samedi 11 janvier 2014

Pie IX - Inter Multiplices

Cette Encyclique, adressée seulement à l'épiscopat de France, est en date du 21 mars 1853; elle concerne la question des classiques et le rôle de la presse dans les discussions religieuses.

Au milieu des angoisses multipliées dont nous sommes accablé de toutes parts, à raison de la sollicitude de toutes les églises qui nous a été commise, malgré notre indignité, par un dessein secret de la divine Providence, dans ces temps si durs où l'on voit par trop de ceux qui, comme a prédit l'Apôtre, ne supportent point la saine doctrine, mais, s'amassant des docteurs favorables à leurs passions, détournent leur ouïe de la vérité, et, séducteurs, vont de pire en pire, errant eux-mêmes et jetant les autres dans l'erreur (1) : nous éprouvons la plus grande joie lorsque nous tournons les yeux et notre esprit vers cette nation française, illustre à tant de titres et qui a bien mérité de nous. C'est avec une souveraine consolation pour notre cœur paternel que nous voyons dans cette nation, par la grâce de Dieu, la religion catholique et sa doctrine salutaire croître de jour en jour, fleurir et dominer, et avec quel soin et quel zèle, vous, nos bien-aimés Fils et vénérables Frères, appelés en partage de notre sollicitude, vous vous efforcez de remplir votre ministère et de veiller à la sûreté et au salut du bien-aimé troupeau qui vous est confié. Cette consolation est encore singulièrement augmentée par les lettres si respectueuses que vous nous écrivez et qui nous font connaître avec quelle piété filiale, avec quel amour, avec quelle ardeur vous vous glorifiez d'être dévoués à nous et à cette chaire de Pierre, centre de la vérité catholique et de l'unité, et qui est absolument de toutes les églises le chef, la mère et la maitresse (2), à laquelle il faut déférer toute obéissance et tout honneur (3); avec laquelle, à cause de sa plus puissante principauté, il faut que s'accorde toute église, c'est-à-dire les fidèles qui sont sur tous les points de la terre (4). Nous n'éprouvons pas une moindre joie à voir que, vous rappelant sans cesse vos graves fonctions épiscopales et vos devoirs, vous déployez tous vos soins de pasteurs et toute votre vigilance, afin que les prêtres de vos diocèses, marchant chaque jour plus dignement dans la vocation où ils ont été appelés, donnent au peuple l'exemple de toutes les vertus et accomplissent exactement la charge de leur propre ministère, et afin que les fidèles qui vous sont confiés, chaque jour nourris plus abondamment des paroles de la foi et confirmés par l'abondance des grâces, croissent dans la science de Dieu et s'affermissent dans la voie qui conduit à la vie et afin que les malheureux qui errent rentrent dans le chemin du salut.

Nous savons, et c'est encore pour notre cœur une douce joie, avec quel empressement, accueillant nos désirs et nos avis, vous vous appliquez à tenir des conciles provinciaux, afin de garder intact et pur dans vos diocèses le dépôt de la foi, afin de transmettre la saine doctrine, d'augmenter l'honneur du culte divin, de fortifier l'institution et la discipline du clergé, de promouvoir et d'affermir partout, par un heureux progrès, l'honnêteté des mœurs, la vertu, la religion, la piété. Nous éprouvons aussi une bien grande joie de voir que dans la plupart de vos diocèses, où des circonstances particulières n'y mettaient pas obstacle, la liturgie de l'Église romaine a été rétablie, selon nos désirs, grâce à votre zèle empressé. Ce rétablissement nous a été d'autant plus agréable que nous savions que dans beaucoup de diocèses de France, à cause de la vicissitude des temps, on n'avait pas gardé ce que notre saint prédécesseur Pie V avait prescrit avec prudence et sagesse dans les lettres apostoliques du vu des ides de juillet 1568, commençant ainsi : Quod a nobis postulat.

