Le céleste pasteur notre
Seigneur Jésus-Christ voulant par sa miséricorde ineffable tirer le monde des
ténèbres et des erreurs où il étoit enseveli au milieu de la gentilité, et de
la puissance du démon, sous laquelle il gémissoit depuis la chute de notre premier
père, s’est abaissé jusqu’à prendre notre chair en témoignage de sa charité
envers nous, et s’est offert à Dieu une hostie vivante pour nos péchés, ayant
attaché à la croix la cédule de notre rédemption. Aussitôt, prêt à retourner au
ciel, laissant sur la terre l’Église catholique son épouse, comme cette sainte
cité la nouvelle Jérusalem, descendant du ciel, n’ayant ni tache ni ride, étant
une et sainte, entourée des armes de sa toute-puissance contre les portes de
l’enfer, il l’a donnée à gouverner au prince des apôtres et à ses successeurs,
afin qu’ils gardassent saine et entière la doctrine qu’ils avoient apprise de
la bouche de leur maître, et que les ouailles rachetées au prix de son sang, ne
retombassent point dans leurs anciennes erreurs par l’appât des opinions
dépravées; comme nous apprenons, dans les sainte Écritures, qu’il a recommandé
principalement à saint Pierre. Car à quel autre d’entre les apôtres a-t-il
dit : Pais mes brebis; et encore : J’ai prié pour toi, afin que ta
foi ne manque point; et lorsque tu seras converti, fortifie tes frères? Aussi
nous, qui sommes assis dans la chaire de saint Pierre, et revêtu de sa
puissance, non par nos mérites, mais par le conseil impénétrable du Dieu
tout-puissant, avons-nous toujours eu cette sollicitude dans l’esprit, que le
peuple chrétien gardât la foi prêché par Jésus-Christ et par ses apôtres, qui
nous est venue par une tradition constante et non interrompue, et doit durer
jusqu’à la fin du monde, selon sa promesse.
Comme donc il a été
rapporté à notre apostolat que le nommé Michel de Molinos a enseigné de vive
voix et par écrit des maximes impies qu’il a même mises en pratique, par
lesquelles sous prétexte d’une oraison de quiétude contraire à la doctrine et à
la pratique des saints Pères, depuis la naissance de l’Église, il a précipité
les fidèles de la vraie religion et de la pureté de la piété chrétienne, dans
des erreurs très grandes et dans des infamies honteuses : nous, qui avons
tant à cœur que les âmes confiées à nos soins puissent heureusement arriver au
port du salut, bannissant toute erreur et toute opinion mauvaise, avons
ordonné, sur des indices très-certains, que le susdit Michel de Molinos fût mis
en prison. Ensuite, après avoir ouï en notre présence et dans la présence de
nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église Romaine, inquisiteurs
généraux dans toute la république chrétienne, députés spécialement par autorité
apostolique, plusieurs docteurs en théologie, ayant aussi pris leurs suffrages
de vive voix et par écrit, et les ayant mûrement examinés, l’assistance du
Saint-Esprit implorée, nous avons ordonnée, de l’avis commun de nos susdits
frères, que nous procéderions, come s’ensuit, à la condamnation des
propositions ici rapportées, dont Michel de Molinos et auteur, qu’il a reconnu
être les siennes, qu’il a été convaincue, et qu’il a confessé respectivement
avoir dictées, écrites, communiquées et crues, ainsi qu’il est porté plus au
long dans son procès et dans le décret qui a été fait par notre ordre, le 28
août de la présente année 1687.
1re
proposition
Il faut que l’homme
anéantisse ses puissances : c’est la voie intérieure.
2e proposition
Vouloir faire une action,
c’est offenser Dieu, qui veut être seul agent; c’est pourquoi il faut
s’abandonner totalement à lui, et demeurer ensuite comme un corps sans âme.
3e proposition
Le vœu de faire quelque
bonne œuvre, est un empêchement à la perfection
4e proposition
L’activité naturelle est
ennemie de la grâce; c’est un obstacle aux opérations de Dieu et à la vraie
perfection; parce que Dieu veut agir en nous sans nous.
5e proposition
L’âme s’anéantit par
l’inaction, retourne à son principe et à son origine, qui est l’essence divine,
dans laquelle elle demeure transformée et déifiée : alors aussi Dieu
demeure en lui-même, puisque ce n’est plus deux choses unies, mais une seule
chose : et c’est ainsi que Dieu vit et règne en nous, et que l’âme
s’anéantit même dans sa puissance d’agir.
