Chers
jeunes époux, avec quelle joie et avec quelle espérance n'avez-vous pas, au
pied des autels et du prêtre, inauguré votre nouvelle famille ! Or un double
lien, pour l'ordinaire, enserre la famille dans sa croissance et son
développement : le lien qui unit étroitement sous un même toit, d'une part
l'époux et l'épouse, d'autre part les parents et les enfants. Le premier
vagissement du petit au berceau ravit la mère, transporte le père, réjouit les
parents et amis, et voilà qu'à cette aurore d'une première vie se manifeste
pour la première fois l'autorité du père et puis de la mère : ils ont
conscience de leur obligation d'assurer le baptême à leur enfant, et ils
s'empressent de remplir ce devoir, afin que ce sacrement fasse de lui un fils
de Dieu, efface en lui le péché originel, lui communique la vie de la grâce,
lui ouvre les portes du paradis, car « le royaume des cieux est pour les petits
» (Mt 19, 14). Comme une telle pensée doit ennoblir le père fier de sa foi dans
le Christ, et réconforter la mère soucieuse du salut de ses enfants ! Ainsi
tout enfant qui reçoit le sceau de l'adoption divine et boit à la source de
l'eau surnaturelle a le bonheur de commencer dans l'Eglise le voyage de la vie,
pour traverser les incertitudes et les périls de ce monde.
Que
deviendra cet enfant ? Quis, putas, puer iste erit (Lc 1,66). Les enfants sont
des roseaux agités par le vent ; ce sont des fleurs délicates et il ne faut
qu'un zéphir pour ravir un pétale à leur corolle ; ce sont des plates-bandes
vierges où Dieu a jeté des semences de bonté que menacent les sens et les
pensées du cœur humain, de ce cœur que portent au mal dès l'adolescence (Gn 8,
21) l'orgueil de la vie, la concupiscence de la chair et la concupiscence des
yeux (cf. I Jn 2, 16). Qui donc affermira ces roseaux ? Qui donc défendra ces
fleurs ? Qui donc cultivera ces plates-bandes et y fera germer, contre les
embûches du mal, les semences de la bonté ? Avant tout, l'autorité qui régit la
famille et les enfants : votre autorité, ô parents !
Les
pères et mères se plaignent souvent de nos jours de ne plus réussir à plier
leurs enfants à l'obéissance. Enfants capricieux qui n'écoutent personne ;
adolescents qui dédaignent toute direction ; jeunes gens et jeunes filles
impatients de tout conseil, sourds à tout avertissement, ambitieux de prix dans
les jeux et les concours, entêtés à n'agir qu'à leur guise et persuadés d'être
seuls à bien comprendre les nécessités de la vie moderne. En un mot, dit-on, la
nouvelle génération — à part tant de belles et chères exceptions ! — n'est
guère disposée pour l'ordinaire à s'incliner devant l'autorité du père et de la
mère.
Quelle
est la raison de cette attitude indocile ? Celle qu'on allègue de nos jours en
général, c'est que les enfants, bien souvent, n'ont plus le sens de la
soumission, du respect dû aux parents et à leurs paroles ; dans l'atmosphère
d'ardente fierté juvénile où ils vivent, tout tend à détruire en eux la
déférence envers les parents et à les émanciper ; tout ce qu'ils voient et
entendent autour d'eux finit par accroître, enflammer, exaspérer leur
inclination naturelle, et non encore domptée, à l'indépendance, leur mépris du
passé, leur soif de l'avenir.
Si
nous parlions en ce moment à des enfants ou à des jeunes gens, notre dessein
serait d'examiner et de peser ces causes de leur manque d'obéissance et de
soumission. Mais c'est à vous, jeunes époux, que nous adressons la parole, à
vous qui, bientôt, aurez à exercer l'autorité paternelle et maternelle, et nous
voulons attirer votre attention sur un autre aspect de cette question si
importante.
L'exercice
normal de l'autorité ne dépend pas seulement de ceux qui doivent obéir, mais
aussi, et dans une large mesure, de ceux qui ont à commander. En d'autres
termes : autre chose est le droit à l'exercice de l'autorité, le droit de
donner des ordres, et autre chose la supériorité morale qui rend effective
l'autorité et la rehausse, et qui réussit à s'imposer aux autres et à obtenir
en fait leur obéissance. Le droit de donner des ordres, Dieu vous l'accorde par
l'acte même qui vous rend père et mère. La seconde prérogative, la supériorité
morale, il vous faut l'acquérir et la conserver ; vous pouvez la perdre, et
vous pouvez l'augmenter. Or le droit de commander à vos fils n'obtiendra d'eux
que fort peu de chose s'il n'est accompagné de ce pouvoir, de cette autorité
sur eux de votre propre personne, autorité qui vous assurera une obéissance
effective. De quelle manière, par quels sages moyens pouvez-vous acquérir,
conserver et accroître ce pouvoir moral ?
