VINGT-NEUVIÈME INSTRUCTION
L’AGONIE.
«Mon âme est triste jusqu’à la mort!»
Plan {Elle répugne à
la nature. Remarques sur la Passion: {Question
d’amour. {Une vie concrète. Nécessité de l’expiation. {Tristesse de Jésus. Descente à Gethsémani: {Prière de Jésus. {Agonie de Jésus. Sommeil des disciples.
REMARQUES
SUR LA PASSION
Nous
connaissons les faits racontés par les Evangélistes au sujet de la Passion de
Jésus, mais combien peu sont capables de s’y arrêter pour les méditer dans le
coeur afin de vivre selon les trésors de sagesse et de science divines qui sont
renfermés là! La raison humaine se
détourne instinctivement de ce monde incompréhensible pour elle et si contraire
à toutes ses inclinations naturelles.
Cependant les chrétiens sont tenus de méditer sérieusement ce qu’ils
doivent reproduire dans leur propre vie sous peine de perdre le ciel. Comment imiter les souffrances de Jésus si
nous ne les comprenons pas un peu au moins?
Comment en avoir des échantillons dans les épreuves de la vie si nous
ignorons le détail des souffrances de notre divin Sauveur? Il faut avoir apprécié l’original pour
apprécier l’échantillon. C’est
l’enseignement bien formel de Jésus que notre bonheur au ciel dépend de notre
participation à la passion de Jésus.
Quand la mère de Jean et de Jacques lui demande que chacun de ses fils
soit à côté de lui au ciel, il répond: «Est-ce qu’ils pourront boire mon
calice?» St. Paul dit: «Nous régnerons
avec lui pourvu que nous souffrions avec lui.» Et cette idée revient souvent
dans les Apôtres. Nous devons donc tous
participer d’une façon ou d’une autre aux souffrances de Jésus. Pour le faire avec profit spirituel il faut
souffrir avec Jésus et dans le même esprit.
Pour cela il faut donc essayer de pénétrer dans le Coeur de Jésus et
dans sa mentalité. Peu de chrétiens le
font parce qu’ils écoutent trop la nature qui se détourne spontanément de la
considération des choses qui lui répugnent tellement. Eh bien, envisageons donc tout de suite dès
le début de la Passion de Jésus… Cette répugnance de la nature. Agissons ici comme dans une opération
chirurgicale qu’il nous faut subir sous peine de mort. Est-ce qu’on écoute les répugnances de la
nature dans ce cas? Dès qu’on réfléchit
aux conséquences désastreuses pour notre vie, nous marchons malgré la peur qui
nous fait trembler. Eh bien, faisons de
même pour les méditations douloureuses de Jésus; n’écoutons pas ces répugnances
que nous éprouvons malgré nous et appliquons notre esprit et notre coeur à contempler
ces mystères douloureux de Notre Seigneur.
Malgré le dégoût et l’ennui repassons-les tranquillement et avec la
détermination bien arrêtée d’accepter à l’avenir les croix que Dieu nous
enverra pour nous faire ressembler davantage à Jésus-Christ.
Question
d’amour. C’est dans sa passion surtout
que Jésus nous montre le plus d’amour, aussi qu’il le dit lui-même «Personne ne
peut montrer plus d’amour qu’en donnant sa vie pour ceux qu’il aime.» Or nous
savons que l’amour ne s’ouvre qu’à l’amour.
C’est le coeur seul qui peut pénétrer le coeur. «Celui qui m’aime sera aimé de mon Père et je
l’aimerai aussi et je me manifesterai moi-même à lui.» I. 11-21.
Il est donc avantageux d’essayer de réveiller notre amour envers Jésus
afin de mieux comprendre son amour pour nous et de pénétrer plus intimement
dans ce sanctuaire d’amour qu’est sa passion.
A mesure que les saints progressent en sainteté, ils s’affectionnent
davantage à la contemplation de la passion de Jésus-Christ. Il y a là comme un aimant qui attire les
coeurs.
Qu’on
ne cherche donc pas de savantes considérations ou des idées nouvelles sur les
souffrances de Jésus. Mais au moins
faisons des actes d’amour en nous arrêtant à une douleur de Jésus. Plus nous ferons cela et plus le St-Esprit
nous découvrira la sagesse divine dans la souffrance et l’amour de Jésus dans
sa passion. Qu’on raconte à une mère les
souffrances et les blessures d’un soldat inconnu, ce récit la laisse
indifférente. Mais qu’on lui dise que
c’est son fils dont il s’agit et alors tout change. Comme les moindres détails
l’intéressent! Comme son amour va en
découvrir encore plus, surtout ce que son fils souffre intérieurement. Elle va entrer dans ses sentiments pendant
qu’il souffre telle plaie, tel ennui, telle souffrance. Elle va trouver moyen de passer des jours
entiers à contempler son fils blessé! Il
n’y a que l’amour pour faire cela! Eh
bien, prenons tous les moyens déjà indiqués dans ces retraites et que nous
connaissons par ailleurs pour exciter en nous le plus grand amour possible avec
la grâce de Dieu pour Jésus souffrant.
