Vénérables Frères,
Que la famille humaine tout entière ne s'entende pas en matière religieuse
et morale et qu'elle tende à se tenir loin de la vérité, c'est bien là pour
tout homme honnête et plus encore pour tous les vrais fils de l'Église la
raison d'une douleur très vive: en tous temps certes, mais combien plus
aujourd'hui que nous voyons les coups frapper de toutes parts les principes
mêmes de la formation chrétienne.
Comme dans le domaine de la biologie et de l'anthropologie, il en est qui, dans
le domaine de l'histoire, négligent audacieusement les limites et les
précautions que l'Église établit. Et en particulier, il Nous faut déplorer une
manière vraiment trop libre d'interpréter les livres historiques de l'Ancien
Testament, dont les tenants invoquent à tort, pour se justifier, la lettre
récente de la Commission Pontificale biblique à l'Archevêque de Paris (13),
Cette lettre, en effet, avertit clairement que les onze premiers chapitres de
la Genèse, quoiqu'ils ne répondent pas exactement aux règles de la composition
historique, telles que les ont suivies les grands historiens grecs et latins et
que les suivent les savants d'aujourd'hui, appartient néanmoins au genre
historique en un sens vrai, que des exégètes devront étudier encore et
déterminer: cette Lettre dit encore que les mêmes chapitres, dans le style
simple et figuré, bien approprié à l'état des esprits d'un peuple peu cultivé,
rapportent les vérités essentielles sur lesquelles repose la poursuite de notre
salut éternel, ainsi qu'une description populaire de l'origine du genre humain
et du peuple élu. Si par ailleurs, les anciens hagiographes ont puisé quelque
chose dans les narrations populaires (ce qu'on peut assurément concéder), on ne
doit jamais oublier qu'ils l'ont fait sous l'inspiration divine qui les a préservés
de toute erreur dans le choix et l'appréciation de ces documents.
Comme dans le domaine de la biologie et de l'anthropologie, il en est qui, dans
le domaine de l'histoire, négligent audacieusement les limites et les
précautions que l'Église établit. Et en particulier, il Nous faut déplorer une
manière vraiment trop libre d'interpréter les livres historiques de l'Ancien
Testament, dont les tenants invoquent à tort, pour se justifier, la lettre
récente de la Commission Pontificale biblique à l'Archevêque de Paris (13),
Cette lettre, en effet, avertit clairement que les onze premiers chapitres de
la Genèse, quoiqu'ils ne répondent pas exactement aux règles de la composition
historique, telles que les ont suivies les grands historiens grecs et latins et
que les suivent les savants d'aujourd'hui, appartient néanmoins au genre
historique en un sens vrai, que des exégètes devront étudier encore et
déterminer: cette Lettre dit encore que les mêmes chapitres, dans le style
simple et figuré, bien approprié à l'état des esprits d'un peuple peu cultivé,
rapportent les vérités essentielles sur lesquelles repose la poursuite de notre
salut éternel, ainsi qu'une description populaire de l'origine du genre humain
et du peuple élu. Si par ailleurs, les anciens hagiographes ont puisé quelque
chose dans les narrations populaires (ce qu'on peut assurément concéder), on ne
doit jamais oublier qu'ils l'ont fait sous l'inspiration divine qui les a préservés
de toute erreur dans le choix et l'appréciation de ces documents.
Aussi, après avoir mûrement pesé et considéré la chose devant Dieu, pour ne pas
manquer à Notre devoir sacré, Nous enjoignons aux Evêques et aux Supérieurs de
familles religieuses, leur en faisant une très grave obligation de conscience,
de veiller avec le plus grand soin à ce que ces opinions ne soient pas exposées
dans les écoles, dans les réunions, dans n'importe quels écrits, et qu'elles ne
soient pas enseignées on quelque manière que ce soit aux clercs et aux fidèles.
Aussi, après avoir mûrement pesé et considéré la chose devant Dieu, pour ne pas
manquer à Notre devoir sacré, Nous enjoignons aux Evêques et aux Supérieurs de
familles religieuses, leur en faisant une très grave obligation de conscience,
de veiller avec le plus grand soin à ce que ces opinions ne soient pas exposées
dans les écoles, dans les réunions, dans n'importe quels écrits, et qu'elles ne
soient pas enseignées on quelque manière que ce soit aux clercs et aux fidèles.
On ne peut s'étonner, il est
vrai, que mésententes en ces domaines et éloignement de la vérité aient toujours
sévi, en dehors du bercail du Christ. En effet, si, en principe du moins, la
raison humaine est, par sa propre force et à sa seule lumière naturelle, apte à
parvenir à la connaissance vraie et certaine d'un Dieu unique et personnel, qui
par sa Providence protège et gouverne le monde, et à l'intuition aussi de la
loi naturelle inscrite par Dieu en nos âmes, nombreux, pourtant, sont les
obstacles qui empêchent cette même raison d'user de sa force native
efficacement et avec fruits. Et de fait, les vérités qui concernent Dieu et qui
ont rapport aux relations qui existent entre Dieu et les hommes ne
transcendent-elles pas absolument l'ordre du sensible? et, passées dans le
domaine de la vie pratique qu'elles doivent informer ne commandent-elles pas le
don de soi et l'abnégation? Or, l'intelligence humaine, dans la recherche de si
hautes vérités, souffre d'une grave difficulté en raison d'abord de l'impulsion
des sens et de l'imagination et en raison aussi des passions vicieuses nées du
péché originel. Voilà comment les hommes en sont venus à se pénétrer si
facilement eux-mêmes de ce principe que, dans ce domaine, est faux ou pour le
moins douteux tout ce qu'ils ne veulent pas être vrai.
