Que deviendra
cet enfant ? Quis, putas, puer iste erit (Lc 1,66). Les enfants sont des
roseaux agités par le vent ; ce sont des fleurs délicates et il ne faut qu'un
zéphir pour ravir un pétale à leur corolle ; ce sont des plates-bandes vierges
où Dieu a jeté des semences de bonté que menacent les sens et les pensées du
cœur humain, de ce cœur que portent au mal dès l'adolescence (Gn 8, 21)
l'orgueil de la vie, la concupiscence de la chair et la concupiscence des yeux
(cf. I Jn 2, 16). Qui donc affermira ces roseaux ? Qui donc défendra ces fleurs
? Qui donc cultivera ces plates-bandes et y fera germer, contre les embûches du
mal, les semences de la bonté ? Avant tout, l'autorité qui régit la famille et
les enfants : votre autorité, ô parents !
Les pères et
mères se plaignent souvent de nos jours de ne plus réussir à plier leurs
enfants à l'obéissance. Enfants capricieux qui n'écoutent personne ;
adolescents qui dédaignent toute direction ; jeunes gens et jeunes filles
impatients de tout conseil, sourds à tout avertissement, ambitieux de prix dans
les jeux et les concours, entêtés à n'agir qu'à leur guise et persuadés d'être
seuls à bien comprendre les nécessités de la vie moderne. En un mot, dit-on, la
nouvelle génération — à part tant de belles et chères exceptions ! — n'est
guère disposée pour l'ordinaire à s'incliner devant l'autorité du père et de la
mère.
Quelle est la
raison de cette attitude indocile ? Celle qu'on allègue de nos jours en
général, c'est que les enfants, bien souvent, n'ont plus le sens de la
soumission, du respect dû aux parents et à leurs paroles ; dans l'atmosphère
d'ardente fierté juvénile où ils vivent, tout tend à détruire en eux la
déférence envers les parents et à les émanciper ; tout ce qu'ils voient et
entendent autour d'eux finit par accroître, enflammer, exaspérer leur
inclination naturelle, et non encore domptée, à l'indépendance, leur mépris du
passé, leur soif de l'avenir.
Si nous parlions
en ce moment à des enfants ou à des jeunes gens, notre dessein serait
d'examiner et de peser ces causes de leur manque d'obéissance et de soumission.
Mais c'est à vous, jeunes époux, que nous adressons la parole, à vous qui,
bientôt, aurez à exercer l'autorité paternelle et maternelle, et nous voulons
attirer votre attention sur un autre aspect de cette question si importante.
L'exercice
normal de l'autorité ne dépend pas seulement de ceux qui doivent obéir, mais
aussi, et dans une large mesure, de ceux qui ont à commander. En d'autres
termes : autre chose est le droit à l'exercice de l'autorité, le droit de
donner des ordres, et autre chose la supériorité morale qui rend effective
l'autorité et la rehausse, et qui réussit à s'imposer aux autres et à obtenir en
fait leur obéissance. Le droit de donner des ordres, Dieu vous l'accorde par
l'acte même qui vous rend père et mère. La seconde prérogative, la supériorité
morale, il vous faut l'acquérir et la conserver ; vous pouvez la perdre, et
vous pouvez l'augmenter. Or le droit de commander à vos fils n'obtiendra d'eux
que fort peu de chose s'il n'est accompagné de ce pouvoir, de cette autorité
sur eux de votre propre personne, autorité qui vous assurera une obéissance
effective. De quelle manière, par quels sages moyens pouvez-vous acquérir,
conserver et accroître ce pouvoir moral ?
A certaines
personnes Dieu accorde le don naturel du commandement, le don de savoir imposer
leur volonté à autrui. C'est un don précieux. Réside-t-il tout entier dans
l'esprit, ou pour une grande part dans la personne, le comportement, la parole,
le regard, le visage ? Il est souvent difficile de le dire. Mais c'est aussi un
don redoutable. N'en abusez point, si vous le possédez, dans vos rapports avec
vos enfants : vous risqueriez d'emprisonner leur âme dans la crainte et
d'avoir, au lieu de fils aimants, des esclaves. Tempérez cette force par
l'effusion d'un amour qui réponde à leur affection, par une bonté douce,
patiente, empressée et encourageante. Ecoutez le grand apôtre saint Paul vous
dire : Patres, nolite ad indignationem provocare filios vestros, ut non pusillo
animo fiant, « Vous, pères, n'irritez point vos enfants, de peur qu'ils ne se
découragent » (Col 3, 21). Parents, souvenez-vous bien de ceci : la rigueur
n'est digne d'éloge que lorsque le cœur est doux.