C’est cette intelligence du coeur qui se développera en proportion que
nous pratiquerons plus d’amour envers Jésus.
Elle est produite par le St-Esprit seul et non par notre industrie. Une des conditions requises par le St-Esprit
est que nous détruisions nos attaches aux créatures sans quoi nous n’aurons
jamais l’intelligence des choses de Dieu, comme le dit St-Jean de la
Croix. Or les souffrances de Jésus
contiennent la moelle pour ainsi dire de la sagesse divine. Il faut donc nous débarrasser de nos attaches
pour les comprendre surnaturellement.
Avis aux esprits pleins d’eux-mêmes, aux grands savants qui se confient
dans leur savoir et aux autres qui ont des attaches comme les amateurs de sports,
les fumeurs, joueurs de cartes, etc.
Jamais ils ne pénétreront les secrets de l’amour divin dans la passion
de Jésus. Aussi on ne voit pas ces gens
affectionnés à tout ce qui concerne la passion de Jésus, ni à St-Paul qui
proclame qu’il ne veut rien savoir que Jésus crucifié. Ses épîtres sont pleines de la doctrine de la
souffrance et de la nécessité pour nous tous de souffrir en union avec
Jésus. C’est pour cela que ces gens ne
les goûtent pas du tout et ne les prêchent pas aux fidèles. Je conseille donc à quiconque veut méditer
sur un mystère de la passion de faire quelque sacrifice surtout d’une attache
et il sera abondamment récompensé par Dieu.
Pour ceux qui ont bonne volonté, qui voudraient aimer Jésus davantage,
que pour obtenir cette grâce ils essayent de méditer sur la passion de Jésus,
qu’ils aient confiance, Dieu viendra au-devant d’eux pour les attirer à lui
encore plus et malgré leur sécheresse ils trouveront grand profit spirituel à
faire ces méditations. Est-ce qu’il est
plus dur pour nous de méditer ses souffrances que pour lui de les endurer? Est-ce que vraiment nous voudrions jouir en
les méditant? Plus on éprouve de dégoût
et d’ennui et plus nous ressemblons à Jésus durant son agonie. Quand vous assistez un ami mourant est-ce que
vous cherchez des consolations? Plus on
aime et plus on souffre avec lui.
Pourquoi en serait-il autrement avec Jésus? C’est une vie concrète.
Qu’on
ne vienne pas sur ce terrain simplement pour faire de l’intellectualisme au
sujet de la passion de Jésus! Nos
philosophes sont aussi exposés à faire de l’«in se» ici que partout dans les
dogmes. Ordinairement ces prêtres vont
exposer, analyser et comparer les différentes douleurs et les différentes
souffrances de Jésus. Surtout ils ont
coutume d’aiguiller leurs considérations sur l’histoire. Par exemple, ils vont donner l’origine du
crucifiement chez les peuples, ou sur la flagellation, ou bien ils parlent de
ce que Jésus a souffert en lui-même.
Mais justement la note pratique de la vie concrète manque. Ils oublient d’insister sur l’absolue
nécessité de reproduire dans notre propre vie la passion de Jésus. J’ai entendu une fois un grand sermon du
Vendredi saint à NotreDame de Montréal.
Le prédicateur a bien expliqué comment Jésus avait expié tous nos péchés
avec grands détails, pas du tout nécessaires ni édifiants. Je surveillais ce qu’il dirait de la
nécessité pour nous d’expier à notre tour comme membre de Jésus-Christ nos
péchés propres. L’expiation de Jésus ne
nous dispense pas du tout de notre propre expiation. Simplement la sienne donne de la valeur à la
nôtre! Que Dieu ne recevrait pas sans
cela. Eh bien, c’était du protestantisme
tout pur: Jésus avait si bien expié qu’il ne nous restait plus rien à
expier. Il aurait dû insister surtout
devant les 10,000 personnes présentes sur la nécessité pour nous d’expier comme
Jésus et avec Jésus. Pas un mot de cette
idée qui aurait donné de la vie concrète à sa doctrine. Il est donc bien important de signaler ce
truc du païen et du diable pour nous aiguiller sur des «in se» en Jésus et
oublier les «in nobis» ou en nous de cette doctrine. Il ne s’agit pas de discourir de la passion,
mais de nous en faire vivre d’une façon pratique et concrète. Il ne s’agit pas d’en avoir une science, mais
de la faire entrer dans notre vie.