C'est pourquoi il faut tenir
que la révélation divine est moralement nécessaire pour que tout ce qui n'est
pas, de soi, inaccessible à la raison en matière de foi et de mœurs, puisse
être, dans l'état actuel du genre humain, connu de tous promptement, avec une
certitude ferme et sans mélange d'erreur (1).
Bien plus, l'esprit humain
peut éprouver parfois des difficultés à formuler un simple jugement certain de " crédibilité " au sujet de la foi catholique, encore
que Dieu ait disposé un grand nombre de signes extérieurs éclatants qui nous
permettent de prouver, de façon certaine, l'origine divine de la religion
chrétienne avec les seules lumières naturelles de notre raison. En effet, que
le mènent les préjugés ou que l'excitent les passions et la volonté mauvaise,
l'homme peut opposer un refus et résister autant à l'évidence irrécusable des
signes extérieurs qu'aux célestes lumières que Dieu verse en nos âmes.
Quiconque observe
attentivement ceux qui sont hors du bercail du Christ découvre sans peine les
principales voies sur lesquelles se sont engagés un grand nombre de savants. En
effet, c'est bien eux qui prétendent que le système dit de l'évolution s'applique
à l'origine de toutes les choses; or, les preuves de ce système ne sont pas
irréfutables même dans le champ limité des sciences naturelles. Ils l'admettent
pourtant sans prudence aucune, sans discernement et on les entend qui
professent, avec complaisance et non sans audace, le postulat moniste et
panthéiste d'un unique tout fatalement soumis à l'évolution continue. Or, très
précisément, c'est de ce postulat que se servent les partisans du communisme
pour faire triompher et propager leur matérialisme dialectique dans le but
d'arracher des âmes toute idée de Dieu.
La fiction de cette fameuse
évolution, faisant rejeter tout ce qui est absolu, constant et immuable, a
ouvert la voie à une philosophie nouvelle aberrante, qui, dépassant
l'idéalisme, l'immanentisme et le pragmatisme, s'est nommé existentialisme,
parce que, négligeant les essences immuables des choses, elle n'a souci que de
l'existence de chacun.
A cela s'ajoute un faux
historicisme qui, ne s'attachant qu'aux événements de la vie humaine, renverse les
fondements de toute vérité et de toute loi absolue dans le domaine de la
philosophie et plus encore dans celui des dogmes chrétiens.
En présence d'une telle
confusion d'opinions, nous pourrions être sans doute un peu consolés de voir
ceux qui étaient nourris jadis des principes du rationalisme désirer revenir
aujourd'hui aux sources de la vérité divinement révélée, reconnaître et
professer que la Parole de Dieu, conservée dans la Sainte Écriture, est bien le
fondement de nos sciences sacrées. Mais comment ne pas être affligés de voir un
grand nombre d'entre eux faire d'autant plus fi de la raison humaine qu'ils
adhérent plus fermement à la Parole de Dieu et repousser d'autant plus vivement
le magistère ecclésiastique qu'ils exaltent plus volontiers l'autorité de Dieu
révélant: ils oublient, ce faisant, que ce magistère est institué par le Christ
Notre Seigneur pour garder et interpréter le dépôt divin révélé. Toutes
prétentions qui sont non seulement en contradiction flagrante avec la Sainte Écriture,
mais démontrées fausses encore par l'expérience de tous. En effet ceux qui sont
séparés de la véritable Église se plaignent souvent, et publiquement, de leur
désaccord en matière dogmatique au point d'avouer, comme malgré eux, la
nécessité d'un magistère vivant.
Par ailleurs, les théologiens
et les philosophes catholiques, auxquels incombe la lourde charge de défendre
la vérité divine et humaine et de l'inculquer à toutes les âmes, n'ont pas le
droit d'ignorer ni de négliger les systèmes qui s'écartent plus ou moins de la
droite voie. Bien plus, il leur faut les connaître à fond, d'abord parce qu'on
ne peut guérir que les maux que l'on connaît bien, puis parce que dans les
systèmes erronés peut se cacher quelque lueur de vérité, et parce qu'enfin ces
erreurs poussent l'esprit à scruter avec plus de soin et à apprécier mieux
telle ou telle vérité philosophique et théologique.
Ah! si nos philosophes et nos
théologiens s'étaient efforcés de tirer de l'examen prudent de ces systèmes
l'avantage que nous disons, il n'y, aurait, pour le magistère de l'Église,
aucune raison d'intervenir. Toutefois, même si nous tenons pour certain que les
docteurs catholiques se sont gardés en général de ces erreurs, il n'est pas
moins certain qu'il en est aujourd'hui, tout comme aux temps apostoliques, pour
s'attacher, plus qu'il convient, aux nouveautés dans la crainte de passer pour
ignorants de tout ce que charrie un siècle de progrès scientifiques: on les
voit alors qui, dans leur prétention de se soustraire à la direction du magistère
sacré, se trouvent en grand danger de s'écarter peu à peu de la vérité
divinement révélée et d'induire avec eux les autres dans l'erreur.