Joindre la
douceur à l'autorité, c'est vaincre et triompher en cette lutte où vous engage
votre mission de parents. Au reste, pour tous ceux qui commandent, l'exercice
de leur autorité ne sera bienfaisant que s'ils savent d'abord se maîtriser
eux-mêmes, discipliner leurs passions et leurs impressions.
L'autorité n'est
forte et respectée que lorsque les subordonnés savent qu'elle n'a pour mobiles
que la raison, la foi, la conscience du devoir ; ils se rendent compte alors
qu'ils ont à donner au devoir de l'autorité la réponse de leur propre devoir.
Si les ordres
que vous donnez à vos enfants et les réprimandes que vous leur adressez
procèdent des impressions du moment, d'un mouvement d'impatience, d'une
imagination ou d'un sentiment aveugles ou irréfléchis, vas ordres ne manqueront
point d'être la plupart du temps arbitraires, incohérents, injustes peut-être,
et inopportuns. Aujourd'hui, vous serez envers ces pauvres petits d'une
exigence déraisonnable, d'une impitoyable sévérité ; demain, vous laisserez
tout passer. Vous commencerez par leur refuser une petite chose, et, le moment,
d'après, fatigués de leurs pleurs ou de leur bouderie, vous la leur accorderez
avec des démonstrations de tendresse, pressés d'en finir avec une scène qui
vous irrite les nerfs.
Pourquoi donc ne
savez-vous pas dominer les mouvements de votre humeur, mettre un frein à vos
caprices, vous conduire vous-mêmes, alors que vous entreprenez de conduire vos
enfants ? Ne vous sentez-vous pas entièrement maître de vous-mêmes ? Remettez à
une heure plus opportune la réprimande projetée, la punition que vous croyez
devoir infliger. La fermeté apaisée et tranquille de votre esprit donnera à
votre parole et au châtiment une tout autre efficacité, une influence plus
heureuse et plus d'autorité réelle que les éclats d'une passion indisciplinée.
N'oubliez jamais
que les enfants, même les plus petits, sont tout yeux à observer et à noter, et
qu'ils remarqueront bien vite les changements de votre humeur. Dès le berceau,
dès qu'ils parviendront à distinguer leur maman d'une autre femme, ils se
rendront compte bien vite du pouvoir qu'exercent sur des parents faibles un
caprice ou des pleurs, et, dans leur innocente petite malice, ils ne craindront
point d'en abuser.
Gardez-vous donc
de tout ce qui pourrait diminuer votre autorité auprès d'eux. Gardez-vous de
gaspiller cette autorité par l'habitude des recommandations et observations
continuelles et insistantes, qui finissent par les lasser ; ils feront la
sourde oreille et n'y attacheront plus aucune importance. Gardez-vous de vous
jouer de vos enfants et de les tromper en alléguant des raisons ou des
explications fallacieuses et sans consistance, distribuées au hasard, pour vous
tirer d'embarras et vous défaire de questions importunes. S'il ne vous paraît
point opportun de leur exposer les vraies raisons d'un ordre ou d'un fait, il
vaudra mieux pour vous faire appel à leur confiance en vous et à leur amour. Ne
faussez point la vérité ; au besoin taisez-la ; vous ne soupçonnez peut-être
même pas les troubles et les crises qui peuvent s'élever dans ces petites âmes,
le jour où elles viennent à connaître que l'on a abusé de leur crédulité
naturelle.