St-Paul ne dit pas que nous régnerons avec Jésus pourvu que nous
parlions bien de la passion, mais pourvu que nous souffrions avec lui.
Un jour Jésus disait à Ste Angèle de Foligno qui pensait
aimer Jésus. «Toi, tu m’aimes pour rire
mais moi je t’aime pour tout de bon; j’ai donné ma vie pour toi.» Il ne veut
donc pas des mots, mais des actes. Il ne
couronne pas notre science, mais notre vie.
Dans les communautés combien de fois on entend des conférences sur la
mortification, mais c’est une affaire entendue, à l’insu même de bons
religieux, que notre devoir est accompli, quand on a entendu cette conférence
et que le Père l’a donnée. Il faut que
partout on développe un esprit concret, pour d’abord soi-même pratiquer ce que
nous pouvons de la passion, puis prêcher de façon à pousser les gens à
réellement souffrir dans le concret les petites croix que Dieu leur
envoie. Comme nos catholiques sont
impatients! Comme ils se plaignent pour
la moindre contrariété, pour la moindre souffrance! Les prêtres et les religieux ne sont guère
plus mortifiés. On sauve souvent
l’extérieur, mais comme on montre vite qu’on n’a jamais réfléchi sérieusement
sur la nécessité de reproduire la passion de Jésus. Que de jérémiades si les supérieurs sont
chiches, méticuleux, exigeants tant soit peu.
Comme on parle vite de tyrannie, d’injustice et comme on écrit vite aux
supérieurs majeurs pour se plaindre des supérieurs qui après tout n’exigent que
ce que les inférieurs ont voué d’observer!
C’est donc qu’on n’a pas encore appris à aimer la passion qui est la
source de tant d’amour pour nous. La
preuve est dans ce fait que Jésus ne donne pas la grâce de pénétrer la sagesse
de la croix ni l’amour qu’il y a là.
C’est donc que ces gens ont bien peu d’amour de Dieu. nécessité de l’expiation Voici une idée qui
n’a pas assez d’importance dans la mentalité de tout chrétien; on oublie trop
la condition de pécheur, qu’on naît déjà en révolte contre Dieu, par suite du péché
originel et des péchés personnels dès l’âge de raison. C’est tellement vrai que pas un seul ne
pourrait aller au ciel sans l’expiation de Jésus. Dieu ne veut donc pas de la nature humaine au
ciel si elle est laissée à elle-même. La
justice divine a été offensée et il lui faut une expiation adéquate avant que
la paix soit faite entre Dieu et les hommes.
Eh bien, c’est justement cette nature humaine que le Verbe a assumée
dans l’union de personne de sorte qu’il se trouvait à prendre avec lui la culpabilité
de cette nature et de plus il s’est offert en victime pour nos péchés
personnels, de sorte qu’il porte sur lui tous les péchés du monde jusqu’à la
fin des temps. Or le péché est en
abomination devant Dieu et rien de souillé ne peut entrer dans le ciel avant
que la justice divine ne soit satisfaite.
Voilà le rôle de Jésus! Victime
pour les péchés du monde et il le sera jusqu’à sa mort inclusivement. L’expiation est donc le fond de la vie de
Jésus; la colère de Dieu est sur lui et dans tous les détails de sa vie la
justice de Dieu se fait sentir à lui. Il
mène l’existence d’un condamné à mort.
Supposons qu’un homme est condamné à être pendu dans trois mois et qu’on
le laisse libre de circuler dans le monde.
Comme cet homme porterait la marque de sa condamnation dans sa figure et
dans tous ses actes! Un voile de
tristesse couvrirait sa figure et toute sa vie serait imprégnée d’un sérieux
profond. Les joies du monde le
laisseraient froid; on ne le verrait jamais rire, mais souvent pleurer. Il aimerait la solitude et il réfléchirait souvent
sur la brièveté de la vie. Voilà la
condition de Jésus et le fond de son âme pendant sa vie mortelle; il est
victime pour être immolé sur la croix après les autres tortures de sa passion…
et Jésus a toutes ces souffrances devant son esprit nuit et jour. On doit mieux comprendre l’extraordinaire
sérieux de sa vie. On ne l’a jamais vu
rire, jamais badiner, jamais chanter ni se livrer à aucune réjouissance même
permise, pour le plaisir. Combien de
prêtres, de religieux et de fidèles ont bien saisi cet aspect de la vie de
Jésus? Ce n’est pas un point de vue
libre et accidentel; il est essentiel pour le Rédempteur dans les conditions de
la nature déchue actuelle. C’est l’affection
aux choses créées qui a été la cause du péché, aussi comprend-on qu’il prenne
le point de vue théologique sur l’usage des créatures et qu’il les regarde
comme du fumier et donc qu’il les rejette absolument loin de lui. Il ne s’est jamais laissé aller à en jouir en
disant: Il n’y a pas de mal «en soi».
