Préambule
L'éternel
pasteur et gardien de nos âmes [1 P 2, 26], pour perpétuer l’œuvre salutaire de
la Rédemption, a décidé d'édifier la sainte Église dans laquelle, comme en la
maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient rassemblés par le lien d'une
seule foi et d'une seule charité. C'est pourquoi, avant d'être glorifié, "
il pria son Père ", non seulement pour les Apôtres, " mais aussi pour
ceux qui croiraient en lui, à cause de leur parole, pour que tous soient un,
comme le Fils et le Père sont un " [Jn 17, 20 sv.]. De même qu'il "
envoya " les Apôtres qu'il s'était choisis dans le monde, " comme
lui-même avait été envoyé par le Père " [Jn 20, 21], de même il voulut
qu'il y eût en son Église des pasteurs et des docteurs " jusqu'à la fin du
monde " [Mt 28, 20].
Pour
que l'épiscopat fût un et non-divisé, pour que, grâce à l'union étroite et
réciproque des pontifes, la multitude entière des croyants fût gardée dans
l'unité de la foi et de la communion, plaçant le bienheureux Pierre au-dessus
des autres Apôtres, il établit en sa personne le principe durable et le
fondement visible de cette double unité. Sur sa solidité se bâtirait le temple
éternel et sur la fermeté de cette foi s'élèverait l'Église dont la grandeur
doit toucher le ciel [1]. Parce que les portes de l'enfer se dressent de toutes
parts avec une haine de jour en jour croissante contre ce fondement établi par
Dieu, pour renverser, s'il se pouvait, l'Église, Nous jugeons nécessaire pour
la protection, la sauvegarde et l'accroissement du troupeau catholique, avec
l'approbation du saint concile, de proposer à tous les fidèles la doctrine
qu'ils doivent croire et tenir sur l'institution, la perpétuité et la nature de
la primauté du Siège apostolique, sur lequel repose la force et la solidité de
l'Église, conformément à la foi antique et constante de l'Église universelle,
et aussi de proscrire et de condamner les erreurs contraires, si pernicieuses
pour le troupeau du Seigneur.
Chapitre
1 - L'institution de la primauté apostolique dans le bienheureux Pierre
Nous
enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de l'Évangile, que
la primauté de juridiction sur toute l'Église de Dieu a été promise et donnée
immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par le Christ notre
Seigneur. C'est, en effet, au seul Simon, auquel il avait déjà été dit : "
Tu t'appelleras Céphas " [Jn 1,42], après que celui-ci l'avait confessé en
ces termes : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ", que le
Seigneur adressa ces paroles solennelles : " Bienheureux es-tu, Simon,
fils de Jona, car ce n'est ni la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon
Père qui est dans les cieux ; et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur
cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas
contre elle. Et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et
tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel " [Mt 16, 16
sv.]. Et c'est au seul Simon Pierre que Jésus, après sa résurrection, conféra
la juridiction de souverain pasteur et de chef suprême sur tout son troupeau en
disant : " Pais mes agneaux, pais mes brebis " [Jn 21,15 sv.].
Cette
doctrine si claire des saintes Écritures se voit opposer ouvertement l'opinion
fausse de ceux qui, pervertissant la forme de gouvernement instituée par le
Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se voit vu doté par le Christ
d'une primauté de juridiction véritable et proprement dite, de préférence aux
autres Apôtres, pris soit isolément soit tous ensemble, ou de ceux qui
affirment que cette primauté n'a pas été conférée directement et immédiatement
au bienheureux Pierre, mais à l'Église et, par celle-ci, à Pierre comme à son
ministre.
Si
quelqu'un donc dit que le bienheureux Apôtre Pierre n'a pas été établi par le
Christ notre Seigneur chef de tous les Apôtres et tête visible de toute
l'Église militante ; ou que ce même Apôtre n'a reçu directement et
immédiatement du Christ notre Seigneur qu'une primauté d'honneur et non une
primauté de juridiction véritable et proprement dite, qu'il soit anathème.
