L'Église que Jésus-Christ
notre Sauveur a fondée sur la pierre ferme, et contre laquelle, selon la promesse
du même Sauveur, les portes de l'enfer ne prévaudront jamais, a été si souvent attaquée,
et par des ennemis si terribles que, sans cette divine et immuable promesse, il
eût paru à craindre qu'elle ne succombât entièrement, circonvenue, soit par la
force, soit par les artifices de ses persécuteurs.
Ce qui est arrivé dans
des temps déjà reculés se renouvelle encore, et surtout à la déplorable époque
où nous vivons, époque qui semble être ces derniers temps, annoncés tant de
fois par les apôtres, où " viendront des imposteurs marchant d'impiété en
impiété, en suivant leurs désirs ". Personne n'ignore quel nombre
prodigieux d'hommes coupables se sont ligués dans ces temps si difficiles
contre le Seigneur et contre le Christ, et ont mis tout en oeuvre pour tromper
les fidèles par les subtilités d'une fausse et vaine philosophie, et pour les
arracher du sein de l'Église, dans la folle espérance de ruiner et de renverser
cette même Église. Pour atteindre plus facilement ce but, la plupart d'entre
eux ont formé des sociétés occultes, des sectes clandestines, se flattant par
ce moyen d'en associer plus librement un plus grand nombre à leurs complots et
à leurs desseins pervers.
Il y a longtemps que ce
Saint Siège, ayant découvert ces sectes, s'éleva contre elles avec force et
courage, et mit au grand jour les ténébreux desseins qu'elles formaient contre
la religion et contre la société civile. Il y a déjà longtemps qu'il excita
l'attention générale sur ce point, en provoquant la vigilance nécessaire pour
que ces sectes ne pussent tenter l'exécution de leurs coupables projets. Mais
il faut gémir de ce que le zèle du Saint-Siège n'a pas obtenu les effets qu'il
attendait, et de ce que ces hommes pervers ne se sont pas désistés de leur
entreprise, de laquelle sont enfin résultés tous les malheurs que nous avons
vus. Bien plus, ces hommes, dont l'orgueil s'enfle sans cesse, ont osé former
de nouvelles sociétés secrètes.
Dans le nombre il faut
indiquer ici une société nouvellement formée, qui s'est propagée au loin dans
toute l'Italie et dans d'autres contrées, et qui, bien que divisée en plusieurs
branches et portant différents noms, suivant les circonstances, est cependant
réellement une, tant par la communauté d'opinions et de vues que par sa
constitution. Elle est le plus souvent désignée sous le nom de Carbonari. Ils
affectent un singulier respect et un zèle tout merveilleux pour la religion
catholique, et pour la doctrine et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ,
qu'ils ont quelquefois la coupable audace de nommer leur grand-maître et le
chef de leur société. Mais ces discours, qui paraissent plus doux que l'huile,
ne sont autre chose que des traits dont se servent ces hommes perfides pour
blesser plus sûrement ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Ils viennent à
vous semblables à des brebis, mais ils ne sont au fond que des loups dévorants.
Sans doute, ce serment si
sévère par lequel, à l'exemple des anciens Priscillianistes, ils jurent qu'en
aucun temps et qu'en aucune circonstance ils ne révéleront quoique ce soit qui
puisse concerner la société, à des hommes qui n'y seraient point admis, ou
qu'ils ne s'entretiendront jamais avec ceux des derniers grades des choses
relatives aux grades supérieurs ; de plus, ces réunions clandestines et
illégitimes qu'ils forment à l'instar de plusieurs hérétiques, et cette agrégation
de gens de toutes les religions et de toutes les sectes, dans leur société,
montrent assez, quand même il ne s'y joindrait pas d'autres indices, qu'il ne
faut avoir aucune confiance dans leurs discours.
Mais il n'est besoin ni
de conjectures, ni de preuves, pour porter sur leurs discours le jugement que
Nous venons d'énoncer. Leurs livres imprimés, dans lesquels on trouve ce qui
s'observe dans leurs réunions, et surtout dans celles des grades supérieurs,
leurs catéchismes, leurs statuts, d'autres documents authentiques et très
dignes de foi, et les témoignages de ceux qui, après avoir abandonné cette
société, en ont révélé aux magistrats les artifices et les erreurs ; tout
prouve que les Carbonari ont principalement pour but de propager l'indifférence
en matière de religion, le plus dangereux de tous les systèmes ; de donner à
chacun la liberté absolue dese faire une religion suivant ses penchants et ses
idées ; de profaner et de souiller la Passion du Sauveur par quelques-unes de
leurs coupables cérémonies ; de mépriser les sacrements de l'Église (auxquels
ils paraissent par un horrible sacrilège en substituer quelques-uns inventés par
eux), et même les mystères de la religion catholique ; enfin, de renverser ce
Siège Apostolique contre lequel, animés d'une haine toute particulière à cause
de la primauté de cette Chaire (S. Aug. Epist. 43), ils trament les complots
les plus noirs et les plus détestables.
Les préceptes de morale
que donne la société des Carbonari ne sont pas moins coupables, comme le
prouvent ces mêmes documents, quoiqu'elle se vante hautement d'exiger de ses sectateurs
qu'ils aiment et pratiquent la charité et les autres vertus, et s'abstiennent
de tout vice. Ainsi elle favorise ouvertement le plaisir des sens ; ainsi elle
enseigne qu'il est permis de tuer ceux qui révéleraient le secret dont Nous
avons parlé plus haut ; et quoique Pierre, le prince des apôtres, recommande
aux chrétiens " de se soumettre pour Dieu, à toute créature humaine qu'il a
établie au-dessus d'eux, soit au roi, comme étant le premier dans l'État, soit
aux magistrats, comme étant les envoyés du roi, etc. " (Ep. I. cap. II,
vers. 13) et quoique l'apôtre saint Paul ordonne que " tout homme sois
soumis aux puissances plus élevées, " (Rom. cap. III, v. 14) cependant
cette société enseigne qu'il est permis d'exciter des révoltes pour dépouiller
de leur puissance les rois et tous ceux qui commandent, auxquels elle donne le
nom injurieux de tyrans.