Jamais il n’a considéré les créatures comme du dessert, pour jouir, même
sans péché.
On
voit combien de philosophes de la théologie sont à cent lieues de la mentalité
de Jésus. Ils n’ont jamais rencontré
l’expiation dans leurs raisonnements philosophiques des «in se». Aussi comme le clergé et les fidèles sont
loin de faire l’expiation dans leur vie pour suivre Jésus! Ils peuvent en parler, mais ils n’en veulent
pas dans le concret. Leur seule pénitence
est d’éviter ce qui est défendu sous peine de péché. Ce n’est pas seulement cela que Jésus a fait;
il a fui tous les amusements: par esprit de pénitence. Il n’a jamais encouragé ni par sa vie ni par
sa doctrine les jouissances même permises, mais partout et toujours il a prêché
l’abstention le plus possible et le sacrifice de tout le créé afin d’expier et
de mériter le ciel. Les premiers
chrétiens s’abstenaient de tout plaisir même permis, pénétrés qu’ils étaient de
cet esprit d’expiation que les Apôtres leur avaient inculqué à l’exemple du
Sauveur. Comme les fidèles en général
sont loin de cet esprit de Jésus! Ils
sont tous aux jouissances sensibles; c’est leur sujet de conversation du matin
au soir, c’est leur principale occupation de l’année.
Non
seulement ils suivent les plaisirs autour d’eux, mais avec les inventions
modernes ils suivent à la radio ou dans les journaux tous les sports du pays,
connaissent les joueurs, les acteurs et les actrices, vont aux vues le plus
possible comme aux théâtres, etc. C’est
le cri général: amusons-nous!… et des milliers de prêtres et de religieux sont
à la page, sont de leur temps! Ils ont
les pieds sur la terre, vivent dans le luxe et cultivent des attaches pour
jouir du matin au soir d’une façon ou d’une autre. Comme tout ce monde est immensément loin de
la vie de Jésus! Ils veulent contenter
leur animal et Jésus le châtie du matin au soir! Ils ne parlent que de danses, de banquets, de
soirées et de mets délicieux… et Jésus parle de jeûne, de prière, de veille, de
sacrifice, de fouet, de couronne d’épines et de la croix. Il est à l’antipode des gens jouisseurs qui
ne surveillent que le péché mortel et qui jouissent de tout le reste tant
qu’ils peuvent. La mort ne fait
qu’immortaliser la mentalité; l’amour.
Est-ce surprenant que Jésus dise que les élus sont le petit nombre? Il n’y a de salut que dans la croix de
Jésus. Donc seuls ceux qui aiment la
croix et qui l’acceptent en union avec Jésus seront sauvés. On voit l’immense besoin que nous avons tous
de méditer sur les mystères douloureux de Jésus. C’est là que nous saisirons cet esprit
d’expiation qui suinte à travers tous les actes de Jésus. Heureux ceux qui auront la grâce de le
comprendre et de le faire entrer dans la pratique de leur vie. Il faut absolument que les chrétiens abjurent
cet esprit frivole qui veut jouir même dans les choses permises, pour prendre
l’esprit de Jésus qui pousse au sacrifice de tous les plaisirs autant que
possible, par esprit de pénitence pour expier nos péchés en union avec la
passion de Jésus. Ce n’est pas une
question de permis ou de défendu comme les philosophes prêchent partout, mais
c’est une question de sacrifier tout le créé autant que possible et pour expier
nos péchés et pour acheter le ciel en plus.
Voilà ce que Jésus et les Apôtres ont prêché et tous les prêtres du
monde devraient faire de même. Au lieu
de chercher des arguments pour favoriser le plus possible les jouissances, tout
prêtre qui a l’esprit de Jésus en cherchera pour pousser les gens au sacrifice
le plus possible… et qu’on commence tout de suite.