6e proposition
La voie intérieure est
celle où l’on ne connoît ni lumière, ni amour, ni résignation : il ne faut
pas même connoître Dieu; et c’est ainsi que l’on s’avance à la perfection
7e proposition
L’âme ne doit penser ni à
la récompense, ni à la punition, ni au paradis, ni à l’enfer, ni à la mort, ni
à l’éternité.
8e proposition
Elle ne doit point
désirer de savoir si elle marche dans la volonté de Dieu, ni si elle y est
assez résignée ou non; et il n’est pas besoin qu’elle veuille connoître son
état ni son propre néant, mais elle doit demeurer comme un corps sans vie.
9e proposition
L’âme ne se doit
souvenir, ni d’elle-même, ni de Dieu, ni d’aucune chose : car dans la vie
intérieur toute réflexion est nuisible, même celle qu’on fait sur ses propres
actions humaines et sur ses propres défauts.
10e
proposition
Si par ses propres
défauts elle scandalise les autres, il n’est pas encore nécessaire qu’elle
fasse aucune réflexion, pourvu qu’elle ne soit point dans la volonté actuelle
de les scandaliser : et c’est une grande grâce de Dieu, de ne pouvoir plus
réfléchir sur ses propres manquements.
11e
proposition
Dans le doute, si l’on
est dans la bonne ou dans la mauvaise voie, il ne faut pas réfléchir.
12e
proposition
Celui qui a donné son
libre arbitre à Dieu, ne doit plus être en souci d’aucune chose, ni de l’enfer,
ni du paradis : il ne doit avoir aucun désir de sa propre perfection, ni
des vertus, ni de sa sanctification, ni de son salut, dont il doit perdre
l’espérance.
13e
proposition
Après avoir remis à Dieu
notre libre arbitre, il lui faut aussi abandonner toute pensée et tout soin de
tout ce qui nous regarde; même le soin de faire en nous sans nous sa divine
volonté.
14e
proposition
Il ne convient point à
celui qui s’est résigné à la volonté de Dieu, de lui faire aucune demande;
parce que la demande est une imperfection, étant un acte de propre volonté et
de propre choix; c’est vouloir que la volonté divine soit conforme à la
nôtre : aussi cette parole de l’Évangile : Demandez, et vous
recevrez, n’a-t-elle pas été dite par Jésus-Christ pour les âmes intérieures,
qui n’ont point de volonté, puisqu’enfin ces âmes parviennent au point de ne
pouvoir faire aucune demande à Dieu.
15e
proposition
De même que l’âme ne doit
faire à Dieu aucune demande, elle ne doit aussi lui rendre grâces d’aucune
chose, l’un et l’autre étant un acte de propre volonté.
16e
proposition
Il n’est pas à propos de
chercher des indulgences pour diminuer les peines dues à nos péchés, parce
qu’il vaut mieux satisfaire à la justice de Dieu, que d’avoir recours à sa
miséricorde; l’un venant de l’amour pur de Dieu, et l’autre de l’amour
intéressé de nous-mêmes : aussi est-ce chose qui n’est point agréable à
Dieu, ni d’aucun mérite devant lui, puisque c’est vouloir fuir la croix.
17e
proposition
Le libre arbitre étant
remis à Dieu avec le soin et la connoissance de notre âme, il ne faut plus
avoir aucune peine des tentations, ni se soucier d’y faire aucune résistance,
si ce n’est négative sans aucune autre application : que si la nature
s’émeut, laissez-la s’émouvoir, ce n’est que la nature.
18e
proposition
Celui qui dans l’oraison
se sert d’images, de figures, d’idées, ou de ses propres conceptions, n’adore
point Dieu en esprit et en vérité.
19e
proposition
Celui qui aime Dieu à la
manière que la raison prouve qu’il le faut aimer, et que l’entendement le
conçoit, n’aime point le vrai Dieu.
20e
proposition
C’est une ignorance de
dire que dans l’oraison il faut s’aider de raisonnement et de pensées, lorsque
Dieu ne par le point à l’âme : Dieu ne parle jamais; sa parole est son
action : et il agit dans l’âme toutes les fois qu’elle n’y met point
d’obstacle par ses pensées ou par ses opérations.