Chapitre
2 - La perpétuité de la primauté du bienheureux Pierre dans les Pontifes
romains
Ce que
le Christ notre Seigneur, chef des pasteurs, pasteur suprême des brebis, a
institué pour le salut éternel et le bien perpétuel de l'Église doit nécessairement,
par cette même autorité, durer toujours dans l'Église, qui, fondée sur la
pierre, subsistera ferme jusqu'à la fin des siècles. " Personne ne doute,
et tous les siècles savent que le saint et très bienheureux Pierre, chef et
tête des Apôtres, colonne de la foi, fondement de l'Église catholique, a reçu
les clés du Royaume de notre Seigneur Jésus-Christ, Sauveur et Rédempteur du
genre humain : jusqu'à maintenant et toujours, c'est lui qui, dans la personne
de ses successeurs ", les évêques du Saint-Siège de Rome, fondé par lui et
consacré par son sang, " vit ", préside " et exerce le pouvoir
de juger " [2].
Dès
lors, quiconque succède à Pierre en cette chaire reçoit, de par l'institution
du Christ lui-même, la primauté de Pierre sur toute l'Église. " Ainsi
demeure ce qu'ordonna la vérité, et le bienheureux Pierre, gardant toujours
cette solidité de pierre qu'il a reçue, n'a pas laissé le gouvernail de
l'Église [3]. " Voilà pourquoi c'est vers l'Église romaine, " par
suite de son origine supérieure " [4], qu'il a toujours été nécessaire que
chaque Église, c'est-à-dire les fidèles de partout, se tournent, afin qu'ils ne
fassent qu'un en ce Saint-Siège, d'où découlent sur tous " les droits de
la vénérable communion " [5], comme des membres unis à la tête dans
l'assemblage d'un seul corps.
Si donc
quelqu'un dit que ce n'est pas par l'institution du Christ ou de droit divin
que le bienheureux Pierre a des successeurs dans sa primauté sur l'Église
universelle, ou que le Pontife romain n'est pas le successeur du bienheureux
Pierre en cette primauté, qu'il soit anathème.
Chapitre
3 - Pouvoir et nature de la primauté du Pontife romain
C'est
pourquoi, Nous fondant sur le témoignage évident des saintes Lettres et suivant
les décrets explicitement définis de nos prédécesseurs, les Pontifes romains,
comme des conciles généraux, nous renouvelons la définition du concile œcuménique
de Florence, qui impose aux fidèles de croire que " le Saint-Siège
apostolique et le Pontife romain possèdent la primauté sur toute la terre ; que
ce Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, le chef des Apôtres
et le vrai vicaire du Christ, la tête de toute l'Église, le père et le docteur
de tous les chrétiens ; qu'à lui, dans la personne du bienheureux Pierre, a été
confié par notre Seigneur Jésus-Christ plein pouvoir de paître, de régir et de
gouverner toute l'Église comme le disent les actes des conciles œcuméniques et
les saints canons " [6].
En
conséquence, Nous enseignons et déclarons que l'Église romaine possède sur
toutes les autres, par disposition du Seigneur, une primauté de pouvoir
ordinaire, et que ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, vraiment
épiscopal, est immédiat. Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les
fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de
subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les
questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui
touchent à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le monde
entier. Ainsi, en gardant l'unit de communion et de profession de foi avec le
Pontife romain, l'Église est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est
la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s'écarter sans
danger pour sa foi et son salut.
Ce
pouvoir du Souverain Pontife ne fait nullement obstacle au pouvoir de
juridiction épiscopal ordinaire et immédiat, par lequel les évêques, établis
par l'Esprit Saint [Ac 20, 28] successeurs des Ap6tres, paissent et gouvernent
en vrais pasteurs chacun le troupeau à lui confié. Au contraire, ce pouvoir est
affirmé, affermi et défendu par le pasteur suprême et universel, comme le dit
saint Grégoire le Grand : " Mon honneur est l'honneur de l'Église
universelle. Mon honneur est la force solide de mes frères. Lorsqu'on rend à
chacun l'honneur qui lui est dû, alors je suis honoré " [7].