Descente à gethsémani
Le dernier repas fini, Jésus quitte le Cénacle avec ses
disciples et s’en va à Gethsémani. En
1938 Dieu m’a fait l’insigne honneur et faveur de passer un mois à Jérusalem et
durant la semaine sainte nous avons suivi les offices de la passion aux endroits
où Jésus les a faits. Le jeudi saint au
soir, après avoir visité le Cénacle avec sa voûte unique au monde avec ses
arcades et ses nombreuses colonnes, une procession de quelques milliers de
fidèles de toutes les races s’organisa avec quatre évêques en tête et nous
longeons la crête du plateau où se trouve bâti le temple ou plutôt son enclos,
puisque le temple n’existe plus. Aux
pieds des murs il y a une lisière de terrain d’une dizaine de pieds en largeur
qui se termine avec la vallée de Josaphat au fond de laquelle coule le
Cédron. Il fait un beau clair de lune
qui descend du haut de la montagne des Oliviers, avec ses flancs couverts de
vieux cimetières; c’est la solitude parfaite.
Le silence n’est rompu que par quelques chiens qui aboient au loin en voyant
cette procession défiler le long des murs de la ville. Dire que Jésus avec son petit nombre
d’Apôtres a fait ce chemin comme nous ce soir par une belle nuit silencieuse en
leur faisant ses dernières recommandations et ses dernières confidences sans
qu’ils puissent en voir la portée en ce moment.
Qu’ils font pitié sans les dons du Saint-Esprit! l’image de la masse de nos chrétiens de nos
jours! Au bout du grand mur nous
descendons la pente du Mont Moriah où se trouve bâtie la Mosquée qui remplace le
temple et nous traversons un vieux pont au-dessus du Cédron, puis nous
remontons un peu la pente du mont des Oliviers et voici le jardin où Jésus
entre avec ses disciples. J’avais déjà
passé toute une matinée dans ce jardin où il y a encore beaucoup d’oliviers. Dans le jardin des Franciscains tout près il
y a quelques troncs d’oliviers qui ont dans les 8 à 10 pieds de diamètre et
qu’on estime pour cela avoir facilement 19 siècles et donc ils étaient du temps
de Jésus. En tout cas c’est un endroit
idéal pour prier. On n’est pas loin de
la ville qui est là au-dessus de nous, en arrière de ses grands murs au sommet
du Moriah et de l’autre côté on a le mont des Oliviers, inhabité de sorte qu’on
est parfaitement isolé. Que Dieu soit
béni de cette matinée à Gethsémani! A
l’entrée Jésus laisse ses disciples et prend avec lui Pierre, Jacques et Jean,
les trois témoins de sa transfiguration sur le Thabor. Ces trois-là ne devraient pas être
scandalisés de voir son état de faiblesse qu’il va montrer à l’instant. Il leur dit de veiller et de prier afin de ne
pas tomber en tentation. Puis il leur
dit qu’il est triste à en mourir! Il a
peur, il tremble. Jamais il n’avait
fléchi devant aucun danger. Il avait
invité tous ceux qui sont chargés et qui faiblissent sous le fardeau de venir à
lui et qu’il les soulagerait et voici qu’il s’affaisse lui-même sous le poids
de sa douleur.
Tristesse
de Jésus. Jésus veut nous montrer qu’il
a la même nature que nous, qu’il peut souffrir comme nous et qu’il a peur de la
souffrance comme nous. Il veut nous
mériter la force pour endurer nos croix que son amour nous prépare pour
ressembler à Jésus. Il vient après une
heure pour chercher de la consolation auprès des disciples, mais ils
dorment! Il a beau les réveiller, les
gronder, ils dorment encore! Quand nous
aurons notre agonie aussi, Jésus veut nous montrer l’inutilité de chercher des
consolateurs. Dans l’épreuve nous
resterons seuls comme Jésus. Ne perdons
pa notre temps pour en trouver! Dieu ne
veut pas que nous en ayons; il veut que nous souffrions seuls comme Jésus a
souffert. Il veut l’amertume du coeur,
parce que c’est l’expiation de nos péchés qu’il exige. On peut se faire une idée de ce qui se
passait dans l’âme de Jésus par ce que les prophètes en disent. Les Evangélistes racontent les actes extérieurs
de la vie de Jésus, mais les prophètes révèlent les sentiments de son âme. En elle se résume tous les gémissements de la
nature humaine, les prières de cette nature dans toutes les tribulations que
l’humanité souffre au cours des âges.
C’est pourquoi le Saint-Esprit les a révélées aux prophètes afin de nous
les faire connaître pour que nous puissions nous en servir à l’occasion quand
nous passerons par les mêmes épreuves.
Voici donc ce que le prophète David dit au Psaume 30e:
«Sauve-moi,
ô Dieu, car les eaux montent jusqu’à mon âme.