A
certaines personnes Dieu accorde le don naturel du commandement, le don de
savoir imposer leur volonté à autrui. C'est un don précieux. Réside-t-il tout
entier dans l'esprit, ou pour une grande part dans la personne, le
comportement, la parole, le regard, le visage ? Il est souvent difficile de le
dire. Mais c'est aussi un don redoutable. N'en abusez point, si vous le
possédez, dans vos rapports avec vos enfants : vous risqueriez d'emprisonner
leur âme dans la crainte et d'avoir, au lieu de fils aimants, des esclaves.
Tempérez cette force par l'effusion d'un amour qui réponde à leur affection,
par une bonté douce, patiente, empressée et encourageante. Ecoutez le grand
apôtre saint Paul vous dire : Patres, nolite ad indignationem provocare filios
vestros, ut non pusillo animo fiant, « Vous, pères, n'irritez point vos
enfants, de peur qu'ils ne se découragent » (Col 3, 21). Parents, souvenez-vous
bien de ceci : la rigueur n'est digne d'éloge que lorsque le cœur est doux.
Joindre
la douceur à l'autorité, c'est vaincre et triompher en cette lutte où vous
engage votre mission de parents. Au reste, pour tous ceux qui commandent,
l'exercice de leur autorité ne sera bienfaisant que s'ils savent d'abord se
maîtriser eux-mêmes, discipliner leurs passions et leurs impressions.
L'autorité
n'est forte et respectée que lorsque les subordonnés savent qu'elle n'a pour
mobiles que la raison, la foi, la conscience du devoir ; ils se rendent compte
alors qu'ils ont à donner au devoir de l'autorité la réponse de leur propre
devoir.
Si
les ordres que vous donnez à vos enfants et les réprimandes que vous leur
adressez procèdent des impressions du moment, d'un mouvement d'impatience,
d'une imagination ou d'un sentiment aveugles ou irréfléchis, vas ordres ne
manqueront point d'être la plupart du temps arbitraires, incohérents, injustes
peut-être, et inopportuns. Aujourd'hui, vous serez envers ces pauvres petits
d'une exigence déraisonnable, d'une impitoyable sévérité ; demain, vous
laisserez tout passer. Vous commencerez par leur refuser une petite chose, et,
le moment, d'après, fatigués de leurs pleurs ou de leur bouderie, vous la leur
accorderez avec des démonstrations de tendresse, pressés d'en finir avec une scène
qui vous irrite les nerfs.
Pourquoi
donc ne savez-vous pas dominer les mouvements de votre humeur, mettre un frein
à vos caprices, vous conduire vous-mêmes, alors que vous entreprenez de
conduire vos enfants ? Ne vous sentez-vous pas entièrement maître de vous-mêmes
? Remettez à une heure plus opportune la réprimande projetée, la punition que
vous croyez devoir infliger. La fermeté apaisée et tranquille de votre esprit
donnera à votre parole et au châtiment une tout autre efficacité, une influence
plus heureuse et plus d'autorité réelle que les éclats d'une passion indisciplinée.
N'oubliez
jamais que les enfants, même les plus petits, sont tout yeux à observer et à
noter, et qu'ils remarqueront bien vite les changements de votre humeur. Dès le
berceau, dès qu'ils parviendront à distinguer leur maman d'une autre femme, ils
se rendront compte bien vite du pouvoir qu'exercent sur des parents faibles un
caprice ou des pleurs, et, dans leur innocente petite malice, ils ne craindront
point d'en abuser.
Gardez-vous
donc de tout ce qui pourrait diminuer votre autorité auprès d'eux. Gardez-vous
de gaspiller cette autorité par l'habitude des recommandations et observations
continuelles et insistantes, qui finissent par les lasser ; ils feront la
sourde oreille et n'y attacheront plus aucune importance. Gardez-vous de vous
jouer de vos enfants et de les tromper en alléguant des raisons ou des
explications fallacieuses et sans consistance, distribuées au hasard, pour vous
tirer d'embarras et vous défaire de questions importunes. S'il ne vous paraît
point opportun de leur exposer les vraies raisons d'un ordre ou d'un fait, il
vaudra mieux pour vous faire appel à leur confiance en vous et à leur amour. Ne
faussez point la vérité ; au besoin taisez-la ; vous ne soupçonnez peut-être
même pas les troubles et les crises qui peuvent s'élever dans ces petites âmes,
le jour où elles viennent à connaître que l'on a abusé de leur crédulité naturelle.