Dès
lors, de ce pouvoir suprême qu'a le Pontife romain de gouverner toute l'Église
résulte pour lui le droit de communiquer librement, dans l'exercice de sa charge,
avec les pasteurs et les troupeaux de toute l'Église, pour pouvoir les
enseigner et les gouverner dans la voie du salut. C'est pourquoi nous
condamnons et réprouvons les opinions de ceux qui disent qu'on peut
légitimement empêcher cette communication du chef suprême avec les pasteurs et
les troupeaux, ou qui l'assujettissent au pouvoir civil, en prétendant que ce
qui est décidé par le Siège apostolique ou par son autorité pour le
gouvernement de l'Église n'a de force ni de valeur que si le placet du pouvoir
civil le confirme.
Parce
que le droit divin de la primauté apostolique place le Pontife romain au-dessus
de toute l'Église, nous enseignons et déclarons encore qu'il est le juge
suprême des fidèles et que, dans toutes les causes qui touchent à la juridiction
ecclésiastique, on peut faire recours à son jugement. Le jugement du Siège
apostolique, auquel aucune autorité n'est supérieure, ne doit être remis en
question par personne, et personne n'a le droit de juger ses décisions. C'est
pourquoi ceux qui affirment qu'il est permis d'en appeler des jugements du
Pontife romain au concile œcuménique comme à une autorité supérieure à ce
Pontife, s'écartent du chemin de la vérité.
Si donc
quelqu'un dit que le Pontife romain n'a qu'une charge d'inspection ou de
direction et non un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute
l'Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en
ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le
monde entier, ou qu'il n'a qu'une part plus importante et non la plénitude
totale de ce pouvoir suprême ; ou que son pouvoir n'est pas ordinaire ni
immédiat sur toutes et chacune des églises comme sur tous et chacun des
pasteurs et des fidèles, qu'il soit anathème.
Chapitre
4 - Le magistère infaillible du Pontife romain
La
primauté apostolique que le Pontife romain, en tant que successeur de Pierre,
chef des Apôtres, possède dans l'Église universelle, comprend aussi le pouvoir
suprême du magistère : le Saint-Siège l'a toujours tenu, l'usage perpétuel des
Églises le prouve, et les conciles œcuméniques, surtout ceux où l'Orient se
rencontrait avec l'Occident dans l'union de la foi et de la charité, l'ont
déclaré.
Les
Pères du IVe concile de Constantinople, suivant les traces de leurs ancêtres,
émirent cette solennelle profession de foi : " La condition première du
salut est de garder la règle de la foi orthodoxe... On ne peut, en effet,
négliger la parole de notre Seigneur Jésus-Christ qui dit : 'Tu es Pierre et
sur cette pierre je bâtirai mon Église' [Mt 16, 18]. Cette affirmation se
vérifie dans les faits, car la religion catholique a toujours été gardée sans
tache dans le Siège apostolique. Désireux de ne nous séparer en rien de sa foi
et de sa doctrine... nous espérons mériter de demeurer unis en cette communion
que prêche le Siège apostolique, en qui réside, entière et vraie, la solidité
de la religion chrétienne " [8].
Avec
l'approbation du IIe concile de Lyon, les Grecs ont professé : " La sainte
Église romaine possède aussi la primauté souveraine et l'autorité entière sur
l'ensemble de l'Église catholique. Elle reconnaît sincèrement et humblement
l'avoir reçue, avec la plénitude du pouvoir, du Seigneur lui-même, en la
personne du bienheureux Pierre, chef ou tête des Apôtres, dont le Pontife
romain est le successeur. Et comme elle doit, par-dessus tout, défendre la
vérité de la foi, ainsi les questions qui surgiraient à propos de la foi doivent
être définies par son jugement " [9].
Enfin,
le concile de Florence a défini : " Le Pontife romain est le vrai vicaire
du Christ, la tête de toute l'Église, le père et le docteur de tous les
chrétiens ; à lui, dans la personne du bienheureux Pierre, a été confié par
notre Seigneur Jésus-Christ plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner
toute l'Église " [10].