Mais en vous rappelant toutes ces choses, au grand bonheur de notre âme et à la louange de votre ordre, bien-aimés Fils et vénérables Frères, nous ne pouvons néanmoins dissimuler la grande tristesse et la peine qui nous accable en ce moment, lorsque nous voyons quelles dissensions l'antique ennemi s'efforce d'exciter parmi vous pour ébranler et affaiblir la concorde de vos esprits. C'est pourquoi, remplissant le devoir de notre ministère apostolique, et avec cette profonde charité que nous avons pour vous et pour ces peuples fidèles, nous vous écrivons ces lettres dans lesquelles nous nous adressons à vous, bien aimés Fils et vénérables Frères, et en même temps nous vous avertissons, nous vous exhortons et vous supplions de repousser avec la vertu qui vous distingue et de faire disparaître entièrement toutes les dissensions que ce vieil ennemi s'efforce d'exciter, vous rapprochant, vous serrant dans les liens de la charité, unanimes dans vos sentiments, et vous efforçant avec toute humilité et douceur de garder en toutes choses l'unité d'esprit dans le lien de la paix. Par cette sagesse, vous montrerez que chacun de vous sait combien la concorde sacerdotale et fidèle des esprits, des volontés et des sentiments est nécessaire, et sert à la prospérité de l'Église et au salut éternel des hommes. Et si jamais vous avez dû entretenir parmi vous cette concorde des esprits et des volontés, c'est aujourd'hui surtout que, par la volonté parfaite de notre très-cher Fils en Jésus-Christ, Napoléon, empereur des Français, et par les soins de son gouvernement, l'Église catholique jouit chez vous d'une entière paix, de la tranquillité et d'une véritable protection. Cet heureux état de choses dans cet empire et la condition des temps doivent vous exciter plus vivement à vous unir dans le même esprit de conduite, dans les mêmes moyens, afin que la divine religion de Jésus-Christ, sa doctrine, la pureté des mœurs, la piété poussent partout en France de profondes racines, que la jeunesse y trouve plus facilement une meilleure et plus pure éducation, et que par là soient arrêtées et brisées ces tentatives hostiles qui déjà se manifestent par les menées de ceux qui furent et sont encore les ennemis constants de l'Église et de Jésus-Christ.

C'est pourquoi, bien-aimés Fils et vénérables Frères, nous vous demandons de plus en plus et avec toute l'insistance possible que dans la cause de l'Église, dans la défense de sa sainte doctrine et de sa liberté, et dans l'accomplissement de tous les autres devoirs de votre charge épiscopale, vous n'ayez rien plus à cœur que de montrer entre vous une union complète d'intelligence, d'avoir les mêmes pensées et les mêmes sentiments, et de consulter en toute confiance nous et ce Siège apostolique, dans les questions de tout genre et pour écarter de vous toute espèce de dissentiment.

Et avant tout, comprenez jusqu'à quel point une bonne direction du clergé intéresse la prospérité de la religion et de la société, afin que vous ne cessiez pas, dans une parfaite union d'esprit, de porter sur une affaire de si grande importance vos soins et vos réflexions. Continuez, comme vous le faites, de ne rien épargner pour que les jeunes clercs soient formés de bonne heure dans vos séminaires à toute vertu, à la piété, à l'esprit ecclésiastique, pour qu'ils grandissent dans l'humilité, sans laquelle nous ne pouvons jamais plaire à Dieu, et pour qu'en même temps ils soient si exactement instruits, et des lettres humaines, et des sciences plus sévères, surtout des sciences sacrées, qu'ils puissent, sans être exposés à aucun péril d'erreur, non-seulement apprendre l'art de parler avec éloquence, d'écrire avec élégance, en étudiante! les ouvrages si excellents des saints Pères, et les écrits des écrivains païens, les plus célèbres, après qu'ils auront été complètement expurgés, mais encore acquérir surtout la science parfaite et solide des doctrines théologiques, de l'histoire ecclésiastique et des sacrés canons, puisée dans des auteurs dont les ouvrages sont conformes à l'esprit du Saint-Siège apostolique. Ainsi cet illustre clergé de France, où brillent tant d'hommes distingués par leur génie, leur piété, leur science, leur esprit ecclésiastique, et leur respectueuse soumission au Siège apostolique, abondera de plus en plus en ouvriers courageux et habiles, qui, ornés de toutes les vertus, fortifiés parle secours d'une science salutaire, pourront dans le temps vous aider à cultiver la vigne du Seigneur, répondre aux contradicteurs et non-seulement affermir les fidèles de France dans notre très-sainte religion, mais encore propager cette religion dans de saintes expéditions chez les nations lointaines et infidèles, comme ce même clergé l'a fait jusqu'ici, à la grande gloire de son nom, pour le bien de la religion et pour le salut des âmes.