Gardez-vous
aussi de laisser transparaître le moindre signe de désaccord, la moindre
divergence de vues sur l'éducation de vos enfants : ils remarqueraient bien
vite la possibilité de se servir de l'autorité de la mère contre l'autorité du
père, ou du père contre la mère, et ils résisteraient difficilement à la
tentation de profiter de cette désunion pour satisfaire toutes leurs
fantaisies. Gardez-vous enfin d'attendre que vos enfants aient grandi en âge
pour exercer sur eux votre autorité, avec bonté et avec calme, il est vrai,
mais aussi avec fermeté et courage, et sans vous laisser fléchir par aucune
scène de pleurs ou de colère : dès le début, dès le berceau, dès les premières
lueurs de leur petite raison, faites en sorte qu'ils éprouvent et sentent sur
eux des mains caressantes et délicates, mais sages aussi et prudentes,
vigilantes et énergiques.
Que votre
autorité soit sans faiblesse, mais qu'elle naisse de l'amour, qu'elle soit
pénétrée d'amour et soutenue par l'amour. Soyez les premiers maîtres et les
premiers amis de vos enfants. Si c'est l'amour paternel et maternel qui inspire
vos ordres, — un amour chrétien à tous égards, et non pas une complaisance plus
ou moins inconsciemment égoïste — vos enfants en seront touchés, et ils lui
répondront du plus profond de leur cœur, sans que vous ayez besoin de beaucoup
de paroles ; car le langage de l'amour est plus éloquent dans le silence de
l'action que dans les accents des lèvres. Mille petits signes, une inflexion de
la voix, un geste imperceptible, une légère expression du visage, un geste
d'approbation leur révéleront mieux que toutes les protestations d'amour, toute
l'affection qui anime un refus affligeant, toute la bienveillance qui se cache
en une recommandation ennuyeuse ; et alors, la parole de l'autorité apparaîtra
à leur cœur, non pas comme un fardeau pesant ou un joug odieux à secouer le
plus tôt possible, mais comme la suprême manifestation de votre amour.
Mais ne faut-il
pas que l'amour s'accompagne du bon exemple ? Comment donc les enfants, par
nature prompts à imiter, pourront-ils apprendre à obéir, s'ils voient leur mère
en toute occasion ne faire aucun cas des ordres du père ou se plaindre de lui ?
Comment les enfants apprendront-ils à obéir, s'ils entendent continuellement au
foyer d'irrespectueuses critiques des autorités ? Comment apprendront-ils à
obéir, s'ils constatent que leurs parents sont les premiers à manquer aux
commandements de Dieu ou de l'Eglise ?
Il faut, au
contraire, qu'ils aient sous les yeux un père et une mère qui, dans leur
manière de parler et d'agir, donnent l'exemple du respect des autorités
légitimes et d'une constante fidélité à leurs propres devoirs. Un exemple si
édifiant leur apprendra, avec plus d'efficacité que la plus étudiée des
exhortations, la véritable obéissance chrétienne et la manière de la pratiquer
à l'égard de leurs parents.
Soyez bien
persuadés, jeunes époux, que le bon exemple est l'héritage le plus précieux que
vous puissiez donner et laisser à vos enfants. Il est le souvenir ineffaçable
et lumineux d'un trésor d'œuvres et de faits, de paroles et de conseils,
d'actes pieux et de démarches vertueuses, qui restera toujours vivant dans leur
mémoire et dans leur esprit ; souvenir émouvant et cher qui, aux heures de
doute et d'hésitation entre le mal et le bien, entre le danger et la victoire,
leur rappellera vos personnes. Aux heures troubles, quand le ciel s'assombrira,
vous leur réapparaîtrez dans une vision de lumière qui éclairera et dirigera
leur chemin ; elle leur rappellera la voie que vous avez parcourue dans le
travail et les soucis, rançon du bonheur d'ici-bas et de là-haut.
Est-ce là un rêve
? Non ! la vie que vous commencez avec votre nouvelle famille n'est pas un rêve
: c'est un sentier où vous cheminez, investis d'une dignité et d'une autorité
qui doivent être pour les enfants de votre sang une école et un apprentissage.
Daigne le Père céleste,
qui, en vous appelant à participer à la grandeur de sa paternité, vous a aussi
communiqué son autorité, daigne le Père céleste vous donner de l'exercer à son
imitation, dans la sagesse et dans l'amour ! C'est en implorant de lui cette
grâce, pour vous et pour tous les parents chrétiens, que Nous vous donnons avec
toute l'affection de Notre cœur paternel la Bénédiction apostolique.
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