Pour
s'acquitter de leur charge pastorale, nos prédécesseurs ont travaillé
infatigablement à la propagation de la doctrine salutaire du Christ parmi tous
les peuples de la terre, et ils ont veillé avec un soin égal à sa conservation
authentique et pure, là où elle avait été reçue. C'est pourquoi les évêques du
monde entier, tantôt individuellement, tantôt réunis en synodes, en suivant la
longue coutume des églises et les formes de la règle antique, ont communiqué au
Siège apostolique les dangers particuliers qui surgissaient en matière de foi,
pour que les dommages causés à la foi fussent réparés là où elle ne saurait
subir de défaillance. Les Pontifes romains, selon que l'exigeaient les
conditions des temps et des choses, tantôt convoquèrent des conciles œcuméniques
ou sondèrent l'opinion de l'Église répandue sur la terre, tantôt par des
synodes particuliers, tantôt grâce à des moyens que leur fournissait la
Providence, ont défini qu'on devait tenir ce qu'ils reconnaissaient, avec
l'aide de Dieu, comme conforme aux saintes Lettres et aux traditions
apostoliques.
Car le
Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent
connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son
assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation
transmise par les Apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi.
Leur
doctrine apostolique a été reçue par tous les Pères vénérés, révérée et suivie
par les saints docteurs orthodoxes. Ils savaient parfaitement que ce siège de
Pierre demeurait pur de toute erreur, aux termes de la promesse divine de notre
Seigneur et Sauveur au chef de ses disciples : " J'ai prié pour toi, pour
que ta foi ne défaille pas ; et quand tu seras revenu, affermis tes frères
" [Lc 22, 32].
Ce
charisme de vérité et de foi à jamais indéfectible a été accordé par Dieu à
Pierre et à ses successeurs en cette chaire, afin qu'ils remplissent leur haute
charge pour le salut de tous, afin que le troupeau universel du Christ, écarté
des nourritures empoisonnées de l'erreur, soit nourri de l'aliment de la
doctrine céleste, afin que, toute occasion de schisme étant supprimée, l'Église
soit conservée tout entière dans l'unité et qu'établie sur son fondement elle
tienne ferme contre les portes de l'enfer.
Mais
comme en ce temps, qui exige au plus haut point l'efficacité salutaire de la
charge apostolique, il ne manque pas l'hommes qui en contestent l'autorité,
Nous avons jugé absolument nécessaire d'affirmer solennellement la prérogative
que le Fils unique de Dieu a daigné joindre à la fonction pastorale suprême.
C'est
pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l'origine de la
foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l'exaltation de la
religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l'approbation du
saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu :
Le
Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à-dire lorsque, remplissant
sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu
de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs
doit être tenue par toute l'Église, jouit, par l'assistance divine à lui
promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin
Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu'elle définit la doctrine
sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont
irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l'Église.
Si
quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre
définition, qu'il soit anathème.
NOTES
[1]
LÉON LE GRAND, Sermo 4, 2 : PL 54, 150 C.
[2]
Concile d'Éphèse (IIIe œcuménique), 3e session (11 juillet 431), discours du
prêtre Philippe.
[3]
LÉON LE GRAND, Sermo 4, 3 : PL 54, 164 B.
[4]
IRÉNÉE DE LYON, Adversus haereses, l. 3, c. 3, 1 : PG 7, 849 A.
[5]
AMBROISE DE MILAN, Epist. 11, c. 4 : PL 16, 946 A.
[6]
Concile de Florence (XVIIe œcuménique), Bulle " Laetentur Coeli "
d'Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.
[7]
GRÉGOIRE LE GRAND, Epist. ad Eulogium Alexandrinum, l. 8, c. 30 : PL 77, 983 C.
[8] En
fait, ce texte reprend, en l'abrégeant, la formule du pape Hormisdas (11 août
515), dont le IVe concile de Constantinople ne citait que la fin
[9] IIe
concile de Lyon, (XIVe œcuménique), 4e session (6 juillet 1274), profession de
foi de Michel Paléologue.
[10]
Concile de Florence (XVIIe œcuménique), Bulle " Laetentur Coeli "
d'Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.
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