Vous êtes comme nous pénétrés de douleur à la vue de tant de livres, de libelles, de brochures, de journaux empoisonnés que répand sans relâche de toutes parts et avec fureur l'ennemi de Dieu et des hommes, pour corrompre les mœurs et renverser les fondements de la foi, et ruiner tous les dogmes de notre très-sainte religion ; ne cessez donc jamais, bien-aimés Fil» et vénérables Frères, d'employer toute votre sollicitude et toute votre vigilance épiscopale pour éloigner unanimement, avec le plus grand zèle, le troupeau confié à vos soins de ces pâturages pestilentiels; ne cessez jamais de l'instruire, de le défendre, de le fortifier contre cet amas d'erreurs, par des avertissements et par des écrits opportuns et salutaires. El ici nous ne pouvons nous empêcher de vous rappeler les avis et les conseils par lesquels, il y a quatre ans, nous excitions ardemment les évêques de tout l'univers catholique à ne rien négliger pour engager les hommes remarquables par le talent et la saine doctrine à publier des écrits propres à éclairer les esprits et à dissiper les ténèbres des erreurs en vogue. C'est pourquoi, en vous efforçant d'éloigner des fidèles commis à votre sollicitude le poison mortel des mauvais livres et des mauvais journaux, veuillez aussi, nous vous le demandons avec instance, soutenir par toute votre bienveillance et toute votre prédilection, les hommes qui, animés de l'esprit catholique et versés dans les lettres et dans les sciences, consacrent leurs veilles à écrire des livres et des journaux pour que la doctrine catholique soit propagée et défendue, pour que les droits vénérables de ce Saint-Siège et ses actes aient toute leur force, pour que les opinions et les sentiments contraires à ce Saint-Siège et à son autorité disparaissent, pour que l'obscurité des erreurs soit dissipée et que les intelligences soient inondées de la douce lumière de la vérité. Il sera donc de votre sollicitude et de votre charité épiscopale, d'exciter ces hommes catholiques animés d'un bon esprit pour qu'ils continuent toujours plus ardemment a défendre la cause de la vérité catholique avec zèle et justesse ; il sera aussi de votre sollicitude et de votre charité épiscopale de les avertir prudemment avec des paroles paternelles, si, dans leurs écrits, il leur arrive de manquer en quelque chose.

Au surplus, votre sagesse n'ignore pas que tous les ennemis les plus acharnés de la religion catholique ont toujours fait, quoique vainement, la guerre la plus violente contre cette Chaire du bienheureux Prince des apôtres, sachant fort bien que la religion elle-même ne pourra jamais ni tomber ni chanceler, tant que demeurera debout cette Chaire qui est fondée sur la pierre, que les portes superbes de l'enfer ne vaincront point (5) et dans laquelle est l'entière et la parfaite solidité de la religion chrétienne (6). C'est pourquoi, Fils bien-aimés et vénérables Frères, nous vous le demandons de tout notre pouvoir, conformément à la grandeur de la foi que vous avez dans l'Église et à l'ardeur de votre piété pour cette chaire de Pierre, ne cessez jamais d'appliquer d'un seul cœur et d'un seul esprit tous vos soins, toute votre vigilance, tous vos travaux a ce point surtout; de sorte que les populations fidèles de la France, évitant les erreurs et les pièges que leur tendent des hommes perfides, se fussent gloire d'adhérer fermement et avec constance à ce Siège apostolique par un amour et un dévouement chaque jour plus filial, et de lui obéir, comme il est juste, avec le plus grand respect. Dans toute l'ardeur de votre vigilance épiscopale, ne négligez donc jamais rien, ni en actions ni en paroles, afin de redoubler de plus en plus l'amour et la vénération des fidèles pour ce Saint-Siège, et afin qu'ils reçoivent et qu'ils accomplissent avec la plus parfaite obéissance tout ce que ce Saint-Siège enseigne, établit et décrète.

