieu, dans son
intelligence qui dépassait celle des vieillards, disait dans ses chants : «
Seigneur ne me rejetez point de devant votre face, et ne retirez pas votre
Saint-Esprit de moi : créez en moi, ô mon Dieu, un cœur pur, et rétablissez de
nouveau un esprit droit au fond de mes entrailles ; rendez-moi la joie de votre
salutaire assistance et affermissez-moi par la grâce de votre esprit principal
(Psal. L, 11, 12 et 13.) » Par les mots esprit saint, il faut comprendre le
Saint-Esprit lui-même. Le Prophète demande donc de ne pas être rejeté de sa
face comme un être immonde, parce que cet esprit a horreur de ce qui est
souillé et ne saurait habiter dans un corps sujet au péché. Celui qui par sa
nature repousse le péché, ne peut pas ne point haïr tout ce lui est péché, et
certainement on ne rencontrera jamais ensemble tant de pureté et tant
d'impureté- sous le même toit. Aussi après avoir reçu le Saint-Esprit, par la
justification sans laquelle nul ne saurait voir Dieu, on peut oser se présenter
devant sa face comme étant net et pur de toute souillure, attendu qu'on se
retient de toute espèce de maux quand on soumet toutes ses actions sinon toutes
ses pensées au frein.
6.
Comme toute pensée mauvaise et immonde nous éloigne de Dieu, nous demandons
donc à Dieu de créer un cœur pur en nous, ce qui ne peut manquer d'arriver dès
qu'un esprit droit s'est renouvelé dans nos entrailles. Quant à ce qui est de
cet esprit droit dont parle le Prophète, il me semble qu'on peut parfaitement
l'entendre de la personne du Fils, car c'est lui qui nous a dépouillés du vieil
homme et revêtus de l'homme nouveau, lui aussi qui nous a renouvelés dans le
fond même de notre âme (Eph. IV, 13), et comme dans le plus intime de nos
entrailles, pour que nous n'ayons que des pensées droites et que nous marchions
dans la nouveauté de l'esprit, non dans la vieillesse de la lettre (Rom. VII, 6).
Car il nous a apporté du ciel la forme de la droiture qu'il a laissée sur la
terre, mettant et mêlant ensemble la douceur à la droiture en toutes ses œuvres,
ainsi que le même prophète l'avait prédit en disant : « Le Seigneur est plein
de douceur et de droiture, et c'est pour cela qu'il donnera sa loi à ceux qui
pèchent dans leur voie (Psal. XXIV, 8). » Ainsi donc lorsque notre corps est
châtié par la sainteté des œuvres, et notre cœur purifié ou plutôt renouvelé
par la rectitude des pensées, alors il nous rendra la joie du salut, en sorte
que nous marchions à la lumière de sa face et que nous nous réjouissions tout
le jour en son nom.
7.
Alors que reste-t-il à faire, sinon à nous confirmer par l'esprit principal,
c'est-à-dire par le Père? car c'est ce que nous devons entendre par ces mots,
l'esprit principal. Non pas qu'il l'ait plus grand que le Fils et le
Saint-Esprit, mais parce que seul il ne vient d'aucune autre personne, le Fils,
au contraire, vient de lui, et le Saint-Esprit vient du Père et du Fils. Or, en
quoi nous confirme-t-il, sinon dans la charité? Quel autre don est, en effet,
plus digne de lui, plus véritablement paternel? « Qui donc, s'écrie l'Apôtre,
nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce l'affliction ou les épreuves,
sera-ce la faim ou la nudité, les périls, la persécution ou la crainte de
l'épée (Rom. VIII, 35) ? » Soyez certains, mes frères, que ni la mort, ni la
vie, ni aucune des choses que l'Apôtre énumère avec autant d'entrain que
d'audace, ne saurait nous séparer de la charité de Dieu qui est en
Jésus-Christ. Est-ce que cela ne montre pas en tout point la force de cette
proposition? Si vous savez conserver le vase fragile de votre chair en toute
sainteté et en tout honneur, exempt de tous les mouvements de la concupiscence
(I Thess. IV, 4), vous avez reçu le Saint-Esprit. Etes-vous dans l'intention de
faire aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit, et de ne point leur faire
ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fissent, vous avez reçu un esprit de
droiture en ce qui concerne votre conduite envers le prochain. Car cette
droiture est commandée en même temps par la loi naturelle, et par la loi
révélée dans les Saintes Ecritures. Si vous persévérez fermement dans ces deux
sortes de bien et dans tout ce qui s'y rattache, vous avez reçu l'esprit
principal, celui seul que Dieu approuve. D'ailleurs, celui qui est l'être par
excellence ne saurait avoir pour agréable, ce qui tantôt est, et tantôt n'est
plus, et l'éternel ne peut se complaire dans tout ce qui est caduc. Si donc
vous avez à coeur que Dieu établisse en vous sa demeure, n'ayez qu'une pensée,
celle d'avoir pour vous un esprit, saint, pour le prochain un esprit droit, et
pour celui qui est le prince et le vrai père des esprits, un esprit principal.