Il y a plus. Nous observons un
autre danger qui est, lui, d'autant plus grave qu'il est plus caché sous les
voiles de la vertu. De fait, parmi ceux qui déplorent la mésentente entre les
hommes et la confusion des esprits, il en est plusieurs qui se montrent remués
par un zèle imprudent des âmes: dans leur ardeur, ils brûlent d'un désir
pressant d'abattre les enceintes qui séparent d'honnêtes gens: on les voit
adopter alors un " irénisme " tel que, laissant de côté tout ce qui
divise, ils ne se contentent pas d'envisager l'attaque contre un athéisme
envahissant par l'union de toutes les forces, mais ils vont jusqu'à envisager
une conciliation des contraires, seraient-ils même des dogmes. Et de même que
certains jadis avaient déjà demandé si l'apologétique traditionnelle de
l'Église ne constituait pas un obstacle plutôt qu'un secours pour gagner les
âmes au Christ, aujourd'hui il en est encore qui ne craignent pas de soulever,
avec sérieux, la question de savoir si la théologie et Sa méthode, telles
qu'elles sont enseignées dans nos écoles avec l'approbation de l'autorité
ecclésiastique, ne doivent pas être non seulement perfectionnées, mais en tous
points réformées. Ils pensent qu'ainsi le règne du Christ serait plus
efficacement propagé dans toutes les parties du monde parmi les hommes de toute
culture, et de toute opinion religieuse.
Et si ceux-là ne prétendaient
qu'à accommoder aux conditions et aux nécessités de notre temps la science
ecclésiastique et sa méthode en nous offrant un plan nouveau, il n'y aurait
pour ainsi dire pas de raison de nous alarmer; mais emportés par un irénisme
imprudent, quelques-uns semblent prendre pour des obstacles à la restauration
de l'unité fraternelle tout ce qui s'appuie sur les lois et les principes mêmes
que donna le Christ, et sur les institutions qu'il a établies, sur tout ce qui
se dresse, en somme, comme autant de défenses et de soutiens pour l'intégrité
de la foi: l'écroulement de l'ensemble assurerait l'union, pensent-ils, mais,
disons-le, ce serait pour la ruine.
Ces opinions nouvelles,
qu'elles s'inspirent d'un désir condamnable de nouveauté ou de quelque raison
fort louable, ne sont pas exposées toujours avec la même hâte, la même
précision et dans les mêmes termes; ajoutons qu'elles sont loin d'obtenir
l'accord unanime de leurs auteurs. En effet ce que certains aujourd'hui
enseignent d'une façon voilée avec des précautions et des distinctions,
d'autres le proposeront demain avec plus d'audace, en plein jour et sans mesure
aucune, causant ainsi le scandale de beaucoup, surtout dans le jeune clergé, et
un grave tort à l'autorité de l'Église. Si l'on montre plus de prudence en s'exprimant
dans les ouvrages édités, on est plus libre en privé dans les dissertations
qu'on se communique, dans les conférences et les assemblées. Et ces opinions ne
sont pas seulement divulguées parmi le clergé séculier et régulier, dans les
Séminaires et les instituts religieux, mais aussi parmi les laïques et
principalement parmi ceux qui se consacrent à l'instruction de la jeunesse.
En ce qui concerne la
théologie, le propos de certains est d'affaiblir le plus possible la
signification des dogmes et de libérer le dogme de la formulation en usage dans
l'Église depuis si longtemps et des notions philosophiques en vigueur chez les
Docteurs catholiques, pour faire retour, dans l'exposition de la doctrine
catholique, à la façon de s'exprimer de la Sainte Écriture et des Pères. Ils
nourrissent l'espoir que le dogme, ainsi débarrassé de ses éléments qu'ils nous
disent extrinsèques à la révélation, pourra être comparé, avec fruit, aux
opinions dogmatiques de ceux qui sont séparés de l'unité de l'Église: on parviendrait
alors à assimiler au dogme catholique tout ce qui plaît aux dissidents.
Bien plus, lorsque la doctrine
catholique aura été réduite à un pareil état, la voie sera ouverte,
pensent-ils, pour donner satisfaction aux besoins du jour en exprimant le dogme
au moyen des notions de la philosophie moderne, de l'immanentisme, par exemple,
de l'idéalisme, de l'existentialisme ou de tout autre système à venir. Que cela
puisse et doive même être fait ainsi, de plus audacieux l'affirment pour la
bonne raison, disent-ils, que les mystères de la foi ne peuvent pas être
signifiés par des notions adéquatement vraies, mais par des notions, selon eux,
approximatives et toujours changeables, par lesquelles la vérité est indiquée
sans doute jusqu'à un certain point, mais fatalement déformée. C'est pourquoi
ils ne croient pas absurde, mais absolument nécessaire que la théologie qui a
utilisé au cours des siècles différentes philosophies comme ses instruments
propres substitue aux notions anciennes des notions nouvelles, de telle sorte
que, sous des modes divers et souvent opposés, et pourtant présentés par eux
comme équivalents, elle nous exprime les vérités divines, sous le mode qui sied
à des êtres humains. Ils ajoutent que l'histoire des dogmes consiste à exprimer
les formes variées qu'a revêtues la vérité successivement selon les diverses
doctrines et selon les systèmes qui ont vu le jour tout au long des siècles.
Or, il ressort, avec évidence,
de ce que nous avons dit, que tant d'efforts non seulement conduisent à ce qu'on
appelle le " relativisme " dogmatique, mais le
comportent déjà en fait : le mépris de la doctrine communément enseignée
et le mépris des termes par lesquels on le signifie le favorisent déjà trop.