Je suis enfoncé dans une fange profonde et il n’y a pas où poser le
pied. Je suis tombé dans un gouffre
d’eau et les flots me submergent. Je
m’épuise à crier, mon gosier est en feu, mes yeux se consument dans l’attente de
mon Dieu. Ils sont plus nombreux que les
cheveux de ma tête ceux qui me haïssent sans cause; ils sont puissants ceux qui
veulent me perdre, qui sont, sans raison, mes ennemis… Car c’est pour toi que
je porte l’opprobre, que la honte couvre mon visage. Je suis devenu un étranger pour mes frères et
moi je t’adresse ma prière. Yahweh,
retire-moi de la boue et que je n’y reste plus enfoncé, que je sois délivré de
mes ennemis et des eaux profondes. Que
les flots ne me submergent pas, que l’abîme ne m’engloutisse pas, que la fosse
ne se ferme pas sur moi. Je suis dans
l’angoisse, hâte-toi de m’exaucer!»
Seuls
ceux qui ont souffert pour l’amour de Dieu peuvent se faire une idée de
l’agonie de Jésus; c’est le petit nombre.
Combien vont commettre des péchés pour en sortir ou pour éviter les
souffrances! Combien de jeunes mères
voient venir avec effroi le retour de leurs douleurs affreuses! Eh bien, qu’elles craignent, qu’elles
tremblent! qu’elles se lamentent! mais qu’elles ajoutent comme Jésus: «Votre
volonté, mon Dieu, soit faite et non la mienne!» Une autre est mariée à un sans
coeur qui n’apporte rien à la maison pour sa famille et qui exige son droit
impitoyablement. Eh bien, qu’elle endure
avec Jésus! Qu’elle porte sa croix et
ses croix en pleurant, en se lamentant, mais en faisant la volonté de
Dieu. Un autre perd sa fortune et se
voit dans la nécessité de descendre au rang des pauvres. C’est pénible, sa famille se lamente, la
honte lui couvre la figure, ils n’ose plus regarder le monde en face. Eh bien, qu’il endure tout cela et qu’il
devienne pauvre et perde tout en ce monde pour le récolter en l’autre. Son Maître a passé par là avant lui; qu’il le
suive en esprit de foi. Un autre vit
avec un supérieur malcommode, exigeant, etc.
qu’il endure et qu’il pleure s’il faut pleurer, mais qu’il porte sa
croix en union avec Jésus. Un autre ne
trouve pas à se marier et se sent terriblement tenté; qu’il souffre cette
privation, qu’il prie de tout son coeur, qu’il gémisse devant Dieu s’il le
faut, mais qu’il endure sans aucun péché pour faire la volonté de Dieu qui ne
fait pas la sienne. Voilà ce que tout
chrétien doit prendre dans cette méditation de l’agonie de Jésus; qu’il endure
n’importe quelle souffrance plutôt que d’offenser Dieu. Il peut se plaindre à Dieu et pleurer, mais
qu’il endure son mal pour l’amour de Dieu.
Que l’on commence par endurer les petites contrariétés de chaque jour,
ces petits coups d’épingles qui exercent la vertu de patience et qui attirent
des grâces pour endurer les vraies croix de la vie. Ce sont des échantillons de la passion de
Jésus. Expier est une condition
essentielle à la vie humaine dans l’état de nature déchue où nous sommes
tous. Donc endurer aussi est une note
essentielle de la perfection de chrétienne à laquelle tous sont tenus. Les prêtres, les parents et les maîtres
devraient avoir ce refrain constamment à la bouche pour le servir à tous ceux
qui s’impatientent, qui critiquent et disputent contre les autres. Endurer, c’est la loi de Dieu! C’est la leçon de notre Sauveur. Endurer, c’est un élément de vie de tout
chrétien! Qu’on se l’imprime
profondément dans le coeur!
La
Prière de Jésus était intimement liée à sa tristesse. Nous les séparons pour mieux les méditer,
mais dans le concret elles étaient unies en Jésus. L’Evangéliste nous dit ce qu’il demandait et
qu’il disait toujours la même chose: «Mon Père, que ce calice s’éloigne de moi,
néanmoins que votre volonté se fasse et non la mienne!» Sa nature humaine a
tellement peur que Dieu demande à Dieu de lui épargner le crucifiement; voilà
le cri de la nature, mais le divin ajoute tout de suite: «que votre volonté se
fasse et non la mienne.» Il prie à genoux et la face contre terre, donc dans un
sentiment de grande humilité. C’est là
qu’il se présente surtout comme couvert des péchés du monde; voilà pourquoi il
a honte et se prosterne la face contre terre.