21e
proposition
Il faut, dans l’oraison,
demeurer dans la foi obscure et universelle, en quiétude, et dans l’oubli de
toute pensée particulière, même de la distinction des attributs de Dieu et de
la Trinité : il faut demeurer ainsi en la présence de Dieu pour l’adorer,
l’aimer et le servir, mais sans produire aucun acte, parce que Dieu n’y prend
pas plaisir.
22e
proposition
Cette connoissance par la
foi n’est pas un acte produit par la créature, mais c’est une connoissance
donnée de Dieu à la créature, que la créature ne connoît point être en elle, et
qu’ensuite elle ne connoît point y avoir été : j’en dis autant de l’amour.
23e
proposition
Les mystiques, avec saint
Bernard, dans l’Échelle des solitaires, distinguent quatre degrés, la lecture,
la méditation, l’oraison et la contemplation infuse. Celui qui s’arrête
toujours au premier échelon, ne peut monter au second : celui qui demeure
continuellement au second, ne peut arriver au troisième, qui est notre
contemplation acquise, dans laquelle il faut persister pendant toute la vie, si
Dieu n’attire l’âme, sans toutefois qu’elle le désire, à la contemplation
infuse; laquelle venant à cesser, l’âme doit descendre au troisième degré, et
s’y fixer tellement qu’elle ne retourne plus ni au second ni au premier.
24e
proposition
Quelques pensées qu’il
vienne dans l’oraison, même impures, ou contre Dieu et contre les saints, la
foi et les sacrements, pourvu qu’on ne s’y entretienne pas volontairement, mais
qu’on les souffre seulement avec indifférence et résignation, elles n’empêchent
point l’oraison de foi; au contraire, elles la perfectionnent davantage, parce
qu’alors l’âme demeure plus résignée à la volonté divine.
25e
proposition
Quoiqu’on soit accablé de
sommeil et tout-à-fait endormi, on ne cesse pas d’être dans l’oraison et dans
la contemplation actuelle; parce que l’oraison et la résignation, la
résignation et l’oraison ne sont qu’une même chose, et que l’oraison dure tout
autant que la résignation.
26e proposition
La distinction des trois
voies, purgative, illuminative et unitive, est la chose la plus absurde qui ait
été dite dans la mystique : car il n’y a qu’une seule voie qui est la voie
intérieure.
27e
proposition
Celui qui désire et
s’arrête à la dévotion sensible, ne désire ni ne cherche Dieu, mais
soi-même : et celui qui marche dans la voie intérieure, fait mal de la
désirer, et de s’y exciter tant dans les lieux saints qu’aux fêtes solennelles.
28e
proposition
Le dégoût des biens
spirituels est un bien, parce qu’il purifie l’amour-propre
29e
proposition
Quand une âme intérieure
a du dégoût des entretiens de Dieu ou de la vertu, et quand elle est froide et
sans ferveur, c’est un bon signe
30e
proposition
Toute sensibilité dans la
vie spirituelle est une abomination, saleté et ordure.
31e
proposition
Aucun contemplatif ne
pratique de vraies vertus intérieures, parce qu’elles ne se doivent pas
connoître par les sens : il faut donc bannir les vertus.
32e
proposition
Avant ou après la
communion, il ne faut aux âmes intérieures d’autre préparation ni action de
grâces que de demeurer dans la résignation passive et ordinaire, parce qu’elle
supplée d’une manière plus parfaite à tous les actes de vertus qui se font ou
qui se peuvent faire dans la voie commune : que si à l’occasion de la
communion il s’élève dans l’âme des sentiments d’humiliation, de demande ou
d’actions de grâces, il les faut réprimer toutes les fois qu’on verra qu’ils ne
viennent point d’une inspiration particulière de Dieu : autrement ce sont des
émotions de la nature qui n’est pas encore morte.
33e
proposition
L’âme, qui marche dans
cette voie intérieure, fait mal d’exciter en elle par quelque effort, aux fêtes
solennelles, des sentiments de dévotion; parce que tous les jours de l’âme
intérieure sont égaux, et tous lui sont jours de fêtes : j’en dis autant
des lieux sacrés, car tous les lieux lui sont aussi égaux.