Certes il n'est personne qui ne sache que les mots qui expriment ces notions,
tels qu'ils sont employés dans nos écoles et par le magistère de l'Église,
peuvent toujours être améliorés et perfectionnés : on sait d'ailleurs que
l'Église n'a pas eu recours toujours aux mêmes termes. Et puis, il va de soi
que l'Église ne peut se lier à n'importe quel système philosophique dont la vie
est de courte durée: ce que les docteurs catholiques, en parfait accord, ont
composé au cours des siècles pour parvenir à une certaine intelligence du
dogme, ne s'appuie assurément pas sur un fondement aussi caduc. En effet, il
n'est pas d'autre appui que les principes et les notions tirés de l'expérience
des choses créées; et dans la déduction de ces connaissances, la vérité révélée
a, comme une étoile, brillé sur l'intelligence des hommes grâce au ministère de
l'Église. On ne s'étonne donc pas que les Conciles œcuméniques aient employé et
aussi sanctionné certaines de ces notions: aussi, s'en écarter n'est point
permis.
Voilà pourquoi négliger,
rejeter ou priver de leur valeur tant de biens précieux qui au cours d'un
travail plusieurs fois séculaire des hommes d'un génie et d'une sainteté peu
commune, sous la garde du magistère sacré et la conduite lumineuse de
l'Esprit-Saint, ont conçus, exprimés et perfectionnés en vue d'une présentation
de plus en plus exacte des vérités de la foi, et leur substituer des notions
conjecturales et les expressions flottantes et vagues d'une philosophie
nouvelle appelées à une existence éphémère, comme la fleur des champs, ce n est
pas seulement pécher par imprudence grave, mais c'est faire du dogme lui-même
quelque chose comme un roseau agité par le vent. Le mépris des mots et des
notions dont ont coutume de se servir les théologiens scolastiques conduit très
vite à énerver la théologie qu'ils appellent spéculative et tiennent pour
dénuée de toute véritable certitude, sous prétexte qu'elle s'appuie sur la
raison théologique.
De fait, ô douleur, les
amateurs de nouveautés passent tout naturellement du dédain pour la théologie
scolastique au manque d'égards, voire au mépris pour le magistère de l'Église
lui-même qui si fortement approuve, de toute son autorité, cette théologie. Ne
présentent-ils pas ce magistère comme une entrave au progrès, un obstacle pour
la science? Certains non-catholiques y voient déjà un injuste frein qui empêche
quelques théologiens plus cultivés de rénover leur science. Et alors que ce
magistère, en matière de foi et de mœurs, doit être pour tout théologien la
règle prochaine et universelle de vérité, puisque le Seigneur Christ lui a
confié le dépôt de la foi - les Saintes Écritures et la divine Tradition - pour
le conserver, le défendre et l'interpréter, cependant le devoir qu'ont les
fidèles d'éviter aussi les erreurs plus ou moins proches de l'hérésie et pour
cela " de conserver les
constitutions et les décrets par lesquels le Saint-Siège proscrit et interdit
ces opinions qui faussent les esprits " (2), est parfois aussi ignoré
d'eux que s'il n'existait pas. Ce qu'exposent les Encycliques des Pontifes
Romains sur le caractère et la constitution de l'Église est, de façon
habituelle et délibérée, négligé par certains dans le but très précis de faire
prévaloir une notion vague qu'ils nous disent puisée chez les anciens Pères et
surtout chez les Grecs. A les entendre, les Pontifes, en effet, n'auraient
jamais dessein de se prononcer sur les questions débattues entre
théologiens ; aussi le devoir s'impose à tous de revenir aux sources
primitives et aussi d'expliquer les constitutions et décrets plus récents du
magistère selon les textes des anciens.
Tout cela semble dit de façon
très habile, mais tout cela est faux en réalité. Car s'il est exact que, en
général, les Pontifes laissent la liberté aux théologiens dans les matières où les docteurs du meilleur
renom professent des opinions différentes, l'histoire pourtant nous apprend que
bien des choses laissées d'abord à la libre discussion ne peuvent plus dans la
suite souffrir aucune discussion.
Et l'on ne doit pas penser que
ce qui est proposé dans les lettres Encycliques n'exige pas de soi
l'assentiment, sous le prétexte que les Papes n'y exerceraient pas le pouvoir
suprême de leur magistère. C'est bien, en effet, du magistère ordinaire que
relève cet enseignement et pour ce magistère vaut aussi la parole :
"Qui vous écoute, m'écoute... " (3), et le plus souvent ce qui est
proposé et imposé dans les Encycliques appartient depuis longtemps d'ailleurs à
la doctrine catholique. Que si dans leurs Actes, les Souverains Pontifes
portent à dessein un jugement sur une question jusqu'alors disputée, il
apparaît donc à tous que, conformément à l'esprit et à la volonté de ces mêmes
Pontifes, cette question ne peut plus être tenue pour une question libre entre
théologiens.
Il est vrai encore que les
théologiens doivent toujours remonter aux sources de la révélation divine; car
il leur appartient de montrer de quelle manière ce qui est enseigné par le
magistère vivant " est explicitement ou implicitement
trouvé " (4) dans la Sainte Écriture et la divine
" tradition ". Ajoutons que ces deux sources de la doctrine
révélée contiennent tant de trésors et des trésors si précieux de vérités qu'il
est impossible de les épuiser jamais. C'est bien la raison pour laquelle nos
sciences sacrées trouvent toujours une nouvelle jeunesse dans l'étude des
sources sacrées ; tandis que toute spéculation qui néglige de pousser plus
avant l'examen du dépôt sacré ne peut qu'être stérile : l'expérience est
là, qui le prouve. Mais on ne peut pas, pour cette raison, équiparer la
théologie, même celle qu'on dit positive, à une science purement historique.