8.
On peut bien dire en vérité que c'est un esprit multiple que celui qui se
communique aux enfants des hommes de tant de manières différentes, qu'il n'est
personne qui puisse se soustraire à sa chaleur bienfaisante. En effet, il se
communique à nous pour l'usage, pour les miracles et pour le salut, pour
l'aide, pour la consolation et pour la ferveur. Il se communique d'abord pour
l'usage, en donnant aux bons et aux méchants, aux dignes et aux indignes, avec
une grande abondance tous les bien communs de la vie, tellement que sur ce
point il ne semble faire aucune distinction entre les uns et les autres, aussi
faut-il être bien ingrat pour ne pas reconnaître dans ces biens les dons du
Saint-Esprit. Pour le miracle, dans les merveilles, dans les prodiges et dans
les différentes vertus qu'il opère par la main de qui il lui plaît. C'est lui
qui a renouvelé les miracles des anciens temps, afin de nous faire croire aux
merveilles des temps passés, par la vue de celles qui se produisent de nos
jours. Mais comme le pouvoir des miracles est accordé quelquefois à certains
hommes, sans qu'ils s'en servent pour leur propre salut, le Saint-Esprit se
communique en troisième lieu à nous, pour le salut, lorsque nous nous
convertissons au Seigneur notre Dieu de tout notre cœur. Il nous est donné pour
l'aide, lorsqu'il vient au secours de notre faiblesse dans toutes nos luttes;
mais lorsqu'il rend témoignage à notre esprit, que nous sommes enfants de Dieu,
il vient à nous pour la consolation; il se donne enfin pour la ferveur, lorsque
dirigeant son souffle puissant dans le cœur des saints, il y allume le violent
incendie de l'amour qui fait que nous nous glorifions non-seulement dans
l'espérance des enfants de Dieu, mais même dans nos tribulations, recevant les
avanies comme un honneur, les affronts comme une joie, les humiliations enfin
comme une élévation. Nous avons tous reçu le Saint-Esprit pour le salut, si je
ne me trompe, mais je ne pense pas qu'on puisse dire de même que nous l'avons
tous reçu pour la ferveur. En effet, il y en a bien peu qui soient remplis de
ce dernier esprit-là, et bien peu qui cherchent à l'avoir. Satisfaits dans les
entraves où nous nous trouvons, nous ne faisons rien pour respirer en liberté,
rien même pour aspirer à cette liberté. Prions donc, mes frères, que les jours
de la Pentecôte, ces jours de détente et de joie, ces vrais jours de Jubilé
s'accomplissent en nous. Puisse le Saint-Esprit nous retrouver toujours tous
ensemble, unis de corps, unis également de cœur, et rassemblés dans le même
lieu, en vertu de notre promesse de stabilité, à la louange et à la gloire de
l'Epoux de l'Église, Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est élevé par dessus tout,
étant Dieu, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
Oeuvres complètes de Saint Bernard traduit par les abbés Dion et Charpentier - Tome troisième - 1887, p. 272-285
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