34e
proposition
Il n’appartient pas aux
âmes intérieures de faire à Dieu des actions de grâces en paroles et de la
langue; parce qu’elles doivent demeurer en silence, sans opposer aucun obstacle
à l’opération de Dieu en elles : aussi éprouvent-elles, à mesure qu’elles
sont plus résignées à Dieu, qu’elles peuvent moins réciter l’Oraison dominical
ou Notre Père.
35e
proposition
Il ne convient point aux
âmes intérieures de faire des actions de vertus par leur propre choix et leurs
propres forces; autrement elles ne seroient point mortes : ni de faire des
actes d’amour envers la Sainte Vierge, les saints et l’humanité de Jésus-Christ,
parce qu’étant des objets sensibles, l’amour en est de même nature.
36e
proposition
Aucune créature, ni la
bienheureuse Vierge, ni les saints ne doivent avoir place dans notre cœur,
parce que Dieu veut seul le remplir et le posséder.
37e
proposition
Dans des tentations même
d’emportement, l’âme ne doit point faire des actes explicites des vertus
contraires, mais demeurer dans l’amour et dans la résignation qu’on a dit.
38e
proposition
La croix volontaire des
mortifications est un poids insupportable et sans fruit; c’est pourquoi il faut
s’en décharger.
39e
proposition
Les plus saintes actions,
et les pénitences que les saints ont faites, ne sont point suffisantes pour
effacer de l’âme la moindre attache.
40e
proposition
La sainte Vierge n’a
jamais fait aucune action extérieure, et néanmoins elle a été la plus sainte de
tous les saints : on peut donc parvenir à la sainteté sans action
extérieure.
41e
proposition
Dieu permet et veut pour
nous humilier, et pour nous conduire à la parfaite transformation, que le démon
fasse violence dans le corps à certaines âmes parfaites, qui ne sont point
possédées, jusqu’à leur faire commettre des actions animales, même dans la
veille et sans aucun trouble de l’esprit, en leur remuant réellement les mains
et d’autres parties du corps, contre leur volonté : ce qu’il faut entendre
d’autres actions mauvaises par elles-mêmes, qui ne sont point péché en cette
rencontre, parce qu’il n’y a point de consentement.
42e
proposition
Ces violences à des
actions terrestres peuvent arriver en même temps entre deux personnes de
différent sexe, et les pousser jusqu’à l’accomplissement d’une action mauvaise.
43e
proposition
Aux siècles passés, Dieu
faisoit les saints par le ministères des tyrans, maintenant il les fait par le
ministère des démons, en excitant en eux ces violences, afin qu’ils se
méprisent et s’anéantissent d’autant plus, et s’abandonnent totalement à Dieu.
44e
proposition
Job a blasphémé, et
cependant il n’a point péché par ses lèvres, parce que c’étoit une violence du
démon.
45e proposition
Saint Paul a ressenti
dans son corps ces violences du démon; d’où vient qu’il a écrit : Je ne
fais point le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais.
46e
proposition
Ces violences sont plus
propres à anéantir l’âme et à la conduire à la parfaite union et
transformation : il n’y a pas même d’autre voie pour y parvenir, et
celle-ci est la plus courte et la plus sûre.
47e
proposition
Quand ces violences
arrivent, il faut laisser agir satan, sans s’y opposer ni effort ni adresse,
mais demeurer dans son néant : et quoiqu’il s’en ensuive l’illusion des
sens, ou d’autres actions brutales, et encore pis, il ne faut pas s’inquiéter,
mais rejeter loin les scrupules, les doutes et les craintes; parce que l’âme en
est plus éclairée, plus fortifiée et plus pure, et acquiert la sainte
liberté : surtout il faut bien se garder de s’en confesser, c’est
très-bien fait de ne s’en point accuser, parce que c’est le moyen de vaincre le
démon, et de s’amasser un trésor de paix.
48e
proposition
Satan, auteur de ces
violences, tâche ensuite de persuader à l’âme que ce sont de grands péchés,
afin qu’elle s’en inquiète, et qu’elle n’avance pas davantage dans la voie
intérieure : c’est pourquoi, pour rendre ses efforts inutiles, il vaut
bien mieux ne s’en point accuser, puisqu’aussi bien ce ne sont point des
péchés, pas même véniels.
49e
proposition
Par la violence du démon
Job étoit emporté à des excès étranges, en même temps qu’il levoit ses mains
pures au ciel dans la prière : ainsi que s’explique ce qu’il dit au chap.