Car Dieu a donné à son Église, en même temps que les sources sacrées, un
magistère vivant pour éclairer et pour dégager ce qui n'est contenu
qu'obscurément et comme implicitement dans le dépôt de la foi. Et ce dépôt, ce
n'est ni à chaque fidèle, ni même aux théologiens que le Christ l'a confié pour
en assurer l'interprétation authentique, mais au seul magistère de l'Église. Or
si l'Église exerce sa charge, comme cela est arrivé tant de fois au cours des
siècles, par la voie ordinaire ou par la voie extraordinaire, il est évident
qu'il est d'une méthode absolument fausse d'expliquer le clair par l'obscur,
disons bien qu'il est nécessaire que tous s'astreignent à suivre l'ordre
inverse. Aussi notre Prédécesseur, d'immortelle mémoire, Pie IX, lorsqu'il
enseigne que la théologie a la si noble tâche de démontrer comment une doctrine
définie par l'Église est contenue dans les sources, ajoute ces mots, non sans
de graves raisons: " dans le sens même où l'Église l'a définie
".
Mais pour en revenir aux
systèmes nouveaux auxquels nous avons touché plus haut, il y a certains points
que quelques-uns proposent ou qu'ils distillent, pour ainsi dire, dans les
esprits, qui tournent au détriment de l'autorité divine de la Sainte Écriture.
Ainsi on a audacieusement perverti le sens de la définition du Concile du
Vatican sur Dieu, auteur de la Sainte Écriture; et la théorie qui n'admet
l'inerrance des lettres sacrées que là où elles enseignent Dieu, la morale et
la religion, on la professe en la renouvelant, bien qu'elle ait été plusieurs
fois condamnée. Bien plus, de la façon la plus incorrecte, on nous parle d'un
sens humain des Livres Saints, sous lequel se cacherait le sens divin, le seul,
nous dit-on, qui serait infaillible. Dans l'interprétation de la Sainte Écriture,
on s'interdit de tenir compte de l'analogie de la foi et de la tradition
ecclésiastique. En conséquence, c'est la doctrine des Saints Pères et du
magistère sacré qui devrait être ramenée, pour ainsi dire, à la juste balance
de l'Écriture et de l'Écriture telle qu'elle est expliquée par des exégètes qui
ne font appel qu'à la lumière de la raison; et, partant, ce n'est plus la
Sainte Écriture qu'il faudrait expliquer selon la pensée de l'Église que le
Christ institua gardienne et interprète de tout le dépôt de la vérité
divinement révélée.
En outre, le sens littéral de
la Sainte Écriture et son explication faite laborieusement, sous le contrôle de
l'Église, par tant d'exégètes de si grande valeur doivent céder, d'après les inventions
qui plaisent aux novateurs, à une exégèse nouvelle, dite symbolique et
spirituelle; et ainsi seulement, les Livres Saints de l'Ancien Testament, qui
seraient aujourd'hui encore ignorés dans l'Église, comme une source qu'on
aurait enclose, seraient enfin ouverts à tous. Ils assurent que toutes les
difficultés, par ce moyen, s'évanouiront, qui ne paralysent que ceux-là qui se
tiennent attachés au sens littéral de la Bible.
Il n'est personne qui ne
puisse voir à quel point tant de prétentions s'écartent des principes et des
règles d'herméneutique si justement fixés par Nos Prédécesseurs d'heureuse
mémoire Léon XIII dans l'Encyclique Providentissimus et Benoît XV dans l'Encyclique Spiritus Paraclitus et par Nous-même dans l'Encyclique Divino afflante Spiritu.
Il n'est pas étonnant que
pareilles nouveautés aient déjà produit des fruits empoisonnés dans toutes les
parties, ou presque, de la théologie. On révoque en doute que la raison
humaine, sans le secours de la révélation et de la grâce divine, puisse
démontrer l'existence d'un Dieu personnel par des arguments tirés des choses
créées; on nie que le monde ait eu un commencement et l'on soutient que la
création est nécessaire, puisqu'elle procède de la nécessaire libéralité de
l'amour de Dieu; on refuse aussi à Dieu l'éternelle et infaillible prescience
des libres actions de l'homme. Or tout cela s'oppose aux déclarations du
Concile du Vatican (5).
Quelques-uns aussi se
demandent si les Anges sont des créatures personnelles, et Si la
matière diffère essentiellement de l'esprit. D'autres corrompent la véritable
gratuité de l'ordre surnaturel, puisqu'ils tiennent que Dieu ne peut pas créer
des êtres doués d'intelligence sans les ordonner et les appeler à la vision
béatifique. Ce n'est pas assez ! au mépris de toutes définitions du Concile de
Trente, on a perverti la notion du péché originel, et du même coup, la notion
du péché en général, dans le sens même où il est une offense à Dieu, et ainsi
la notion de la satisfaction offerte pour nous par le Christ. Il s'en trouve
encore pour prétendre que la doctrine de la transsubstantiation, toute fondée
sur une notion philosophique périmée (la notion de substance), doit être
corrigée, de telle sorte que la présence réelle dans la Sainte Eucharistie soit
ramenée à un certain symbolisme, en ce sens que les espèces consacrées ne
seraient que les signes efficaces de la présence spirituelle du Christ et de
son intime union avec les membres fidèles dans le Corps Mystique.
Certains estiment qu'ils ne
sont pas liés par la doctrine que Nous avons exposée il y a peu d'années dans
notre lettre Encyclique et qui est fondée sur les sources de la " révélation ", selon
laquelle le Corps Mystique et l'Église catholique romaine sont une seule et
même chose (6). Quelques-uns réduisent à une formule vaine la nécessité
d'appartenir à la véritable Église pour obtenir le salut éternel. D'autres
enfin attaquent injustement le caractère rationnel de la crédibilité de la foi
chrétienne.