Tels sont les dogmes et
préceptes de cette société, ainsi que tant d'autres qui y sont conformes. De là
ces attentats commis dernièrement en Italie par les Carbonari, attentats qui
ont tant affligé les hommes honnêtes et pieux. Nous donc qui sommes constitué
le gardien de la maison d'Israël, qui est la sainte Église ; Nous qui, par
Notre charge pastorale, devons veiller à ce que le troupeau du Seigneur, qui
Nous a été divinement confié, n'éprouve aucun dommage, Nous pensons que, dans
une cause si grave, il Nous est impossible de Nous abstenir de réprimer les fforts
sacrilèges de cette société. Nous sommes aussi frappé de l'exemple de Nos prédécesseurs,
d'heureuse mémoire, Clément XII et Benoît XIV, dont l'un, par sa constitution
In eminenti du 28 avril 1738, et l'autre, par sa constitution Providas du 18
mai 1751, condamnèrent et prohibèrent la société De Liberi Muratori ou des
Francs-Maçons, ou bien les sociétés désignées par d'autres noms, suivant la
différence des langues et des pays, sociétés qui ont peut-être été l'origine de
celle des Carbonari ou qui certainement lui ont servi de modèle ; et quoique
Nous ayons déjà expressément prohibé cette société par deux édits sortis de
Notre Secrétairerie d'État, Nous pensons, à l'exemple de Nos prédécesseurs, que
des peines sévères doivent être solennellement décrétées contre la société,
surtout puisque les Carbonari prétendent qu'ils ne peuvent être compris dans
les deux constitutions de Clément XII et de Benoît XIV, ni être soumis aux
peines qui y sont portées.
En conséquence, après
avoir entendu une congrégation choisie parmi Nos Vénérables Frères les Cardinaux,
et sur l'avis de cette congrégation, ainsi que de Notre propre mouvement, et d'après
une connaissance certaine des choses et une mûre délibération, et par la
plénitude du pouvoir apostolique, Nous arrêtons et décrétons que la susdite
société des Carbonari, ou de quelque autre nom qu'elle soit appelée, doit être
condamnée et prohibée, ainsi que ses réunions, affiliations et conventicules,
et Nous la condamnons et prohibons par Notre présente constitution, qui doit
toujours rester en vigueur.
C'est pourquoi Nous
recommandons rigoureusement, et en vertu de l'obéissance due au Saint Siège, à
tous les chrétiens en général, et à chacun en particulier, quels que soient
leur état, leur grade, leur condition, leur ordre, leur dignité et leur
prééminence, tant aux laïques qu'aux ecclésiastiques, séculiers et réguliers ;
Nous leur recommandons, disons-nous, de s'abstenir de fréquenter, sous quelque
prétexte que ce soit, la société des Carbonari ou de la propager, de la favoriser,
de la recevoir ou de la cacher chez soi ou ailleurs, de s'y affilier, d'y
prendre quelque grade, de lui fournir le pouvoir et les moyens de se réunir
quelque part, de lui donner des avis et des secours, de la favoriser
ouvertement ou en secret, directement ou indirectement, par soi ou par
d'autres, ou de quelque manière que se soit, ou d'insinuer, de conseiller, de
persuader à d'autres de se faire recevoir dans cette société, de l'aider et de
la favoriser ; enfin, Nous leur recommandons de s'abstenir entièrement de tout
ce qui concerne cette société, de ses réunions, affiliations et conventicules,
sous peine de l'excommunication, qu'encourront tous ceux qui contreviendraient
à la présente constitution, et dont personne ne pourra recevoir l'absolution
que de Nous, ou du Pontife Romain alors existant, à moins que ce ne soit à
l'article de la mort.
Nous leur ordonnons en
outre, sous la même peine de l'excommunication, réservée à Nous et aux Pontifes
Romains Nos successeurs, de dénoncer aux Évêques ou à qui de droit tous ceux qu'ils
connaîtraient pour être membre de cette société ou pour avoir trempé dans
quelques-uns des complots dont Nous avons parlé.
Enfin, pour repousser
plus efficacement tout danger d'erreur, Nous condamnons et Nous proscrivons ce
que les Carbonari nomment leurs catéchismes, leurs livres où est écrit ce qui
se passe dans leurs assemblées, leurs statuts, leurs codes, tous les livres
écrits pour leur défense, soit imprimés, soit manuscrits, et défendons à tous
les fidèles, sous la même peine d'excommunication, de lire ou de garder aucun
de ces livres, leur ordonnant en même temps de les livrer tous aux autorités
ordinaires et aux autres qui ont le droit de les recevoir.
Nous voulons qu'on ajoute
aux copies des présentes même imprimées, signées de la main d'un notaire public,
et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même
foi que l'on ajouterait aux présentes, si elles étaient représentées ou
montrées en original.
Qu'il ne soit donc permis
à aucun homme d'enfreindre ou de contrarier, par une entreprise téméraire,
cette Bulle de Notre confirmation, rénovation, approbation, commission,
invocation, réquisition, décret et volonté. Si quelqu'un est assez téméraire
pour le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu Tout-Puissant,
et des bienheureux apôtres S. Pierre et S. Paul.
Donné à Rome, près
Sainte-Marie-Majeure, le 13 septembre, de l'Incarnation de Notre Seigneur mil
huit cent vingt-et-un, la vingt-deuxième année de Notre Pontificat.
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