XVI de son livre.
50e
proposition
David, Jérémie, et
plusieurs saints prophètes souffroient ces sortes de violences au dehors dans
de semblables actions honteuses.
51e
proposition
Il y a dans la sainte
Écriture plusieurs exemples de ces violences à des actions extérieures,
mauvaises d’elles-mêmes : comme quand Samson se tua avec les Philistins,
quand il épousa une étrangère, et qu’il pécha avec Dalila; choses d’ailleurs
défendues et certainement péchés : quand Judith mentit à Holoferne :
quand Elisée maudit les enfants : quand Elie fit brûle les chefs du roi
Achab avec leurs troupes : on laisse seulement à douter si cette violence
venoit immédiatement de Dieu, ou du ministère des démons, comme il arrive aux
autres âmes.
52e
proposition
Quand ces sortes de
violences, même honteuses, arrivent sans trouble de l’esprit, alors l’âme peut
s’unir à Dieu, comme en effet elle s’y unit toujours.
53e
proposition
Pour connoître dans la
pratique si quelque action dans les autres personnes vient de cette violence,
la règle que j’en ai n’est pas seulement tirée des protestations que ces âmes
font de n’avoir pas consenti à ces violences, ou de ce qu’il est impossible
qu’elles jurent faussement de n’y avoir pas consenti, ou de ce que ce sont des
âmes avancées dans la voie intérieure; mais je la prends bien plutôt d’une
certaine lumière actuelle, supérieure à toute connoissance humaine et
théologique, qui me fait connoître certainement avec une conviction intérieure,
que telle action vient de la violence; or je suis certain que cette lumière
vient de Dieu, parce qu’elle me vient jointe à la conviction que j’ai qu’elle
est de Dieu; de sorte qu’elle ne me laisse point l’ombre du moindre doute au
contraire : de même qu’il arrive quelquefois que Dieu révélant quelque
chose à une âme, il la convainc en même temps que la révélation vient de lui,
de sorte qu’elle n’en peut avoir aucun doute.
54e
proposition
Les spirituels, qui
marchent dans la voie commune, seront bien trompés et bien confus à la mort
avec toutes les passions qu’ils auront à purifier en l’autre monde.
55e
proposition
Par cette voie intérieure
on parvient, quoique avec beaucoup de peine, à purifier et à éteindre toutes
les passions; de sorte qu’on ne sent plus rien, quoi que ce soit, pas le
moindre aiguillon; on ne sent pas plus de révolte, que si le corps étoit mort,
et l’âme n’est plus sujette à aucune émotion
56e
proposition
Les deux lois et les deux
convoitises, l’une de l’âme, et l’autre de l’amour-propre, subsistent autant
que règne l’amour-propre : c’est pourquoi quand une fois il est épuré et
mort, comme il arrive dans la voie intérieure, alors aussi meurent les deux
lois et les deux convoitises; on ne fait plus aucune chute; ne sent aucune
révolte; et il n’y a plus même de péché véniel.
57e
proposition
Par la contemplation
acquise on parvient à l’état de ne plus faire aucun péché, ni mortel ni véniel.
58e
proposition
On acquiert cet état en
ne faisant plus aucune réflexion sur ses actions, parce que les défauts viennent
de la réflexion.
59e
proposition
La voie intérieure n’a
aucun rapport à la confession, aux confesseurs, aux cas de conscience, à la
théologie, ni à la philosophie.
60e
proposition
Dieu rend la confession
impossible aux âmes avancées, quand une fois elles commencent à mourir aux
réflexions, ou qu’elles y sont tout-à-fait mortes : aussi y supplée-t-il
par une grâce qui les préservent autant que celle qu’elles recevroient dans le
sacrement : c’est pourquoi en cet était il n’est pas bon que ces âmes fréquentent
la confession, parce qu’elle leur est impossible.
61e
proposition
Une âme arrivée à la mort
mystique ne peut plus vouloir autre chose que ce que Dieu veut, parce qu’elle
n’a plus de volonté, et que Dieu la lui a ôtée.
62e
proposition
La voie intérieure
conduit aussi à la mort des sens : bien plus, une marque qu’on est dans
l’anéantissement, qui est la mort mystique, c’est que les sens extérieurs ne
nous représentent par plus les choses sensibles que si elles n’étoient point du
tout, parce qu’alors elles ne peuvent plus faire que l’entendement s’y
applique.