Il est trop certain que ces
erreurs et d'autres du même ordre s'insinuent dans l'esprit de plusieurs de Nos
fils, qu'abuse un zèle imprudent des âmes ou une fausse science: il Nous faut
donc, l'âme accablée de tristesse, leur répéter des vérités très connues et
leur signaler, non sans angoisse pour le coeur, des erreurs manifestes et des
dangers d'erreur auxquels ils s'exposent.
On sait combien l'Église
estime la raison humaine dans le pouvoir qu'elle a de démontrer avec certitude
l'existence d'un Dieu personnel, de prouver victorieusement par les signes
divins les fondements de la foi chrétienne elle-même, d'exprimer exactement la
loi que le Créateur a inscrite dans l'âme humaine et enfin de parvenir à une
certaine intelligence des mystères, qui nous est très fructueuse (7). La raison
cependant ne pourra remplir tout son office avec aisance et en pleine sécurité
que si elle reçoit une formation qui lui est due : c'est-à-dire quand elle
est imprégnée de cette philosophie saine qui est pour nous un vrai patrimoine
transmis par les siècles du passé chrétien et qui jouit encore d'une autorité
d'un ordre supérieur, puisque le magistère de l'Église a soumis à la balance de
la révélation divine, pour les apprécier, ses principes et ses thèses
essentielles qu'avaient peu à peu mis en lumière et définis des hommes de génie.
Cette philosophie reconnue et reçue dans l'Église défend, seule, l'authentique
et juste valeur de la connaissance humaine, les principes inébranlables de la
métaphysique, à savoir de raison suffisante, de causalité et de finalité la
poursuite enfin, effective, de toute vérité certaine et immuable.
Dans cette philosophie, sans
doute sont traitées des parties qui ni directement ni indirectement ne touchent
à la foi et aux mœurs: aussi l'Église les laisse-t-elle à la libre discussion
des philosophes. Mais pour beaucoup d'autres, surtout dans le domaine des
principes et des thèses essentielles que Nous avons rappelés plus haut, de
liberté de discussion il n'y a point. Même dans ces questions essentielles, il
est permis de donner à la philosophie un vêtement plus juste et plus riche, de
la renforcer de développements plus efficaces, de la débarrasser de quelques
procédés scolaires insuffisamment adaptés, de l'enrichir discrètement aussi
d'éléments apportés par une pensée humaine qui sainement progresse, mais il
n'est jamais possible de la bouleverser, de la contaminer de principes faux ou
même de la tenir pour un monument sans doute imposant mais absolument suranné.
Car la vérité et toute son explication philosophique ne peuvent pas changer
chaque jour, surtout quand il s'agit de principes évidents, par soi, pour tout
esprit humain ou de ces thèmes qui prennent appui aussi bien sur la sagesse des
siècles que sur leur accord avec la révélation divine qui les étaye si
fortement. Tout ce que l'esprit humain, adonne à la recherche sincère, peut
découvrir de vrai ne peut absolument pas s'opposer à une vérité déjà acquise;
Dieu, Souveraine Vérité a créé l'intelligence humaine et la dirige, il faut le
dire, non point pour qu'elle puisse opposer chaque jour des nouveautés à ce qui
est solidement acquis, mais pour que, ayant rejeté les erreurs qui se seraient
insinuées en elle, elle élève progressivement le vrai sur le vrai selon l'ordre
et la complexion même que nous discernons dans la nature des choses d'où nous
tirons la vérité.
C'est pourquoi un chrétien,
qu'il soit philosophe ou théologien, ne peut pas se jeter à la légère, pour les
adopter, sur toutes les nouveautés qui s'inventent chaque jour; qu'il en fasse
au contraire un examen très appliqué, qu'il les pèse en une juste
balance ; et ainsi, se gardant de perdre ou de contaminer la vérité déjà
acquise, il évitera de causer un dommage certain à la foi elle-même et de la
mettre gravement en péril.
Si l'on a bien saisi ces
précisions, on verra sans peine pour quelle raison l'Église exige que ses
futurs prêtres soient instruits des disciplines philosophiques " selon la
méthode, selon la doctrine et les principes du Docteur Angélique " (8);
c'est que l'expérience de plusieurs siècles lui a parfaitement appris que la
méthode de l'Aquinate l'emporte singulièrement sur toutes les autres, soit pour
former les étudiants, soit pour approfondir les vérités peu accessibles ;
sa doctrine forme comme un accord harmonieux avec la révélation divine ;
elle est de toutes la plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la
foi, comme pour recueillir utilement et sans dommage les fruits d'un progrès
véritable (9).