Il dit la même chose parce qu’il ne veut qu’une chose dans le moment:
éviter sa passion. La prière ne consiste
pas dans les mots, mais dans l’élévation de l’âme vers Dieu, pour le glorifier,
soit pour lui demander des faveurs. Le
mieux est donc de se décider à vouloir une chose en particulier et d’y mettre
tout son coeur. Quand un journalier va
demander une position ou de l’ouvrage, il dit carrément ce qu’il veut, il
l’appuie peut-être sur quelques arguments, mais c’est de l’ouvrage qu’il
veut. Si le patron ne répond pas ou
semble distrait, ou s’en va, le journalier continuera de lui demander de
l’ouvrage. Voilà ce que nous devrions
faire. Le malheur est que peu de
chrétiens tiennent à éviter le péché à tout prix et à faire la volonté du bon
Dieu en tout. Mais c’est cela qu’ils
devraient demander de tout leur coeur tant qu’ils pèchent et même après pour ne
plus pécher Qu’ils demandent aussi de progresser dans la vertu, de se laisser conduire
par les dons du St-Esprit, etc.
etc. Qu’on ne prie pas si on a
rien à demander! Combien demandent
cinquante choses d’une manière distraite ou par routine ou parce qu’ils les
trouvent dans un livre: les livres prient, mais pas le coeur. Aussi ces prières restent sans effet. Que de pécheurs n’ont jamais demandé
sérieusement à Dieu la grâce de ne plus l’offenser! Que de bons chrétiens ne savent pas demander
la sainteté dans toute la force du mot!
Comme la plupart n’ont rien à demander dans l’ordre surnaturel, ils
dorment comme les disciples.
Sa
prière a toutes les qualités pour être exaucée: elle est solitaire dans un
jardin où rien ne le distrait et il parle directement à son Père. Elle est sincère: il y met toute son âme. Et le sang de son corps qui coule à terre
dans cette sueur de sang montre la lutte terrible qui se fait en lui. Elle est humble, il prie la face contre terre
et comme anéanti devant Dieu. Elle est
résignée: il accepte d’avance ce que son Père va décider. Elle est persévérante: il prie pendant trois
heures, disant la même chose!
Quel
mystère que la plus parfaite prière au monde ait été refusée! Le cri de sa nature humaine n’a pas été
entendu. La justice divine doit être
d’abord satisfaite. C’est le châtiment
qu’il faut d’abord. Que tous nos
philosophes qui ne veulent plus parler de la justice divine réfléchissent sur
la conduite de Dieu envers Jésus! Or
Jésus nous dit que si le bois vert est traité de la sorte que ne fera-ton pas
au bois sec? Quelle sottise alors que de
ne parler que de la miséricorde divine aux vrais pécheurs! De fait sa prière a été exaucée, car son
humanité était tellement unie à la volonté de Dieu qu’elle voulait d’avance ce
que Dieu voulait. Ce qu’on peut dire,
c’est que les répugnances de sa nature humaine n’ont pas été écoutées, mais sa
volonté humaine a été exaucée. L’Agonie
de Jésus consiste dans la lutte intérieure entre les répugnances de sa nature
humaine et sa nécessité de faire la volonté divine. Toutes les luttes de tous les hommes entre le
mal et le bien sont comme concentrées en Jésus; il les prend toutes sur lui
afin de nous mériter la grâce de combattre la nature avec ses tendances aux
jouissances défendues comme lui le fait dans son agonie, pas pour lui-même mais
pour nous. L’extrême angoisse que Jésus
ressent produit une sueur de sang si abondante qu’elle coule jusqu’à
terre. Qui peut mesurer une telle
douleur? Probablement la cause de sa
plus grande douleur est de se voir l’objet de la colère de son Père. Les saints qui ont eu quelque lumière
spéciale pour mieux comprendre la sainteté de Dieu disent que c’est un tourment
extraordinaire de voir que Dieu est mécontent de leur péché. Combien plus pour Jésus!
Jésus
voit aussi l’inutilité de sa passion pour un grand nombre qui ne voudront pas
en profiter pour leur salut éternel.
Comme
une mère qui aime ardemment son fils souffre quand il est méchant pour elle et
qu’il lui montre son mépris. Ce n’est
qu’un échantillon de ce que Jésus ressent pour ses enfants qu’il a créés et
qu’il rachète par son sang. Surtout il
voit l’insouciance des prêtres et des religieux. Jésus s’est plaint à Ste-Marguerite-Marie de
l’indifférence des âmes qui lui sont consacrées. Que tous ceux qui rencontrent de l’ingratitude
chez les autres unissent leur déception à celle de Jésus. Il souffre l’angoisse devant tous les affreux
tourments qu’il voit venir pour lui dans quelques heures. Il a tout ce qu’il faut en lui pour les
sentir comme s’ils étaient présents. Dieu
nous donne parfois une appréhension d’un malheur qui va fondre sur nous; nous
en souffrons comme s’il était déjà sur nous.