63e
proposition
Par la voie intérieure on
parvient à un état toujours fixe d’une paix imperturbable.
64e
proposition
Un théologien a moins de
disposition qu’un idiot à la contemplation : 1e parce qu’il n’a
pas une foi si pure, 2e qu’il n’est pas si humble, 3e
qu’il n’a pas tant de soin de son salut; 4e parce qu’il a la tête
pleine de rêveries, d’espèces, d’opinions, et de spéculations : de sorte
que la vraie lumière n’y trouve point d’entrée.
65e proposition
Il faut obéir aux
supérieurs dans les choses extérieures; le vœu d’obéissance des religieux ne
s’étend qu’aux choses de cette nature; mais pour l’intérieur, il en est tout
autrement; il n’y a que Dieu seul et le directeur qui en connoissent.
66e proposition
C’est une doctrine
nouvelle dans l’Église, et digne de risée, que les âmes dans leur intérieur
doivent être gouvernées par les évêques; et que l’évêque en étant incapable
elles doivent se présenter à lui avec leurs directeurs : c’est, dis-je, une
doctrine nouvelle, puisqu’elle n’est enseignée ni dans l’Écriture, ni dans les
conciles, ni dans les canons, ni dans les bulles, ni par aucun saint ou par
aucun auteur, et qu’elle ne le peut être; l’Église ne jugeant point des choses
cachées, et toute âme ayant droit de se choisir qui bon lui semble.
67e
proposition
C’est une tromperie
manifeste, de dire qu’on est oblgé de découvrir son intérieur au for extérieur
des supérieurs, et que c’est péché de ne le point faire, parce que l’Église ne
juge point des choses cachées, et que l’on fait un très-grand tort aux âmes par
ces illusions et ces déguisements.
68e
proposition
Il n’y a dans le monde ni
autorité, ni juridiction qui ait droit d’ordonner que les lettres des
directeurs sur l’intérieur des âmes soient communiquées : c’est pourquoi
il est bon qu’on soit averti que c’est une entreprise du démon.
Lesquelles propositions,
de l'avis de nos susdits frères les cardinaux de la sainte Eglise romaine, et
inquisiteurs généraux , nous avons condamnées, notées, et effacées, comme
hérétiques , suspectes , erronées, scandaleuses, blasphématoires , offensives
des oreilles pieuses, téméraires, énervant et détruisant la discipline
chrétienne, et séditieuses , respectivement et pareillement tout ce qui a été
publié sur ce sujet , de vive voix, ou par écrit, ou imprimé: avons défendu à
tous et à un chacun de parler en aucune manière, d'écrire ou disputer de ces
propositions et de toutes autres semblables, ni de les croire, retenir,
enseigner, ni de les mettre en pratique avons privé les contrevenants, dès à
présent et pour toujours, de toutes dignités , degrés , honneurs, bénéfices et
offices, et les avons déclarés inhabiles à en posséder jamais , et en même
temps nous les avons frappés de l'anathème , dont ils ne pourront être absous
que par nous ou nos successeurs les pontifes romains.