C'est pour tant de motifs,
qu'il est au plus haut point lamentable que la philosophie reçue et reconnue
dans l'Église soit aujourd'hui méprisée par certains qui, non sans imprudence,
la déclarent vieillie dans sa forme et rationaliste (comme ils osent dire) dans
son processus de pensée. Nous les entendons répétant que cette philosophie, la
nôtre, soutient faussement qu'il peut y avoir une métaphysique absolument
vraie; et ils affirment de façon péremptoire que les réalités, et surtout les
réalités transcendantes, ne peuvent être mieux exprimées que par des doctrines
disparates, qui se complètent les unes les autres, encore qu'elles s'opposent
entre elles toujours en quelque façon. Aussi concèdent-ils que la philosophie
qu'enseignent Nos écoles, avec son exposition claire des problèmes et leurs
solutions, avec sa détermination si rigoureuse du sens de toutes les notions et
ses distinctions précises, peut être utile pour initier de jeunes esprits à la
théologie scolastique et qu'elle était remarquablement accommodée aux esprits
du moyen-âge; mais elle n'offre plus, selon eux, une méthode qui réponde à
notre culture moderne et aux nécessités du temps. Ils opposent ensuite que la philosophia perennisn'est qu'une
philosophie des essences immuables, alors que l'esprit moderne doit
nécessairement se porter vers l'existence de chacun et vers la vie toujours
fluente. Et tandis qu'ils méprisent cette philosophie, ils en exaltent
d'autres, anciennes ou récentes, de l'Orient ou de l'Occident, de sorte qu'ils
semblent insinuer dans les esprits que n'importe quelle philosophie, n'importe
quelle manière personnelle de penser, avec, si besoin est, quelques retouches
ou quelques compléments, peut s'accorder avec le dogme catholique : or,
cela est absolument faux, surtout quand il s'agit de ces produits de
l'imagination qu'on appelle l'immanentisme, l'idéalisme, le matérialisme soit
historique soit dialectique ou encore l'existentialisme, qu'il professe l'athéisme
ou pour le moins qu'il nie toute valeur au raisonnement métaphysique. Quel
catholique pourrait avoir le moindre doute sur toutes ces choses
Enfin ils reprochent à cette
philosophie de ne s'adresser qu'à l'intelligence dans le processus de la
connaissance, puisqu'elle néglige, disent-ils, l'office de la volonté et celui
des affections de l'âme. Or cela n'est pas vrai. Jamais la philosophie chrétienne
n'a nié l'utilité et l'efficacité des bonnes dispositions de toute l'âme
humaine pour connaître à fond et pour embrasser les vérités religieuses et
morales; bien mieux, elle a toujours professé que le défaut de ces dispositions
peut être cause que l'intelligence, sous l'influence des passions et de la
volonté mauvaise, s'obscurcisse à ce point qu'elle ne voit plus juste. Bien
mieux encore, le Docteur commun estime que l'intelligence peut d'une certaine
manière percevoir les biens supérieurs d'ordre moral soit naturel soit
surnaturel, mais dans la mesure seulement où l'âme éprouve une certaine
connaturalité affective avec ces mêmes biens, soit par nature, soit par don de
grâce (10). Et l'on ne peut pas ne pas saisir l'intérêt du secours apporté par
cette connaissance obscure aux recherches de notre esprit. Cependant autre
chose est de reconnaître aux dispositions affectives de la volonté le pouvoir
d'aider la raison à poursuivre une science plus certaine et plus ferme des
choses; et autre chose, ce que soutiennent ces novateurs, à savoir: attribuer
aux facultés d'appétit et d'affection un certain pouvoir d'intuition et dire
que l'homme, incapable de savoir par la raison et avec certitude la vérité
qu'il doit embrasser, se tourne vers la volonté pour faire choix et décider
librement entre des opinions erronées: n'est-ce pas là mêler indûment la
connaissance et l'acte de la volonté?
Il n'est pas étonnant que, par
ces nouveaux systèmes, on soit amené à mettre en danger les deux disciplines
philosophiques qui, par leur nature même, sont étroitement liées avec
l'enseignement de la foi, la théodicée et l'éthique; on en vient donc à penser
que leur rôle n'est pas de démontrer quelque chose de certain sur Dieu ou sur
un autre être transcendant, mais bien plutôt de montrer que ce que la foi
enseigne sur un Dieu personnel et sur ses commandements s'accorde parfaitement
avec les nécessités de la vie et que par voie de conséquence il faut que tous
l'embrassent pour éviter le désespoir et pour parvenir au salut éternel. Or
tout cela s'oppose manifestement aux documents de Nos Prédécesseurs Léon XIII
et Pie X et ne peut s'accorder avec les décrets du Concile du Vatican. Nous
n'aurions certes pas à déplorer ces écarts loin de la vérité si tous, même en
philosophie, voulaient écouter le magistère de l'Église avec tout le respect
qui lui est dû; car il lui revient, de par l'institution divine, non seulement
de garder et d'interpréter le dépôt de la vérité divinement révélée, mais
encore d'exercer toute sa vigilance sur les disciplines philosophiques pour que
de faux systèmes ne portent pas atteinte aux dogmes catholiques.
Il nous reste à dire un mot
des sciences qu'on dit positives, mais qui sont plus ou moins connexes avec les
vérités de la foi chrétienne. Nombreux sont ceux qui demandent avec instance
que la religion catholique tienne le plus grand compte de ces disciplines. Et
cela est assurément louable lorsqu'il s'agit de faits réellement démontrés;
mais cela ne doit être accepté qu'avec précaution, dès qu'il s'agit bien plutôt
d' " hypothèses " qui,
même si elles trouvent quelque appui dans la science humaine, touchent à la
doctrine contenue dans la Sainte Écriture et la "Tradition ". Dans
le cas où de telles vues conjecturales s'opposeraient directement ou
indirectement à la doctrine révélée par Dieu, une requête de ce genre ne
pourrait absolument pas être admise.
C'est pourquoi le magistère de
l'Église n'interdit pas que la doctrine de l' " évolution ", dans la mesure où elle recherche l'origine
du corps humain à partir d'une matière déjà existante et vivante - car la foi
catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu -
soit l'objet, dans l'état actuel des sciences et de la théologie d'enquêtes et
de débats entre les savants de l'un et de l'autre partis : il faut
pourtant que les raisons de chaque opinion, celle des partisans comme celle des
adversaires, soient pesées et jugées avec le sérieux, la modération et la
retenue qui s'imposent; à cette condition que tous soient prêts à se soumettre au
jugement de l'Église à qui le mandat a été confié par le Christ d'interpréter
avec autorité les Saintes Écritures et de protéger les dogmes de la foi (11).