Gardez-vous
aussi de laisser transparaître le moindre signe de désaccord, la moindre
divergence de vues sur l'éducation de vos enfants : ils remarqueraient bien
vite la possibilité de se servir de l'autorité de la mère contre l'autorité du
père, ou du père contre la mère, et ils résisteraient difficilement à la
tentation de profiter de cette désunion pour satisfaire toutes leurs
fantaisies. Gardez-vous enfin d'attendre que vos enfants aient grandi en âge
pour exercer sur eux votre autorité, avec bonté et avec calme, il est vrai,
mais aussi avec fermeté et courage, et sans vous laisser fléchir par aucune
scène de pleurs ou de colère : dès le début, dès le berceau, dès les premières
lueurs de leur petite raison, faites en sorte qu'ils éprouvent et sentent sur
eux des mains caressantes et délicates, mais sages aussi et prudentes,
vigilantes et énergiques.
Que
votre autorité soit sans faiblesse, mais qu'elle naisse de l'amour, qu'elle
soit pénétrée d'amour et soutenue par l'amour. Soyez les premiers maîtres et
les premiers amis de vos enfants. Si c'est l'amour paternel et maternel qui
inspire vos ordres, — un amour chrétien à tous égards, et non pas une complaisance
plus ou moins inconsciemment égoïste — vos enfants en seront touchés, et ils
lui répondront du plus profond de leur cœur, sans que vous ayez besoin de
beaucoup de paroles ; car le langage de l'amour est plus éloquent dans le
silence de l'action que dans les accents des lèvres. Mille petits signes, une
inflexion de la voix, un geste imperceptible, une légère expression du visage,
un geste d'approbation leur révéleront mieux que toutes les protestations
d'amour, toute l'affection qui anime un refus affligeant, toute la
bienveillance qui se cache en une recommandation ennuyeuse ; et alors, la
parole de l'autorité apparaîtra à leur cœur, non pas comme un fardeau pesant ou
un joug odieux à secouer le plus tôt possible, mais comme la suprême manifestation
de votre amour.
Mais
ne faut-il pas que l'amour s'accompagne du bon exemple ? Comment donc les
enfants, par nature prompts à imiter, pourront-ils apprendre à obéir, s'ils
voient leur mère en toute occasion ne faire aucun cas des ordres du père ou se
plaindre de lui ? Comment les enfants apprendront-ils à obéir, s'ils entendent
continuellement au foyer d'irrespectueuses critiques des autorités ? Comment
apprendront-ils à obéir, s'ils constatent que leurs parents sont les premiers à
manquer aux commandements de Dieu ou de l'Eglise ?
Il
faut, au contraire, qu'ils aient sous les yeux un père et une mère qui, dans
leur manière de parler et d'agir, donnent l'exemple du respect des autorités
légitimes et d'une constante fidélité à leurs propres devoirs. Un exemple si
édifiant leur apprendra, avec plus d'efficacité que la plus étudiée des
exhortations, la véritable obéissance chrétienne et la manière de la pratiquer
à l'égard de leurs parents.
Soyez
bien persuadés, jeunes époux, que le bon exemple est l'héritage le plus
précieux que vous puissiez donner et laisser à vos enfants. Il est le souvenir
ineffaçable et lumineux d'un trésor d'œuvres et de faits, de paroles et de
conseils, d'actes pieux et de démarches vertueuses, qui restera toujours vivant
dans leur mémoire et dans leur esprit ; souvenir émouvant et cher qui, aux
heures de doute et d'hésitation entre le mal et le bien, entre le danger et la
victoire, leur rappellera vos personnes. Aux heures troubles, quand le ciel
s'assombrira, vous leur réapparaîtrez dans une vision de lumière qui éclairera
et dirigera leur chemin ; elle leur rappellera la voie que vous avez parcourue
dans le travail et les soucis, rançon du bonheur d'ici-bas et de là-haut.
Est-ce
là un rêve ? Non ! la vie que vous commencez avec votre nouvelle famille n'est
pas un rêve : c'est un sentier où vous cheminez, investis d'une dignité et
d'une autorité qui doivent être pour les enfants de votre sang une école et un
apprentissage.
Daigne
le Père céleste, qui, en vous appelant à participer à la grandeur de sa
paternité, vous a aussi communiqué son autorité, daigne le Père céleste vous
donner de l'exercer à son imitation, dans la sagesse et dans l'amour ! C'est en
implorant de lui cette grâce, pour vous et pour tous les parents chrétiens, que
Nous vous donnons avec toute l'affection de Notre cœur paternel la Bénédiction
apostolique.
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