En outre nous avons défendu
et condamné , par notre présent décret, tous les livres, et tous les ouvrages
du même Michel de Molinos, en quelque lieu et en quelque langue qu'ils soient imprimés
, même les manuscrits, avec défense à toute personne, de quelque degré, état et
condition qu'il puisse être, et quoique par sa dignité il dût être nommé ,
d'oser , sous quelque prétexte que ce soit, les imprimer en toute langue , dans
les mêmes termes , ou en de semblables, ou équivalents , ou sans nom , ou sous
un nom feint et emprunté, ni les faire imprimer, ni même les lire ou retenir
Chez soi imprimés ou manuscrits , mais de les porter aussitôt, et de les mettre
entre les mains des ordinaires des lieux ou des inquisiteurs contre le venin de
l'hérésie , sous les peines portées ci-dessus; avec ordre de les brûler à la
diligence desdits ordinaires ou inquisiteurs. Enfin , pour punir le susdit Michel de Molinos de ses hérésies , erreurs et
faits honteux, par des châtimens proportionnés, qui servissent d'exempleaux
autres, et à lui de correction lecture faite de tout son procès dans notre
congrégation susdite ouïs nos très-chers fils les consulteurs du saint Office ,
docteurs en théologie et en droit canonique, de l'avis commun de nos vénérables
frères susdits les cardinaux de la sainte Eglise Romaine ; Nous avons condamné
dans toutes les formes de la justice , ledit Michel de Molinos comme coupable,
convaincu, et après avoir avoué respectivement, et comme hérétique déclaré,
quoique repentant, à la peine d'une étroite et perpétuelle prison, et à des
pénitences salutaires qu'il sera tenu d'accomplir, après toutefois qu'il aura
fait abjuration suivant le formulaire qui lui sera prescrit : ordonnant 'qu'au
jour, et à l'heure marqués, dans l'église de Sainte-Marie de la Minerve de
cette ville , en présence de tous nos vénérables frères les cardinaux de la
sainte Eglise Romaine, prélats de notre Cour, même de tout le peuple qui y sera
invité par la concession des indulgences, sera lue d'un lieu élevé la teneur du
procès, le même Michel de Molinos étant debout sur un échafaud , ensemble la
sentence qui s'en est ensuivie : et après que ledit de Molinos, revêtu de
l'habit de pénitent, aura abjuré publiquement les erreurs et hérésies susdites,
nous avons donné pouvoir à notre cher fils le commissaire de notre saint
Office, de l'absoudre en la forme ordinaire de l'Eglise, des censures qu'il
avoit encourues : ce qui auroit été accompli en tout point, en exécution de
notre ordonnance du 3 septembre de la présente année.
Et quoique le susdit
décret, fait par notre ordre, ait été imprimé , publié et affiché en lieu
public pour l'instruction plus ample des fidèles; néanmoins, de peur que la
mémoire de cette condamnation apostolique ne s'efface dans le temps à venir, et
afin que le peuple chrétien, instruit de la vérité catholique, marche plus
sûrement dans la voie du salut ; en suivant les traces des souverains pontifes
nos prédécesseurs , par notre présente constitution qui sera à jamais en
vigueur, nous approuvons de nouveau et confirmons le décret susdit , et
ordonnons qu'il soit mis à exécution comme il le doit être , condamnant en
outre définitivement et réprouvant les propositions susdites , les livres et manuscrits
du même Michel de Molinos I dont nous interdisons et défendons la lecture, sous
les mêmes peines et censures portées et infligées contre les contrevenans.
Ordonnant au surplus que
les présentes lettres auront force, sont et seront en vigueur perpétuellement
et à toujours , sortiront et auront leur plein et entier effet : que tous juges
ordinaires et délégués, et de quelque autorité qu'ils soient ou puissent être revêtus
, seront tenus de juger et déterminer conformément à icelles, tout pouvoir et
autorité de juger ou interpréter autrement leur étant ôtés à tous et à chacun
d'eux ; déclarant nul tout jugement , et comme non avenu, sur ces matières à ce
contraire, de quelque personne et de quelque autorité qu'il vienne, sciemment
ou par ignorance. Voulons que foi soit ajoutée aux copies des présentes môme
imprimées, soussignées de la main d'un notaire public, et scellées du sceau d'une
personne constituée en dignité ecclésiastique, comme on l'auroit ces mômes
lettres représentées en original. Qu'il ne soit donc permis à aucun homme, par
une entreprise téméraire, de violer ou de contrevenir au contenu de notre
présente approbation , confirmation, condamnation, réprobation , punition , décret
et volonté. Que celui qui osera l’entreprendre, sache qu'il s'attirera
l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres S.Pierre et S.
Paul. Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure ; le vingtième novembre-, l'an mil
six cent quatre - vingt-sept de l'Incarnation de notre Seigneur, et le douzième
de notre pontificat. Signé F. Dataire. Et plus bas, J. F. Albani. Registrée au
secrétariat des brefs, etc.
L'an de notre Seigneur
Jésus - Christ mil six cent quatre-vingt-huit, indiction. onzième , le 19
février ; et du pontificat de notre saint Père le Pape par la providence divine
Innocent XI , l'an douzième, les présentes lettres apostoliques ont été
publiées et affichées aux portes de l'église de Saint-Jean de Latran, de la
basilique de Saint-Pierre , et de la chancellerie apostolique , et à la tête du
champ de Flore, et aux autres lieux accoutumés de la ville, par moi François
Perino, courrier de notre saint Père le Pape et de la très-sainte Inquisition.
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