Cette liberté de discussion, certains cependant la violent trop
témérairement : ne se comportent-ils pas comme si l'origine du corps
humain à partir d'une matière déjà existante et vivante était à cette heure
absolument certaine et pleinement démontrée par les indices jusqu'ici
découverts et par ce que le raisonnement en a déduit; et comme si rien dans les
sources de la révélation divine n'imposait sur ce point la plus grande prudence
et la plus grande modération.
Mais quand il s'agit d'une
autre vue conjecturale qu'on appelle le polygénisme, les fils de l'Église ne
jouissent plus du tout de la même liberté. Les fidèles en effet ne peuvent pas
adopter une théorie dont les tenants affirment ou bien qu'après Adam il y a eu
sur la terre de véritables hommes qui ne descendaient pas de lui comme du
premier père commun par génération naturelle, ou bien qu'Adam désigne tout
l'ensemble des innombrables premiers pères. En effet on ne voit absolument pas
comment pareille affirmation peut s'accorder avec ce que les sources de la
vérité révélée et les Actes du magistère de l'Église enseignent sur le péché
originel, lequel procède d'un péché réellement commis par une seule personne
Adam et, transmis à tous par génération, se trouve en chacun comme sien (12).
Mais tout ce qui a été
emprunté aux narrations populaires et accueilli dans les Saintes Lettres ne
peut absolument pas être équiparé aux mythologies ou aux fables du même genre,
qui procèdent bien plutôt de l'imagination dénuée de tout frein que de ce
remarquable souci de vérité et de simplicité qui éclate dans les Saintes
Lettres, même de l'Ancien Testament, à ce point que nos hagiographes doivent
être proclamés nettement supérieurs aux écrivains profanes de l'antiquité.
Nous savons, certes, que la
plupart des maîtres catholiques dont les travaux profitent aux lycées, aux
séminaires, aux collèges d'instituts religieux demeurent éloignés de ces
erreurs aujourd'hui répandues ouvertement ou on secret, soit par passion de
nouveauté, soit même par un propos mal réglé d'apostolat. Mais nous savons
aussi que ces nouveaux systèmes peuvent gagner des imprudents ; c'est
pourquoi Nous préférons Nous opposer à elles dès leur principe, plutôt que d'avoir
à porter remède à un mal déjà invétéré.
Que ceux qui sont professeurs
d'instituts ecclésiastiques sachent qu'ils ne peuvent exercer on toute
tranquillité de conscience la charge d'enseigner qui leur est confiée, s'ils
n'acceptent pas religieusement les normes doctrinales que Nous avons édictées,
et s'ils ne les suivent pas exactement au cours de la formation de leurs
élèves. Le respect et l'obéissance qu'ils doivent professer envers le magistère
de l'Église dans leur travail quotidien, ils les doivent inculquer aussi au cœur
et à l'esprit de leurs élèves.
Oui, qu'ils travaillent, usant
de toutes leurs forces et de toute leur application, à faire avancer les
disciplines qu'ils enseignent, mais qu'ils se gardent aussi d'outrepasser les
limites que nous avons fixées en vue de protéger les vérités de la foi et la
doctrine catholique. Face aux nouveaux problèmes qui se posent pour le grand
public en raison de la culture et du progrès moderne, qu'ils apportent leur
large part dans la recherche la plus diligente, mais avec la prudence et les précautions
qui s'imposent ; et enfin qu'ils ne pensent pas, cédant trop volontiers à
un faux " irénisme " que pourront être heureusement ramenés dans le
sein de l'Église les dissidents et les égarés si on ne leur enseigne pas
sincèrement à tous la vérité, telle qu'elle est, intègre si vivante dans l'Église
sans la corrompre et sans l'amoindrir.
Fondé sur cet espoir que
ravive votre zèle pastoral, comme gage des célestes bienfaits et comme
témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous donnons, de grand coeur, à
chacun de vous, Vénérables Frères, et aussi à votre clergé et à votre peuple,
la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, le 12 août 1950, en la douzième année de Notre Pontificat.
NOTES
(1) Conc. Vatic. D. B., 1876,
Const. De Fide cath., ch. 2, De revelatione
(2) C. I. C., can. 1324, cfr.
Conc. Vatic.,
D. B., 1820, Const. De Fide cath., ch. 4. De
fide et ratione, post
canones.
(3) LUC, X, 16.
(4) PIE IX, Inter gravissimas, 28 oct. 1870,
Acta, vol. I, p. 260.
(5) Cfr. Conc. Vatic., Const. De Fide cath.
ch. 1, De Deo rerum omnium creatore.
(6) Cfr. Litt. Enc. Mystici Corporis Christi,
A. A.S., vol. XXXV, p. 193
et suiv.
(7) Cfr. Conc. Vat., D. B.,
1796.
(8) C. I. C., can. 1366, 2.
(9) A. A. S., vol. XXXVIII, 1946, p. 387.
(10) Cfr. S. THOM., Summa Theol., II-II, qu. 1, art. 4 ad. 3 et qu.
45, art. 2, in c.
(11) Cfr. Allocut. Pont. ad membra Academiae
Scientiarum, 30 nov. 1941 ; A. S. S.,
vol. XXXIII, p. 506.
(12) Cfr. Rom., V, 12-19 ; Conc. Trid.,
sess. V., can. 1-4.
(13) 16 janvier 1948 : A.
A. S., vol. XL, pp. 45-48.
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