Ici nous ne pouvons nous empêcher de vous exprimer la douleur profonde dont nous avons été affecté lorsque, parmi d'autres mauvais écrits dernièrement publiés en France, il nous est parvenu un libelle imprimé en français, et édité à Paris, avec ce titre : « Sur la situation présente de l'Église gallicane, relativement au droit coutumier, » dont l'auteur contredit de la manière la plus manifeste ce que nous vous recommandons et inculquons avec tant de sollicitude. Nous avons adressé ce libelle à notre congrégation de l'Index, afin qu'elle le réprouve et le condamne.

Avant de terminer cette lettre, bien-aimés Fils et vénérables Frères, nous vous exprimons de nouveau combien nous désirons que vous rejetiez toutes ces discussions et toutes ces controverses, qui, vous le savez, troublent la paix, blessent la charité, fournissent aux ennemis de l'Église des armes avec lesquelles ils la tourmentent et la combattent. Ayez donc surtout à cœur de garder la paix entre vous et de la maintenir entre tous, vous rappelant sérieusement que vous remplissez une mission au nom de celui qui n'est pas un Dieu de dissension, mais un Dieu de paix; qui n'a jamais cessé de recommander et d'ordonner à ses disciples la paix, et de la mettre au-dessus de tout. Et en vérité, le Christ, comme chacun de vous le sait, a mis tous les dons et les récompenses de sa promesse dans la conservation de la paix. Si nous sommes héritiers du Christ, demeurons dans la paix du Christ ; si nous sommes enfants de Dieu, nous devons être pacifiques. Les enfants de Dieu doivent être pacifiques, doux de cœur, simples dans leur parole, unis d'affection, fidèlement attachés entre eux par les liens de la concorde (7).

La connaissance et l'assurance que nous avons de votre vertu, de votre religion et de votre piété ne nous permettent pas de douter que vous, bien-aimés Fils et vénérables Frères, vous n'acquiesciez de tout cœur à ces paternels avis, à ces désirs et à ces demandes que nous vous adressons; que vous ne vouliez détruire jusqu'à la racine tous les germes de dissension et combler ainsi notre joie, vous supportant les uns les autres en charité et avec patience, unis et travaillant encore avec accord à la foi de l'Évangile, continuant avec un zèle toujours plus vif à faire sentinelle auprès du troupeau confié à votre sollicitude, accomplissant avec soin toutes les fonctions de votre lourde charge, pour la consommation des saints en l'édification du corps de Jésus-Christ. Soyez bien persuadés que rien ne nous est plus agréable ni plus à cœur que de faire ce que nous saurons pouvoir servir à votre avantage et à celui des fidèles. Néanmoins, dans l'humiliation de notre cœur, nous prions Dieu et nous lui demandons de répandre toujours sur vous avec faveur l'abondance des grâces célestes, de bénir votre travail et vos soins de pasteurs, afin que les fidèles confiés à votre vigilance marchent de plus en plus agréables à Dieu en toutes choses, fructifiant chaque jour en toutes sortes de bonnes œuvres. En présage de cette divine protection et en témoignage de l'ardente charité avec laquelle nous vous embrassons dans le Seigneur, nous vous donnons avec amour et du fond du cœur la bénédiction apostolique à vous, nos chers Fils et vénérables Frères, à tout le clergé et aux fidèles laïques de vos églises.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 21 mars 1853, de notre pontifical le septième.

Pie IX, Pape.

(1)Epist. 2, ad Timoth., cap 4, v. 3 et 4, cap. 3, v.13.
(2) S. Cyprian., epist 45. S. August., epist. 162, et alias.
(3) Concil, ephes., act.4
(4) S. Irénée, Adv. Hæres., 1. 3, c.3
(5)S. August, in psalmos contr. Part. Donat
(6) Litt. Synod. Joann. Constantinop. Ad Hormisd. Pontif.
(7) S. Cyprian, de Unit Eccles.

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