Pour Jésus, ce n’est pas seulement une appréhension, c’est la
connaissance claire et certaine de tout ce qui s’en vient pour lui! Après ses trois heures d’agonie Dieu lui
envoie un ange pour le fortifier… pour qu’il endure sa passion, mais pas pour
lui épargner la croix. Quelle
bénédiction pour nous que cette grâce pour endurer sa croix! Dieu fera ainsi souvent; quand nous demanderons
de ne pas souffrir telle chose, Dieu enverra sa grâce pour nous faire accepter
ce sacrifice en union avec le sacrifice de Jésus.
Sommeil
des apôtres
Quelle
triste figure ils font dans ce moment si solennel de la vie de Jésus! Depuis trois ans qu’ils ont tout quitté pour
l’amour de Lui; il y a quelques jours et quelques heures ils protestaient
qu’ils étaient prêts à mourir avec lui et pour lui et voilà qu’ils ne peuvent
même pas veiller une heure avec lui!
C’est ce que Jésus reproche à Pierre en l’appelant de son nom païen,
puisqu’il agit comme un païen: «Simon, tu ne peux pas veiller une heure avec
moi!» Et il était prêt à se battre contre une armée pour défendre Jésus! Ils ont voulu se servir de l’épée contre ses
ennemis, mais Jésus ne leur permit pas.
C’est que dans le surnaturel les armes sont la prière, les veilles et le
jeûne. Aussi parce qu’ils n’ont pas
prié, ils ont tous fui et Pierre le renia trois fois. Nous avons en nous-mêmes les ennemis du
surnaturel: l’amour des créatures et l’amour de soi. Le monde et les démons ne font que les
exploiter à leur profit. Ce sont leurs
armes contre nous. Voilà pourquoi Dieu
nous recommande si souvent la mortification et le renoncement à soi-même.
En
plus il faut la prière: «Veillez et priez afin de ne pas tomber dans la
tentation.» Les Apôtres ne l’ont pas fait et ils ont fui de Jésus durant ses
épreuves. Pour l’activité extérieure ils
étaient là. Mais pour l’activité de
l’âme dans les choses surnaturelles, ils n’y sont pas du tout. Que de prêtres font comme eux; ils peuvent
passer les 24 heures dans des organisations pour la gloire de Dieu,
disent-ils. Mais ils ne sont pas
capables de passer une heure d’adoration devant le T.S.S., ce qui donnerait de
l’efficacité à leur travail extérieur.
Ce sont des gens qui comptent plus sur eux-mêmes que sur le bon
Dieu. Quand on sait que tout le bien
vient de Dieu, on va le demander dans la prière et dans sa propre
sanctification. Sans Dieu on ne peut
rien! Quand on est convaincu de cette
vérité, on passe autant de temps à supplier Dieu de bénir ses travaux qu’à les
faire extérieurement. Plus on se démène
et moins Dieu aide, si la prière n’accompagne pas cette activité
extérieure. Cette méditation est très
utile pour tout chrétien qui veut suivre Jésus en ce monde et en l’autre. Comme pécheurs nous avons tous à expier nos
péchés et déjà nous avons mérité toutes les souffrances qui peuvent venir en ce
monde. Par conséquent l’expiation doit
être l’élément nécessaire dans notre vie.
Mais cela est extrêmement pénible à la nature; donc il faut endurer
constamment des douleurs et des souffrances d’une façon ou d’une autre. Eh bien, Jésus est notre modèle dans son
agonie.
Faisons
exactement comme lui là et nous vaincrons les démons et toutes nos
passions. Nous devrions méditer sur
l’agonie de Jésus très souvent et nous y penserions si nous avions le courage
de souffrir les croix que Dieu nous envoie au jour le jour. Au lieu de critiquer, de se plaindre, allons
donc faire une visite à Gethsémani et voyons ce que notre Sauveur endure pour
nos péchés. Alors nous serons plus
courageux pour endurer nos souffrances et nos contrariétés. Demandons à la Ste Vierge de nous obtenir
l’amour des croix afin d’obtenir l’amour de Jésus attaché à la croix. Elle aussi a eu son agonie; elle sait ce que
Jésus a enduré. Qu’elle nous obtienne
ses sentiments au sujet de l’agonie de Jésus et de la sienne.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire